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Admettons comme vrai le postulat d. Hobbies : "Quand les hommes ne vivent pas sous une autorité commune qui les maintient dans la crainte, ils sont dans cet état appelé guerre... de l'un contre l'autre" ; ce qui n'est pas vrai, car il existe des sociétés non civilisées où, "sans une autorité commune qui les maintienne dans la crainte", règne une paix plus profonde et une plus grande harmonie que dans les sociétés où cette autorité existe. Supposons également que Hobbes ait raison quand il pose en principe que le pouvoir gouvernemental dans les sociétés a pour origine leur désir de maintenir l'ordre dans leur sein, quoique en réalité il naisse ordinairement du besoin de subordination à un chef pendant une guerre offensive ou défensive, et qu'il n'ait, dans ses commencements, ni en théorie ni en fait, aucun rapport avec le maintien de l'ordre dans une association formée par des individus. Encore une fois, admettons cette hypothèse insoutenable que, pour échapper aux maux causés par des conflits chroniques, les membres d'une communauté concluent un "pacte ou contrat", par lequel ils s'engagent tous à renoncer à leur liberté d'action primitive&nbsp;<ref>Hobbes, ''Collected Works'', t. III, p. 159.</ref> ; acceptons même que leurs descendants soient liés à tout jamais par le contrat conclu en leur nom par des ancêtres éloignés. Ne faisons, dis-je, aucune objection à ces données, mais passons aux conclusions que Hobbes en tire. Voici comment il s'exprime&nbsp;<ref>Hobbes, ''Collected Works'', t. III, pp. 130-131.</ref> :
Admettons comme vrai le postulat d. Hobbies : "Quand les hommes ne vivent pas sous une autorité commune qui les maintient dans la crainte, ils sont dans cet état appelé guerre... de l'un contre l'autre" ; ce qui n'est pas vrai, car il existe des sociétés non civilisées où, "sans une autorité commune qui les maintienne dans la crainte", règne une paix plus profonde et une plus grande harmonie que dans les sociétés où cette autorité existe. Supposons également que Hobbes ait raison quand il pose en principe que le pouvoir gouvernemental dans les sociétés a pour origine leur désir de maintenir l'ordre dans leur sein, quoique en réalité il naisse ordinairement du besoin de subordination à un chef pendant une guerre offensive ou défensive, et qu'il n'ait, dans ses commencements, ni en théorie ni en fait, aucun rapport avec le maintien de l'ordre dans une association formée par des individus. Encore une fois, admettons cette hypothèse insoutenable que, pour échapper aux maux causés par des conflits chroniques, les membres d'une communauté concluent un "pacte ou contrat", par lequel ils s'engagent tous à renoncer à leur liberté d'action primitive&nbsp;<ref>Hobbes, ''Collected Works'', t. III, p. 159.</ref> ; acceptons même que leurs descendants soient liés à tout jamais par le contrat conclu en leur nom par des ancêtres éloignés. Ne faisons, dis-je, aucune objection à ces données, mais passons aux conclusions que Hobbes en tire. Voici comment il s'exprime&nbsp;<ref>Hobbes, ''Collected Works'', t. III, pp. 130-131.</ref> :


"Là où n'existe aucun contrat, aucun droit n'a été transmis, et tout homme a droit à toute chose; par conséquent, aucune action ne peut être injuste. Mais là où il y a eu contrat, le violer est ''injuste'', et la définition de ''l'injustice'' n'est autre que la ''non-exécution du contrat''... Ainsi, avant que l'on puisse qualifier... acte de juste ou d'injuste, il faut qu'il existe un pouvoir coercitif qui force tous les hommes également à exécuter leur contrat, par la crainte d'une punition plus grande que le bénéfice qu'ils espèrent tirer de la violation de leur contrat.
:"Là où n'existe aucun contrat, aucun droit n'a été transmis, et tout homme a droit à toute chose; par conséquent, aucune action ne peut être injuste. Mais là où il y a eu contrat, le violer est ''injuste'', et la définition de ''l'injustice'' n'est autre que la ''non-exécution du contrat''... Ainsi, avant que l'on puisse qualifier... acte de juste ou d'injuste, il faut qu'il existe un pouvoir coercitif qui force tous les hommes également à exécuter leur contrat, par la crainte d'une punition plus grande que le bénéfice qu'ils espèrent tirer de la violation de leur contrat.


Les hommes, à l'époque de Hobbes, étaient-ils réellement assez pervers pour justifier son hypothèse qu'aucun d'eux n'exécuterait le contrat par lequel il s'est lié, en l'absence d'un pouvoir coercitif et de la crainte d'un châtiment! De nos jours "les qualifications de juste et d'injuste peuvent être appliquées" même si l'on ne reconnaît aucun pouvoir coercitif.
Les hommes, à l'époque de Hobbes, étaient-ils réellement assez pervers pour justifier son hypothèse qu'aucun d'eux n'exécuterait le contrat par lequel il s'est lié, en l'absence d'un pouvoir coercitif et de la crainte d'un châtiment! De nos jours "les qualifications de juste et d'injuste peuvent être appliquées" même si l'on ne reconnaît aucun pouvoir coercitif.
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A cette demande il n'est pas de réponse. Examinez son point de départ et vous verrez que la doctrine d'Austin ne repose pas sur une base plus solide que celle de Hobbes. Si l'on n'admet pas d'origine ou de délégation divine, aucun gouvernement, qu'il soit à une ou à. plusieurs têtes, ne peut produire les titres nécessaires pour justifier ses' prétentions au pouvoir absolu.
A cette demande il n'est pas de réponse. Examinez son point de départ et vous verrez que la doctrine d'Austin ne repose pas sur une base plus solide que celle de Hobbes. Si l'on n'admet pas d'origine ou de délégation divine, aucun gouvernement, qu'il soit à une ou à. plusieurs têtes, ne peut produire les titres nécessaires pour justifier ses' prétentions au pouvoir absolu.


"Mais pardon, répliquera-t-on en chœur, il y a le droit incontestable de la. majorité qui donne un droit incontestable au parlement qu'elle élit."
:"Mais pardon, répliquera-t-on en chœur, il y a le droit incontestable de la. majorité qui donne un droit incontestable au parlement qu'elle élit."


Oui, voici que nous touchons au fond de la question. Droit divin des parlements veut dire droit divin des majorités. La base du raisonnement des législateurs, aussi bien que du peuple, c'est que la majorité a des droits illimités. Telle est la théorie courante que tous acceptent sans preuve comme une vérité évidente par elle-même. Néanmoins la critique, je pense, montrera que cette théorie courante doit subir une modification radicale.
Oui, voici que nous touchons au fond de la question. Droit divin des parlements veut dire droit divin des majorités. La base du raisonnement des législateurs, aussi bien que du peuple, c'est que la majorité a des droits illimités. Telle est la théorie courante que tous acceptent sans preuve comme une vérité évidente par elle-même. Néanmoins la critique, je pense, montrera que cette théorie courante doit subir une modification radicale.
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Dans un essai sur les ''principes d'administration des chemins de fer'' publié dans la ''Revue d'Édimbourg'' d'octobre 1854, j'eus l'occasion de traiter la question des pouvoirs d'une majorité, en prenant pour exemple la conduite des compagnies publiques ; et je ne puis mieux frayer la voie aux conclurions, auxquelles nous allons aboutir qu'en en citant un passage :
Dans un essai sur les ''principes d'administration des chemins de fer'' publié dans la ''Revue d'Édimbourg'' d'octobre 1854, j'eus l'occasion de traiter la question des pouvoirs d'une majorité, en prenant pour exemple la conduite des compagnies publiques ; et je ne puis mieux frayer la voie aux conclurions, auxquelles nous allons aboutir qu'en en citant un passage :


"Dans quelque circonstance ou pour quelque fin qu'un groupe d'hommes coopèrent, on admet que, s'il surgit entre eux une divergences d'opinions, la justice exige que la volonté de la majorité s'accomplisse plutôt que celle de la minorité ; et cette règle est supposée uniformément applicable, quelle que soit la question en litige. C'est là une conviction tellement arrêtée et le principe, d'où elle découle, a été si peu approfondi, que la suggestion d'un doute étonnera bien des gens. Pourtant il suffit d'une courte analyse pour montrer que cette opinion n'est, en somme, qu'une superstition politique. On trouve aisément des exemples prouvant, par réduction à l'absurde, que le droit de la majorité est un droit purement conditionnel, valable dans certaines limites seulement. Supposons que, dans l'assemblée générale d'une société philanthropique, on ait résolu que l'association non seulement soulagerait les pauvres, mais emploierait encore des prédicateurs à combattre le papisme en Angleterre. Les souscripteurs des catholiques, ralliés au groupe dans des vues de charité, peuvent-elles être légitimement appliquées à ce but ? Supposons que dans un comité de bibliothèque, la majorité des membres, pensant que dans les circonstances actuelles l'exercice du tir a plus d'importance que la lecture, décide de changer le but de l'association et d'appliquer les fonds disponibles à l'achat de poudre, de balles et de cibles&nbsp;: les autres membres seront-ils liés par cette décision ? Supposons que, sous l'impulsion de nouvelles venues d'Australie, la majorité d'une société de francs-tenanciers se détermine non seulement à partir en corps pour exploiter des mines d'or, mais à consacrer les fonds de la société à équiper un vaisseau. Cette usurpation de la propriété sera-t-elle équitable à l'égard de la minorité ? et. celle-ci est-elle obligée de se joindre à l'expédition ? A peine quelqu'un osera-t-il répondre affirmativement sur la première de ces questions ; à plus forte raison ne l'osera-t-il pas sur les autres ? Et pourquoi ? Parce que tout le monde doit comprendre qu'un individu, par le fait seul qu'il s'est associé à d'autres, ne peut, sans que la justice en souffre, être entraîné à des actes tout à fait étrangers au but qu'il se proposait en s'associant. Chacune des minorités, dans les cas supposés, pourrait justement répondre à ceux qui prétendent la contraindre : "Nous nous sommes unis à vous dans un but déterminé ; nous avons donné notre argent et notre temps pour atteindre ce but ; dans toutes les questions qui s'y rattachent, nous avons tacitement accepté de nous conformer à la volonté de la majorité, mais nous n'avons pas consenti à nous conformer dans d'autres questions. Si vous nous déterminez à nous associer avec vous par l'annonce d'un but défini, et qu'ensuite vous entrepreniez d'en exécuter un autre dont nous n'avons pas été avisés, vous obtenez notre appui sous de faux prétextes ; vous sortez des conventions explicites ou tacites faites entre nous, et dès lors nous ne sommes plus liés par vos décisions." Évidemment voilà la seule interprétation rationnelle de la question. Le principe général, sur lequel repose le gouvernement équitable de toute association, est que ses membres s'engagent les uns vis-à-vis des autres, chacun pour sa part, à se soumettre à la volonté de la majorité dans toutes les affaires relatives à l'accomplissement du dessein en vue duquel ils sont entrés dans l'association, mais non pas dans d'autres. Dans ces limites seulement le contrat est valable. En effet, comme la nature même d'un contrat implique que les contractants connaissent leurs obligations, et comme ceux qui s'unissent à d'autres dans un but spécifié ne peuvent avoir en vue tous les buts non spécifiés que, par hypothèse, il serait possible à l'association de poursuivre, il s'ensuit que le contrat souscrit ne peut s'étendre à ces buts non spécifiés. Et au cas où il n'existe pas de conventions explicites ou implicites entre l'association et ses membres touchant ces buts non spécifiés, la majorité, qui contraindrait la minorité à les poursuivre, se rendrait coupable de la tyrannie la plus révoltante.
:"Dans quelque circonstance ou pour quelque fin qu'un groupe d'hommes coopèrent, on admet que, s'il surgit entre eux une divergences d'opinions, la justice exige que la volonté de la majorité s'accomplisse plutôt que celle de la minorité ; et cette règle est supposée uniformément applicable, quelle que soit la question en litige. C'est là une conviction tellement arrêtée et le principe, d'où elle découle, a été si peu approfondi, que la suggestion d'un doute étonnera bien des gens. Pourtant il suffit d'une courte analyse pour montrer que cette opinion n'est, en somme, qu'une superstition politique. On trouve aisément des exemples prouvant, par réduction à l'absurde, que le droit de la majorité est un droit purement conditionnel, valable dans certaines limites seulement. Supposons que, dans l'assemblée générale d'une société philanthropique, on ait résolu que l'association non seulement soulagerait les pauvres, mais emploierait encore des prédicateurs à combattre le papisme en Angleterre. Les souscripteurs des catholiques, ralliés au groupe dans des vues de charité, peuvent-elles être légitimement appliquées à ce but ? Supposons que dans un comité de bibliothèque, la majorité des membres, pensant que dans les circonstances actuelles l'exercice du tir a plus d'importance que la lecture, décide de changer le but de l'association et d'appliquer les fonds disponibles à l'achat de poudre, de balles et de cibles&nbsp;: les autres membres seront-ils liés par cette décision ? Supposons que, sous l'impulsion de nouvelles venues d'Australie, la majorité d'une société de francs-tenanciers se détermine non seulement à partir en corps pour exploiter des mines d'or, mais à consacrer les fonds de la société à équiper un vaisseau. Cette usurpation de la propriété sera-t-elle équitable à l'égard de la minorité ? et. celle-ci est-elle obligée de se joindre à l'expédition ? A peine quelqu'un osera-t-il répondre affirmativement sur la première de ces questions ; à plus forte raison ne l'osera-t-il pas sur les autres ? Et pourquoi ? Parce que tout le monde doit comprendre qu'un individu, par le fait seul qu'il s'est associé à d'autres, ne peut, sans que la justice en souffre, être entraîné à des actes tout à fait étrangers au but qu'il se proposait en s'associant. Chacune des minorités, dans les cas supposés, pourrait justement répondre à ceux qui prétendent la contraindre : "Nous nous sommes unis à vous dans un but déterminé ; nous avons donné notre argent et notre temps pour atteindre ce but ; dans toutes les questions qui s'y rattachent, nous avons tacitement accepté de nous conformer à la volonté de la majorité, mais nous n'avons pas consenti à nous conformer dans d'autres questions. Si vous nous déterminez à nous associer avec vous par l'annonce d'un but défini, et qu'ensuite vous entrepreniez d'en exécuter un autre dont nous n'avons pas été avisés, vous obtenez notre appui sous de faux prétextes ; vous sortez des conventions explicites ou tacites faites entre nous, et dès lors nous ne sommes plus liés par vos décisions." Évidemment voilà la seule interprétation rationnelle de la question. Le principe général, sur lequel repose le gouvernement équitable de toute association, est que ses membres s'engagent les uns vis-à-vis des autres, chacun pour sa part, à se soumettre à la volonté de la majorité dans toutes les affaires relatives à l'accomplissement du dessein en vue duquel ils sont entrés dans l'association, mais non pas dans d'autres. Dans ces limites seulement le contrat est valable. En effet, comme la nature même d'un contrat implique que les contractants connaissent leurs obligations, et comme ceux qui s'unissent à d'autres dans un but spécifié ne peuvent avoir en vue tous les buts non spécifiés que, par hypothèse, il serait possible à l'association de poursuivre, il s'ensuit que le contrat souscrit ne peut s'étendre à ces buts non spécifiés. Et au cas où il n'existe pas de conventions explicites ou implicites entre l'association et ses membres touchant ces buts non spécifiés, la majorité, qui contraindrait la minorité à les poursuivre, se rendrait coupable de la tyrannie la plus révoltante.


Naturellement, s'il existe une telle confusion d'idées, au sujet des pouvoirs de la majorité là où le contrat d'association limite tacitement ces pouvoirs, elle doit encore exister davantage là où il n'y a pas eu de pareil contrat. Néanmoins le même principe subsiste. J'insiste sur la proposition que les membres d'une association s'engagent ''individuellement à se soumettre à la volonté de la majorité dans toutes les affaires concernant l'accomplissement des desseins en vue desquels ils sont entrés dans l'association, mais dans aucune autre''. Et je soutiens qu'elle s'applique au corps d'une nation aussi bien qu'à une compagnie.
Naturellement, s'il existe une telle confusion d'idées, au sujet des pouvoirs de la majorité là où le contrat d'association limite tacitement ces pouvoirs, elle doit encore exister davantage là où il n'y a pas eu de pareil contrat. Néanmoins le même principe subsiste. J'insiste sur la proposition que les membres d'une association s'engagent ''individuellement à se soumettre à la volonté de la majorité dans toutes les affaires concernant l'accomplissement des desseins en vue desquels ils sont entrés dans l'association, mais dans aucune autre''. Et je soutiens qu'elle s'applique au corps d'une nation aussi bien qu'à une compagnie.


"Mais, objectera-t-on encore, comme il n'existe pas de contrat en vertu duquel les hommes se sont constitués en corps de nations, comme le but, en vue duquel l'association a été formée, n'est pas et. n'a jamais été spécifié, il ne peut y avoir de limitation, et, par suite, le pouvoir de la majorité est illimité."
:"Mais, objectera-t-on encore, comme il n'existe pas de contrat en vertu duquel les hommes se sont constitués en corps de nations, comme le but, en vue duquel l'association a été formée, n'est pas et. n'a jamais été spécifié, il ne peut y avoir de limitation, et, par suite, le pouvoir de la majorité est illimité."


Evidemment il faut admettre que l'hypothèse d'un contrat social, soit sous la forme adoptée par Hobbes, soit sous la forme conçue par Rousseau, manque de fondement. Bien plus, il faut admettre que, même un tel contrat eût-il été une fois conclu, il ne pourrait lier les descendants de ceux qui l'ont conclu. En outre, si quelqu'un dit qu'en l'absence de ces limitations de pouvoir que pourrait impliquer un acte d'association il n'y a rien qui empêche une majorité d'imposer par force sa volonté à une minorité, il faut donner son assentiment à la condition toutefois d'y joindre ce commentaire que, si la force supérieure de la majorité lui sert de justification, la force supérieure d'un despote appuyé par une armée suffisante est également justifiée ; mais nous nous écartons de notre problème. Ce que nous cherchons ici, c'est quelque justification plus sérieuse de la subordination de la minorité vis-à-vis de la majorité que celle qui résulte de l'incapacité de résister à la contrainte matérielle. Austin lui-même, soucieux comme il l'est d'établir l'autorité incontestable de la loi positive et soutenant qu'elle découle d'une souveraineté absolue, monarchique, aristocratique, constitutionnelle ou populaire, est obligé, en dernier ressort, d'admettre une limite morale à l'action de cette souveraineté sur la communauté. Tandis qu'il insiste, en poursuivant sa théorie avec rigueur, sur ce qu'un corps souverain sorti du peuple "est ''légalement'' libre de restreindre la liberté politique de ce dernier, à volonté et à discrétion", il concède que "un gouvernement peut être empêché par la ''morale positive'' de mutiler la liberté politique qu'il laisse ou qu'il accorde à ses sujets". Il s'agit donc de trouver, non pas une justification matérielle, mais une justification morale de cette prétendue omnipotence de la majorité.
Evidemment il faut admettre que l'hypothèse d'un contrat social, soit sous la forme adoptée par Hobbes, soit sous la forme conçue par Rousseau, manque de fondement. Bien plus, il faut admettre que, même un tel contrat eût-il été une fois conclu, il ne pourrait lier les descendants de ceux qui l'ont conclu. En outre, si quelqu'un dit qu'en l'absence de ces limitations de pouvoir que pourrait impliquer un acte d'association il n'y a rien qui empêche une majorité d'imposer par force sa volonté à une minorité, il faut donner son assentiment à la condition toutefois d'y joindre ce commentaire que, si la force supérieure de la majorité lui sert de justification, la force supérieure d'un despote appuyé par une armée suffisante est également justifiée ; mais nous nous écartons de notre problème. Ce que nous cherchons ici, c'est quelque justification plus sérieuse de la subordination de la minorité vis-à-vis de la majorité que celle qui résulte de l'incapacité de résister à la contrainte matérielle. Austin lui-même, soucieux comme il l'est d'établir l'autorité incontestable de la loi positive et soutenant qu'elle découle d'une souveraineté absolue, monarchique, aristocratique, constitutionnelle ou populaire, est obligé, en dernier ressort, d'admettre une limite morale à l'action de cette souveraineté sur la communauté. Tandis qu'il insiste, en poursuivant sa théorie avec rigueur, sur ce qu'un corps souverain sorti du peuple "est ''légalement'' libre de restreindre la liberté politique de ce dernier, à volonté et à discrétion", il concède que "un gouvernement peut être empêché par la ''morale positive'' de mutiler la liberté politique qu'il laisse ou qu'il accorde à ses sujets". Il s'agit donc de trouver, non pas une justification matérielle, mais une justification morale de cette prétendue omnipotence de la majorité.
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