Différences entre les versions de « Max Stirner:B. Mes relations »

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Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les
Dans le monde et dans la société, il nous est tout au plus permis de satisfaire les
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indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer
indiquée dans les « États libres ». Dans ceux-ci, dit-il, l'individu a le droit d'exprimer
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement
tout ce qu'il pense, et ce droit ne lui est pas contesté parce qu'il n'est plus seulement
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent 1. Ce
un individu isolé, mais bien un membre solidaire d'un tout réel et intelligent <ref>II, p. 91 sqq.</ref>. Ce
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si,
n'est donc pas l'individu mais le membre qui jouit de la liberté de la presse. Mais si,
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la
pour jouir de la liberté de la presse, il faut que l'individu ait prouvé sa fidélité à la
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contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si
contre le Peuple — mon ennemi ; je ne l'obtiens que si je la conquière réellement, si
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété.
je la prends. Et si je la prends, c'est qu'elle est ma propriété.


Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le
Sander, que combat Edgar Bauer, considère la liberté de la presse comme « le
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle
droit et la liberté du citoyen dans l'État ». Bauer ne dit rien d'autre. Pour lui aussi elle
n'est que le droit du citoyen libre.
n'est que le droit du citoyen libre.
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les
On réclame encore la liberté de la presse comme un « droit commun à tous les
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon
hommes ». À cela il a été objecté que tous les hommes ne savent pas en faire bon
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établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à
établissant qu'il est vraiment Homme, car ce n'est pas à l'individu, c'est à
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse.
l'Homme qu'il accorde la liberté de la presse.
1 II, p. 91 sqq.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 230
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui
C'est justement sous le prétexte que cela n'est pas humain qu'on m'a enlevé ce qui
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme.
est à Moi ! Et on m'a laissé ce qui est à l'Homme.
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse
La liberté de la presse ne peut produire qu'une presse responsable. Une presse
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse.
irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse.
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Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement,
Les relations des hommes entre eux sont régies, pour tous ceux qui vivent religieusement,
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher,
par une loi formelle dont on peut bien parfois, au risque de pécher,
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de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et
de l'amour, leur amour est même plus profond et plus pur : ils aiment l'Homme et
l'Humanité.
l'Humanité.
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque
Si nous tâchons de formuler le sens de cette loi, nous dirons à peu près : Chaque
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt
homme doit tenir quelque chose pour plus que lui-même. Tu dois oublier ton « intérêt
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etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer
etc., doivent être pour toi plus que toi-même, et ton « intérêt privé » doit s'effacer
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste !
devant leur intérêt ; car il ne faut pas être un — égoïste !
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas
L'Amour est un commandement religieux d'une grande portée ; il ne se borne pas
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous
à l'amour de Dieu et des hommes, mais il préside à tous nos rapports. Quoi que nous
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N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la
N'est-ce pas comme si on disait : il ne faut pas que sa critique l'anéantisse, il doit la
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ?
laisser subsister, et subsister en tant que chose sacrée et indestructible ?
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique
Il en est de même de notre critique des hommes : l'amour doit en rester la tonique
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos
invariable. Il est certain que les jugements que nous dicte la haine ne sont pas nos
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indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement,
indulgents », mais ce ne sont pas nos propres jugements, ni par conséquent, réellement,
des jugements.
des jugements.
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui
Celui qui brûle d'amour pour la justice s'écrie : fiat justitia, pereat mundus ! Il lui
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la
est permis de se demander et d'examiner ce que c'est, à proprement parler, que la
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque
justice, ce qu'elle exige et en quoi elle consiste, mais non pas si elle est quelque
chose.
chose.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 231
 
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et
Il est bien vrai que « Celui qui demeure dans l'amour, celui-là demeure en Dieu et
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et
Dieu en lui » (ler ép. de Jean, IV, 16). Le Dieu demeure en lui, il ne peut s'en défaire et
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu
devenir sans dieu, et lui-même demeure en Dieu, il reste confiné dans l'amour de Dieu
et ne peut devenir sans amour.
et ne peut devenir sans amour.
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent
« Dieu est l'Amour ! » Tous les siècles et toutes les générations reconnaissent
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un
dans cette parole le fondement du Christianisme. Mais ce Dieu qui est amour est un
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté.
Dieu importun : il ne peut pas laisser le monde en repos, il veut lui infuser la sainteté.
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins 1. » Sa main se retrouve
« Dieu s'est fait homme pour rendre les hommes divins <ref> Athanase.</ref>.» Sa main se retrouve
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses
partout, et rien n'arrive que par lui. En tout se révèlent ses « desseins excellents », ses
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se
« vues et ses décrets impénétrables ». La raison, qui est lui-même, doit aussi se
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combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui
combat la déraison et l'irrationnel. Dieu ne laisse aucun être suivre la voie qui lui
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine.
est propre, et l'Homme ne veut nous permettre qu'une conduite humaine.
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour
Mais celui qui est pénétré de l'amour sacré (religieux, moral, humain) n'a d'amour
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme
que pour le fantôme, pour le « véritable Homme », et il persécute l'individu, l'homme
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pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse
pas fantôme, c'est-à-dire l'égoïste ou l'individuel. Tel est le sens de cette fameuse
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ».
manifestation de l'Amour qu'on nomme « Justice ».
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera
L'accusé n'a aucun ménagement à espérer, pas une âme compatissante ne jettera
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné
un voile sur sa triste nudité. Sans émotion, le juge austère arrache au pauvre condamné
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succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est
succombe, et où celle-ci règne, ceux-là doivent tomber. Leur antagonisme est
impérissable.
impérissable.
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux
L'ère chrétienne est l'ère de la miséricorde, de l'amour, du souci de rendre aux
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation
hommes ce qui leur appartient et de les guider vers l'accomplissement de leur vocation
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Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur
Communistes et les Humanitaires attendent de l'homme plus que les Chrétiens, leur
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il
point de vue reste le même. À l'homme doit appartenir tout ce qui est humain. S'il
1 Athanase.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 232
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires
suffisait aux pieux que l'homme eût en partage ce qui est de Dieu, les Humanitaires
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de
exigent que rien ne lui soit refusé de ce qui est de l'Homme. Quant à ce qui est de
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il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis
il faut qu'on le crée soi-même. Le reste, l'amour me l'accordait ; ceci, Moi seul puis
me le donner.
me le donner.
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services
Jusqu'à présent, les relations ont été fondées sur l'amour, les égards et les services
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en
réciproques. Si l'on se devait à soi-même de se sanctifier, c'est-à-dire d'introniser en
soi l'être suprême et d'en faire une vérité * et une réalité, on devait aussi aux autres de
soi l'être suprême et d'en faire une vérité <ref>« Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref> et une réalité, on devait aussi aux autres de
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à
les aider à réaliser leur essence et leur destinée ; dans les deux cas, on devait à
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation.
l'essence de l'homme de contribuer à sa réalisation.
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux
Seulement, on ne se doit pas à soi-même de faire quelque chose de soi, ni aux
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des
autres de faire d'eux quelque chose : on ne doit rien ni à son essence ni à celle des
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rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports
rapports avec Moi, et mes rapports avec l'essence de l'Homme ne sont pas des rapports
avec les hommes.
avec les hommes.
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un
De l'amour, tel qu'il est naturel à l'homme de le ressentir, la civilisation a fait un
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme
commandement. Mais en tant que commandé, l'amour appartient à l'Homme comme
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle
tel, et non à moi ; il est mon essence, cette essence que l'on tient pour si « essentielle
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose
», et n'est pas ma propriété. C'est l'Homme, c'est-à-dire l'humanité, qui me l'impose: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source
: l'amour est obligatoire, aimer est mon devoir. Ainsi, au lieu d'avoir sa source
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut
réellement en Moi, il l'a dans l'Homme en général, dont il est la propriété, l'attribut
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le
particulier : « Il sied à l'Homme, c'est-à-dire à chaque homme, d'aimer ; aimer est le
devoir et la vocation de l'homme, etc. »
devoir et la vocation de l'homme, etc. »
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie
Il faut, par conséquent, que je revendique l'amour pour Moi, et que je le soustraie
à la puissance de l'Homme.
à la puissance de l'Homme.
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à
On en est arrivé à me concéder comme un fief dont la propriété appartient à
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement.
l'Homme ce qui était primitivement à moi, mais sans raison logique, instinctivement.
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l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de
l'Homme ou à l'humanité et où rien n'appartient au Moi. En dépouillant l'individu de
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité.
tout pour attribuer tout à l'Homme, on a fondé une énorme féodalité.
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».
L'individu n'apparaît plus en fin de compte que comme « foncièrement mauvais ».
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je
Faut-il peut-être ne prendre aucun intérêt actif à la personne d'autrui ? Dois-je
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui
n'avoir à coeur ni sa joie ni son intérêt, ne puis-je préférer la jouissance que je lui
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lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi
lui, me serait le plus cher, ma vie, ma prospérité, ma liberté. En effet, c'est pour moi
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne
un plaisir et un bonheur que le spectacle de son bonheur et de son plaisir. Mais je ne
* « Vérité » en français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 233
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que,
me sacrifie pas à lui, je reste égoïste et je — jouis de lui. En lui sacrifiant tout ce que,
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même
n'était mon amour pour lui, je me réserverais, je fais une chose très simple et même
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à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce
à laquelle il a perdu le pouvoir de se soustraire. Il a abdiqué devant elle, parce
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé.
qu'il ne sait plus se détacher d'elle et par conséquent s'en affranchir. Il est possédé.
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux.
Moi aussi, j'aime les hommes, non seulement quelques-uns, mais chacun d'eux.
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour
Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l'amour
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m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser.
m'afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser.
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères
Au contraire, le noble et vertueux philistin qu'est le prince Rodolphe des Mystères
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » *. Ma
de Paris s'ingénie à martyriser les méchants parce qu'ils l' « exaspèrent » <ref> Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)</ref>. Ma
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien,
sympathie prouve simplement que le sentiment de ceux qui sentent est aussi le mien,
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien »
qu'il est ma propriété — tandis que le procédé impitoyable de l' « homme de bien »
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Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce
Rodolphe ne sent pas comme le notaire ; il sent, au contraire, que « le scélérat a ce
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie.
qu'il a mérité ». Ce n'est pas là de la sympathie.
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ;
Vous aimez l'Homme, et ce vous est une raison pour torturer l'individu, l'égoïste ;
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes.
votre amour de l'Homme fait de vous les bourreaux des hommes.
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos
Quand je vois souffrir celui que j'aime, je souffre avec lui, et je n'ai pas de repos
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me
que je n'aie tout tenté pour le consoler et l'égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me
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s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui
s'agit de la douleur corporelle, que je ne ressens pas comme lui : c'est sa dent qui lui
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance.
fait mal, et ce qui me fait mal à moi, c'est sa souffrance.
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par
Et c'est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c'est par
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu
conséquent dans mon intérêt, que je l'efface par un baiser. Si je ne t'aimais pas, tu
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux
pourrais froncer les sourcils tant que tu voudrais sans m'émouvoir ; je ne veux
dissiper que mon chagrin.
dissiper que mon chagrin.
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit
Y a-t-il maintenant quelqu'un ou quelque chose que je n'aime pas et qui a le droit
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les
d'être aimé par moi ? Qui passe le premier, mon amour ou son droit ? Les parents, les
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes
amis, le peuple, la patrie, la ville natale, etc., enfin, en général, mes semblables « mes
* Voir l'étude de Max Stirner sur Les Mystères de Paris, d'Eugène Sue, publiée dans les Berliner
Monatschriften en 1843, et réimprimée par les soins de J. H. Mackay dans les Max Stirner's
kleinere Schriften (Berlin, Schuster et Loeffler, 1898). (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 234
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le
frères », prétendent avoir droit à mon amour et le réclament impérieusement. Ils le
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me
considèrent comme leur propriété, et moi, si je ne respecte pas cette propriété, ils me
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.
considèrent comme un voleur qui leur enlève ce qui leur appartient.
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on
Je dois donc aimer. Mais si l'amour est un commandement et une loi, il faut qu'on
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On
m'y forme et qu'on m'y dresse, et qu'on me punisse si je viens à l'enfreindre. On
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génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns
génération en génération, on peut se haïr uniquement parce que les ancêtres des uns
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.
étaient Guelfes et ceux des autres Gibelins.
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il
Mais l'amour n'est pas un commandement. Comme tous mes autres sentiments, il
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je
est ma propriété. Méritez, c'est-à-dire achetez ma propriété, et je vous la céderai. Je
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas
n'ai pas à aimer une religion, un peuple, une patrie, une famille, etc., qui ne savent pas
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer.
mériter mon amour ; je vends ma tendresse au prix qu'il me plaît de fixer.
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique.
L'amour intéressé est bien différent de l'amour désintéressé, mystique ou romantique.
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais
On peut aimer une foule de choses, on peut aimer non seulement l'homme, mais
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conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui
conscience, le serment. Dans les deux cas, l'objet ne m'appartient plus, c'est moi qui
lui appartiens.
lui appartiens.
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette
Si l'amour est une possession, ce n'est pas en tant qu'il est mon sentiment (en cette
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que
qualité, au contraire, j'en reste maître comme de ma propriété), mais bien parce que
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s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et
s'efforce-t-il de faire que ce qu'il aime approche autant que possible de la sainteté et
devienne, par exemple, un « Homme ».
devienne, par exemple, un « Homme ».
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison
Ce que j'aime, il est de mon devoir de l'aimer ; ce n'est pas par suite ou en raison
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même
de mon amour qu'il devient le but de ce dernier : il est de lui-même et par lui-même
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je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui
je m'acquitte envers lui, est en réalité un amour qui lui appartient, un tribut que je lui
paie.
paie.
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé,
Tout amour auquel adhère la moindre tache d'obligation est un amour désintéressé,
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit
et aussi loin que s'étende cette tache, l'amour devient servitude. Quiconque croit
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« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet
« amour désintéressé »; c'est un intérêt que nous portons à l'objet pour l'amour de cet
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls.
objet et non pour l'amour de nous et de nous seuls.
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par
L'amour religieux ou romantique se distingue, il est vrai, de l'amour physique par
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À
une différence dans l'objet, mais pas par une différence dans nos rapports avec lui. À
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elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le
elle, pas plus que je n'ai, par exemple, de devoirs envers mon oeil. Si j'en prends le
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais.
plus grand soin, c'est pour Moi que je le fais.
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu
L'amour n'a pas plus manqué à l'Antiquité qu'aux siècles de Christianisme; le dieu
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes
de l'amour est né longtemps avant le Dieu d'amour. Mais il était réservé aux Modernes
de connaître l'esclavage du mysticisme.
de connaître l'esclavage du mysticisme.
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant
Si l'amour est servitude, c'est que son objet m'est étranger, et que je suis impuissant
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut
contre son éloignement et sa supériorité. Pour l'égoïste, rien n'est assez haut
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prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son
prend sa source dans l'intérêt personnel, coule dans le lit de l'intérêt personnel et a son
embouchure dans l'intérêt personnel.
embouchure dans l'intérêt personnel.
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en
Est-ce encore là de l'amour ? demandera-t-on. Choisissez un autre nom si vous en
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est
savez un meilleur, et que le doux nom d'amour s'éteigne avec un monde qui n'est
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chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma —
chrétienne, et je m'en tiens au vieux mot : « j'aime » l'objet qui est mien, j'aime ma —
propriété.
propriété.
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes
Je ne consens à me livrer à l'amour que pour autant qu'il ne soit qu'un de mes
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine
sentiments ; mais s'il faut qu'il soit une force supérieure à moi, une puissance divine
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diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire
diabolique : l'un ne vaut pas mieux que l'autre. En un mot, l'amour égoïste, c'est-àdire
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique.
mon amour, n'est ni sacré, ni profane, ni divin, ni diabolique.
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas
« Un amour que limite la foi est un amour faux. La seule limitation qui ne soit pas
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par
contradictoire avec l'essence de l'amour est celle que l'amour s'impose à lui-même par
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est
la raison, l'intelligence. L'amour qui repousse la rigueur et la loi de l'intelligence est
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste 1. » C'est ce que dit
théoriquement un amour faux, pratiquement un amour funeste <ref>FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.</ref>. » C'est ce que dit
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine
Feuerbach ; les croyants disent au contraire : L'amour est essentiellement du domaine
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre
de la foi. Celui-là s'élève avec véhémence contre l'amour sans raison, ceux-ci contre
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un
l'amour sans foi. Pour Feuerbach comme pour le dévot, l'amour est tout au plus un
1 FEUERBACH : Wesen des Christentum, p.394.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 236
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour,
splendidum vitium. Ne sont-ils pas tous deux obligés de laisser subsister l'amour,
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable
même entaché de déraison ou d'impiété ? Ils n'osent pas dire : l'amour déraisonnable
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des
ou impie est une absurdité, n'est pas de l'amour, pas plus qu'ils n'oseraient dire : des
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes.
larmes déraisonnables ou impies ne sont pas des larmes.
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme
L'amour, même en dehors de la raison ou de la foi, doit bien être considéré comme
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout
de l'amour, encore qu'on doive le regarder alors comme indigne de l'homme ; tout
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propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »;
propre » est le fait de la foi. L'amour déraisonnable n'est ni « faux » ni « funeste »;
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle.
c'est comme amour tout court qu'il remplit son rôle.
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un
Il faut qu'envers le monde, et particulièrement envers les hommes, j'adopte un
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur
sentiment déterminé, et que ce sentiment, qui dans le cas présent est l'amour, je le leur
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comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je
comme j'ai résolu d'aimer, je surmonte cette impression désagréable comme je
surmonte toute autre antipathie.
surmonte toute autre antipathie.
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en
Mais le sentiment auquel je me suis a priori déterminé et — condamné est, en
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est
réalité, un sentiment borné, parce qu'il résulte d'une prédestination dont il ne m'est
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sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement
sorte que si le monde ne me domine pas, je suis en revanche d'autant plus fatalement
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit.
dominé par l'esprit d'amour. J'ai vaincu le monde, pour devenir l'esclave de cet esprit.
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne
Si j'ai dit d'abord : J'aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins
l'aime pas, car je l'anéantis comme je m'anéantis ; j'en use et je l'use. Je ne m'astreins
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». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que
». Combien il me serait indifférent, — n'était mon amour ! C'est mon amour que
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui.
je repais de lui, il ne me sert qu'à cela, je jouis de lui.
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés
Choisissons un autre exemple, tout actuel, celui-ci : Je vois les hommes plongés
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche,
dans les ténèbres de la superstition, harcelés par un essaim de fantômes. Si je cherche,
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Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre
Bible, ou les gouvernements chrétiens qui se font un devoir sacré de défendre
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ».
l'homme du peuple contre les « mauvais livres ».
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense,
Non seulement ce n'est pas pour l'amour de vous que j'exprime ce que je pense,
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non :
mais ce n'est pas même pour l'amour de la vérité. Non :
« Je chante comme chante l'oiseau
« Je chante comme chante l'oiseau
Qui habite dans le feuillage.
Qui habite dans le feuillage.
Le chant même que produit ma voix
Le chant même que produit ma voix
Est mon salaire, et un salaire royal 1. »
Est mon salaire, et un salaire royal <ref> Wilhelm Meister.</ref>»
 
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de
Je chante ? Je chante parce que je suis un chanteur ! Si pour cela je me sers de
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles.
vous, c'est que j'ai besoin — d'oreilles.
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme
Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s'y trouve toujours), je le consomme
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ;
pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n'es pour moi qu'une — nourriture ;
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ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes
ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. À mille autres personnes
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.
que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.
*
 
**
 
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période
Cet amour, qui se fonde sur l' « essence de l'Homme » et qui, dans la période
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être
chrétienne et morale, pèse sur nous comme un « commandement », on doit y être
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Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous
Comment s'y prend-on pour régler les relations entre les hommes ? C'est ce que nous
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme.
allons, du moins pour un cas particulier, étudier ici avec les yeux de l'égoïsme.
1 Wilhelm Meister.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 238
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de
Ceux qui nous élèvent apportent un soin tout particulier à nous déshabituer de
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la
bonne heure du mensonge et à nous inculquer ce principe qu'il faut toujours dire la
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement
vérité. Si on fondait cette règle sur l'égoïsme, tout le monde s'en pénètrerait facilement; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance
; on comprendrait sans peine que le menteur perd de gaieté de coeur la confiance
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le
qu'il désire inspirer aux autres, et on sentirait combien il est juste de dire que le
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps
menteur n'est pas cru, même quand il dit vrai. Mais chacun sentirait en même temps
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le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne
le droit d'attendre de moi la vérité, mais Moi je ne le leur donne pas ; je ne
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même.
reconnais d'autre droit que celui que j'accorde moi-même.
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande
Autre exemple : La police pénètre dans une assemblée révolutionnaire et demande
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement,
son nom à l'orateur. Tout le monde sait que la police a le droit de le faire ; seulement,
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seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous
seulement à notre intérêt, à notre égoïsme. Il compte que nous ne voudrons pas nous
brouiller avec Dieu par un parjure.
brouiller avec Dieu par un parjure.
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait
Imaginez-vous à présent un révolutionnaire français de 1788 qui, entre amis, ait
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on
laissé échapper la phrase devenue célèbre : « Le monde n'aura pas la paix avant qu'on
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vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et
vous tromper, car je ne vous ai donné aucune autorité, aucun droit sur ma sincérité. Et
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du
malgré les menaces du Dieu « qui est la vérité même », malgré l'amertume du
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 239
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que
mensonge, j'ai le courage de mentir. Lors même que je serais dégoûté de la vie et que
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie
rien ne me paraîtrait plus désirable que la hache du bourreau, vous n'auriez pas la joie
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coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ;
coupable de haute trahison, je ne m'adressais pas à vous et vous deviez les ignorer ;
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. »
ma volonté est immuable et l'horreur du mensonge ne m'effrayera pas. »
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ;
Si Sigismond est un triste sire, ce n'est pas parce qu'il a violé sa parole de prince ;
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole
mais s'il a enfreint sa parole, c'est parce qu'il était un coquin. Il aurait pu tenir parole
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pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard
pour le servir. Ils nous montrent ainsi comment on doit en user avec la vérité à l'égard
des hommes.
des hommes.
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une
En l'honneur de Dieu et pour l'amour de Dieu, un parjure, un mensonge, une
parole princière violée !
parole princière violée !
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge
Et si, changeant deux mots à la phrase, nous écrivions : un parjure et un mensonge
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de
— pour l'amour de moi ? Ne serait-ce pas nous faire l'avocat de toutes espèces de
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ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son
ne peut rien faire pour l'amour de soi sans le faire en même temps pour l'amour de son
maître, tout comme celui qui craint Dieu.
maître, tout comme celui qui craint Dieu.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 240
 
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas
Le parjure de François ler envers l'empereur Charles-Quint est célèbre. Ce n'est pas
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement,
quelque temps après, en réfléchissant mûrement à la promesse faite, c'est immédiatement,
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où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un
où s'étale un second parjure, démontre d'ailleurs à suffisance qu'il était possédé d'un
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou.
esprit de trafic qui faisait de lui un bas filou.
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous
Que répondre à ceux qui lui reprochent ce faux serment ? D'abord sans doute nous
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ;
répéterons que s'il se déshonora ce ne fut pas tant par son parjure que par son avarice ;
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un
que ce n'est pas son parjure qui le rendit méprisable, mais que c'est parce qu'il était un
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable.
méprisable personnage qu'il s'en rendit coupable.
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé.
Toutefois, considéré en lui-même, le parjure de François doit être autrement jugé.
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui
Pourrait-on dire que François ne répondit pas à la confiance que Charles lui
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il
témoignait en lui rendant la liberté ? Si Charles avait eu réellement confiance en lui, il
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pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se
pouvoir d'un ennemi ; mais tout bon chrétien lui jette la pierre pour avoir voulu se
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.)
délivrer des liens de Dieu. (Le pape ne le délia que plus tard de son serment.)
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner
 
; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre
Il est honteux de tromper une confiance que nous avons librement cherché à gagner; mais quand un homme veut nous tenir en son pouvoir par un serment, le rendre
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme.
victime de l'insuccès de sa ruse et de sa défiance n'est pas une honte pour l'égoïsme.
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.
Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la
Est-ce Moi qui ai donné à celui qui a confiance le droit de se fier à moi ? Toute la
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle
question est là. Qu'un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle
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hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami,
hasard peut le mettre sur la bonne voie, et mon amour de la vérité aura livré mon ami,
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une
en m'ôtant — le courage du mensonge. Celui pour qui la vérité est une idole, une
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 241
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister
chose sacrée, doit s'humilier devant elle, il ne peut pas braver ses exigences et y résister
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne
vaillamment, bref, il doit renoncer à l'héroïsme du mensonge. Car le mensonge ne
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de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours
de l'ennemi. Pour eux la vérité est « sacrée », et ce qui est sacré exige toujours
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice.
un culte aveugle fait de soumission et de sacrifice.
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous
Si vous manquez d'audace, si vous ne vous moquez pas du sacro-saint, il vous
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y
domestique et vous asservit. Qu'on amorce le piège d'un grain de vérité, vous vous y
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de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la
de serviteurs : les serviteurs de la vérité et les serviteurs du mensonge. Servez donc la
vérité, et que Dieu vous bénisse !
vérité, et que Dieu vous bénisse !
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font,
Il y a d'autres serviteurs de la vérité, qui la servent « avec mesure », et qui font,
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment.
par exemple, une distinction entre le mensonge simple et le mensonge sous serment.
Ligne 3 172 : Ligne 3 209 :
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais
corrompu et rendu incapable de faire un menteur ou un espion, puisque je fournirais
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer.
de mon plein gré à l'ennemi le moyen de me démasquer.
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il
L'État lui-même craint le mensonge et le serment « officieux »; aussi n'admet-il
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez,
pas l'accusé au serment. Mais vous ne justifiez pas la crainte de l'État : Vous mentez,
Ligne 3 184 : Ligne 3 222 :
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment
lié par une constitution, une loi fondamentale de l'État). Que tout soit gentiment
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal.
tempéré, bien tiède et bien doux, tant bien que mal.
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur
Il avait été convenu entre les étudiants d'une université que toute parole d'honneur
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en
qu'exigerait d'eux le juge universitaire serait nulle et non avenue. Ils ne voyaient, en
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 242
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute
effet, dans cette exigence qu'un piège, impossible à éviter si l'on n'enlevait pas toute
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque
signification à une parole donnée dans ces conditions. À la même université, quiconque
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c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car
c'est-à-dire hostile, la parole d'un ennemi ; vous n'avez pas le droit de vous y fier, car
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit.
l'ennemi ne vous accorde pas ce droit.
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité
D'ailleurs, les tribunaux de l'État eux-mêmes ne reconnaissent pas l'inviolabilité
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler
du serment. Si j'avais juré à un homme contre qui la justice instruit de ne rien révéler
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! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je
! Seulement, s'il est au monde une puissance qui puisse me délier du serment, je
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire.
suis certainement moi-même la première puissance qui ait droit de le faire.
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de
Comme curiosité, et pour rappeler toutes sortes de serments usuels, il est juste de
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais
donner place ici à celui que l'empereur Paul fit prêter aux prisonniers polonais
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enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de
enfin qu'en quelque point du monde que nous nous trouvions, un seul mot de
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. »
l'Empereur suffira pour que nous quittions tout et nous rendions à son appel. »
*
 
**
 
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps
Il est un domaine où il semble que le principe de l'amour ait été depuis longtemps
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du
débordé par l'égoïsme, et où il paraît ne plus manquer qu'une chose, la conscience du
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux
bon droit dans la victoire. Ce domaine est celui de la spéculation sous ses deux
formes, pensée et agiotage.
formes, pensée et agiotage.
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et
On s'abandonne hardiment à sa pensée sans se demander ce qu'il en adviendra, et
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui
on se livre à toutes sortes d'opérations financières malgré le grand nombre de ceux qui
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encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui
encore en se disant qu'il est « au service de l'Idée ». L'Humanité, l'Idée sont pour lui
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi.
ce quelque chose dont il est obligé de dire : cela est au-dessus de moi.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 243
 
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui,
On a jusqu'aujourd'hui pensé et trafiqué — pour l'amour de Dieu. Ceux qui,
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le
pendant six jours, ont tout foulé aux pieds en vue de leurs intérêts égoïstes offrent, le
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est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je
est un être au-dessus d'eux, un être supérieur, un être suprême, et c'est pourquoi je
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ».
puis dire qu'ils travaillent « pour l'amour de Dieu ».
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est —
Je puis, par conséquent, dire aussi que le principe de toutes leurs actions est —
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour
l'Amour. Non pas, toutefois, un amour volontaire, leur propriété à eux, mais un amour
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qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être
qu'ils doivent payer un tribut à l'Amour, c'est-à-dire qu'il ne leur est pas permis d'être
des « égoïstes ».
des « égoïstes ».
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source
Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n'a pas sa source
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par
dans notre amour pour lui, le monde, mais dans notre amour pour nous ; n'étant ni par
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est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a
est à nous, il n'exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété.
intérêt à affranchir le monde, afin qu'il devienne — ma propriété.
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société.
L'état primitif de l'homme n'est pas l'isolement ou la solitude, mais bien la société.
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère,
Au début de notre existence, nous nous trouvons déjà étroitement unis à notre mère,
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préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il
préfère les relations qu'il a nouées avec ses semblables à la société dans laquelle il
n'est pas entré, où il n'a fait que naître.
n'est pas entré, où il n'a fait que naître.
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une
Mais l'union ou l'association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu'une
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe
association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce
: cela a lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance.
perpétuel désaveu de toutes les pensées qui tendent à prendre trop de consistance.
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association
Lorsqu'une association s'est cristallisée en société, elle cesse d'être une association
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— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association
— société, communauté. Une analogie frappante rapproche sous ce rapport l'association
du parti.
du parti.
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble
Qu'une société, l'État, par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me trouble
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes
guère. Car je sais bien que je dois m'attendre à voir ma liberté limitée par toutes sortes
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 244
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins;
de puissances, par tout ce qui est plus fort que moi, même par chacun de mes voisins;
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue.
quand je serais l'autocrate de toutes les R..., je ne jouirais pas de la liberté absolue.
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à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses
à l'individualité que la société s'attaque, c'est elle qui doit succomber sous ses
coups.
coups.
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche
Une société à laquelle je m'attache m'enlève bien certaines libertés ; mais en revanche
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême
elle m'en assure d'autres. Il importe de même assez peu que je me prive moimême
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai
(par exemple, par un contrat) de telle ou telle liberté. Par contre, je défendrai
jalousement mon individualité.
jalousement mon individualité.
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses
Toute communauté a une tendance, plus ou moins grande d'après la somme de ses
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle
forces, à devenir pour ses membres une autorité, et à leur imposer des limites. Elle
Ligne 3 299 : Ligne 3 345 :
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que
qu'ils restent « dans les bornes de la légalité », c'est-à-dire qu'ils ne se permettent que
ce que leur permettent la société et ses lois.
ce que leur permettent la société et ses lois.
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint
Il y a loin d'une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle
mon individualité. La première est une union, un accord, une association. Mais celle
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que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa
que l'on nomme — humilité. Mon humilité fait sa grandeur, ma soumission sa
souveraineté.
souveraineté.
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État
Mais sous le rapport de la liberté, il n'y a pas de différence essentielle entre l'État
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association
et l'association. Pas plus que l'État n'est compatible avec une liberté illimitée, l'association
Ligne 3 319 : Ligne 3 367 :
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était
l'on en vint à élever au rang d'idéal la liberté en soi, la liberté absolue, ce qui était
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles.
étaler au plein jour l'absurdité des voeux impossibles.
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée
L'association, procurant une plus grande somme de liberté, pourra être considérée
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de
comme « une nouvelle liberté »; on y échappe, en effet, à la contrainte inséparable de
Ligne 3 324 : Ligne 3 373 :
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la
la volonté n'y manqueront pas, car le but de l'association n'est pas précisément la
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax
liberté, qu'elle sacrifie à l'individualité, mais cette individualité elle-même. RelativeMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 245
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi,
ment à celle-ci, la différence est grande entre État et association. L'État est l'ennemi,
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un
le meurtrier de l'individu, l'association en est la fille et l'auxiliaire ; le premier est un
Ligne 3 334 : Ligne 3 382 :
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est
L'association au contraire est mon oeuvre, ma créature ; elle n'est pas sacrée et n'est
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.
pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit.
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans
Je ne veux pas être l'esclave de mes maximes, mais je veux qu'elles restent, sans
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de
aucune garantie, exposées sans cesse à ma critique ; je ne leur accorde aucun droit de
Ligne 3 341 : Ligne 3 390 :
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment
pour moi plus que l'État, plus que l'Église, Dieu, etc., et, par conséquent, infiniment
plus aussi que l'association.
plus aussi que l'association.
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se
La Société que le Communisme se propose de fonder paraît à première vue se
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se
rapprocher extrêmement de l'association telle que je l'entends. Le but qu'elle se
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s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que
s'en trouvent probablement mieux que des heures de travail strictement réglées que
leur promet Weitling.
leur promet Weitling.
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut
Le même Weitling affirme que le bien-être de quelques milliers d'hommes ne peut
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les
être mis en balance avec le bien-être de plusieurs millions d'autres, et il exhorte les
Ligne 3 374 : Ligne 3 425 :
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à
mais dans leur propre intérêt. Comment peut-on encore être tenté de faire appel à
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que
l'esprit de sacrifice et à l'amour désintéressé des hommes ? On ne sait que trop que
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 246
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années,
ces beaux sentiments n'ont produit, après une gestation de plusieurs milliers d'années,
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue
que la présente misère. Pourquoi s'obstiner à attendre encore de l'abnégation la venue
Ligne 3 383 : Ligne 3 433 :
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme
toujours sur l'amour, et, conscient ou inconscient l'Humanitaire qui bafoue l'égoïsme
ne sort pas de la même ornière.
ne sort pas de la même ornière.
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve
Quand la communauté est devenue pour l'homme un besoin, quand il trouve
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui
qu'elle l'aide à réaliser ses desseins, elle ne tarde pas, prenant rang de principe, à lui
Ligne 3 396 : Ligne 3 447 :
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les
Peuple (dieux nationaux) ou de « tous les hommes ». (« Il est le père de tous les
hommes. »)
hommes. »)
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que
Que l'on n’espère point arriver à détruire de fond en comble la religion, tant que
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe.
l'on n'aura pas auparavant mis au rebut la société et tout ce qu'implique son principe.
Ligne 3 403 : Ligne 3 455 :
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les
la Société ! La société alors est le grand Pan, et les hommes n'existent plus que « les
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État !
uns pour les autres ». C'est l'apothéose de l' « Amour-État !
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services
Pour moi, j'aime mieux avoir recours à l'égoïsme des hommes qu'à leurs « services
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité
d'amour », à leur miséricorde, à leur charité, etc. L'égoïsme exige la réciprocité
Ligne 3 419 : Ligne 3 472 :
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré
n'existait pas, ni ses lois et ses institutions qu'il paie par-dessus le marché. Et malgré
tout, le pauvre diable aime encore son maître !
tout, le pauvre diable aime encore son maître !
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible.
Non, la communauté comme « but » de l'histoire jusqu'à ce jour est impossible.
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons
Défaisons-nous au plus tôt de toute illusion hypocrite à ce sujet, et reconnaissons
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 247
MOI 371
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le
que si c'est en tant qu'Hommes que nous sommes égaux, égaux nous ne le
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux
sommes pas, attendu que nous ne sommes pas Hommes. Nous ne sommes égaux
Ligne 3 432 : Ligne 3 484 :
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se
sommes indicibles, parce qu'il n'y a que les idées qui puissent être exprimées et se
fixer par la parole.
fixer par la parole.
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne
Cessons donc d'aspirer à la communauté ; ayons plutôt en vue la particularité. Ne
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans
recherchons pas la plus vaste collectivité, la « société humaine », ne cherchons dans
Ligne 3 443 : Ligne 3 496 :
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas,
lequel j'ai ou je n'ai pas de sympathie, un objet qui m'intéresse ou ne m'intéresse pas,
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir.
dont je puis ou dont je ne puis pas me servir.
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour
S'il peut m'être utile, je consens à m'entendre avec lui, à m'associer avec lui pour
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus
que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus
Ligne 3 448 : Ligne 3 502 :
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma
d'autre qu'une augmentation de ma force, et je ne la conserve que tant qu'elle est ma
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.
force multipliée. Dans ce sens-là, elle est une — association.
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle
L'association n'est maintenue ni par un lien naturel ni par un lien spirituel ; elle
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni
n'est ni une société naturelle ni une société morale. Ce n'est ni l'unité de sang, ni
Ligne 3 458 : Ligne 3 513 :
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne
n'est que dans l'association que votre unicité peut s'affirmer, parce que l'association ne
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle.
vous possède pas, mais que vous la possédez et que vous vous servez d'elle.
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable
Dans l'association, et dans l'association seule, la propriété prend sa véritable
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à
valeur et est réellement propriété, attendu que je n'y dois plus à personne ce qui est à
Ligne 3 463 : Ligne 3 519 :
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une
depuis qu'a commencé l'évolution religieuse et dont l'État donne la formule : une
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété.
féodalité, ayant en somme à sa base la négation de la propriété.
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en
L'État s'efforce de discipliner les appétits ; en d'autres termes, il cherche à faire en
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur
sorte qu'ils se tournent vers lui seul, et à les satisfaire au moyen de ce qu'il a à leur
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne
offrir. Rassasier un appétit pour l'amour de celui qui l'éprouve est une idée qui ne
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs
saurait venir à l'État ; il flétrit du nom d' « égoïste » celui qui manifeste des désirs
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 248
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de
déréglés, et l'« homme égoïste » est son ennemi. Il l'est parce que l'État, incapable de
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait
« comprendre » l'égoïste, ne peut s'entendre avec lui. Comme l'État (et il ne pourrait
Ligne 3 483 : Ligne 3 539 :
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement
redevance. — La « Société » à son tour ne peut agir d'une façon essentiellement
différente.
différente.
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais
Tu apportes dans l'association toute ta puissance, toute ta richesse, et tu t'y fais
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en
valoir. Dans la société, toi et ton activité êtes utilisés. Dans la première, tu vis en
Ligne 3 489 : Ligne 3 546 :
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la
obsédé de « devoirs sociaux »; à l'association, tu ne dois rien : elle te sert, et tu la
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer.
quittes sans scrupule dès que tu n'as plus d'avantages à en tirer.
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur
 
; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle.
Si la société est plus que toi, tu la feras passer avant toi et tu t'en feras le serviteur; l'association est ton outil, ton arme, elle aiguise et multiplie ta force naturelle.
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme
L'association n'existe que pour toi et par toi, la société au contraire te réclame comme
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta
son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l'association est ta
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association.
propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l'association.
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons
On ne manquera probablement pas de nous objecter que l'accord que nous avons
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en
conclu peut devenir gênant et limiter notre liberté ; on dira qu'en définitive nous en
Ligne 3 503 : Ligne 3 561 :
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne
« sacrifice », je ne renonce qu'à ce qui échappe à mon pouvoir, c'est-à-dire que je ne
« sacrifie » rien du tout.
« sacrifie » rien du tout.
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant,
Pour en revenir à la propriété, c'est donc le maître qui est propriétaire. Et maintenant,
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il
choisis : veux-tu être le maître ou veux-tu que la société soit maîtresse ? Il
Ligne 3 510 : Ligne 3 569 :
de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de
de maître en mettant l'Homme à la place du Dieu, et en faisant un fief de l'Homme de
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine.
ce qui auparavant était un fief accordé par la grâce divine.
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le
Nous avons montré plus haut que la gueuserie du Communisme est, par le
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des
principe humanitaire, poussée jusqu'à la gueuserie absolue, jusqu'à la plus gueuse des
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la
gueuseries ; mais nous avons montré aussi que ce n'est que par cette voie que la
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement
gueuserie peut aboutir à l'individualité. L'ancien régime féodal a été si complètement
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 249
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à
anéanti par la Révolution que toute réaction, quelque habileté qu'elle déploie à
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car
galvaniser le cadavre du passé, est désormais condamnée à avorter misérablement, car
Ligne 3 521 : Ligne 3 580 :
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute
féodalité est ressuscitée avec un corps transfiguré, féodalité nouvelle sous la haute
suzeraineté de l’ « Homme ».
suzeraineté de l’ « Homme ».
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec
Le Christianisme est loin d'être anéanti, et ses fidèles ont eu raison de voir avec
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il
confiance dans les assauts qu'on lui a livrés jusqu'à présent de simples preuves dont il
Ligne 3 530 : Ligne 3 590 :
confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est
confiance, nous prenons pour notre propriété ; et nous croyons avoir trouvé ce qui est
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ».
à « nous » quand nous découvrons ce qui est « à l'Homme ».
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le
Si le Libéralisme veut me donner ce qui est à moi, ce n'est point qu'il y voie le
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre
mien, mais l'humain. Comme si, sous ce déguisement, il m'était possible de l'atteindre
Ligne 3 538 : Ligne 3 599 :
Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme
Homme, je puis avoir un droit, mais je suis plus qu'Homme, je suis un homme
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier.
particulier, aussi ce droit peut-il m'être refusé à Moi, au particulier.
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos
Mais si vous savez faire cas de votre richesse, si vous tenez à haut prix vos
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur
talents, si vous ne permettez pas qu'on vous force à les vendre au-dessous de leur
Ligne 3 546 : Ligne 3 608 :
et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez :
et l'on ne pourra plus vous dire : renoncez à votre propriété ! Vous répondriez :
je veux en profiter.
je veux en profiter.
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême
Au fronton de notre siècle, on ne lit plus la maxime delphique : « Connais-toi toimême
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! »
», mais bien : « EXPLOITE-TOI TOI-MÊME ! »
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne
Proudhon dit que la « propriété, c'est le vol ». Mais la propriété d'autrui (il ne
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme
parle que de celle-là) n'existe que par le fait d'une renonciation, d'un abandon, comme
Ligne 3 556 : Ligne 3 620 :
nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en
nous-mêmes qui sommes en faute en ne les volant pas ? S'il y a des riches, la faute en
est aux pauvres.
est aux pauvres.
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne
En général, personne ne s'indigne et ne proteste contre sa propre propriété ; on ne
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer
s'irrite que contre celle d'autrui. Chacun, pour sa part, veut augmenter et non diminuer
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas
ce qu'il peut appeler sien et voudrait pouvoir appeler tout ainsi. Ce n'est en réalité pas
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est,
à la propriété qu'on s'attaque, mais à la propriété étrangère ; ce que l'on combat, c'est,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 250
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y
pour former un mot qui fasse le pendant de propriété, l’aliénité. Et comment s'y
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien
prend-on ? Au lieu de transformer l’alienum en proprium et de s'approprier le bien
Ligne 3 568 : Ligne 3 632 :
d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus
d'un tiers. Alors toute trace d'« égoïsme » disparaît, et tout devient on ne peut plus
pur, on ne peut plus humain !
pur, on ne peut plus humain !
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est
Radicale inhabilité de l'individu à être propriétaire, radicale gueuserie, telle est
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est
l' « essence du Christianisme et de toute religiosité (piété, moralité, humanité), tel est
Ligne 3 576 : Ligne 3 641 :
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle,
« qui vient seulement d'être découvert » est la féodalité parfaite, la servitude universelle,
la — parfaite gueuserie.
la — parfaite gueuserie.
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ?
Est-ce donc une nouvelle « révolution » qu'appelle cette féodalité nouvelle ?
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un
Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc
bouleversement de l'ordre établi, du status de l'État ou de la Société, elle n'a donc
Ligne 3 590 : Ligne 3 657 :
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent
pour me dégager du présent qui m'opprime ; et dès que je l'ai abandonné, ce présent
est mort et tombe en décomposition.
est mort et tombe en décomposition.
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus
En somme, mon but n'étant pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant
de lui, mes intentions et mes actes n'ont rien de politique ni de social ; n'ayant
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes.
d'autre objet que moi et mon individualité, ils sont égoïstes.
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève
La révolution ordonne d'instituer, d'instaurer, l'insurrection veut qu'on se soulève
ou qu'on s'élève.
ou qu'on s'élève.
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux
Le choix d'une constitution, tel était le problème qui préoccupait les cerveaux
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes
révolutionnaires ; toute l'histoire politique de la Révolution est remplie par des luttes
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du
constitutionnelles et des questions constitutionnelles, de même que les génies du
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères,
Socialisme se sont montrés étonnamment féconds en institutions sociales (palanstères,
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé 1.
etc.). C'est au contraire à s'affranchir de toute constitution que tend l'insurgé <ref>Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.</ref>.
 
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et
Je cherchais une comparaison afin de rendre plus clair ce que je viens de dire, et
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme.
voici que ma pensée se reporte aux premiers temps de la fondation du Christianisme.
1 Pour me garantir contre toute poursuite criminelle, je ferai, par surcroît de précaution,
 
expressément remarquer que je prends le mot « insurrection » dans son sens étymologique et non
dans l'acception restreinte sur laquelle sont suspendues les foudres du Code pénal.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 251
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance
Dans le camp libéral, on reproche aux premiers Chrétiens d'avoir prêché l'obéissance
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et
aux lois païennes existantes, d'avoir prescrit de reconnaître, l'autorité païenne et
Ligne 3 640 : Ligne 3 710 :
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter
tranquille, sans un regard pour les vaincus, il éleva son temple à lui, sans prêter
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines.
l'oreille aux cris de douleur de ceux qu'il avait ensevelis sous leurs ruines.
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ?
Et maintenant, ce qui est arrivé au monde païen arrivera-t-il au monde chrétien ?
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne
Une révolution ne conduira certainement pas au but, si d'abord une insurrection ne
s'est accomplie.
s'est accomplie.
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela
À quoi tendent mes relations avec le monde ? Je veux en jouir ; il faut pour cela
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes,
qu'il soit ma propriété, et je veux donc le conquérir. Je ne veux pas la liberté des hommes,
Ligne 3 649 : Ligne 3 721 :
Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont
Et s'ils s'opposent à mes désirs, eh bien ! le droit de vie et de mort que se sont
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi.
réserve l'Église et l'État, je déclare que lui aussi — est à moi.
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe
Flétrissez cette veuve d'officier qui, durant la retraite de Russie, ayant eu la jambe
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour
emportée par un boulet, défit sa jarretière, étrangla son enfant, puis se coucha pour
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si
mourir à côté du cadavre ; flétrissez la mémoire de cette mère infanticide. Qui sait, si
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère
cet enfant était resté en vie, quels « services il eût pu rendre » au monde ? Et la mère
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 252
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre
le tua, parce qu'elle voulait mourir contente et tranquille ! Cette histoire émeut peutêtre
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour
encore votre sentimentalité, mais vous n'en savez rien tirer d'autre. Soit. Pour
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rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire
rapports avec les hommes et qu'il n'y a pas d'accès d'humilité qui puisse me faire
renoncer au pouvoir de vie et de mort.
renoncer au pouvoir de vie et de mort.
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position
Quant aux « devoirs sociaux » en général, ce n'est pas à un tiers à fixer ma position
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent
vis-à-vis des autres ; ce n'est, par conséquent, ni Dieu ni l'humanité qui peuvent
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suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon
suicide), à moins que je ne « me » distingue Moi-même (mon âme immortelle de mon
existence terrestre, etc.).
existence terrestre, etc.).
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance
Je ne m'humilie plus devant aucune puissance, je reconnais que toute puissance
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou
n'est que la mienne, et que je dois l'abattre dès qu'elle menace de devenir opposée ou
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pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les
pour qu'elles ne soient plus ; il n'y a de « puissances supérieures » que parce que je les
élève et me mets au-dessous d'elles.
élève et me mets au-dessous d'elles.
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien
Voici donc en quoi consistent mes rapports avec le monde : Je ne fais plus rien
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme »,
pour lui « pour l'amour de Dieu », je ne fais plus rien « pour l'amour de l'Homme »,
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sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix
sont l'universelle félicité, le monde moral ou règneraient l'amour universel, la paix
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc.
éternelle, l'extinction de l'égoïsme, etc.
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en
« Rien dans ce monde n'est parfait ! » — Sur cette triste parole, les bons s'en
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux
détournent et se réfugient près de Dieu dans leur oratoire, ou dans l'orgueilleux
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait
sanctuaire de leur « conscience ». Mais nous, nous demeurons dans ce monde « imparfait
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance.
» : tel qu'il est, nous savons le faire servir à notre jouissance.
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma
Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l'emploie à ma
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma —
jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde, et cela rentre dans ma —
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== Notes et références ==  
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<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références -->
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