Différences entre les versions de « Max Stirner:C. Ma jouissance de moi »

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émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la
émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où
; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes
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foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité
foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité
remonte pour son service.
remonte pour son service.


La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis
La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis
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mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des
mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des
Esprits, des Dieux.
Esprits, des Dieux.
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je
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libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et
libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son
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invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il
invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ».
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ».
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il
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pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens
pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais.
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 267
 
Feuerbach reproche à Hegel 1 d'abuser de la langue en détournant une foule de
Feuerbach reproche à Hegel <ref>Loc. cit., p. 47 sqq.</ref> d'abuser de la langue en détournant une foule de
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi
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qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient
qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain.
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain.
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en
moi, car je suis espace comme la rue.
moi, car je suis espace comme la rue.
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien »,
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien »,
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contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui
contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui
viennent « d'en haut » et il s'en tient là.
viennent « d'en haut » et il s'en tient là.
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit.
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit.
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la
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qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc.
qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc.
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pen-
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pensées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
1 Loc. cit., p. 47 sqq.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 268
sées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi
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saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ?
saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ?
Tout ce qui vole est — à moi.
Tout ce qui vole est — à moi.
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne,
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne,
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ;
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ;
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir.
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir.
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une
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qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et
qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et
faire de moi l'instrument de sa réalisation.
faire de moi l'instrument de sa réalisation.
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes
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si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes
si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes
créatures.
créatures.
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme,
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme,
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de
sens que, par exemple, « liberté de digérer ».
sens que, par exemple, « liberté de digérer ».
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ;
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ;
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà
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grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé
grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre.
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre.
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain
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est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la
est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession.
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession.
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ;
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ;
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Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est
Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés).
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés).
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 269
 
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est
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Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas
Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ?
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ?
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur
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qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il
qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il
ait « découvert l'Homme ».
ait « découvert l'Homme ».
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui
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met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou
met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut.
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut.
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils
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Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la
Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi.
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi.
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre
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limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la
limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé.
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé.
Écouter ce que dit le ministre Guizot 1 : « La grande difficulté de notre temps,
 
Écouter ce que dit le ministre Guizot <ref>Chambre des Pairs, 25 avril 1844.</ref>: « La grande difficulté de notre temps,
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle
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du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de
du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de
conscience. »
conscience. »
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge 2: que
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge <ref>Anekdota, I, 120.</ref>: que
1 Chambre des Pairs, 25 avril 1844.
2 Anekdota, I, 120.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 270
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle.
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle.
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul
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s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux
s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux
« privilèges ».
« privilèges ».
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience
de la raison 1 », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté
de la raison <ref>Ibid., I, 127.</ref> », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible,
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible,
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et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en
et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en
jouis et me consommeront comme je me consomme.
jouis et me consommeront comme je me consomme.
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ?
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ?
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis
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jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ;
jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ;
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser.
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser.
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis
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hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la
hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes.
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes.
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement
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vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user
vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user
du langage comme de ta propriété.
du langage comme de ta propriété.
1 Ibid., I, 127.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 271
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de
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(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée
(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide.
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide.
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ».
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ».
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur,
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur,
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute
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Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux
Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux
esprits et aux fantômes.
esprits et aux fantômes.
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le
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leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent
leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent
aux pièges de Satan.
aux pièges de Satan.
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance,
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance,
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moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de
moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de
l'idée ».
l'idée ».
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés.
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés.
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte];
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte];
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la
logique, la science, la philosophie.
logique, la science, la philosophie.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 272
 
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger.
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger.
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quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de
quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de
création.
création.
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ».
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ».
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vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à
vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à
la souveraineté et établira une loi pour tous.
la souveraineté et établira une loi pour tous.
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable,
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable,
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t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à
t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets.
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets.
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le
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occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes
occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes
: tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé.
: tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé.
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion,
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion,
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême
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en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces
en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver.
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 273
 
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot
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plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au
plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au
nom d'un principe.
nom d'un principe.
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable »
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable »
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps,
; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps,
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique.
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique.
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force.
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force.
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert
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partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera
partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc.
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc.
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament :
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament :
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon 1. » Le « bon » est la pierre de
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon <ref>1er épître aux Thessaloniciens, V, 21</ref>» Le « bon » est la pierre de
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe.
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe.
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure.
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure.
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout
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le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet,
le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet,
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on
1 1er épître aux Thessaloniciens, V, 21
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 274
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même.
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même.
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables
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ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une
ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une
hypothèse.
hypothèse.
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable
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j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique,
j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique,
car elle n'est pas ma propriété.
car elle n'est pas ma propriété.
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour
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possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire
possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ».
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ».
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les
conséquences pratiques qui en découlent sont graves.
conséquences pratiques qui en découlent sont graves.
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il
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m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me
m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me
borne à en respirer le parfum.
borne à en respirer le parfum.
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être
suprême * » ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle
suprême <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>» ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 275
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité »
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité »
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qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité
qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité
même.
même.
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par
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vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur
vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur
notre Dieu »).
notre Dieu »).
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il
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voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce
voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres.
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres.
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle
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abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles
abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité.
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été
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l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma
l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte,
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 276
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider.
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de
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Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en
Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature.
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature.
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée
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n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux
n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles.
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles.
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de
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l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la
l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la
cuve », de cet être « infime »!
cuve », de cet être « infime »!
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui
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là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à
là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une.
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une.
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit
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dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence
dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence
» ou l' « Homme ».
» ou l' « Homme ».
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre,
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre,
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association,
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association,
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 277
faux sont l'État et la société <ref>La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
faux sont l'État et la société *. La « libre et vraie » critique travaille à la domination
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à
coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)</ref>. La « libre et vraie » critique travaille à la domination logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de
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dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle
dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre.
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre.
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu
vérifies si l'objet te convient.
vérifies si l'objet te convient.
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les
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auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les
auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les
met pas en fuite.
met pas en fuite.
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à
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« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours
« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ».
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ».
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi,
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi,
le corporel, qui l'ai.
le corporel, qui l'ai.
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure
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l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui,
l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui,
en se développant, développent naturellement aussi leur penser.
en se développant, développent naturellement aussi leur penser.
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas
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La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège
La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement.
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement.
* La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose
 
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de
coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 278
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais
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ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il
ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il
exhale sa rage avant de disparaître.
exhale sa rage avant de disparaître.
*
 
**
 
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis,
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis,
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats
qu'il vous plaira, je m'en moque.
qu'il vous plaira, je m'en moque.
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant,
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant,
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce
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ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère
ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais.
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de
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Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les
Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les
pensées de l'esprit.
pensées de l'esprit.
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel,
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel,
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ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la
ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la
crée.
crée.
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de
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peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient
peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure.
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 279
 
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré
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un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de
un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de
Christianisme.
Christianisme.
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier,
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier,
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais
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« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose
« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose
que je suis le propriétaire du tout.
que je suis le propriétaire du tout.
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci :
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci :
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous
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n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire
n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ».
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ».
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou
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ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est
ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est
chimérique.
chimérique.
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 280
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au
Panthéon ou au — Walhalla.
Panthéon ou au — Walhalla.
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur !
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur !
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope,
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope,
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de
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que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es
que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout.
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout.
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la
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c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes,
c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes,
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé.
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé.
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice »,
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice »,
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sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par
sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique.
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique.
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus.
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus.
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier.
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier.
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que
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Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me
Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me
développe.
développe.
Tel est le sens de l'Unique.
Tel est le sens de l'Unique.




 
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== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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