Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre II : Des formes socialistes qui conservent la valeur régie par l’offre et la demande »

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tout entière, comme à leur propre intérêt; en revanche, elles feraient
tout entière, comme à leur propre intérêt; en revanche, elles feraient
obstacle au nivellement des revenus.
obstacle au nivellement des revenus.
=== Section III. Coopératisme. ===
Le libre accès des entreprises de production est impraticable; mais
l'expérience des sociétés coopératives a montré qu'il était une
autre combinaison propre à assurer la diffusion démocratique du
profit.
On distingue en Angleterre deux écoles, deux principes de coopération :
le principe individualiste, appliqué dans les sociétés de production, suivant lequel l'entreprise appartient aux travailleurs et aux
employés, qui la dirigent eux-mêmes et s'en distribuent les profits;
le principe fédéraliste, introduit par les Pionniers de Rochdale et
suivi dans les sociétés de consommation, d'après lequel toute entreprise
coopérative, de consommation ou même de production, appartient
aux consommateurs associés ou aux fédérations des sociétés de
consommation.
Pour apprécier toute la portée de ce principe, il faut se représenter
l'immense développement pris par les sociétés de consommation
anglaises et écossaises. En 1903, elles comprennent 2 millions
de membres. Au sommet, deux magasins de gros (''Wholesale societies''), l'un anglais et l'autre écossais, fondés par les sociétés
fédérées, font pour elles les achats en gros, et fabriquent dans leurs
propres établissements les articles d'alimentation et d'habillement
d'un usage courant. Ils occupent des milliers d'ouvriers dans leurs
ateliers et dans leurs usines, les plus grandes et les mieux outillées
du monde; ils les emploient dans les meilleures conditions d'hygiène,
de confort, de durée du travail et de salaires. Ils produisent même
certains articles à perte, les vêtements confectionnes par exemple,
pour que les sociétés de consommation ne soient pas obligées de
recourir aux maisons qui exploitent le travail parle ''Sweating system''.
De leur côté, beaucoup de sociétés de consommation se livrent aussi
à la production. Au total, en y comprenant les deux ''Wholesale '', le
capital des sociétés de consommation monte à 872 millions de francs,
y compris les fonds de réserve et les emprunts. Pour la distribution,
elles occupent 54 000 employés et font un chiffre de ventes de
1450 millions (non comprises les ventes des ''Wholesale '' aux sociétés).
Pour la production, elles emploient 27000 ouvriers et fournissent
annuellement des marchandises d'une valeur de 277 millions.
Dans tous ces groupements, aussi bien dans les ''Wholesale '' que
dans les sociétés de consommation, le principe statutaire est le
même : la direction de l'affaire appartient non pas aux capitalistes
qui ne disposent que d'une voix par tête comme associés, quel
que soit le nombre de leurs actions, non pas même aux travailleurs
et employés, mais aux consommateurs associés; la répartition
des bénéfices que réalise la société en vendant les marchandises à
ses membres aux prix du commerce, après certains prélèvements
destinés aux dépenses d'éducation et d'assistance mutuelle, se fait
entre les associés au prorata de leurs achats, sans distinction suivant
la nature des achats et l'origine des profits; quant aux capitaux, ils
n'ont droit qu'à un intérêt fixe, de même que les travailleurs et
employés n'ont droit qu'à un salaire fixe, sauf dans la ''Wholesale societies'' écossaise où ils ont une part des bénéfices.
Ainsi les entreprises de production créées par les sociétés de consommation
anglaises, au lieu d'appartenir et de profiter à une petite
oligarchie d'actionnaires, comme dans les sociétés capitalistes, ou à
une étroite aristocratie de travailleurs sociétaires, comme dans les
sociétés coopératives de production, appartiennent à la démocratie
ouverte des consommateurs groupés en société. Ces entreprises,
montées par les sociétés de consommation pour leurs propres besoins
et dirigées par elles, n'ont à craindre ni le défaut de capital, ni le
défaut de clientèle, ni le défaut de discipline, écueils ordinaires des
sociétés coopératives de production. Elles ne sont pas des monopoles
de producteurs contre consommateurs, des groupes luttant entre ux pour la conquête du profit. Elles réalisent vraiment le type d'une organisation démocratique.
Dans les sociétés anglaises comme dans les associations de
M. Oppenheimer, la production coopérative s'appuie donc sur la
société de consommation, avec cette différence toutefois, d'une
importance capitale, que les entreprises de production créées par la
communauté, au lieu d'être indépendantes et de garder pour elles
leur profit, suivant le principe individualiste, appartiennent aux
sociétés de consommation fédérées ou isolées, qui les administrent
et s'en attribuent les bénéfices, conformément au principe fédéraliste.
Peu importe donc que ces entreprises restent fermées, qu'elles n'admettent
les travailleurs qu'en nombre limité et dans la mesure de
leurs besoins; leurs profits n'en sont pas moins répandus dans la
masse, puisqu'ils sont attribués aux consommateurs, et que les
sociétés de consommation ont tout intérêt à étendre indéfiniment le
cercle de leurs membres pour augmenter leur crédit, leur puissance
d'achat et leurs bénéfices.
Voilà certes un principe nouveau et fécond, la diffusion du profit
et de la rente du sol chez les consommateurs, c'est-à dire chez tout
le monde. Largement appliqué, ne peut-il pas être la base d'une nouvelle
démocratie industrielle? N'est-il pas appelé à opérer une révolution
économique par l'abolition progressive du mode de production
capitaliste? M. Charles Gide incline à le croire; et dans ses Conférences
sur la coopération, si attachantes par la finesse et l'élévation
de la pensée, sans développer avec précision l'organisation de la
société future, il se la représente sous l'aspect d'une multitude de
sociétés coopératives produisant pour leur propre compte tout ce
qu'elles consomment, propriétaires de la totalité ou de la plus grande
partie de l'outillage commercial, industriel et agricole de la nation,
et constituant par leur fédération une véritable ''République coopérative''.
Ces idées, propagées en France par les coopérateurs de l'école de
Nîmes, en Angleterre par ceux de l'école fédéraliste, constituent le
''coopératisme'' qui n'est au fond qu'une variété du socialisme sociétaire,
puisqu'il vise la suppression des revenus capitalistes par le
développement des associations libres, sans expropriation et sans
exploitation des entreprises par l'État; la cloison établie ici est purement
artificielle, et sert seulement à marquer, dans le socialisme
sociétaire, le caractère propre d'un certain mode de répartition, et les
ambitions nées du mouvement coopératif.
M. Charles Andler, de son côté, fonde sur la coopération les
mêmes espérances. Il pense que des sociétés de consommation
qui concentreraient la force d'achat immense des ouvriers, et se
mettraient en relations directes avec des associations agricoles appliquant
elles-mêmes la coopération à la production et à la culture,
pourraient devenir propriétaires de la terre et des instruments de
production nécessaires à leurs besoins, occuper tous leurs membres
comme travailleurs, et faire aux entreprises capitalistes une concurrence
désastreuse en détournant d'elles la clientèle et la main d'oeuvre;
les moyens de production exploités d'une façon capitaliste
subiraient donc une dépréciation graduelle, qui faciliterait leur
acquisition par les sociétés coopératives. Peut-être M. Andler
s'éloigne-t-il du véritable coopératisme, lorsqu'il dit que le travailleur
agricole recevrait "le produit intégral de sa collaboration avec
la terre "; peut-être, au contraire, n'envisage-t-il pas comme une
règle générale de répartition cette attribution totale du bénéfice aux
travailleurs, qui établirait, nous l'avons vu, l'inégalité des profits
entre les groupes de producteurs, à moins qu'on ne leur imposât
l'obligation de rester ouverts à tout venant. Quoi qu'il en soit sur
ce point, M. Andler croit que les sociétés coopératives sont capables
de fonder, par la force de l'initiative individuelle, la République
sociale au milieu du capitalisme. Non pas qu'à ses yeux la chose
doive se réaliser nécessairement; mais elle est réalisable, et il faut y
travailler.
Il ne s'agit plus là d'une construction systématique et artificielle,
mais d'une vue d'avenir sur l'extension possible, par des voies naturelles,
d'un organisme de production et de répartition que nous
voyons croître sous nos yeux, dans la société présente. Forme
vivante, parce que " la vie s'y développe du dedans ", et que " la
volonté interne de transformer les institutions y précède l'acte extérieur
de la réforme " (Béatrice Potter) ; forme féconde, parce qu'elle
développe l'esprit d'association et répand dans les classes ouvrières
cette éducation morale et économique sans laquelle toute révolution
est condamnée à rester stérile.
Supposons-la suffisamment développée pour embrasser la plus
grande partie du domaine de la production. Les sociétés de consommation ont tout intérêt, nous le savons, à accueillir ceux qui se présentent
comme clients. Si elles veulent en même temps les employer
comme travailleurs, elles doivent évidemment tenir compte des
limites que leurs établissements, comme tous les autres, sont obligés
d'observer. Mais le placement de leurs membres leur sera d'autant
plus facile que leurs entreprises et celles de leurs fédérations seront
plus nombreuses, plus complexes, plus puissantes. Le jour où elles
produiront elles-mêmes tout ce qu'elles consommeront, le placement
de leurs membres sera assuré, puisque tout nouveau producteur
sera en même temps, dans le sein de la société, consommateur pour
la valeur intégrale de son produit. A part quelques frottements
inévitables, le problème des sans-travail sera résolu. Il le sera d'autant
mieux que les crises de surproduction pourront être en grande
partie restreintes, ou même évitées, dans un état social où la concurrence,
sans être complètement abolie, cessera d'être anarchique. La
concurrence, en effet, sera limitée par des ententes, faciles à conclure
entre grandes associations de consommateurs qui pourvoiront elles-mêmes
à leurs besoins, et qui établiront ainsi une relation directe
entre la production et la consommation sans l'intermédiaire des
commerçants et des spéculateurs. Ces ententes, loin d'être préjudiciables
aux consommateurs comme les coalitions actuelles de producteurs,
seront au contraire formées dans leur intérêt, puisqu'elles
le seront par eux mêmes.
Le coopératisme, ainsi poussé à ses dernières limites, ne se confond-
il pas avec le collectivisme? Évidemment, comme le reconnaît
M. Gide, il présente avec lui de grandes analogies, surtout si toutes
les associations sont fédérées et soumises à une direction unique qui
règle la production en appréciant les besoins de la consommation.
Toutefois, en dehors de la différence fondamentale des voies et
moyens de réalisation, le coopératisme, dans l'organisation même de
la société, s'éloigne du collectivisme sur des points essentiels. L'État
reste étranger aux fonctions économiques; il gère peut-être certaines
entreprises comme les chemins de fer; il se réserve sans doute
un contrôle supérieur pour empêcher les abus du monopole, pour
protéger l'individu contre la tyrannie des associations, pour exercer
un arbitrage dans les conflits possibles entre les associations et leurs
employés; mais la production, la circulation et la répartition sont
l'oeuvre de corporations indépendantes au lieu d'être gouvernées par
l'Etat. La valeur reste ce qu'elle est aujourd'hui; les prix, en monnaie
métallique, sont régis par la concurrence intérieure et extérieure;
toutefois, le jour où la concurrence intérieure cesserait par la fédération de toutes les associations, les prix s'établiraient dans des
conditions assez semblables à celles que nous avons rencontrées
dans le socialisme d'État intégral. Enfin, la répartition se fait sur des
bases très différentes de celles du collectivisme, ou même du socialisme
d'État. Sous l'influence de la concurrence, le prix du travail
et celui du produit se fixent à des taux différents le prix du produit,
s'élève au-dessus du salaire dépensé dans la production, et l'excédent,
au lieu d'être attribué aux travailleurs, est réparti entre les
consommateurs, de sorte que les premiers ne reçoivent pas la valeur
intégrale du produit de leur travail, et ne profitent de l'excédent
qu'en qualité de consommateurs. On pourrait même reprocher au
coopératisme de maintenir le salariat sans intéresser suffisamment
le producteur au succès de l'entreprise et au résultat de ses efforts;
il n'est associé participant que comme consommateur et dans la
société de consommation, à un titre qui est loin d'attacher le coeur
de l'homme et d'inspirer le dévouement à l'intérêt collectif comme
celui d'associé dans une coopérative de production. Tout au moins
faudrait-il admettre au profit du producteur la participation aux
bénéfices, comme dans la Wholesale écossaise.
Ces réserves faites, que faut-il penser des destinées de la coopération
? Est-elle réellement capable d'opérer, par les voies naturelles,
une véritable révolution économique? Les perspectives qu'elle ouvre
sur l'avenir sont attachantes; à ceux qui ont conscience du mal
social, il est difficile d'échapper à leur séduction. Mais n'est-ce pas
un rêve? Nous ne pourrons répondre à la question qu'après une
étude particulière du mouvement coopératif, et une étude générale
de l'évolution économique à l'époque contemporaine.
Observons immédiatement que le coopératisme, dans son état le
plus développé, laisserait encore subsister certaines inégalités capitalistes.
Si les coopératives devenaient propriétaires de maisons d'habitation
et les louaient à leurs membres, comme le font déjà les
sociétés anglaises, qui possèdent des propriétés urbaines pour une
valeur de 70 millions, le loyer pourrait, aussi bien que la rente des
terres de culture, le profit et l'intérêt du capital collectif, être compris
dans les répartitions de bénéfices ou servir à des fins sociales. Mais
l'intérêt subsisterait encore pour les dettes publiques, les prêts de
consommation, les avances aux petits producteurs individuels placés
en dehors des entreprises coopératives. Les profits resteraient inégaux
pour ces petits producteurs, et même pour les grandes associations
coopératives. A l'intérieur même des coopératives, le capital fourni
par les associés à titre individuel devrait être rétribué avant toute
attribution de dividendes aux consommateurs en proportion de leurs
achats. L'intérêt ne disparaîtrait, dans l'association, que si elle parvenait
à se libérer entièrement du capital actions et obligations vis-à-
vis des tiers et de ses propres membres; c'est seulement après un
amortissement complet que le capital social serait transformé tout
entier, conformément au principe socialiste, en un fonds commun de
jouissance collective.
== Chapitre 9. L'école marxiste vis-à-vis des plans de société collectiviste et des autres formes de société socialiste. ==
Les socialistes de l'école marxiste ont toujours refusé, nous l'avons
vu, de se prononcer catégoriquement sur l'organisation de la société future. Toutefois, il est possible de discerner, derrière leurs réticences, une adhésion tacite ou indirecte au collectivisme pur.
Nous en avons d'abord une preuve négative dans leur attitude vis-à-vis des autres formes plus ou moins tempérées du socialisme; ils ont combattu successivement tous les plans de société qui laissent subsister la valeur soumise aux variations de l'offre et de la demande.
Le coopératisme leur inspire quelque dédain. M. Kautsky met les
ambitions du coopératisme sur le même rang que le calcul bien
connu, d'après lequel un pfennig placé à intérêts depuis la naissance
du Christ représenterait aujourd'hui une somme fabuleuse. Il rappelle qu'au Congrès de l'Internationale tenu à Genève en 1866, Marx fit adopter une résolution d'après laquelle le mouvement coopératif ne sera jamais en état de transformer la société capitaliste. Le parti socialiste n'accepte la coopération que comme un moyen très limité, et dans de certains conditions.
Les socialistes marxistes ont toujours combattu le régime corporatif,
quel qu'il soit. A leurs yeux, l'ordre sociétaire, avec la propriété
corporative des moyen de production et la concurrence, c'est encore
l'inégalité possible des profits, la persistance de certains revenus
capitalistes, l'anarchie toujours menaçante dans l'organisation de la
production.
Rodbertus rejetait déjà la propriété des communes ou des associations
de travailleurs, comme étant une forme de la propriété privée
Schaeffle, se plaçant au point de vue socialiste, considère que le
système des groupes de production autonomes et concurrents est
essentiellement contraire au principe de la propriété collective; il est
vrai qu'il ne parait pas songer aux associations ouvertes; Engels,
de son côté, a vigoureusement critiqué le plan de socialisme communal
de M. Dûhring. M. Gabriel Deville déclare nettement que
" les inconvénients de la propriété individuelle se retrouvaient dans
la propriété communale, et aussi dans la propriété corporative, à
cause, notamment, des partages inégaux qui en seraient la conséquence,
de la productivité différentedes moyens de production, etc.".
M. Jules Guesde écrit " Seuls, les anarchistes, qui ne sont
que des individualistes d'une forme particulière, ont pu penser à
communaliser ou à corporatiser la propriété et la production "; les
socialistes, eux, ne veulent pas plus du monopole corporatif ou communal
que du monopole individuel; cette forme, qui pousse les
groupes propriétaires à se fermer, est une source d'inégalités et d'antagonismes.
Enfin, M. Kautsky a mis à l'index le ''Freiland'' de
M. Hertzka, qu'il traite d'utopie superficielle.
Le socialisme d'État évolutionniste, se réalisant par extension
progressive des services publics, n'est pas moins vivement combattu
par les principaux représentants de l'école.
Sans doute, en remontant au ''Manifeste communiste'', on trouverait
exposé, à titre de mesures transitoires et variables, tout un programme
de socialisme d'État progressif; c'est l'extension des exploitations
agricoles et industrielles de l'État, la centralisation des industries
de transport et des instruments de crédit entre ses mains, par
des moyens tels que l'impôt progressif, l'abolition de l'héritage et la
confiscation de la propriété foncière. Le prolétariat usera de sa
suprématie politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tous
les capitaux, pour centraliser entre les mains de l'État, c'est-à-dire
du prolétariat constitué en classe dirigeante, les instruments de
production. Mais il ne faut pas oublier que le Manifeste date de 1847 et que, depuis lors, les idées de leurs auteurs se sont modifiées sur le point qui nous occupe. Dans la préface du Manifeste écrite en 1872, Marx et Engels déclare en effet n'attacher aucune importance à ces
mesures révolutionnaires, qui, disent-ils, devraient être modifiées
sur plusieurs points.
Quelques années plus tard, dans ''l'anti-Durhing'', dont la première édition date de 1878, Engels se prononce d'une façon plus nette. Il déclare que l'État moderne, quelle que soit sa forme, est essentiellement une machine capitaliste; c'est pour ainsi le capitaliste collectif ideal. Plus l'Etat accapare de forces productives, et plus il exploite les citoyens; car ses ouvriers restent des salariés, des prolétaires, et la relation capitaliste entre salariés et salariants, loin d'être abolie se trouve ainsi poussée à bout. L'appropriation par l'État des forces productives n'est donc pas la solution du conflit.
Mais Engels ajoute immédiatement qu'elle en contient les éléments.
Effectivement, la solution qu'il esquisse consiste à substituer à l'État la ''société'', et à remplacer l'étatisation partielle et successive par la socialisation intégrale. La solution des antagonismes sociaux, c'est la revolution prolétarienne; le prolétariat saisit le pouvoir et transforme les moyens de production en propriété publique. La
société prendra donc ouvertement et franchement possession et mettra l'ordre à la place de l'anarchie en organisant la production sociale suivant un plan déterminé, en la réglant d'après
ses besoins et ceux de chacun de ses membres. Elle s'appropriera les produits destinés à entretenir et à développer la production, et laissera les individus s'approprier ceux qui consistent en moyen de d'existence et de jouissance.
M. Jules Guesde expose les mêmes vues en 1883. L'absorption
graduelle des industries privées par l'État, qui forme, dit-il, le bagage socialiste des pseudo-communistes de pacotilles, augmenterait la force de compression de l'Etat capitaliste, accroîtrait le nombre des salariés qu'il exploite, et soustrairait une partie de la production aux crises, aux désordres d'où doit sortir l'ordre libérateur. Seule une société ayant absorbé ou fondu toutes les classes en une seule, également propriétaire et également productrice, peut donner lieu à
des services réellement publics. Cette société doit sortir des excès du
capitalisme, et non d'une extension progressive des services publics
monopolisés par l'État. Dans la production capitaliste, ce qui importe
aux socialistes révolutionnaires, c'est la centralisation industrielle et
commerciale, la création de moyens de production de plus en plus
gigantesques, et leur possession par un nombre de plus en plus restreint
de capitalistes inutiles et incapables; ce n'est pas leur monopole
par l'État.
En procédant par élimination, nous venons, de voir les marxistes
repousser tour à tour le coopératisme, le socialisme sociétaire, le
socialisme communal et le socialisme d'État progressif. Pour ceux
qui ont conservé la vraie tradition révolutionnaire, ces voies sont
trop lentes et conduisent à des résultats incomplets. Seule, la socialisation
intégrale des moyens de production peut abolir la distinction
des classes; et il semble ressortir des passages cités plus haut que cette
socialisation doit s'effectuer d'un seul coup, par la brusque et
totale absorption des entreprises privées, le jour où le prolétariat se
sera emparé du pouvoir politique. La principale raison que l'on
invoque contre le socialisme d'État progressif, c'est qu'il accroîtrait
la force d'oppression de l'État capitaliste; on ne prévoit pas cependant
que le prolétariat, devenu maître du pouvoir, procéderait à
une transformation successive. Jusqu'ici, c'est la thèse de la catastrophe,
de la révolution prolétarienne, qui domine dans le marxisme.
Mais si la socialisation doit être intégrale, quel sera le mode des
échanges dans cette société nouvelle? Le régime pourrait être aussi bien
un socialisme d'État intégral, dans lequel les prix, variables suivant
l'offre et la demande, fourniraient des indications sur les besoins des
consommateurs, qu'un collectivisme pur, dans lequel l'État réglerait
la production d'après les statistiques, et taxerait les travaux et les produits
en unités de travail. Les socialistes marxistes, attachés à la socialisation
intégrale des moyens de production et à l'établissement d'un
mode socialiste de production et d'échange, sont ils restés indifférents
au régime de la valeur qui doit être l'âme de ce mode d'échange? Je ne
le pense pas. Sans sortir des limites d'une interprétation légitime de
leur pensée, on peut conclure de certains indices que les fondateurs
de l'école n'entrevoyaient pas, pour l'avenir, un autre collectivisme
que celui dans lequel travaux et produits seraient taxés suivant le
temps de travail social.
Nous trouvons, il est vrai, dans les oeuvres de Marx et d'Engels,
de nombreux passages ou ils traitent d'utopiques les systèmes de
John Gray, Bray, Proudhon et Robertus, qui admettaient justement l'emploi des bons de travails comme monnaie représentative de la valeur en travail. Mais pourquoi Marx et Engels voyaient-ils là
une utopie? C'est uniquement parce que Proudhon, Rodbertus et
autres voulaient introduire cette monnaie dans le milieu actuel de la
concurrence, et qu'ils pensaient réaliser ainsi, dans tous les échanges
individuels, la « valeur normale », la valeur constituée par le seul
temps de travail, sans abolir en même temps la production libre, les
échanges privés et la concurrence.
Or, dit Engels, cette conception est contradictoire. En régime de
concurrence, la valeur des marchandises déterminée par le temps de travail socialement nécessaire n'apparait comme une réalité qu'à travers une fluctuation des prix, qui sont inévitables. L'utopie est donc de « vouloir, dans une société de producteurs échangeant leurs
marchandises, établir la valeur par le temps de travail, tout en
empêchant la concurrence de déterminer cette valeur suivant le seul
mode qui lui soit possible, par pression sur les prix ». En outre, si
l'on supprime ces fluctuations, on supprime par là-même le seul régulateur qui permette aux producteurs d'ajuster leur production.
Le point de vue est le même chez Karl Marx, dans la critique qu'il
dirige contre Proudhon et ses prédécesseurs, Bray et Gray. Vouloir
que les produits s'échangent dans la proportion exacte du temps de travail
qu'ils ont coûté, alors qu'ils sont fabriqués comme marchandises par des individus agissant isolément, c'est supposer que l'échange en concurrence doit toujours s'accomplir comme si la production s'était faite en rapport exact avec la demande et avec le degré d'utilisation sociale des marchandises. Mais, dans un système de production individuel, la règle ne fait loi que par le jeu aveugle des irrégularités qui, en moyenne, se compensent et se détruisent mutuellement.
Lorsqu'une marchandise est produite en excès, le travail individuel
dépensé pour sa production l'a été en pure perte; l'effet est le même
si chaque producteur en particulier avait employé, pour sa marchandise
individuelle, plus que le temps nécessaire socialement.
Aussi des marchandises issues de travaux particuliers et indépendants
n'ont-elles pas directement le caractère de produits du travail
social, et ne peuvent-elles pas s'échanger immédiatement entre elles
dans la mesure du travail social qu'elles renferment. Elles n'expriment
et ne mesurent leur qualité de produits du travail social que lorsqu'elles
s'échangent contre une tierce marchandise, l'or ou l'argent,
qui a été adoptée comme équivalent universel et qui, à ce titre, est
l'incarnation du temps de travail général. Mais dans cette aliénation
gît la possibilité d'une divergence entre la valeur de la marchandise,
constituée par le temps de travail socialement nécessaire
à sa production, et son prix en monnaie, qui est soumis
aux variations de l'offre et la demande; c'est seulement sur l'ensemble
que ces écarts se compensent. L'échange de quantités égales
de travail n'est donc pas possible dans le régime des échanges
individuels.
Mais si Marx considère la " monnaie ou bon de travail " comme
une utopie dans le milieu actuel de production, il n'adresse au contraire
aucune critique au bon de travail de Robert Owen, parce que
Owen suppose d'abord un travail socialisé. En effet, le bon de travail
est bien la monnaie qui convient, par déduction du principe
marxiste de la valeur, à un régime de production socialisée. Pour
s'en rendre compte, il faut examiner de près les indications que peuvent
contenir les écrits de Marx et d'Engels sur leurs conceptions de
l'avenir.
Dans la phase supérieure du développement de la société communiste,
lorsque le Droit se sera complètement émancipé des caractères
de l'ancienne économie nationale, la société inscrira sur ses drapeaux "
Chacun selon sa capacité; à chacun selon ses besoins ". Mais
dans la première phase de la société communiste, la plus rapprochée
de l'ère capitaliste, le droit égal devra subir encore une limite bourgeoise; le droit des producteurs sera proportionnel au travail
fourni. Telle est l'idée exprimée par Karl Marx dans une lettre écrite
en 1878, à la veille du Congrès de Gotha.
Cette idée correspond d'ailleurs exactement à l'hypothèse qui se
trouve exposée dans un passage du Capital " Représentons-nous
une réunion d'hommes libres travaillant avec des moyens de production
communs, et dépensant, d'après un plan concerté, leurs
nombreuses forces individuelles comme une seule et même force de
travail social. Le produit total des travailleurs unis est un produit
social. Une partie sert de nouveau comme moyen de production et
reste sociale; mais l'autre partie est consommée, et par conséquent
doit se répartir entre tous. Le mode de répartition variera suivant
l'organisme producteur de la société et le degré de développement
historique des travailleurs. Supposons, pour mettre cet état de
choses en parallèle avec la production marchande, que la part
accordée à chaque travailleur soit en raison de son temps de travail.
Le temps de travail jouerait ainsi un double rôle. D'un côté, sa distribution
dans la société règle le rapport exact des diverses fonctions
aux divers besoins de l'autre, il mesure la part individuelle de
chaque producteur dans le travail commun, et en même temps la
portion qui lui revient dans la partie du produit commun réservée à
la consommation. "
D'après Marx et Engels, dans un mode de production socialement
organisée, il ne peut plus y avoir divergence entre la valeur, constituée
par le temps de travail social, et le prix, variable d'après les
besoins; car les besoins, étant exactement satisfaits, n'exercent plus
d'influence perturbatrice sur les prix, qui se confondent désormais
avec la valeur formée par le travail. Les représentants de la société
établissent eux-mêmes la concordance entre le temps de travail social
et le besoin, qu'ils sont chargés d'apprécier exactement. « Ce n'est
que lorsqu'elle contrôle efficacement la production, de manière à
pouvoir la déterminer à l'avance, que la société fait correspondre le
temps de travail consacré à la production d'un article à l'importance
du besoin que cet article doit satisfaire. » Alors les produits, n'étant
plus des marchandises issues de travaux privés indépendants, n'ont
plus besoin de prendre un détour pour exprimer leur qualité de produits du travail social; ils peuvent se passer de la mesure relative,
vacillante et toujours incertaine d'une monnaie-marchandise; ils ont
en effet par eux-mêmes, et immédiatement, le caractère de produits
du travail social, et peuvent s'échanger directement entre eux dans
la proportion des quantités de travail qu'ils contiennent.
Ainsi, dans la pensée de Marx et d'Engels, il suffit que la production
soit entièrement socialisée pour que les produits correspondent
exactement aux besoins sociaux. Jamais Marx et Engels n'ont supposé
que, dans un régime de production organisée et dirigée suivant un plan
d'ensemble, les approvisionnements d'un produit pussent s'écarter
tant soit peu des quantités demandées; jamais ils n'ont songé non
plus aux objets rares dont la reproduction est impossible. Aussi le
problème de l'équilibre entre la demande et les produits se trouve-t-il
bien simplifié à leurs yeux; en régime communiste, l'offre et la
demande coïncident de plein droit; elles ne peuvent donc provoquer
aucune divergence entre valeur et prix.
Évidemment, dans ces conditions hypothétiques, la monnaie ne
peut être que le signe de la valeur-travail, et la représentation de la
valeur par une monnaie symbolique ne joue qu'un rôle secondaire.
Comme le dit Engels, en parlant des échanges qui s'accomplissent à
l'intérieur de la commune collectiviste imaginée par M. Dühring, le
signe représentatif employé, qu'il soit en papier, en cuivre ou en or,
n'est pas plus une monnaie-marchandise que ne le serait une contremarque
de théâtre; c'est un simple certificat de travail, représentant
la part individuelle du producteur dans le travail commun et dans
le produit commun; c'est un pur signe, qui pourrait être remplacé
par des inscriptions d'unités au débit et au crédit de chacun sur les
livres de la comptabilité publique.
Est-ce à dire qu'Engels admette indifféremment la représentation
de l'unité de travail par des chiffons de papier ou par des jetons
d'or? Nullement; Engels reproche au contraire à M. Dühring d'avoir
conservé, dans son organisation socialiste, les pièces d'or comme
contre-marques du travail, parce que le métal précieux risque toujours
d'abandonner son rôle de signe pour jouer celui de monnaie
réelle. Certains membres de la société communiste prêteront à intérêt
les pièces d'or, s'en serviront au dehors pour faire le commerce et la
banque, et finiront par dominer toute la production, même à l'intérieur
de la commune. Toutes les communautés historiques se sont
dissoutes sous l'influence de l'argent. Marx dit que " si la production
nationale était organisée, la monnaie métallique ne serait nécessaire
que pour solder les différences du commerce international ".
Telles paraissent être, sur l'organisation de l'avenir, les idées fondamentales
des chefs du socialisme contemporain; socialisation
intégrale des moyens de production, ne laissant subsister ni la propriété
du paysan, ni celle de l'artisan ou du boutiquier; organisation
de la production suivant un plan d'ensemble, de telle sorte qu'elle
sera exactement adaptée aux besoins; répartition du produit dans
la proportion du travail fourni par chacun, au moins pendant une
période transitoire; élimination, par le fait même du mode de production,
de toute divergence possible entre la valeur-travail et le
prix résultant de l'offre et la demande; exclusion de la monnaie
métallique, même comme signe du temps de travail social. C'est
bien le collectivisme dans toute sa pureté. Aussi les socialistes
marxistes, si rigoureux dans leur critique des autres systèmes socialistes,
n'ont-ils jamais combattu, à ma connaissance, les exposés
didactiques du collectivisme proprement dit. Schaeffle ne s'est donc
pas trompé, quand il a décrit ce régime comme se déduisant logiquement
des principes de l'école. Le tableau du contenu positif du
socialisme qu'il a présenté est bien, comme il le dit, la conséquence
rigoureuse des données principales, tant critiques que positives, des
théories socialistes contemporaines. C'est là ce qui donne au collectivisme
son importance, et ce qui justifie la place que nous lui avons
réservée dans cette discussion.
Mais aujourd'hui, les représentants plus autorisés de la doctrine
marxiste, sans rompre ouvertement avec le collectivisme et avec la
révolution totale qu'il suppose, appliquent à la révolution sociale
une définition si large, qu'elle convient parfaitement à une transformation
lente de l'ordre économique. Ils admettent une socialisation
progressive des moyens de production, opérée par le prolétariat
investi de la puissance politique, et ne manifestent plus aucune
répugnance pour le socialisme d'État partiel et progressif.
M. Kautsky a lui-même élaboré un plan d'organisation sociale qui
se rapproche beaucoup du programme de César de Paepe, de M. Brousse et des autres socialistes partisans d'une extension successive des services publics. Est-ce bien un plan? C'est plutôt, dans
la pensée de son auteur, une étude indépendante des théories, présentée
comme un exercice de la pensée et un moyen de propagande.
Son but immédiat est de rechercher ce que le prolétariat au pouvoir
sera contraint de faire sous la pression des circonstances, s'il veut agir
efficacement.
Il socialisera les exploitations capitalistes, c'est-à-dire les moyens
de production mis en oeuvre par le travail salarié. Non pas qu'on
doive nécessairement recourir à la forme brutale de la confiscation
pure et simple; on pourrait inscrire des indemnités sur le livre de la
dette publique, sauf à établir un impôt progressif dont le taux
accéléré permettrait d'arriver un jour à la suppression totale du
revenu, et par conséquent du capital de l'indemnité.
La socialisation ne se ferait pas uniquement au profit de l'État : les
communes et les associations coopératives recevraient dans leur
domaine les entreprises qui n'auraient pas un intérêt général. La
socialisation ne serait même pas intégrale; elle n'atteindrait pas les
petites exploitations paysannes, ni les métiers où le travail à la main
conserve sa raison d'être. La propriété et l'exploitation des moyens
de production et de transport affecteraient donc toutes les formes
imaginables, bureaucratique, communale, coopérative, et même
individuelle; des producteurs individuels pourraient encore vendre
leurs marchandises aux particuliers et les porter sur le marché.
Même variété dans la rétribution du travail, à la journée, à la tâche,
à l'ouvrage collectif, avec ou sans participation aux bénéfices, etc.
Même liberté dans les échanges; on pourrait acheter les marchandises
aux magasins publics, aux coopératives, aux producteurs individuels.
« Le mécanisme économique d'un État socialiste admet la
même variété que celui d'aujourd'hui. »
Est-ce donc la société actuelle, avec la monnaie, l'offre et la
demande, la concurrence, le salariat, et même les revenus capitalistes?
Le régime actuel ne subirait-il d'autre changement qu'une extension
des entreprises étatistes, municipales et coopératives aux dépens des
entreprises capitalistes, et une réduction progressive des revenus
capitalistes par un procédé raffiné de confiscation? Effectivement,
c'est la conclusion qui s'impose à la suite de cet exposé.
M. Kautsky a soin de nous dire, cependant, que l'autorité réglera
la production, qu'elle assignera à chaque fabrique sa part de production
suivant les moyens dont elle dispose et suivant les besoins.
Il ne veut pas de la lutte à outrance à laquelle nous condamne le
régime actuel de la concurrence; il ne veut pas d'une production
réglée par le seul jeu des prix variant suivant les lois de la concurrence.
Il conserve l'argent, qui reste indispensable comme moyen
de circulation tant que l'on n'aura rien trouvé de mieux; il admet
le salaire en argent, déterminé d'après les quantités produites et
d'après l'offre et la demande du travail mais il affirme que « l'argent
ne sera plus la mesure des valeurs, ne sera plus un objet de valeur.
La monnaie métallique pourra être remplacée par toute autre monnaie.
Les produits pourront être maintenus à des prix indépendants deleur
valeur ».
Mais ces réserves sont contradictoires et sans portée. En ce qui concerne
la concurrence, il est très réel qu'elle sera restreinte si l'État dispose
des productions les plus importantes; dans ces branches socialisées,
les prix subiront moins de variations, parce que l'État, agissant
comme un trust et envisageant les ensembles, pourra mieux régler
la production d'après les besoins de la consommation. Néanmoins,
les prix des produits monopolisés par l'État varieront encore dans
une certaine mesure d'après l'état de la demande, et ces variations
indiqueront même à l'autorité directrice les limites à observer dans
les productions où le prix de revient n'est pas uniforme. Quant
aux prix des marchandises produites par les communes, les corporations
et les individus, quant aux salaires des travailleurs, ils subiront
les effets de la concurrence et les variations de l'offre et la
demande tout comme aujourd'hui, puisque le régime des échanges
privés subsistera tout entier; on ne saurait même concilier avec ce
régime de libre marché la tutelle administrative que M. Kautsky veut
imposer à la production corporative et individuelle.
C'est surtout au sujet du rôle de l'argent que M. Kautsky me
paraît se méprendre. A cet égard, il n'y a pas de moyen terme si
l'on n'adopte pas le système de la valeur taxée par l'autorité publique
en unités de travail social et il y a de bonnes raisons pour que
les socialistes contemporains renoncent à cette illusion, il faut de
toute nécessité conserver à l'argent sa fonction de mesure de la
valeur, à titre de marchandise servant de terme commun pour tous
les rapports d'échange. Dans ce régime de socialisme partiel, rien
n'est changé au mode de la valeur; l'argent reste indispensable, la
monnaie de base ne peut être que métallique, et la mesure des
valeurs ne peut être donnée que par un certain poids d'or ou
d'argent.
Peu importent d'ailleurs ces quelques méprises. Ce qu'il est intéressant
de noter ici, c'est la nouvelle phase dans laquelle le marxisme
est entré. La thèse de la catastrophe est presque reniée; la révolution
violente et brusque à peu près écartée, le collectivisme pur ignoré; le
socialisme d'État lui-même, loin d'être pris dans le sens intégral, se
présente comme progressif; il subit l'alliage du socialisme municipal,
du coopératisme et même de l'individualisme. Le socialisme se
dégage de l'utopie, et cherche à se rendre acceptable en s'éloignant
tous les jours un peu plus du collectivisme des temps héroïques.
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