Charles Gave:Les évangiles et la richesse

De Librairal
Révision datée du 7 mai 2008 à 21:15 par Copeau (discussion | contributions)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Aller à la navigation Aller à la recherche
CHAPITRE V - Les évangiles et la notion de valeur << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CHAPITRE VII - Les évangiles et la justice sociale


Charles Gave:Les évangiles et la richesse


Anonyme


CHAPITRE VI
Les évangiles et la richesse
Un libéral nommé Jésus
2849410209.01.LZZZZZZZ.jpg
Auteur : Charles Gave
Genre
essai, actualité
Année de parution
2005
Interwiki
Medium Amazon New Logo.jpg [1]
Index des livres
A • B • C • D • E • F • G • H • I • 

J • K • L • M • N • O • P •  Q • R • S • T • U • V • W • X • Y • Z

D’après Milton Friedman, il existe quatre façons de dépenser l’argent.

• Il y a l’argent que l’on a gagné soi-même et que l’on dépense pour se faire plaisir à soi. En règle générale, cet argent est bien employé.

• Il y a l’argent que l’on gagne soi-même et que l’on dépense pour faire plaisir à quelqu’un d’autre. L’efficacité diminue.

• Il y a l’argent que quelqu’un d’autre a gagné et que l’on dépense soi-même. Un héritage, par exemple. Là encore l’efficacité de la dépense n’est pas performante.

• Il y a enfin l’argent que l’on a piqué – vol ou impôts – à quelqu’un qui l’avait gagné et que l’on dépense pour quelqu’un d’autre. Le principe même du socialisme. En général, le résultat, c'est n’importe quoi.

Après avoir traité et de la prise de risque et de la valeur, nous allons donc aborder le problème de l'argent, de la richesse de Mammon.

Parler de la richesse sans comprendre ni d’où elle vient ni en quoi elle consiste serait un peu "léger ", pour le dire poliment. Que certains de nos concitoyens ne comprennent ni comment elle est créée, ni quelle est sa nature, ne les traumatise pas et ne les empêche nullement de porter des jugements comminatoires sur la nocivité de cette "richesse". Une fois encore, il va falloir démontrer et leur incompétence et leur mauvaise foi.

Commençons par une évidence : compte tenu des expériences tentées un peu partout au XXème siècle, il faut être ou idiot ou de mauvaise foi pour croire à l'efficacité économique et aux vertus morales d'un Etat dirigeant l'économie.

Contre l'idiotie "au front de taureau", il n’y pas de solution. Idiots ils sont, idiots ils resteront.

Ajoutons, à toutes fins utiles, que l’idiotie n’a rien à voir avec les diplômes. Qui n'a pas rencontré dans sa vie un nombre considérable d’idiots extrêmement diplômés.

Le Christ lui aussi en a croisés. Ne s'exclame-t-il pas dans une prière à son Père ? :

« Je te loue, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre de ce que tu as
caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les
as révélées aux enfants et aux ignorants ».

En revanche, c'est à propose de la mauvaise foi que le Christ a des paroles terribles. A ceux qui savent et nous mentent ou se mentent, Il lance :

« Avant tout, gardez-vous du levain des Pharisiens qui est l’hypocrisie.
Il n’y a rien de caché qui ne se découvre, ni rien de secret qui ne finisse par être connu.
Aussi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera redit en plein jour,
Et ce que vous aurez murmuré à l’oreille dans les chambres sera publié sur les toits… »


En France, il existe toute une catégorie de gens qui savent et qui mentent. Ce sont ceux que j'appelle les nouveaux Pharisiens. Si je m'emploie à les démasquer avec des moyens que je sais modestes et limités, qu'on m'accorde de le faire avec une saine jubilation.

Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que
vous ressemblez à des tombeaux blanchis à la chaux :
à l'extérieur, ils ont une belle apparence, mais l'intérieur est
rempli d'ossements de toutes sortes de choses impures.
C'est ainsi que vous avez, à l'extérieur, pour les gens,
l'apparence d'hommes justes, mais à l'intérieur, vous êtes plein d'hypocrisie et de mal.

Venons-en à la richesse. Il est généralement admis que dans les Evangiles, on trouve une condamnation sans nuance de la richesse. Cette impression provient, en grande partie, d’une parabole, celle du jeune homme riche, et d’une phrase, celle où le Christ dit que l’on ne peut servir deux maîtres à la fois.

Commençons par la parabole du jeune homme riche, dans la version de Saint Matthieu.

Un homme aborda Jésus et lui dit «  Maître, quel bien dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?
Jésus lui dit "pourquoi me demandes-tu, à moi, le bien que tu dois faire ?
Un seul est le bon.
Si tu veux entrer dans la Vie garde les commandements."
"Lesquels ?" lui dit cet homme.
Celui-ci répondit Jésus :
" Tu ne tueras point ;
Tu ne commettras point l’adultère ;
Tu ne déroberas point ;
Tu ne porteras point de faux témoignage ;
Honore ton père et ta mère ;
Tu aimeras ton prochain comme toi-même."
Le jeune homme répondit "J’ai observé tous ces commandements ; que me manque-t-il encore ? "
Jésus lui dit :
"Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et le donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi "
Le jeune homme ayant entendu cette parole, s’en alla tout triste car il avait de grands biens.
Jésus dit à ses disciples : "En vérité je vous le dis :
il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux !….
Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume des Cieux "
Les disciples, vivement frappés de cette parole disaient :
"Qui peut donc être sauvé ? "
Jésus, arrêtant son regard sur eux dit :
"Cela est impossible aux hommes, mais toutes choses sont possibles à Dieu ".

Cette parabole est à l’origine de la condamnation morale et sans appel de la richesse, dans les pays chrétiens en général, et dans les pays catholiques, en particulier.

Il y a trois parties très nettes et très distinctes dans ce petit texte, et une conclusion.

Le jeune homme commence par demander au Christ comment avoir la vie éternelle. A cette question, Jésus a une réponse toute préparée, toujours identique : "Sois un bon Juif, respecte les commandements".

Pour avoir la vie éternelle, il suffit donc de respecter les Commandements, et que l’on soit riche ou pauvre n'engendre aucune différence. Voilà une bonne nouvelle[1] !

Mais le jeune homme insiste et précise que c’est déjà ce qu’il fait. Alors, tombe l’appel, terrifiant et lui aussi toujours le même : Si tu veux être parfait, viens et suis-moi.

Remarquons que le Christ ne lui dit pas d'aller donner ses biens au Temple ou aux prêtres. Il lui dit : d'abord, de les vendre, ce qui signifie que les biens resteront propriété privée – tiens donc ! Ensuite de donner lui-même le fruit de la vente aux pauvres. Le Christ n'a visiblement pas confiance dans la capacité des organisations caritatives à s'occuper des indigents… Quand on sait que, dans beaucoup d'entre elles, plus de 75 % des dons sert à gérer l'organisation, le Christ n'était-il pas déjà extrêmement bien informé ?

Fermons la parenthèse et revenons à notre parabole. A la demande du Christ "Viens et suis-moi", le jeune homme cale. A cet instant, le texte nous précise deux choses : que ce jeune homme avait de grands biens ; qu’il s’en va tout triste.

On peut, de fait, interpréter la parole du Christ comme une condamnation de la richesse : le jeune homme riche s’en irait parce qu’il ne veut pas renoncer à son petit confort. L’argent, d’après cette explication, serait dans son essence mauvais, et empêcherait l’homme d’être libre.

C'est ce que nos socialistes et tous les braves curés dans les homélies du dimanche ne se privent pas de dire. On se souvient de la phrase à pleurer de François Mitterrand (de rire, quand on connaissait un peu le personnage): "L'argent, l'argent maudit, l'argent qui corrompt tout."

Il y d'autres interprétations que cette version bien-pensante et particulièrement hypocrite.

Une première s’articule autour de l’idée qui suit : la richesse, par les obligations qu’elle nous impose nous interdit d’être à la fois un bon chrétien et un bon juif. Peut-être la situation du jeune homme dans ce bas monde est telle, qu’en conscience, il ne peut être parfait. En conscience, il ne peut suivre l’appel. Eh oui, avoir de grands biens, c’est aussi avoir de grandes responsabilités dans ce monde.

Ce jeune homme avait peut-être une mère, une épouse, des enfants, des employés. Pouvait-il les condamner à la misère, s’il avait tout vendu, tout distribué aux pauvres et suivi Jésus ?

En agissant ainsi, n'aurait-il pas contrevenu aux Commandements ? En effet, rien dans la parabole ne nous dit que ce sont des sentiments bas qui l’animent. Rien. "Jésus, l’ayant regardé, l’aima ". Imagine-t-on Jésus aimant une âme basse ?

Il existe une seconde explication infiniment plus pessimiste : nous savons tous que la richesse nourrit les tentations. Souvent des hommes âgés ne divorcent-ils pas pour épouser en secondes noces de jeunes et belles femmes ? Ils abandonnent la femme de leur jeunesse, ils commettent l'adultère, contreviennent aux Commandements[2]. En général ces sexagénaires ou septuagénaires ne sont pas pauvres… Et il est infiniment plus facile de suborner un juge, de rendre un faux témoignage plus crédible, si l’on est riche ou puissant….

Ce que Jésus a – peut-être – voulu dire, c'est simplement que le riche, en raison de ses responsabilités ne doit pas chercher à être un bon chrétien, un "parfait", et qu’en plus la possibilité qu'il puisse être un bon Juif est extrêmement aléatoire. Qui, en effet, parmi nous peut affirmer qu'il est assez intègre pour dédaigner la phrase d'Oscar Wilde : " Je résiste à tout, sauf à la tentation " ? On comprend que le jeune homme riche n’ait pas eu le moral.

D'ailleurs dans la troisième partie de la parabole, Jésus l'explicite très simplement : pour un riche, entrer au Paradis est extrêmement difficile. Voilà qui relève de l'évidence pour quiconque a lu les Evangiles : nous serons jugés en fonction de ce que nous avons reçu… et si nous avons reçu beaucoup, il est à craindre que l'on nous demandera beaucoup pour accéder au Paradis.

Mais à aucun moment, le Christ ne dit que la richesse est mauvaise.

Viennent enfin les derniers mots qui ouvrent une porte d’espoir aussi bien à ses Apôtres qu’à nous autres, braves vivants : "…toutes choses sont possibles à Dieu ".

Ouf !

On ne voit pas d’où nos moralisateurs jaloux tirent leurs anathèmes à l'encontre de la richesse. Peut-être de la phrase, si souvent citée :

Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ;
car ou il haïra l’un et aimera l’autre,
ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre ;
vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.

Jésus prononce cette phrase après avoir chassé les marchands du Temple. Quand il voit le Temple de son Père, envahi par les "marchands ", sa colère explose car on ne peut faire de l’argent sur la religion pas plus qu’on ne peut se servir de cette dernière pour conquérir le pouvoir politique. La référence à Mammon – le pouvoir économique – fait pendant à la référence à César – le pouvoir politique.

Et nous retrouvons là un des thèmes constants et décisifs des Evangiles. A l’évidence, pour le Christ, il y a deux sortes d’hommes : ceux, peu nombreux, que Jésus appelle, et ceux encore moins nombreux qui, librement, ont décidé de répondre à cet appel.


Ceux-là, les "parfaits"[3], les serviteurs de son Père, ne doivent se compromettre ni avec César ni avec Mammon. Il les exhorte à ne même pas posséder la pierre qu’ils mettront sous leur cou pour dormir.

Les Apôtres, en tant qu’individus, ne doivent rien avoir à eux. Ils ne doivent pas se préoccuper du futur, mais vivre dans le présent en contact permanent avec leur maître.

Saint François d’Assise correspond sans doute le mieux à ce que le Christ attendait de ces disciples….

Sur les autres, sur tous ceux – vous et moi – qui n’ont pas répondu à "l'appel", qui ne l’ont pas entendu ou l’ont repoussé car trop difficile à suivre, le Christ ne porte aucune condamnation de principe, ni à propos de leur engagement dans le monde ni à propos de leur richesse.

Certes, les Evangiles sont remplis de condamnations et d’anathèmes à l'endroit des mauvais riches. Ceux-ci sont condamnés parce qu’ils sont mauvais, et non parce qu’ils sont riches ! Que l'on se reporte à la parabole du pauvre Lazare. Quiconque suit la Loi mosaïque se sert de l’argent mais ne sert pas l’argent. Ce que Jésus nous demande, et c’est déjà beaucoup ! C’est d’être des bons chrétiens et de suivre les dix Commandements.

Il ajoute un onzième qui rend les choses encore plus difficiles : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Une bonne lecture des Evangiles ne peut donc induire la condamnation ni des riches – tous les koulaks au poteau ! – ni de la richesse. Ce serait une condamnation collective, et nous savons que le collectivisme n’est pas le point fort du Christ. En revanche, toujours en bonne logique évangélique, nous avons du mal à comprendre l’accumulation de richesse par certaines églises où sont censés se trouver tous ceux qui ont suivi "l’appel".

On comprend, a contrario, pourquoi l’église catholique a longtemps voulu empêcher les fidèles de lire les Evangiles dans le texte, et pourquoi elle a fait brûler les premiers imprimeurs qui ont publié la Bible en français… Une lecture attentive par ses ouailles aurait pu les conduire à des conclusions regrettables pour les structures de pouvoir de cette chère Eglise…

Ce qui nous ramène aux supporters de notre religion de remplacement, le laïcisme étatique, et à sa mauvaise foi. Quand le jeune homme riche s’en va, Jésus ne dit pas aux gendarmes locaux de lui courir après, pour le forcer à donner tous ses biens aux pauvres.

Il ne lui jette aucune malédiction. Il soupire, il est un peu triste. Ah, si nos "partageux" avaient été là, comme les choses eussent été différentes !

Ils auraient fait rendre gorge, sur l’heure, à cet exploiteur du peuple ! Ils auraient su, n'en doutons pas, comment utiliser l’argent du jeune homme riche, coupable de ce crime abominable.

Jamais, pas une fois dans les Evangiles, nous n'entendons Jésus qui ordonne à ses disciples : "Forcez Jean-Jacques ou Judas à faire ceci ou cela". Jamais.

Essayons d’aller un peu plus loin. Jésus dit souvent : "Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir ". Les dix Commandements furent enseignés à Moïse sur le Sinaï. Et on peut estimer qu’ils concernent des interdictions fondamentales, correspondant aux grandes tentations humaines.

L’un des dix Commandements, le huitième, est ainsi énoncé :

Tu n’envieras ni le bétail, ni la maison, ni la femme de ton voisin.

Envier est donc formellement interdit, et chercher à nuire à son voisin parce qu’il a une jolie femme, une belle maison et une Ferrari n’est rien d’autre qu’une vilenie, et condamnée comme telle par l’Ancien Testament, et donc par Jésus.

L'envie, la jalousie sont fondamentalement contraire au Décalogue et au message du Christ qui dit, on ne le répètera jamais assez : "Je ne suis pas venu changer la loi, mais l’accomplir."

En fait, la pensée dominante nous engage à ne pas respecter ce huitième Commandement et se complait à mobiliser nos énergies les plus jalouses, les plus envieuses.

Quand je suis devant la télévision avec mes enfants et que je regarde un message publicitaire, je leur demande parfois de préciser quel sentiment l’annonceur cherche à faire naître.

Le conformisme, la gourmandise, le snobisme, la luxure, la jalousie, l'envie ? …

A la racine de ces spots publicitaires, il y a presque toujours l'un ou l'autre, parfois, plusieurs de ces sentiments. Le fonds de commerce de l’industrie publicitaire, c’est, en effet, les sept péchés capitaux.

Si nous voulons exercer nos responsabilités de citoyen, il nous faut absolument déchiffrer à quel sentiment s'adresse leur message. Aussi, chacun se devrait d'appliquer la grille de lecture des messages publicitaires au programme des partis politiques. Après tout, chaque parti politique essaie de nous vendre une voiture d'occasion bien pourrie en nous faisant croire que c'est une Rolls toute neuve.

Si nous voulons exercer nos responsabilités de citoyens, nous devons absolument déchiffrer les messages politiques qui nous sont adressé : à quels sentiments font-ils appel ? N'en appellent-ils pas de façon systématique à la peur de l’avenir, à la crainte de tout changement, au besoin de protection que nous pouvons tous ressentir, et surtout à l’envie, à la haine de celui qui a plus, à la "jalousie aux dents vertes", comme dit la sagesse populaire ?

Hélas, nul ne l'ignore, des sept péchés capitaux, l’envie est le seul qui ne puisse être apaisé par une quelconque satisfaction, par une donnée objective. L’envieux, le jaloux continuent de se sentir mal, quand bien même ils ont détruit l’objet de leur jalousie. L'envieux n'a de cesse de vouloir être le calife à la place du calife…

L’envie et l’orgueil sont les deux péchés du "chef" des démons, Lucifer. Le pouvoir politique serait-t-il d'essence démoniaque ?

Notes et références

  1. Sans jeu de mots. Evangiles veut dire "bonne nouvelle en grec".
  2. On connaît le merveilleux poème de l’Ecclésiaste “(…) vanité, tout n’est que vanité…. D’après ce sommet de la poésie, il n’y a que deux choses qui ne laissent pas un goût de cendre dans la bouche "Avoir donné sans espoir de retour, Et vieillir auprès de la femme de sa jeunesse »
  3. Terme et concept qu’on retrouvera dans l’hérésie cathare et chez les puritains.
CHAPITRE V - Les évangiles et la notion de valeur << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CHAPITRE VII - Les évangiles et la justice sociale