Différences entre les versions de « Collectif:Aux sources du modèle libéral français - La difficile émergence d'une économie libérale »

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Un troisième point que je voudrai discuter rapidement, qui a été abondamment évoqué, c'est celui de la liberté économique. La liberté économique, ou le manque de liberté économique, ne se manifestait pas seulement à travers les corporations mais également en ce qui concerne la liberté du commerce des blés. La liberté du commerce des blés est certainement un des facteurs importants de la crise économique qui a frappé à la veille de la Révolution, avec les conséquences que je rappellerai dans quelques minutes. Or cette liberté, ou plutôt ce manque de liberté du commerce des blés était connu des contemporains qui se plaignaient, et pourtant, malgré les tentatives qui ont été faites, le problème n'a jamais pu être résolu avant la Révolution. Je vous rappelle quelques points à ce sujet, par exemple les grands problèmes qu'il y avait à stocker les grains car on considérait que les grains devaient être vendus immédiatement. Stocker des grains pour pouvoir les revendre avant la récolte suivante, c'est à dire à la fin du printemps, au début de l'été, constituait un crime aux yeux des contemporains ; et pourtant c'était la seule manière de résoudre les crises. Mais il y avait à cette époque, et je suis étonné de voir à quel point, une myopie économique qui faisait qu'on ne regardait que les effets immédiats des réglementations. Les réglementations qui interdisaient ou qui empêchaient ou qui rendaient difficile le stockage des grains avaient certainement un effet immédiat qui apparaissait désirable, puisqu'immédiatement après la récolte il multipliait les quantités sur le marché. Mais en revanche il diminuait les quantités au moment où la demande était la plus pressante, et où la famine menaçait, c'est à dire au moment de la soudure, avant les prochaines récoltes. Et je suis frappé aussi de constater que ces phénomènes étaient compris à l'époque, ce n'était donc pas par ignorance, mais pour satisfaire l'opinion publique qu'on prenait ces mesures, alors que il y avait des esprits suffisamment éclairés pour en comprendre correctement la portée. Dans le livre qui a été cité tout à l'heure, " L'économie de la Révolution Française ", je mentionne le texte d'un agronome anglais qui se promenait à l'époque en France et qui, ayant parfaitement compris la nature absolument antiéconomique des législations du commerce des blés, avait écrit des pages à la gloire de la spéculation qui seraient dignes d'un Friedmann aujourd'hui.
Un troisième point que je voudrai discuter rapidement, qui a été abondamment évoqué, c'est celui de la liberté économique. La liberté économique, ou le manque de liberté économique, ne se manifestait pas seulement à travers les corporations mais également en ce qui concerne la liberté du commerce des blés. La liberté du commerce des blés est certainement un des facteurs importants de la crise économique qui a frappé à la veille de la Révolution, avec les conséquences que je rappellerai dans quelques minutes. Or cette liberté, ou plutôt ce manque de liberté du commerce des blés était connu des contemporains qui se plaignaient, et pourtant, malgré les tentatives qui ont été faites, le problème n'a jamais pu être résolu avant la Révolution. Je vous rappelle quelques points à ce sujet, par exemple les grands problèmes qu'il y avait à stocker les grains car on considérait que les grains devaient être vendus immédiatement. Stocker des grains pour pouvoir les revendre avant la récolte suivante, c'est à dire à la fin du printemps, au début de l'été, constituait un crime aux yeux des contemporains ; et pourtant c'était la seule manière de résoudre les crises. Mais il y avait à cette époque, et je suis étonné de voir à quel point, une myopie économique qui faisait qu'on ne regardait que les effets immédiats des réglementations. Les réglementations qui interdisaient ou qui empêchaient ou qui rendaient difficile le stockage des grains avaient certainement un effet immédiat qui apparaissait désirable, puisqu'immédiatement après la récolte il multipliait les quantités sur le marché. Mais en revanche il diminuait les quantités au moment où la demande était la plus pressante, et où la famine menaçait, c'est à dire au moment de la soudure, avant les prochaines récoltes. Et je suis frappé aussi de constater que ces phénomènes étaient compris à l'époque, ce n'était donc pas par ignorance, mais pour satisfaire l'opinion publique qu'on prenait ces mesures, alors que il y avait des esprits suffisamment éclairés pour en comprendre correctement la portée. Dans le livre qui a été cité tout à l'heure, " L'économie de la Révolution Française ", je mentionne le texte d'un agronome anglais qui se promenait à l'époque en France et qui, ayant parfaitement compris la nature absolument antiéconomique des législations du commerce des blés, avait écrit des pages à la gloire de la spéculation qui seraient dignes d'un Friedmann aujourd'hui.


Une autre conséquence de ces réglementations du commerce des blés concerne les émeutes frumentaires. En France se sont produits un grand nombre d'épisodes d'émeutes qui ressemblent beaucoup à des émeutes plus récentes au cours desquelles le peuple se sert lui-même lorsqu'il estime en avoir besoin. En particulier il convient de mentionner la guerre des farines, un évènement majeur au cours duquel des péniches transportant du blé étaient pillées. Souvent, vers la fin du siècle, le pouvoir finissait par céder et accédait aux désirs des émeutiers, en particulier en accordant la taxation des blés. Et cela aussi peut rappeler les événements plus récents au cours desquels le gouvernement a reculé devant la rue.
Un autre point que je voudrais souligner, c'est la crise économique qui a frappé la France dans les années pré-révolutionnaires. Cette crise a certainement des causes multiples et diverses difficiles à analyser. Mais si l'on regarde les conditions dans lesquelles s'est déclenchée la Révolution, on ne peut pas ignorer l'importance de cette crise économique et en particulier l'importance de tous les (on dirait aujourd'hui chômeurs ) indigents qu'elle mettait sur le pavé des villes. Ces déracinés des campagnes, ces indigents des villes constituaient une troupe prête à la révolte. Il faut savoir qu'à l'époque révolutionnaire à Paris, qui comptait environ 600 000 habitants, il y avait 100 000 indigents, c'est à dire 100 000 personnes complètement déracinées et prêtes à devenir la troupe de toute révolution. Aujourd'hui aussi il y a un parallèle à faire, parce que ces troupes existent, non plus au centre des villes mais dans les banlieues, et elles sont prêtes, comme on le voit trop souvent, à tous les actes de violence, même gratuits.
Enfin, le septième point que je dois rappeler, peut-être au moyen d'une citation (celle que vous nous avez lue tout à l'heure, Monsieur Meyer, concerne le rôle des fonctionnaires) de Tocqueville et elle souligne la morgue et la suffisance de ces fonctionnaires de l'Ancien Régime. Si vous voyez un parallèle avec ce qui existe aujourd'hui, ce sera sûrement une pure coïncidence. " Ce qui caractérise déjà l'administration en France, c'est la haine violente que lui inspire tous ceux, nobles ou bourgeois, qui viennent s'occuper des affaires publiques en dehors d'elle (de l'Administration) ; le moindre corps indépendant qui semble vouloir se former sans son concours lui fait peur. La plus petite association libre, quel qu'en soit l'objet l'importune. Elle ne laisse subsister que celles qu'elle a laissé se composer arbitrairement, et qu'elle préside. Les grandes compagnies industrielles elles-mêmes lui agréent peu. En un mot, elle n'entend point que les citoyens s'ingèrent d'une manière quelconque dans l'examen de leurs propres affaires et préfère la stérilité à la concurrence ".
Voilà comment Tocqueville décrit les bureaux à la fin de l'Ancien Régime. Voilà les quelques parallèles rapides que j'avais l'intention d'esquisser ; il y en a d'autres bien possibles, et deux me sont venus à l'esprit pendant que je vous parlais. Laissez-moi les évoquer pour terminer.
J'ai été frappé de voir que lors de la seule grande tentative de libéralisation de l'Ancien Régime, celle de Turgot, on a accuse ce grand ministre d'être un doctrinal alors, même s'il n'a pas été un physiocrate pur jus, il a tout de même été un doctrinal aux yeux de ses concitoyens. On le lui a beaucoup reproché et à sa suite, lorsque Necker est arrivé au Pouvoir, et avec lui le pragmatisme est entré au gouvernement ; on a salué en Necker un pragmatique, un homme qui justement n'était pas doctrinal. Donc, je crois qu'il y a matière à réflexion pour décider â quel point il est préférable d'avoir des pragmatiques, ou au contraire des doctrinaux, à condition bien entendu que leur doctrine soit correcte.
Et enfin, le dernier point concerne la popularité de toutes ces mesures qui paraissent aujourd'hui absurdes et antiéconomique. Je parlais tout à l'heure de la taxation, si j'empiète un peu sur la période révolutionnaire, on pourrait parler du Maximum, de la réglementation des prix. Ces mesures, comme celles concernant le commerce des blés, étaient très très populaires. Et aujourd'hui encore je suis frappé de voir à quel point tout ce qui est contrôle, contrôle des prix, lorsque les conditions s'y prêtent, contrôles des loyers, à tous moments, sont des mesures populaires, et qu'on a beau expliquer, on a beau écrire, elles restent des mesures populaires. Je trouve que c'est assez inquiétant pour l'avancement des idées libérales.
Ces quelques parallèles ne sont que des évocations historiques, et j'espère que les problèmes actuels qui ressemblent à ceux de la fin de l'Ancien Régime seront quand même résolus différemment et surtout moins violemment.


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