Différences entre les versions de « Max Stirner:C. Ma jouissance de moi »

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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}}
{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|C — MA JOUISSANCE DE MOI}}


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enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle
enseigne d'ailleurs que l'homme doit s'occuper de ce monde-ci et vivre sa vie réelle
sans vain souci de l'au-delà.
sans vain souci de l'au-delà.
Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de
Reprenons la question à un autre point de vue. Celui dont l'unique souci est de
vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question,
vivre ne peut guère songer à jouir de la vie. Tant que sa vie est encore en question,
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comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la
comme on brûle la chandelle qu'on emploie. On use de la vie et de soi-même en la
consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire.
consumant et en se consumant. Jouir de la vie, c'est la dévorer et la détruire.
Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que
Eh bien ! — que faisons-nous ? Nous cherchons la jouissance de la vie. Et que
faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie
faisait le monde religieux ? Il cherchait la vie. « En quoi consiste la vraie vie, la vie
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meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie
meurent que pour ressusciter, ils ne vivent que pour mourir et pour trouver la vraie
vie.
vie.
Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis
Ce n'est que quand je suis sûr de moi et quand je ne me cherche plus que je suis
vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis
vraiment ma propriété. Alors je me possède, et c'est pourquoi je m'emploie et je jouis
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soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que
soit le Chrétien ou quelque autre moi spirituel, c'est-à-dire quelque fantôme tel que
l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi.
l'Homme, l'essence de l'Homme, etc., il m'est à jamais interdit de jouir de moi.
Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but,
Il y a un abîme entre ces deux conceptions : d'après l'ancienne je suis mon but,
d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après
d'après la nouvelle je suis mon point de départ ; d'après l'une je me cherche, d'après
l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax
l'autre je me possède et je fais de moi ce que je ferais de toute autre de mes proMax
Stirner (1845), L’unique et sa propriété 254
priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la
priétés, — je jouis de moi selon mon bon plaisir. Je ne tremble plus pour ma vie, je la
« prodigue ».
« prodigue ».
La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais
La question, désormais, n'est plus de savoir comment conquérir la vie, mais
comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi,
comment la dépenser et en jouir ; il ne s'agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi,
mais de faire ma vendange et de consommer ma vie.
mais de faire ma vendange et de consommer ma vie.
Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous
Qu'est-ce que l'Idéal, sinon le moi toujours cherché et jamais atteint ? Vous vous
cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez
cherchez ? C'est donc que vous ne vous possédez pas encore ! Vous vous demandez
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passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance.
passionne attente ; pendant des siècles, on a soupiré vers l'avenir et vécu d'espérance.
C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance.
C'est tout. autre chose de vivre de — jouissance.
Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement,
Est-ce à ceux-là seuls que l'on dit pieux que s'adressent mes paroles ? Nullement,
elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à
elles s'appliquent à tous ceux qui appartiennent à cette époque finissante, et même à
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chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du
chimères, de longs espoirs et rien de plus. Faites-moi le plaisir d'appeler ça du
romantisme !
romantisme !
Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous
Pour triompher de l'aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous
sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle,
sa double forme, écraser aussi bien la détresse spirituelle que la détresse temporelle,
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sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas
sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l'a pas et ne peut pas
non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ».
non plus en jouir : tous deux sont pauvres, mais — « bienheureux les pauvres ! ».
Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils
Les affamés de vraie vie n'ont plus aucun pouvoir sur leur vie présente qu'ils
doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de
doivent consacrer à la conquête de la vraie vie et sacrifier à l'accomplissement de
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une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à
une « véritable vie », purifiée de tout égoïsme. Et voilà pourquoi on hésite à
l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner.
l'employer à sa guise : elle a son emploi, son but et on ne peut l'en détourner.
Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque
Bref, on a une vocation, un devoir ; on a, par sa vie, à réaliser, à accomplir quelque
chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un
chose ; ce « quelque chose » en vue duquel la vie n'est qu'un moyen et un
instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des
instrument a plus d'importance qu'elle, et on la lui doit. On a un dieu qui réclame des
victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes
victimes vivantes. Les sacrifices humains n'ont perdu à la longue que leurs formes
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 255
barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en
barbares, ils n'ont pas disparu ; à chaque instant, des criminels sont offerts en
holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes
holocauste à la Justice, et nous, « pauvres pécheurs », nous nous immolons nousmêmes
sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des
sur l'autel de l’ « essence humaine », de l’ « Homme », de l' « Humanité », des
idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne.
idoles ou des dieux, quel que soit le nom qu'on leur donne.
Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la
Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n'avons aucun droit de la
dépenser pour nous.
dépenser pour nous.
Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de
Les tendances conservatrices du Christianisme ne permettent pas au Chrétien de
songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se
songer à la mort autrement qu'avec l'intention de lui arracher son aiguillon et de se
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conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le
conserver et travailler à « se préparer une place pour plus tard ». La perpétuité, le
« triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera
« triomphe sur la mort », voilà ce qui lui est à coeur : « La dernière ennemie qui sera
vaincue, c'est la mort 1 », « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en
vaincue, c'est la mort <ref>Ier épître aux Corinthiens.</ref>», « Jésus-Christ a brisé la puissance de la mort, et a mis en
lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité 2 ». — « Incorruptibilité », stabilité !
lumière par l'Évangile la vie et l’incorruptibilité <ref>IIe épître à Timothée, I, 10.</ref>». — « Incorruptibilité », stabilité !
 
L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce
L'homme moral veut le Bien, le Juste, etc.: s'il use des moyens qui conduisent à ce
but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont
but, et y conduisent réellement, ces moyens ne sont pas pour cela les siens, mais sont
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d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait
d'un but ou d'une idée, il se fait l'instrument du Bien comme l'homme pieux se fait
gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu.
gloire d'être l'ouvrier, l'outil de Dieu.
Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure
Les commandements de la Morale ordonnent comme étant bien d'attendre l'heure
de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a
de la mort ; se donner à soi-même la mort est immoral et mauvais : le suicide n'a
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condamnait parce que « ce n'est pas toi qui t'es donne la vie, c'est Dieu, et lui seul
condamnait parce que « ce n'est pas toi qui t'es donne la vie, c'est Dieu, et lui seul
peut te la reprendre » (comme si, à ce compte, ce n’était pas aussi bien Dieu qui me la
peut te la reprendre » (comme si, à ce compte, ce n’était pas aussi bien Dieu qui me la
reprend lorsque je me tue que lorsqu'une tuile ou une balle ennemie me cassent la tête
reprend lorsque je me tue que lorsqu'une tuile ou une balle ennemie me cassent la tête: c'est lui aussi qui a éveillé en moi la résolution de mourir !). L'homme moral, de son
: c'est lui aussi qui a éveillé en moi la résolution de mourir !). L'homme moral, de son
côté, le condamne parce que je dois ma vie à la Patrie, etc., « et que je ne sais pas si
côté, le condamne parce que je dois ma vie à la Patrie, etc., « et que je ne sais pas si
de ma vie n'eût pas pu résulter encore quelque bien ». Si je me tue, le Bien perd
de ma vie n'eût pas pu résulter encore quelque bien ». Si je me tue, le Bien perd
naturellement en moi un instrument, comme le Seigneur compte, moi mort, un
naturellement en moi un instrument, comme le Seigneur compte, moi mort, un
ouvrier de moins à sa vigne. Si je fus immoral, le Bien bénéficiera de mon amélioration
ouvrier de moins à sa vigne. Si je fus immoral, le Bien bénéficiera de mon amélioration; si je fus impie, Dieu se réjouira de ma contrition. Le suicide est aussi criminel
; si je fus impie, Dieu se réjouira de ma contrition. Le suicide est aussi criminel
envers Dieu qu'envers la vertu. Toi qui t'ôtes la vie, tu oublies Dieu si tu étais
envers Dieu qu'envers la vertu. Toi qui t'ôtes la vie, tu oublies Dieu si tu étais
religieux et tu oublies le devoir si tu étais moral. La mort d'Emilia Galotti est-elle
religieux et tu oublies le devoir si tu étais moral. La mort d'Emilia Galotti est-elle
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moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir
moral repose généralement sur une antinomie de ce genre ; il faut penser et sentir
moralement pour être capable de s'y intéresser.
moralement pour être capable de s'y intéresser.
1 Ier épître aux Corinthiens.
 
2 IIe épître à Timothée, I, 10.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 256
Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide
Tout ce que l'on peut dire au nom de la morale et de la piété à propos du suicide
n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa
n'est pas moins vrai si l'on en appelle à l'humanité, attendu que l'on doit également sa
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reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon
reconnais d'obligations envers personne que la conservation de ma vie est — mon
affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! »
affaire. « Un saut du haut de ce pont me fait libre ! »
Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non
Nous devons à l'Être quel qu'il soit que nous avons à faire vivre en nous non
seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne
seulement de conserver la vie dont nous sommes les dépositaires, mais en outre de ne
pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout
pas employer cette vie à notre guise, de la régler sur lui et de la lui conformer. Tout
en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui.
en moi, penser, sentir, vouloir, tous mes actes, tous mes efforts sont à lui.
L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette
L'idée que nous avons de cet Être détermine ce qui lui est conforme. Mais cette
idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se
idée, de combien de façons l'a-t-on conçue ? Et cet Être, sous combien de formes se
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présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à
présenter ! Mais tous sont du moins unanimes à croire que c'est à l'Être suprême à
diriger leur vie.
diriger leur vie.
Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa
Je ne m'arrêterai pas plus longtemps aux dévots qui ont en Dieu un guide et en sa
parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une
parole un fil conducteur ; je ne les ai cités que pour mémoire, ils appartiennent, à une
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conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie
conducteur de la parole divine ; ils se guident sur l'Homme, et ce n'est pas à une vie
« divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent.
« divine » mais à une vie « humaine » qu'ils aspirent.
L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité
L'Être suprême du libéral est l' « Homme »; l'Homme est son mentor et l'humanité
est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat
est son catéchisme. Dieu est Esprit, mais l'Homme est « l'Esprit parfait », le résultat
final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs
final de la longue chasse à l'Esprit à laquelle on se livra en « sondant les profondeurs
de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit.
de la divinité », c'est-à-dire les profondeurs de l'Esprit.
Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux
Chacun de tes traits doit être humain ; toi-même tu dois l'être de la nuque aux
talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation.
talons, intérieurement comme extérieurement, car l'humanité est ta vocation.
Vocation — destination — devoir !
Vocation — destination — devoir !
Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui
Ce qu'on peut être, on l'est. La défaveur des circonstances pourra empêcher celui
qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des
qui naquit poète d'être le premier de son temps, et ne pas lui permettre de produire des
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impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout
impossible de méconnaître dans la première espèce animale venue ? On trouve partout
des êtres plus ou moins bien doués.
des êtres plus ou moins bien doués.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 257
 
Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques
Peu, cependant, sont assez obtus pour qu'on ne puisse leur insuffler quelques
idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir
idées. Aussi considère-t-on ordinairement tous les hommes comme capables d'avoir
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masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation
masse » ne pourrait se passer de religion ; les Communistes étendent cette affirmation
et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout.
et disent que non seulement la « grande masse », mais tous sont appelés à tout.
Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de
Il ne suffit pas d'avoir dressé la masse à la religion, il faut à présent la pétrir de
« tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus
« tout ce qui est humain ». Et le dressage devient toujours plus universel et plus
étendu.
étendu.
Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à
Pauvres êtres, qui pourriez être si heureux s'il vous était permis de gambader à
votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des
votre guise ! Il faut que vous dansiez au son de la serinette des pédagogues et des
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l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je
l'Esprit a d'avance prescrits. Par rapport à la volonté, cela peut s'énoncer ainsi : Je
veux ce que je dois.
veux ce que je dois.
Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation »
Un homme n'est « appelé » à rien ; il n'a pas plus de « devoir » et de « vocation »
que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une
que n'en ont une plante ou un animal. La fleur qui s'épanouit, n'obéit pas à une
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Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir
Et d'ailleurs, à quoi bon ce conseil ? Chacun le suit et agit, sans commencer par voir
dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance.
dans l'action un devoir : chacun déploie à chaque instant tout ce qu'il a de puissance.
On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que
On dit bien d'un vaincu qu'il aurait dû déployer plus de force ; mais on oublie que
si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles,
si, au moment de succomber, il avait eu le pouvoir de déployer ses forces (corporelles,
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manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas
manquaient. On peut faire jaillir des étincelles d'une pierre, mais sans le choc pas
d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ».
d'étincelle ; de même l'homme a besoin d'une « impulsion ».
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 258
 
Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de
Attendu donc que les forces se montrent toujours d'elles-mêmes actives, l'ordre de
les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la
les mettre en oeuvre serait superflu et vide de sens. Employer ses forces n'est pas la
vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force
vocation et le devoir de l'homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel. Force
n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ».
n'est qu'un mot plus simple pour dire « manifestation de force ».
Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a
Cette rose est, depuis qu'elle existe, une véritable rose, et ce rossignol est et a
toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je
toujours été un véritable rossignol ; de même Moi : ce n'est pas seulement quand je
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les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le
les manifestations d'une force « vraiment humaine », et mon dernier soupir sera le
dernier effort de l' « Homme ».
dernier effort de l' « Homme ».
Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel
Le véritable homme n'est pas dans l'avenir, il n'est pas un but, un idéal vers lequel
on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi
on aspire ; mais il est ici, dans le présent, il existe réellement : quel que je sois, quoi
que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute,
que je sois, joyeux ou souffrant, enfant ou vieillard, dans la confiance ou dans le doute,
dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme.
dans le sommeil ou la veille, c'est Moi. Je suis le véritable homme.
Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité
Mais si je suis l'Homme, si j'ai réellement trouvé en Moi celui dont l'humanité
religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même
religieuse faisait un but lointain, tout ce qui est « vraiment humain » est par là même
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supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même
supplée à la conscience qui leur fait défaut. J'ai montré plus haut qu'il en va de même
de la liberté de la presse.
de la liberté de la presse.
Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant
Tout est à moi, aussi ressaisirai-je ce qui veut se soustraire à moi ; mais, avant
tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais
tout, je me ressaisis, si une servitude quelconque m'a fait échapper à moi-même. Mais
cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle.
cela non plus n'est pas ma vocation, c'est ma conduite naturelle.
En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de
En somme, il y a donc une grande différence entre me prendre pour point de
départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore
départ ou pour point, d'arrivée. Si je suis mon but, je ne me possède pas, je suis encore
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jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai
jouer de moi. Si je ne suis pas moi, c'est un autre (Dieu, le véritable Homme, le vrai
dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi.
dévot, l'homme raisonnable, l'homme libre, etc.) qui est moi, qui est mon moi.
Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas
Encore bien loin de moi, je fais de moi deux parts, dont l'une, celle qui n'est pas
atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle,
atteinte et que j'ai à accomplir, est la vraie. L'autre, la non-vraie, c'est-à-dire la nonspirituelle,
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l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au
l'esprit, comme si on allait du même coup se saisir, et dans cette chasse éperdue au
moi on perd de vue le moi que l'on est.
moi on perd de vue le moi que l'on est.
Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle
Dans cette poursuite furieuse d'un moi qu'on n'atteint jamais, on fait fi de la règle
des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les
des sages qui conseillent de prendre les hommes comme ils sont ; on préfère les
prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste
prendre comme ils devraient être, et, en conséquence, on galope sans trêve sur la piste
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 259
de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes
de son « moi » tel qu'il devrait être » et on « s'efforce de rendre tous les hommes
éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables 1 ».
éperdument justes estimables, moraux ou raisonnables<ref> Der Kommunismus in der Schweiz, p.24. ».</ref>
 
Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si
Oui, « si les hommes étaient comme ils devraient et comme ils pourraient être, si
tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des
tous les hommes étaient raisonnables, s'ils s'aimaient les uns les autres comme des
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On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne
On ne peut pas faire ce qu'on ne fait pas, comme on ne fait pas ce qu'on ne
peut pas faire.
peut pas faire.
La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les
La singularité de cette proposition disparaît, si l'on veut bien réfléchir que les
mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que
mots « il est possible que..., etc. » ne signifie au fond presque jamais autre chose que
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qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée :
qui s'y oppose : il en résulte qu'aucun obstacle ne s'oppose à la chose dans ta pensée :
elle est pensable.
elle est pensable.
Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne
Mais les hommes ne sont pas tous raisonnables ; c'est donc sans doute qu'ils — ne
peuvent pas l'être.
peuvent pas l'être.
Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible,
Lorsqu'une chose que l'on s'imaginait n'offrir aucune difficulté, être très possible,
etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et
etc., n'est pas ou n'arrive pas, on peut être certain qu'elle s'est heurtée à un obstacle et
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avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement
avons tout juste autant d'art que nous pouvons en avoir ; notre art actuel est actuellement
l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel.
l'unique possible et c'est pourquoi il est notre art réel.
Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement
Réduisez encore le sens du mot « possible » jusqu'à ce qu'il ne signifie finalement
plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple
plus que « futur », et il sera encore l'équivalent de « réel ». Quand on dit, par exemple: Il est possible que le soleil se lève demain, — cela ne signifie rien de plus que : par
: Il est possible que le soleil se lève demain, — cela ne signifie rien de plus que : par
rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer
rapport à aujourd'hui, demain est l'avenir réel ; car il est à peine besoin d'exprimer
qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru.
qu'un avenir n'est réellement « à venir » que s'il n'a pas encore paru.
1 Der Kommunismus in der Schweiz, p.24.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 260
À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce
À quoi bon, dites-vous, cette dissection microscopique d'un mot ? Ah ! si ce
n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le
n'était pas derrière lui que se tient embusquée l'erreur qui a eu, depuis des siècles, le
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hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne
hommes le coin où se donnent rendez-vous tous les fantômes qui la hantent, nous ne
nous serions guère inquiété de lui !
nous serions guère inquiété de lui !
La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons
La pensée, nous l'avons montré plus haut, règne sur le monde possédé. Revenons
à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre
à la possibilité, qui est un de ses lieutenants. Possible, disions-nous, n'est rien d'autre
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les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et
les hommes que leur vocation, il faut les regarder comme appelés à quelque chose et
les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ».
les tenir non pour « ce qu'ils sont », mais pour « ce qu'ils doivent être ».
Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une
Autre conséquence : Ce n'est pas l'individu qui est l'Homme ; l'Homme est une
pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais
pensée, un idéal. L'individu n'est pas à l'Homme ce que l'enfance est à l'âge mûr, mais
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ce serait pour lui un « éternel honneur » d'avoir fait quelque chose pour l' « esprit de
ce serait pour lui un « éternel honneur » d'avoir fait quelque chose pour l' « esprit de
l'humanité ».
l'humanité ».
Il en résulte que ceux qui pensent gouvernent le monde tant que dure l'époque des
Il en résulte que ceux qui pensent gouvernent le monde tant que dure l'époque des
prêtres et des pédagogues ; ce qu'ils pensent est possible et ce qui est possible doit
prêtres et des pédagogues ; ce qu'ils pensent est possible et ce qui est possible doit
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leur pensée, mais ils pensent ensuite la possibilité de réaliser cet idéal, et il est
leur pensée, mais ils pensent ensuite la possibilité de réaliser cet idéal, et il est
incontestable que cette réalisation est réelle...ment pensable : c'est une — idée.
incontestable que cette réalisation est réelle...ment pensable : c'est une — idée.
Il se peut qu'un Krummacher pense que toi et moi sommes encore capables de
Il se peut qu'un Krummacher pense que toi et moi sommes encore capables de
devenir bons chrétiens ; mais s'il s'avisait de nous « travailler » dans ce sens, nous lui
devenir bons chrétiens ; mais s'il s'avisait de nous « travailler » dans ce sens, nous lui
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doctrine » dont nous n'avons que faire, il ne tarderait pas à se convaincre que nous
doctrine » dont nous n'avons que faire, il ne tarderait pas à se convaincre que nous
n'avons que faire de devenir ce qu'il ne nous plaît pas d'être.
n'avons que faire de devenir ce qu'il ne nous plaît pas d'être.
Et le raisonnement que nous résumions tantôt se poursuit, laissant derrière lui
Et le raisonnement que nous résumions tantôt se poursuit, laissant derrière lui
dévots et bigots : « Si tous les hommes étaient raisonnables, si tous pratiquaient la
dévots et bigots : « Si tous les hommes étaient raisonnables, si tous pratiquaient la
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? Non, la Raison est un gros livre bourré d'articles de lois, tous braqués contre
? Non, la Raison est un gros livre bourré d'articles de lois, tous braqués contre
l'Égoïsme.
l'Égoïsme.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 261
 
L'histoire n'a été jusqu'à présent que l'histoire de l'homme spirituel. Après l'âge
L'histoire n'a été jusqu'à présent que l'histoire de l'homme spirituel. Après l'âge
des sens a commencé l'histoire proprement dite, c'est-à-dire l'âge de l'intelligence, du
des sens a commencé l'histoire proprement dite, c'est-à-dire l'âge de l'intelligence, du
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morale et n'a pas la même foi : il persécute les « dissidents, les hérétiques, les
morale et n'a pas la même foi : il persécute les « dissidents, les hérétiques, les
sectes », etc.
sectes », etc.
Le mouton ne s'efforce pas de devenir un « vrai mouton », ni le chien un « vrai
Le mouton ne s'efforce pas de devenir un « vrai mouton », ni le chien un « vrai
chien »; aucun animal ne prend son être pour un devoir, c'est-à-dire pour une idée
chien »; aucun animal ne prend son être pour un devoir, c'est-à-dire pour une idée
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utile ou plus agréable pour nous, il n'en tire, lui, aucun profit ; une fois chien savant, il
utile ou plus agréable pour nous, il n'en tire, lui, aucun profit ; une fois chien savant, il
ne vaut pas plus pour lui-même qu'un chien naturel.
ne vaut pas plus pour lui-même qu'un chien naturel.
On s'efforce, et la mode n'en est pas nouvelle, de faire des hommes des êtres moraux,
On s'efforce, et la mode n'en est pas nouvelle, de faire des hommes des êtres moraux,
raisonnables, pieux, humains, etc., c'est-à-dire de les dresser. Mais ces tentatives
raisonnables, pieux, humains, etc., c'est-à-dire de les dresser. Mais ces tentatives
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idéal ; ils sont de « faibles hommes » et ils se consolent en ayant conscience de la
idéal ; ils sont de « faibles hommes » et ils se consolent en ayant conscience de la
« faiblesse humaine ».
« faiblesse humaine ».
Il en va tout autrement si tu ne poursuis pas un idéal comme ta « destination »,
Il en va tout autrement si tu ne poursuis pas un idéal comme ta « destination »,
mais que tu te consumes comme le temps consume tout. La destruction n'est pas ta
mais que tu te consumes comme le temps consume tout. La destruction n'est pas ta
« destination », car elle est le présent.
« destination », car elle est le présent.
Il est parfaitement vrai que la culture et la religiosité des hommes les ont libérés,
Il est parfaitement vrai que la culture et la religiosité des hommes les ont libérés,
mais elles ne les ont délivrés d'un maître que pour les soumettre à un autre. La
mais elles ne les ont délivrés d'un maître que pour les soumettre à un autre. La
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de l'Esprit. L'Esprit me commande, la Raison me guide ; ils me conduisent et me
de l'Esprit. L'Esprit me commande, la Raison me guide ; ils me conduisent et me
gouvernent, et les « raisonnables », les « serviteurs de l'Esprit », sont leurs ministres.
gouvernent, et les « raisonnables », les « serviteurs de l'Esprit », sont leurs ministres.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 262
 
Mais si je ne suis pas chair, je ne suis pas non plus esprit. La liberté de l'Esprit est ma
Mais si je ne suis pas chair, je ne suis pas non plus esprit. La liberté de l'Esprit est ma
servitude, parce que je suis plus que chair et plus qu'esprit.
servitude, parce que je suis plus que chair et plus qu'esprit.
La culture m'a rendu puissant, cela ne souffre non plus aucun doute. Elle m'a
La culture m'a rendu puissant, cela ne souffre non plus aucun doute. Elle m'a
donné un pouvoir sur tout ce qui est force, aussi bien sur les impulsions de ma nature
donné un pouvoir sur tout ce qui est force, aussi bien sur les impulsions de ma nature
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pouvoir peut prendre les formes les plus diverses, il peut s'appeler Dieu ou s'appeler
pouvoir peut prendre les formes les plus diverses, il peut s'appeler Dieu ou s'appeler
Esprit du peuple, État, Famille, Raison, ou encore Liberté, Humanité, Homme.
Esprit du peuple, État, Famille, Raison, ou encore Liberté, Humanité, Homme.
J'accepte avec reconnaissance ce que les siècles de culture m'ont acquis ; je ne
J'accepte avec reconnaissance ce que les siècles de culture m'ont acquis ; je ne
veux rien rejeter ou abandonner : Je n'ai pas vécu en vain. Ils ont découvert que j'ai un
veux rien rejeter ou abandonner : Je n'ai pas vécu en vain. Ils ont découvert que j'ai un
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découverte fut achetée trop cher pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus
découverte fut achetée trop cher pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus
encore.
encore.
On se demande ce que l'homme peut devenir, ce qu'il peut accomplir et quels
On se demande ce que l'homme peut devenir, ce qu'il peut accomplir et quels
biens il peut acquérir, et de celui de ces biens qu'on juge plus grand on me fait une
biens il peut acquérir, et de celui de ces biens qu'on juge plus grand on me fait une
vocation. Comme si tout m'était possible !
vocation. Comme si tout m'était possible !
Lorsqu'on voit quelqu'un que consume un désir, une passion, etc. (par exemple,
Lorsqu'on voit quelqu'un que consume un désir, une passion, etc. (par exemple,
l'esprit de lucre, la jalousie. etc.). on se prend à souhaiter de le délivrer de cette
l'esprit de lucre, la jalousie. etc.). on se prend à souhaiter de le délivrer de cette
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de la piété, de l'humanité ou de quelque autre principe, et on lui fournit de nouveau un
de la piété, de l'humanité ou de quelque autre principe, et on lui fournit de nouveau un
point d'appui moral fixe.
point d'appui moral fixe.
Cet échange d'un point d'appui inférieur contre un point d'appui élevé s'exprime
Cet échange d'un point d'appui inférieur contre un point d'appui élevé s'exprime
en disant : il ne faut pas tourner ses regards vers ce qui passe, mais vers ce qui ne
en disant : il ne faut pas tourner ses regards vers ce qui passe, mais vers ce qui ne
passe pas, non vers le temporel, mais vers l'éternel, l'absolu, le divin, le pur humain,
passe pas, non vers le temporel, mais vers l'éternel, l'absolu, le divin, le pur humain,
— le spirituel.
— le spirituel.
On s'aperçut bientôt qu'il n'est pas indifférent de suspendre son coeur n'importe où
On s'aperçut bientôt qu'il n'est pas indifférent de suspendre son coeur n'importe où
et de s'éprendre de n'importe quoi ; on reconnut l'importance de l'objet. Un objet élevé
et de s'éprendre de n'importe quoi ; on reconnut l'importance de l'objet. Un objet élevé
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valoir la peine d'en parler ». On s'en rendit compte, mais on ne cessa jamais d'accorder
valoir la peine d'en parler ». On s'en rendit compte, mais on ne cessa jamais d'accorder
à l'objet une importance en soi et une valeur absolue ; comme si l'essentiel
à l'objet une importance en soi et une valeur absolue ; comme si l'essentiel
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 263
n'était pas, pour l'enfant, sa poupée, et pour le Turc le Coran. Tant que l'important
n'était pas, pour l'enfant, sa poupée, et pour le Turc le Coran. Tant que l'important
pour moi n'est pas uniquement Moi. peu importe l'objet que je tiens pour « essentiel
pour moi n'est pas uniquement Moi. peu importe l'objet que je tiens pour « essentiel
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profondeur de mon attachement et de mon dévouement témoigne de ma servitude, et
profondeur de mon attachement et de mon dévouement témoigne de ma servitude, et
la profondeur de mon péché donne la mesure de mon individualité.
la profondeur de mon péché donne la mesure de mon individualité.
Mais il faut finalement savoir tout « chasser de sa pensée si l'on veut pouvoir —
Mais il faut finalement savoir tout « chasser de sa pensée si l'on veut pouvoir —
s'endormir. Rien ne doit nous occuper, dont nous ne nous occupons pas : l'ambitieux
s'endormir. Rien ne doit nous occuper, dont nous ne nous occupons pas : l'ambitieux
ne peut se défaire de ses projets d'ambition, et celui qui craint Dieu ne peut détacher
ne peut se défaire de ses projets d'ambition, et celui qui craint Dieu ne peut détacher
sa pensée de Dieu ; manie et obsession sont jumelles.
sa pensée de Dieu ; manie et obsession sont jumelles.
Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en
Réaliser son essence ou vivre conformément à sa notion est ce que le croyant en
Dieu appelle « être pieux » et ce qu'un croyant en l'Homme appelle « vivre humainement
Dieu appelle « être pieux » et ce qu'un croyant en l'Homme appelle « vivre humainement
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encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l'âme, tant
encore le choix, le choix redoutable, entre la joie des sens et la paix de l'âme, tant
qu'il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n'est qu'un homme sensuel qui, connaissant
qu'il est un « pauvre pécheur ». Le Chrétien n'est qu'un homme sensuel qui, connaissant
la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur
la sainteté et ayant conscience de la violer, se regarde comme un pauvre pécheur: la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le
: la sensualité conçue comme « iniquité » fait le fond de la conscience chrétienne et le
Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais
Chrétien même. Nos modernes ne disent plus le « péché » et l’ « iniquité », mais
l’ « égoïsme », l' « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc.; entre leurs mains le
l’ « égoïsme », l' « amour de soi », l’« intérêt personnel », etc.; entre leurs mains le
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« appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au
« appeler » (vocare), — mais, le nom mis à part, cela ne revient-il pas exactement au
même?
même?
*
 
**
 
Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment.
Chacun de nous est en rapport avec les objets et se comporte envers eux différemment.
Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d'hommes ont été
Prenons comme exemple ce livre avec lequel des millions d'hommes ont été
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qui en use comme d'une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d'un
qui en use comme d'une amulette, elle a uniquement la valeur et la signification d'un
charme ; pour l'enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc.
charme ; pour l'enfant qui joue avec elle, elle est un jouet, etc.
Mais le Christianisme prétend que la Bible doit être pour tous la même chose,
Mais le Christianisme prétend que la Bible doit être pour tous la même chose,
c'est-à-dire ce qu'elle est pour lui : les « Livres Saints » ou la « Sainte Écriture ». Cela
c'est-à-dire ce qu'elle est pour lui : les « Livres Saints » ou la « Sainte Écriture ». Cela
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la libert. de faire de la Bible ce qu'il me plaît, toute liberté d'agir en général se voit
la libert. de faire de la Bible ce qu'il me plaît, toute liberté d'agir en général se voit
entravée et est remplacée par la contrainte d'une façon de voir et de juger obligatoire.
entravée et est remplacée par la contrainte d'une façon de voir et de juger obligatoire.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 264
 
Celui qui émet le jugement que la Bible est une longue erreur de l'humanité porte un
Celui qui émet le jugement que la Bible est une longue erreur de l'humanité porte un
jugement — criminel.
jugement — criminel.
En réalité, l'enfant qui la met en pièces ou qui joue avec elle et l’Inca Atahualpa
En réalité, l'enfant qui la met en pièces ou qui joue avec elle et l’Inca Atahualpa
qui y applique l'oreille et la rejette avec une moue de dédain parce qu'elle reste muette
qui y applique l'oreille et la rejette avec une moue de dédain parce qu'elle reste muette
émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la
émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où
; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes
traitent ces textes à leur guise et « en font un usage arbitraire ».
traitent ces textes à leur guise et « en font un usage arbitraire ».
Rien ne plaît tant au philosophe que de dénicher en tout une « Idée », et rien ne va
Rien ne plaît tant au philosophe que de dénicher en tout une « Idée », et rien ne va
au dévot comme de mettre tout en oeuvre (la vénération de la Bible, par exemple)
au dévot comme de mettre tout en oeuvre (la vénération de la Bible, par exemple)
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qu'elle nous juge à sa façon, c'est-à-dire dignes du bûcher ou d'un autre châtiment —
qu'elle nous juge à sa façon, c'est-à-dire dignes du bûcher ou d'un autre châtiment —
de la censure, par exemple ?
de la censure, par exemple ?
Ce qu'un homme est, les choses le sont à ses yeux, « le monde te voit du même
Ce qu'un homme est, les choses le sont à ses yeux, « le monde te voit du même
oeil dont tu le contemples ». D'où, immédiatement, ce sage conseil : tu ne dois le
oeil dont tu le contemples ». D'où, immédiatement, ce sage conseil : tu ne dois le
Ligne 534 : Ligne 582 :
il en résultera pour moi une connaissance et une critique profondes — d'après mes
il en résultera pour moi une connaissance et une critique profondes — d'après mes
forces.
forces.
Je choisis ce qui répond à mes intentions et par le fait même que je choisis, je
Je choisis ce qui répond à mes intentions et par le fait même que je choisis, je
prouve mon — arbitraire.
prouve mon — arbitraire.
De ceci naît cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est
De ceci naît cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est
l'oeuvre, la création de ma volonté ; je suis par là de nouveau averti de ne pas me
l'oeuvre, la création de ma volonté ; je suis par là de nouveau averti de ne pas me
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Jésus-Christ, la Trinité, la Moralité, le Bien, etc.. sont de ces créatures dont je ne dois
Jésus-Christ, la Trinité, la Moralité, le Bien, etc.. sont de ces créatures dont je ne dois
pas seulement me permettre de dire qu'elles sont des vérités, mais dont je dois me
pas seulement me permettre de dire qu'elles sont des vérités, mais dont je dois me
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 265
permettre tout aussi bien de dire que ce sont des illusions. Si j'ai, à un moment donné,
permettre tout aussi bien de dire que ce sont des illusions. Si j'ai, à un moment donné,
voulu et décrété leur existence, il faut de même que je puisse, à un autre moment,
voulu et décrété leur existence, il faut de même que je puisse, à un autre moment,
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« vérités éternelles », un « sacro-saint » en un mot, et de dépouiller chacun de ce qui
« vérités éternelles », un « sacro-saint » en un mot, et de dépouiller chacun de ce qui
est à lui.
est à lui.
L’objet fait de nous des possédés : cette influence, il l'exerce aussi bien lorsqu'il
L’objet fait de nous des possédés : cette influence, il l'exerce aussi bien lorsqu'il
se présente à nous sous une forme sacrée que sous une forme non sacrée, et comme
se présente à nous sous une forme sacrée que sous une forme non sacrée, et comme
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ciel doivent être mis sur la même ligne. Alors que les propagateurs de la lumière
ciel doivent être mis sur la même ligne. Alors que les propagateurs de la lumière
voulaient gagner les gens au monde sensible. Lavater prêchait l'appétit de l'invisible.
voulaient gagner les gens au monde sensible. Lavater prêchait l'appétit de l'invisible.
Les uns veulent émouvoir et les autres mouvoir.
Les uns veulent émouvoir et les autres mouvoir.
Chacun se fait des objets une idée particulière. Dieu, Jésus-Christ, le monde, etc.,
Chacun se fait des objets une idée particulière. Dieu, Jésus-Christ, le monde, etc.,
ont été et seront conçus des façons les plus diverses. Chacun est en cela « hétérodoxe
ont été et seront conçus des façons les plus diverses. Chacun est en cela « hétérodoxe
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n'est, rien qu'une illusion »? Pourquoi me flétrit-on quand je suis un « négateur de
n'est, rien qu'une illusion »? Pourquoi me flétrit-on quand je suis un « négateur de
Dieu »? Parce qu'on met la créature au-dessus du créateur (« Ils honorent et servent
Dieu »? Parce qu'on met la créature au-dessus du créateur (« Ils honorent et servent
plus la créature que le créateur ) et qu'on a besoin qu'un objet règne pour que le
plus la créature que le créateur <ref>Épître aux Romains, I, 25.</ref>»)et qu'on a besoin qu'un objet règne pour que le
sujet serve humblement. Je dois me courber sous l'Absolu, c'est mon devoir.
sujet serve humblement. Je dois me courber sous l'Absolu, c'est mon devoir.
Par le royaume de « royaume des pensées », le Christianisme s'est complété ; la
Par le royaume de « royaume des pensées », le Christianisme s'est complété ; la
pensée est cette intériorité dans laquelle s'éteignent toutes les lumières du monde, où
pensée est cette intériorité dans laquelle s'éteignent toutes les lumières du monde, où
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foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité
foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité
remonte pour son service.
remonte pour son service.
1 Épître aux Romains, I, 25.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 266
La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis
La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis
libre et qui m'occupe, mais la pensée) — du ciel et du céleste ou « divin », c'est-àdire,
libre et qui m'occupe, mais la pensée) — du ciel et du céleste ou « divin », c'est-àdire,
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mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des
mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des
Esprits, des Dieux.
Esprits, des Dieux.
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je
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libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et
libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son
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invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il
invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ».
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ».
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il
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pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens
pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais.
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 267
 
Feuerbach reproche à Hegel 1 d'abuser de la langue en détournant une foule de
Feuerbach reproche à Hegel <ref>Loc. cit., p. 47 sqq.</ref> d'abuser de la langue en détournant une foule de
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi
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qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient
qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain.
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain.
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en
moi, car je suis espace comme la rue.
moi, car je suis espace comme la rue.
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien »,
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien »,
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contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui
contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui
viennent « d'en haut » et il s'en tient là.
viennent « d'en haut » et il s'en tient là.
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit.
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit.
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la
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qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc.
qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc.
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pen-
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pensées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
1 Loc. cit., p. 47 sqq.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 268
sées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi
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saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ?
saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ?
Tout ce qui vole est — à moi.
Tout ce qui vole est — à moi.
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne,
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne,
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ;
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ;
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir.
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir.
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une
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qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et
qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et
faire de moi l'instrument de sa réalisation.
faire de moi l'instrument de sa réalisation.
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes
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si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes
si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes
créatures.
créatures.
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme,
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme,
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de
sens que, par exemple, « liberté de digérer ».
sens que, par exemple, « liberté de digérer ».
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ;
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ;
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà
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grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé
grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre.
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre.
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain
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est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la
est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession.
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession.
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ;
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ;
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Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est
Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés).
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés).
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 269
 
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est
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Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas
Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ?
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ?
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur
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qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il
qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il
ait « découvert l'Homme ».
ait « découvert l'Homme ».
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui
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met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou
met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut.
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut.
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils
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Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la
Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi.
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi.
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre
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limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la
limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé.
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé.
Écouter ce que dit le ministre Guizot 1 : « La grande difficulté de notre temps,
 
Écouter ce que dit le ministre Guizot <ref>Chambre des Pairs, 25 avril 1844.</ref>: « La grande difficulté de notre temps,
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle
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du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de
du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de
conscience. »
conscience. »
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge 2: que
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge <ref>Anekdota, I, 120.</ref>: que
1 Chambre des Pairs, 25 avril 1844.
2 Anekdota, I, 120.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 270
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle.
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle.
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul
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s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux
s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux
« privilèges ».
« privilèges ».
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience
de la raison 1 », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté
de la raison <ref>Ibid., I, 127.</ref> », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible,
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible,
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et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en
et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en
jouis et me consommeront comme je me consomme.
jouis et me consommeront comme je me consomme.
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ?
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ?
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis
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jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ;
jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ;
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser.
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser.
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis
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hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la
hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes.
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes.
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement
Ligne 815 : Ligne 887 :
vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user
vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user
du langage comme de ta propriété.
du langage comme de ta propriété.
1 Ibid., I, 127.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 271
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de
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(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée
(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide.
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide.
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ».
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ».
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur,
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur,
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute
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Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux
Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux
esprits et aux fantômes.
esprits et aux fantômes.
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le
Ligne 843 : Ligne 917 :
leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent
leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent
aux pièges de Satan.
aux pièges de Satan.
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance,
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance,
Ligne 857 : Ligne 932 :
moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de
moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de
l'idée ».
l'idée ».
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés.
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés.
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte];
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte];
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la
logique, la science, la philosophie.
logique, la science, la philosophie.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 272
 
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger.
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger.
Ligne 870 : Ligne 947 :
quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de
quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de
création.
création.
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ».
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ».
Ligne 880 : Ligne 958 :
vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à
vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à
la souveraineté et établira une loi pour tous.
la souveraineté et établira une loi pour tous.
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable,
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable,
Ligne 889 : Ligne 969 :
t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à
t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets.
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets.
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le
Ligne 900 : Ligne 981 :
occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes
occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes
: tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé.
: tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé.
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion,
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion,
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême
Ligne 908 : Ligne 990 :
en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces
en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver.
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 273
 
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot
Ligne 918 : Ligne 1 000 :
plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au
plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au
nom d'un principe.
nom d'un principe.
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable »
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable »
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps,
; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps,
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique.
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique.
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force.
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force.
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert
Ligne 937 : Ligne 1 021 :
partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera
partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc.
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc.
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament :
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament :
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon 1. » Le « bon » est la pierre de
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon <ref>1er épître aux Thessaloniciens, V, 21</ref>» Le « bon » est la pierre de
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe.
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe.
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure.
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure.
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout
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le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet,
le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet,
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on
1 1er épître aux Thessaloniciens, V, 21
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 274
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même.
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même.
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables
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ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une
ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une
hypothèse.
hypothèse.
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable
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j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique,
j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique,
car elle n'est pas ma propriété.
car elle n'est pas ma propriété.
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour
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possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire
possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ».
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ».
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les
conséquences pratiques qui en découlent sont graves.
conséquences pratiques qui en découlent sont graves.
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il
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m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me
m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me
borne à en respirer le parfum.
borne à en respirer le parfum.
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être
suprême * » ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle
suprême <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>» ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 275
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité »
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité »
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qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité
qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité
même.
même.
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par
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vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur
vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur
notre Dieu »).
notre Dieu »).
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il
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voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce
voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres.
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres.
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle
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abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles
abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été
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l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma
l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte,
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 276
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de
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Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en
Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature.
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature.
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée
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n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux
n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles.
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles.
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de
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l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la
l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la
cuve », de cet être « infime »!
cuve », de cet être « infime »!
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui
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là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à
là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une.
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une.
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit
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dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence
dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence
» ou l' « Homme ».
» ou l' « Homme ».
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre,
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre,
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association,
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 277
faux sont l'État et la société <ref>La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
faux sont l'État et la société *. La « libre et vraie » critique travaille à la domination
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à
coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)</ref>. La « libre et vraie » critique travaille à la domination logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de
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dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle
dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre.
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre.
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu
vérifies si l'objet te convient.
vérifies si l'objet te convient.
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les
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auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les
auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les
met pas en fuite.
met pas en fuite.
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à
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« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours
« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ».
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ».
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi,
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi,
le corporel, qui l'ai.
le corporel, qui l'ai.
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure
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l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui,
l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui,
en se développant, développent naturellement aussi leur penser.
en se développant, développent naturellement aussi leur penser.
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas
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La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège
La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement.
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement.
* La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
 
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 278
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais
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ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il
ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il
exhale sa rage avant de disparaître.
exhale sa rage avant de disparaître.
*
 
**
 
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis,
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis,
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats
qu'il vous plaira, je m'en moque.
qu'il vous plaira, je m'en moque.
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant,
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant,
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce
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ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère
ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de
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Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les
Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les
pensées de l'esprit.
pensées de l'esprit.
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel,
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel,
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ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la
ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la
crée.
crée.
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de
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peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient
peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure.
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 279
 
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré
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un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de
un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de
Christianisme.
Christianisme.
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier,
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier,
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais
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« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose
« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose
que je suis le propriétaire du tout.
que je suis le propriétaire du tout.
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci :
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci :
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous
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n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire
n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ».
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ».
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou
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ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est
ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est
chimérique.
chimérique.
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 280
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au
Panthéon ou au — Walhalla.
Panthéon ou au — Walhalla.
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur !
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur !
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope,
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope,
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de
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que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es
que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout.
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout.
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la
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c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes,
c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes,
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé.
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé.
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice »,
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice »,
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sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par
sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique.
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique.
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus.
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus.
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier.
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier.
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que
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Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me
Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me
développe.
développe.
Tel est le sens de l'Unique.
Tel est le sens de l'Unique.




 
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== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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