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émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la | émettent sur la Bible un jugement aussi légitime que le prêtre qui prise en elle la | ||
« parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation | « parole de Dieu » ou que la critique qui la traite comme un monument de la civilisation | ||
hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice | hébraïque. Car nous manions les choses selon notre bon plaisir et notre caprice; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où | ||
; nous en usons comme il nous plaît, ou, plus exactement, comme nous pouvons. D'où | |||
vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens | vient que les prêtres jettent de hauts cris lorsqu'ils voient Hegel et les théologiens | ||
spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes | spéculatifs extraire de la Bible des pensées spéculatives ? De ce qu'eux-mêmes | ||
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foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité | foi dans la « Vérité sainte » et n'est qu'une machine merveilleuse que l'esprit de Vérité | ||
remonte pour son service. | remonte pour son service. | ||
La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis | La pensée libre et la science libre m'occupent — (car ce n'est pas moi qui suis | ||
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mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des | mongol. Chaman et philosophe luttent, contre des revenants, des démons, des | ||
Esprits, des Dieux. | Esprits, des Dieux. | ||
Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma | Radicalement différente de la pensée libre est la pensée qui m'est propre, ma | ||
pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je | pensée qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je | ||
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libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et | libre que la sensualité que j'ai en mon pouvoir, et que je satisfais s'il me plaît et | ||
comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe. | comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe. | ||
Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der | Feuerbach, dans ses Principes de la philosophie de l'avenir (Grundsätzen der | ||
Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son | Philosophie der Zukunft) en revient toujours à l'être. Il reste ainsi, malgré toute son | ||
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invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il | invincible. Mais l'être ne trouve pas moins en Moi son vainqueur que la pensée : il | ||
est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ». | est mon « je suis » comme elle est mon « je pense ». | ||
Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que | Feuerbach, naturellement, n'aboutit qu'à démontrer cette thèse en soi triviale que | ||
j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il | j'ai besoin des sens ou que je ne puis pas me passer complètement de ces organes. Il | ||
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pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens | pas le système philosophique que, étant Hegel, j'y trouve, etc. J'aurais des sens | ||
comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais. | comme le premier venu en a, mais je ne les emploierais pas comme je le fais. | ||
Feuerbach reproche à Hegel | Feuerbach reproche à Hegel <ref>Loc. cit., p. 47 sqq.</ref> d'abuser de la langue en détournant une foule de | ||
mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet | mots de l'acception naturelle que leur attribue la conscience : lui-même commet | ||
pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi | pourtant la même faute lorsqu'il donne au mot « sensible » (sinnlich)un sens aussi | ||
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qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient | qu'il suffit d'être sensible pour être tout, spirituel, intelligent, etc., qu'ils ne croient | ||
qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain. | qu'on puisse vivre de « spirituel » seul, sans pain. | ||
L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la | L'être ne justifie rien. Le pensé est aussi bien que le non-pensé la pierre dans la | ||
rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent | rue est, et ma représentation d'elle également ; la pierre et sa représentation occupent | ||
simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en | simplement des espaces différents, l'une étant dans l’air et 1'autre dans ma tête, en | ||
moi, car je suis espace comme la rue. | moi, car je suis espace comme la rue. | ||
Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de | Les Membres d'une corporation ou Privilégiés ne tolèrent aucune liberté de | ||
penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien », | penser, c'est-à-dire aucune pensée qui ne vient pas du « dispensateur de tout bien », | ||
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contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui | contre lesquelles, aucune liberté de pensée ne peut le protéger. Il a les pensées qui lui | ||
viennent « d'en haut » et il s'en tient là. | viennent « d'en haut » et il s'en tient là. | ||
Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit. | Il n'en est pas de même pour les Concessionnaires ou Patentés. Chacun doit. | ||
selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la | selon eux, être libre d'avoir et de se faire les pensées qu'il veut. S'il a la patente, la | ||
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qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc. | qu'on doit « montrer de la tolérance pour les opinions des autres », etc. | ||
Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes | Mais « vos pensées ne sont pas mes pensées et vos chemins ne sont pas mes | ||
chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes | chemins » — ou plutôt c’est le contraire que je veux dire : vos pensées sont mes pensées, dont je fais ce que je veux et que je puis renverser impitoyablement : elles sont | ||
ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour | ma propriété, que j'anéantis si cela me plaît. Je n'attends pas votre autorisation pour | ||
souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi | souffler en l'air ou crever les bulles de vos pensées. Peu me chaut que vous aussi | ||
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saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ? | saisir une pour pouvoir s'en prévaloir ensuite contre moi comme de sa propriété ? | ||
Tout ce qui vole est — à moi. | Tout ce qui vole est — à moi. | ||
Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne, | Croyez-vous avoir vos pensées pour vous et n'avoir à en répondre devant personne, | ||
ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ; | ou. comme vous dites, n'avoir à en rendre compte qu'à Dieu ? Il n'en est rien ; | ||
vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir. | vos pensées, grandes et petites, m'appartiennent et j'en use selon mon bon plaisir. | ||
La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule | La pensée ne m'est propre que du moment que je ne me fais jamais aucun scrupule | ||
de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une | de la mettre en danger de mort et que je n'ai pas à redouter sa perte comme une | ||
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qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et | qui l'assujettis et que jamais elle ne peut me courber sous son joug, me fanatiser et | ||
faire de moi l'instrument de sa réalisation. | faire de moi l'instrument de sa réalisation. | ||
La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais | La liberté de penser existe dès que je puis avoir toutes les pensées possibles ; mais | ||
les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes | les pensées ne deviennent ma propriété qu'en perdant le pouvoir de devenir mes | ||
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si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes | si je parviens à faire de ces dernières ma propriété, elles se conduisent comme mes | ||
créatures. | créatures. | ||
Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme, | Si la Hiérarchie n'était pas aussi profondément enracinée dans le coeur de l'homme, | ||
au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire | au point de lui enlever tout courage de poursuivre des pensées libres, c’est-à-dire | ||
peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de | peut-être déplaisantes à Dieu, « liberté de penser » serait une expression aussi vide de | ||
sens que, par exemple, « liberté de digérer ». | sens que, par exemple, « liberté de digérer ». | ||
Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ; | Les gens appartenant à une confession sont d'avis que la pensée m'est donnée ; | ||
d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà | d'après les libres penseurs, je cherche la pensée. Pour les premiers, la vérité est déjà | ||
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grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé | grâce de me l'accorder ; pour les seconds, la vérité est à chercher, elle est un but placé | ||
dans l'avenir et vers lequel je dois tendre. | dans l'avenir et vers lequel je dois tendre. | ||
Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de | Pour les uns comme pour les autres, la vérité (la pensée vraie) est en dehors de | ||
moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain | moi et je m'efforce de l'obtenir soit comme un présent (la grâce), soit comme un gain | ||
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est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la | est patent à tous ; ni la Bible, ni le Saint-Père, ni l'Église ne sont en possession de la | ||
vérité, mais on peut spéculer sur sa possession. | vérité, mais on peut spéculer sur sa possession. | ||
Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent | Tous deux, comme on le voit, sont sans propriété en fait de vérité. Ils ne peuvent | ||
la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ; | la détenir qu'à titre de fief (car le « Saint-Père », par exemple, n'est pas un individu ; | ||
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Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est | Père », c'est-à-dire comme Esprit) — ou l'avoir pour idéal. Si elle est un fief, elle est | ||
réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés). | réservée au petit nombre (privilégiés); si elle est un idéal, elle est pour tous (patentés). | ||
La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur | La liberté de penser a donc le sens que voici : nous errons tous dans l'obscurité sur | ||
les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est | les routes de l'erreur, mais chacun peut par ces voies se rapprocher de la vérité, et est | ||
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Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas | Liberté de penser implique, par conséquent, que la vérité de la pensée ne m'est pas | ||
propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ? | propre, car si elle l'était, comment voudrait-on m'en exclure ? | ||
Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je | Le penser est devenu tout à fait libre et a codifié une foule de vérités auxquelles je | ||
dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur | dois me soumettre. Il cherche à se compléter par un système et à s'élever à la hauteur | ||
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qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il | qu'il ait instauré l’ « État-raison », et dans l'homme (l'anthropologie), jusqu'à ce qu'il | ||
ait « découvert l'Homme ». | ait « découvert l'Homme ». | ||
Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que | Celui qui pense ne diffère de celui qui croit qu'en ce qu'il croit beaucoup plus que | ||
ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui | ce dernier, qui, lui, pense en revanche beaucoup moins à sa foi (articles de foi). Celui | ||
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met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou | met de la liaison entre eux et prend cette liaison pour mesure de leur valeur. Si l'un ou | ||
l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut. | l'autre ne fait pas son affaire, il le met au rebut. | ||
Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent | Les aphorismes chers aux penseurs font exactement le pendant de ceux qu'affectionnent | ||
les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils | les croyants ; au lieu de : « Si cela vient de Dieu, vous ne le détruirez pas, ils | ||
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Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la | Dieu » — « Rendez hommage à la Vérité ». Mais peu m'importe qui de Dieu ou de la | ||
Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi. | Vérité est vainqueur ; ce que je veux, c'est vaincre, Moi. | ||
Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la | Comment peut-on imaginer une « liberté illimitée » dans l'État ou dans la | ||
Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre | Société ? L'État peut bien protéger l'un contre l'autre, mais il ne peut se laisser mettre | ||
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limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la | limites convenables, l'État fixe son but à la liberté de penser, car les gens, c'est la | ||
règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé. | règle, ne pensent pas plus loin que leurs maîtres n'ont pensé. | ||
Écouter ce que dit le ministre Guizot | |||
Écouter ce que dit le ministre Guizot <ref>Chambre des Pairs, 25 avril 1844.</ref>: « La grande difficulté de notre temps, | |||
c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême | c'est la direction, le gouvernement des esprits...; vous le savez bien, et le clergé luimême | ||
le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle | le sait bien, ce grand corps spirituel ne peut suffire aujourd'hui à une telle | ||
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du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de | du roi, d'y veiller sans cesse... La Charte veut la libert. de la pensée et la liberté de | ||
conscience. » | conscience. » | ||
Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à | Le Catholicisme appelle le candidat au forum de l'Église, et le Protestantisme à | ||
celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le | celui du Christianisme biblique. Le progrès réalisé serait encore assez mince si on le | ||
citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge | citait devant le tribunal de la Raison, comme le veut par exemple A. Ruge <ref>Anekdota, I, 120.</ref>: que | ||
l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs | l'autorité sacrée soit l'Église, la Bible ou la Raison (à laquelle en appelaient d'ailleurs | ||
déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle. | déjà Luther et Huss), cela ne fait aucune différence essentielle. | ||
La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La | La « question de notre temps » ne sera pas soluble tant qu'on la posera ainsi : La | ||
légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul | légitimité a-t-elle sa source dans une généralité quelle qu'elle soit ou dans le seul | ||
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s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux | s'inquiète plus d'une « autorisation » et qu'on ne fait plus simplement la guerre aux | ||
« privilèges ». | « privilèges ». | ||
Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience | Une liberté d'enseignement « raisonnable », qui « ne reconnaît que la conscience | ||
de la raison | de la raison <ref>Ibid., I, 127.</ref> », ne nous mène pas au but ; nous avons bien plus besoin d'une liberté | ||
d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre | d'enseigner égoïste, se pliant à toute individualité, par laquelle je puisse me rendre | ||
compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible, | compréhensible et m'exposer sans que rien m'en empêche. Que je me fasse intelligible, | ||
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et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en | et si je me comprends ainsi moi-même, les autres jouiront de moi comme j'en | ||
jouis et me consommeront comme je me consomme. | jouis et me consommeront comme je me consomme. | ||
Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois | Que gagnerait-on à voir aujourd'hui le moi raisonnable libre comme le fut autrefois | ||
le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ? | le moi croyant, légal, moral, etc. Cette liberté est-elle ma liberté ? | ||
Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la | Si je ne suis libre qu'en tant que « moi raisonnable », c'est le raisonnable ou la | ||
raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis | raison qui est libre en moi, et cette liberté de la raison ou liberté de la pensée a depuis | ||
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jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ; | jouir de la pensée, je veux être plein de pensées et cependant affranchi des pensées ; | ||
je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser. | je me veux libre de pensées au lieu de libre de penser. | ||
Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire | Pour me faire comprendre et pour communiquer avec les autres, je ne puis faire | ||
usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis | usage que de moyens humains, moyens dont je dispose parce que comme eux je suis | ||
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hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la | hommes, ce trésor de la pensée humaine. La langue, ou « le mot », exerce sur nous la | ||
plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes. | plus affreuse tyrannie parce qu'elle conduit contre nous toute une armée d'idées fixes. | ||
Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux | Examine-toi au moment précis où tu réfléchis et tu t'apercevras que tu ne peux | ||
avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement | avancer que si tu es à chaque instant sans pensée et sans parole. Ce n'est pas seulement | ||
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vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user | vis-à-vis du penser, que tu es à toi. C'est seulement grâce à elle que tu arriveras à user | ||
du langage comme de ta propriété. | du langage comme de ta propriété. | ||
Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de | Si le penser n'est pas mon penser, il n'est que le dévidement d'un écheveau de | ||
pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de | pensées, c'est une besogne d'esclave, d' « esclave des mots ». Le commencement de | ||
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(par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée | (par exemple, l'être). Quand on tient le bout de cette abstraction ou de cette pensée | ||
initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide. | initiale, il ne reste plus qu'à tirer sur le fil pour que tout l'écheveau se dévide. | ||
Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi | Le penser absolu est le fait de l'esprit humain, et celui-ci est un Esprit saint. Aussi | ||
ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des | ce penser est-il le fait des prêtres ; eux seuls en ont l' « intelligence » et ont le sens des | ||
« intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ». | « intérêts suprêmes de l'humanité », de l' « Esprit ». | ||
Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur, | Les vérités sont pour le croyant une chose accomplie, un fait ; pour le libre penseur, | ||
elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute | elles sont une chose qui doit encore être décidée. Quelque débarrassé de toute | ||
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Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux | Esprit. Mais tout penser qui ne pèche pas contre le Saint-Esprit n'est qu'une foi aux | ||
esprits et aux fantômes. | esprits et aux fantômes. | ||
Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de | Je ne puis pas plus me défaire de la pensée que de la sensation, ni de l'activité de | ||
l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le | l'esprit que de l'activité des sens. De même que le sentir est notre vision des choses, le | ||
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leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent | leur supériorité et leur force. Les hommes à convictions sont des prêtres qui résistent | ||
aux pièges de Satan. | aux pièges de Satan. | ||
Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous | Le Christianisme n'a enlevé aux choses de ce monde que leur irrésistibilité et nous | ||
a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance, | a laissés sous leur dépendance. Je fais de même à l'égard des vérités et de leur puissance, | ||
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moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de | moyen des richesses du monde, mais par leurs pensées. par le « resplendissement de | ||
l'idée ». | l'idée ». | ||
Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés. | Après les biens du monde, tous les biens sacrés doivent aussi être dépréciés. | ||
Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte]; | Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots [en Grec dans le texte]; | ||
reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la | reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la | ||
logique, la science, la philosophie. | logique, la science, la philosophie. | ||
J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les | J'emploie les vérités et les mots pour penser et pour parler comme j'emploie les | ||
aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger. | aliments pour manger ; sans elles et sans eux je ne puis ni penser, ni parler, ni manger. | ||
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quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de | quoique mes propres créatures, elles s'éloignent de moi aussitôt après l'acte de | ||
création. | création. | ||
L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté | L'homme chrétien est celui qui a foi dans la pensée, celui qui croit à la souveraineté | ||
des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ». | des pensées et veut faire régner certaines pensées qu'il appelle « principes ». | ||
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vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à | vérité », toujours il fondera un culte, toujours il proclamera un Esprit appelé à | ||
la souveraineté et établira une loi pour tous. | la souveraineté et établira une loi pour tous. | ||
Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces | Tant qu'il reste une seule vérité à laquelle l'homme doit vouer sa vie et ses forces | ||
parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il | parce qu'il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il | ||
reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre. | reste serf. L'Homme, l'Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre. | ||
On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient | On peut dire au contraire : si tu veux continuer à t'occuper des pensées, il ne tient | ||
qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable, | qu'à toi ; sache seulement que si tu veux y parvenir à quelque chose de considérable, | ||
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t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à | t'occuper de pensées (idées, vérités); si pourtant tu le veux, tu feras bien de mettre à | ||
profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets. | profit ce que les autres ont déjà dépensé de forces pour mouvoir ces pesants objets. | ||
Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment | Ainsi donc, celui qui veut penser s'impose par là même consciemment ou inconsciemment | ||
une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le | une tâche, mais cette tâche, rien ne l'oblige à l'accepter, car nul n'a le | ||
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occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes | occuper comme d'un saint article de foi à la façon des théologiens ou des philosophes | ||
: tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé. | : tu peux hardiment en détourner ton intérêt et lui donner congé. | ||
Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion, | Les esprits prêtres traiteront assurément ce désintérêt de paresse d'esprit, d'irréflexion, | ||
d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême | d'apathie, etc. ; ne t'occupe pas de ces niaiseries. Rien, aucun « intérêt suprême | ||
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en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces | en savent d'autant mieux ce qu'ils veulent, et ils se demandent de toutes leurs forces | ||
comment ils doivent s'y prendre pour y arriver. | comment ils doivent s'y prendre pour y arriver. | ||
Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et | Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir. Mais la puissance des pensées et | ||
des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot | des idées, la domination des théories et des principes, l'empire de l'Esprit, en un mot | ||
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plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au | plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au | ||
nom d'un principe. | nom d'un principe. | ||
Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable » | Chacun critique, mais le critérium diffère. On est à la recherche du « véritable » | ||
critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une | critérium. Ce critérium est l’hypothèse première. Le critique part d'un axiome, d'une | ||
vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique | vérité, d'une croyance ; celle-ci n'est pas une création du critique, mais du dogmatique; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps, | ||
; elle est ordinairement tout bonnement empruntée telle quelle à la culture du temps, | |||
ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a | ainsi, par exemple, la « liberté », l’ « humanité », etc. Ce n'est pas le critique qui a | ||
« découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le | « découvert l'Homme », l' « Homme » a été solidement établi comme vérité par le | ||
dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette | dogmatique, et le critique, qui peut d'ailleurs être la même personne, croit à cette | ||
vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique. | vérité, à cet article de foi. C'est dans cette foi, et possédé par cette foi, qu'il critique. | ||
Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force. | Le secret de la critique est une « vérité »: tel est l'arcane de sa force. | ||
Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre | Je fais cependant une distinction entre la critique officieuse et la critique propre | ||
ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert | ou égoïste. Si je critique en partant de l'hypothèse d'un Être suprême, ma critique sert | ||
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partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera | partageront en fidèles et infidèles, etc.: si le critique croit à l'Homme, il commencera | ||
par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc. | par tout ranger sous les deux rubriques Hommes et non-Hommes, etc. | ||
La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout | La critique est jusqu'à présent restée une oeuvre d'amour, car nous l'avons de tout | ||
temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un | temps exercée pour l'amour de l'un ou l'autre être. Toute critique officieuse est un | ||
produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament : | produit de l'amour, une possession, et obéit au précepte du Nouveau Testament : | ||
« Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon | « Éprouvez toute chose et retenez ce qui est bon <ref>1er épître aux Thessaloniciens, V, 21</ref>» Le « bon » est la pierre de | ||
touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours | touche, le critérium. Le bon, sous mille noms et mille formes différentes, est toujours | ||
resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe. | resté l'hypothèse, le point d'appui dogmatique de la critique, l'idée fixe. | ||
Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la | Le critique présuppose ingénument la « vérité » en se mettant à l'oeuvre, et il la | ||
cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a | cherche, convaincu qu'elle est encore à trouver. Il veut découvrir la vérité, et il a | ||
justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure. | justement pour éclairer ses recherches ce « bon » dont nous parlions tout à l'heure. | ||
L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une | L'hypothèse, la supposition, n'est que le fait de poser une pensée, ou de penser une | ||
certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout | certaine chose sous et avant toute autre ; partant de ce pensé, on pensera ensuite tout | ||
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le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet, | le penser commençait réellement, au lieu d'être commencé, le penser serait un sujet, | ||
une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on | une personne douée d'activité propre comme la plante déjà en est une ; dans ce cas, on | ||
ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même. | ne pourrait évidemment pas nier que le penser doive commencer avec lui-même. | ||
Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables | Mais c'est précisément cette personnification du penser qui est grosse d'innombrables | ||
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ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une | ne pourraient sortir que d'un dogme, c'est-à-dire d'une pensée, d'une idée fixe, d'une | ||
hypothèse. | hypothèse. | ||
Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme | Cela nous ramène à ce que nous avons déjà dit précédemment, que le Christianisme | ||
consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable | consiste dans le développement d'un monde de pensées, ou qu'il est la véritable | ||
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j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique, | j'ai appelée « officieuse », est de même et pour la même raison la « libre » Critique, | ||
car elle n'est pas ma propriété. | car elle n'est pas ma propriété. | ||
Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas | Il en est autrement si ce qui est à toi ne devient pas un être pour soi, n'est pas | ||
personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour | personnifié, ne devient pas un « esprit » indépendant de toi. Ton penser n'a pas pour | ||
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possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire | possesseur; elle prouve simplement que le penser n'est qu'une — propriété, c'est-àdire | ||
qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ». | qu'il n'existe ni « penser en soi » ni « esprit pensant ». | ||
Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler | Ce renversement de la façon habituelle de considérer les choses pourrait sembler | ||
une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle | une jonglerie avec des abstractions, si vaine que celles mêmes contre lesquelles elle | ||
est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les | est dirigée ne risqueraient rien à se prêter à cet inoffensif changement ; mais les | ||
conséquences pratiques qui en découlent sont graves. | conséquences pratiques qui en découlent sont graves. | ||
La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais | La conclusion que j'en tire, c'est que l'Homme n'est pas la mesure de tout, mais | ||
que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il | que Je suis cette mesure. Le critique officieux a en vue un autre que lui, une idée qu'il | ||
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m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me | m'amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me | ||
borne à en respirer le parfum. | borne à en respirer le parfum. | ||
On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être | On ne veut pas abandonner la « Vérité », mais la chercher. N'est-elle pas l' « être | ||
suprême | suprême <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>» ? Il ne resterait plus à la « vraie Critique » qu'à se jeter à l'eau, si elle | ||
venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais | venait à perdre la foi en la vérité. Et pourtant la vérité n'est qu'une — pensée ; mais | ||
elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les | elle n'est pas une pensée tout court, elle est la pensée qui plane par-dessus toutes les | ||
pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie | pensées, elle est la pensée irrécusable, elle est la Pensée même, celle qui sanctifie | ||
toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La | toutes les autres, la consécration des pensées, la Pensée « absolue », « sacrée ». La | ||
vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et | vérité tient bon alors que tous les dieux s'en vont, car ce n'est que pour la servir et | ||
pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité » | pour l'amour d'elle qu'on a renversé les dieux et finalement même Dieu. La « Vérité » | ||
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qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité | qu'elle est l'âme immortelle de ce monde périssable de dieux : elle est la divinité | ||
même. | même. | ||
Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La | Je veux répondre à la question de Pilate : « Qu'est-ce que la Vérité ? » — La | ||
vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par | vérité est la pensée libre, l'idée libre, l'esprit libre ; la vérité est ce qui est libre par | ||
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vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur | vers ta puissance, mais vers un puissant que tu pusses adorer (« adorez le Seigneur | ||
notre Dieu »). | notre Dieu »). | ||
La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité | La vérité, mon cher Pilate, est le — maître, et tous ceux qui cherchent la vérité | ||
cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il | cherchent et glorifient le Seigneur. Où est-il, le Seigneur ? Où, sinon dans ta tête ? Il | ||
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voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce | voulait faire l'invisible visible et donner un corps à l'esprit qui engendrèrent ce | ||
fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres. | fantôme et l'effroyable misère qu'est la terreur des spectres. | ||
Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme | Tant que tu crois à la vérité, tu ne crois pas à toi, et tu es un — serf, un homme | ||
religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle | religieux. Toi seul tu es la vérité, ou plutôt tu es plus que la vérité, car sans toi elle | ||
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abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles | abaissement est leur élévation. Leur vérité, c'est toi, c'est le néant que tu es pour elles | ||
et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité. | et dans lequel elles se dissolvent ; leur vérité est leur nullité. | ||
Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au | Ce n'est que lorsqu'ils sont ma propriété que ces esprits, les vérités, parviennent au | ||
repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été | repos ; pour qu'ils soient réels, il faut que, leur existence misérable leur ayant été | ||
Ligne 1 103 : | Ligne 1 139 : | ||
l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma | l'emporte, etc. Jamais la vérité n'a triomphé, elle a toujours été l’instrument de ma | ||
victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte, | victoire, comme le glaive (« le glaive de la vérité »). La vérité est une chose morte, | ||
c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême | c'est une lettre, un mot, un matériel que je puis employer. Toute Vérité est pour ellemême | ||
un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon | un cadavre ; si elle vit, ce n'est que comme mon poumon vit, c'est-à-dire selon | ||
la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles | la mesure de ma propre vitalité. Les vérités sont comme le bon grain et l'ivraie : sontelles | ||
bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider. | bon grain, sont-elles ivraie ? Seul je puis en décider. | ||
Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je | Les objets ne sont pour moi que les matériaux que je mets en oeuvre. Partout où je | ||
touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de | touche, je saisis une vérité que je m'adapte. La vérité est à moi, et je n'ai nul besoin de | ||
Ligne 1 118 : | Ligne 1 154 : | ||
Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en | Chrétien ait montré leur néant ; mais elle est vaine parce que sa valeur n'est pas en | ||
elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature. | elle mais en moi. Pour elle, elle est sans valeur. La vérité est une — créature. | ||
Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure | Par votre activité, vous créez d'innombrables oeuvres : vous avez changé la figure | ||
de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée | de la terre et édifié partout des monuments humains ; de même, grâce à votre pensée | ||
Ligne 1 124 : | Ligne 1 161 : | ||
n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux | n'aiderai à les mettre en marche que pour mon usage ; vos vérités non plus je ne veux | ||
que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles. | que les employer, sans me laisser employer par elles et pour elles. | ||
Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus | Toutes les vérités en dessous de Moi me sont les bienvenues ; de vérités au-dessus | ||
de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de | de Moi, de vérités auxquelles je doive me plier, je n'en connais pas. Il n'y a pas de | ||
Ligne 1 129 : | Ligne 1 167 : | ||
l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la | l'essence de l'Homme ne sont au-dessus de Moi ! Oui, de Moi, cette « goutte dans la | ||
cuve », de cet être « infime »! | cuve », de cet être « infime »! | ||
Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il | Vous croyez être d'une audace extraordinaire quand vous affirmez hardiment qu'il | ||
n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui | n'y a pas de « Vérité absolue », attendu, dites-vous, que chaque époque a sa vérité qui | ||
Ligne 1 134 : | Ligne 1 173 : | ||
là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à | là même vous créez proprement une « vérité absolue », une vérité qui ne manque à | ||
aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une. | aucune époque parce que chacune, quelle que soit sa vérité, en a une. | ||
Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des | Suffit-il de dire qu'on a de tout temps pensé et qu'on a, par conséquent, eu des | ||
pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit | pensées et des vérités, autres à chaque époque qu'à l'époque précédente ? Non, on doit | ||
Ligne 1 144 : | Ligne 1 184 : | ||
dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence | dominé — possédé par une pensée. Le dernier-né de cette dynastie est « notre essence | ||
» ou l' « Homme ». | » ou l' « Homme ». | ||
Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre, | Pour toute critique libre, le critérium était une pensée ; pour la critique propre, | ||
égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le | égoïste, le critérium, c'est Moi, Moi l'indicible et, par conséquent, l'impensable (car le | ||
pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui | pensé est toujours exprimable attendu que parole et pensée coïncident). Est vrai ce qui | ||
est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association, | est mien ; est faux ce dont je suis la propriété ; vraie par exemple est l'association, | ||
faux sont l'État et la société <ref>La parenté étymologique qui unit en français les mots SOCIÉTÉ et ASSOCIATION et suppose | |||
l'une résultat de l'autre n'existe pas en allemand : Verein (association) exprime l'idée d'union, de | |||
logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à | coopération volontaire et active, tandis que Gesellschaft (société) implique par sa racine Saal | ||
(salle) réunion passive ou, comme dirait Stirner, parcage en un même endroit ; voyez, pour | |||
l'anatomie de la société, mot de chose, p. 256. (Note du Traducteur.)</ref>. La « libre et vraie » critique travaille à la domination logique d'une pensée, d'une idée, d'un Esprit ; la critique « propre » ne travaille qu'à | |||
ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner | ma jouissance. En cela, elle se rapproche — et nous ne voudrions pas lui épargner | ||
cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de | cette « honte » — de la critique animale de l'instinct. Il en est de moi comme de | ||
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dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle | dépasse toute formule. Ma critique n'est pas « libre », libre vis-à-vis de moi, et elle | ||
n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre. | n'est pas une critique « officieuse », au service d'une idée ; elle m'est propre. | ||
La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que | La véritable critique ou critique humaine ne découvre dans ce qu'elle examine que | ||
la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu | la convenance à et pour l'Homme, le véritable Homme ; par ta critique propre, tu | ||
vérifies si l'objet te convient. | vérifies si l'objet te convient. | ||
La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que | La Critique libre s'occupe d'idées ; aussi est-elle toujours théorétique. Quelle que | ||
soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les | soit sa rage contre les idées, elle ne s'en débarrasse pourtant pas. Elle se bat contre les | ||
Ligne 1 165 : | Ligne 1 210 : | ||
auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les | auxquelles elle s'en prend ne disparaissent pas tout à fait : le souffle de l'aube ne les | ||
met pas en fuite. | met pas en fuite. | ||
Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera | Le critique peut, il est vrai, parvenir à l'ataraxie envers les Idées, mais il n'en sera | ||
jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à | jamais quitte, c'est-à-dire qu'il ne comprendra jamais qu'il n'y a rien de supérieur à | ||
Ligne 1 170 : | Ligne 1 216 : | ||
« vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours | « vocation » de l'homme, à l' « humanité ». Si cette idée de l'humanité reste toujours | ||
irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ». | irréalisée, c'est précisément parce qu'elle reste et doit rester « idées ». | ||
Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le | Mais si je conçois au contraire l'idée comme mon idée, alors elle se trouve par le | ||
fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi, | fait même réalisée, attendu que je suis sa réalité : sa réalité vient de ce que c'est Moi, | ||
le corporel, qui l'ai. | le corporel, qui l'ai. | ||
On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette | On dit que c'est dans l'histoire universelle que se réalise l'idée de Liberté. Cette | ||
idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure | idée est au contraire réelle dès qu'un homme la pense, et elle est réelle dans la mesure | ||
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l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui, | l'idée de Liberté qui se développe, mais ce sont les hommes qui se développent et qui, | ||
en se développant, développent naturellement aussi leur penser. | en se développant, développent naturellement aussi leur penser. | ||
En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore | En résumé, le critique n'est pas encore propriétaire, parce qu'il combat encore | ||
dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas | dans les idées des étrangères puissantes, exactement comme le Chrétien n'est pas | ||
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La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège | La critique ne fait qu'abattre une idée par une autre, par exemple celle du privilège | ||
par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement. | par celle de l'humanité, ou celle de l'égoïsme par celle du désintéressement. | ||
En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la | En somme, c'est le commencement du Christianisme qui reparaît à sa fin dans la | ||
critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais | critique, car ici comme là l’ « égoïsme » est l'ennemi. Ce n'est Moi, l'unique, mais | ||
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ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il | ne fait que s'universaliser, et le fanatisme se complète. Il faut bien qu'il vive et qu'il | ||
exhale sa rage avant de disparaître. | exhale sa rage avant de disparaître. | ||
Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit | Que m'importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien, que ce soit | ||
humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis, | humain on inhumain, libéral ou illibéral du moment que cela mène au but que je poursuis, | ||
du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats | du moment que cela me satisfait, c'est bien. Accablez-le de tous les prédicats | ||
qu'il vous plaira, je m'en moque. | qu'il vous plaira, je m'en moque. | ||
Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant, | Il se peut que moi aussi je rompe avec les pensées que j'ai eues il n'y a qu'un instant, | ||
et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce | et il se peut que je change brusquement ma façon d'agir; mais ce n'est point parce | ||
Ligne 1 213 : | Ligne 1 258 : | ||
ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère | ne me procurent plus une pleine jouissance, et que je doute de ma pensée de naguère | ||
ou ne me plais plus à agir comme je le faisais. | ou ne me plais plus à agir comme je le faisais. | ||
De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je | De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je | ||
fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de | fais ce que je veux, l'esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à l'état de | ||
Ligne 1 223 : | Ligne 1 269 : | ||
Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les | Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les | ||
pensées de l'esprit. | pensées de l'esprit. | ||
Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment | Aucune pensée n'est sacrée, car nulle pensée n'est une « dévotion »; aucun sentiment | ||
n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, | n'est sacré (il n'y a point de sentiment sacré de l'amitié, de saint amour maternel, | ||
Ligne 1 228 : | Ligne 1 275 : | ||
ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la | ma propriété, propriété précaire que Moi-même je détruis comme c'est Moi qui la | ||
crée. | crée. | ||
Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les | Le Chrétien peut se voir dépouillé de toutes les choses ou objets, il peut perdre les | ||
personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de | personnes les plus aimées, ces « objets » de son amour, sans pour cela désespérer de | ||
Ligne 1 233 : | Ligne 1 281 : | ||
peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient | peut rejeter loin de lui toutes les pensées qui étaient chères à son esprit et embrasaient | ||
son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure. | son zèle, il en « regagnera mille fois autant », car lui, leur créateur, demeure. | ||
Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait | Inconsciemment et involontairement, nous tendons tous à l'individualité ; il serait | ||
difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré | difficile d'en trouver un seul parmi nous qui n'ait abandonné quelque sentiment sacré | ||
Ligne 1 246 : | Ligne 1 294 : | ||
un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de | un fanatique de l'idée d'Humanité quand j'ai assez longtemps combattu pour celle de | ||
Christianisme. | Christianisme. | ||
Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier, | Propriétaire des pensées, je protégerai sans doute ma propriété sous mon bouclier, | ||
juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais | juste comme, propriétaire des choses, je ne laisse pas chacun y porter la main ; mais | ||
Ligne 1 255 : | Ligne 1 304 : | ||
« sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose | « sentiments sublimes », le « noble enthousiasme » et la « sainte croyance » suppose | ||
que je suis le propriétaire du tout. | que je suis le propriétaire du tout. | ||
À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci : | À la sentence chrétienne : « Nous sommes tous des pécheurs, j'oppose celle-ci : | ||
Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous | Nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous | ||
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n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire | n'auraient pas recousu une pièce neuve à un vieil habit. Mais ils ne pouvaient faire | ||
autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ». | autrement, car ils considèrent comme leur devoir d'être « Hommes ». | ||
Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit | Nous sommes tous parfaits, et il n'est pas sur toute la terre un seul homme qui soit | ||
un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou | un pécheur ! Comme il y a des fous qui s'imaginent être Dieu le père, Dieu le fils ou | ||
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ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est | ne sont pas l'homme de la lune et eux ne sont pas des pécheurs. Leur péché est | ||
chimérique. | chimérique. | ||
Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins | Mais, objecte-t-on insidieusement, leur démence ou leur possession est du moins | ||
leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur | leur péché ? Leur possession n'est que ce qu'ils ont pu produire et le résultat de leur | ||
développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu | développement, tout comme la foi de Luther dans la Bible était tout ce qu'il avait pu | ||
produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au | produire. Son développement mène l'un dans une maison de santé et conduit l'autre au | ||
Panthéon ou au — Walhalla. | Panthéon ou au — Walhalla. | ||
Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur ! | Il n'y a ni pécheurs ni égoïsme pécheur ! | ||
Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope, | Laisse-moi donc en paix, avec ton « amour de l'Homme »! Glisse-toi, ô philanthrope, | ||
par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de | par la porte entrebâillée des « cavernes du vice », attarde-toi dans la cohue de | ||
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que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es | que des hommes indignes d'amour ! Et d'où sortent-ils ? De ta philanthropie ! Tu t'es | ||
fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout. | fourré en tête le pécheur, et de là vient que tu le trouves ou le supposes partout. | ||
N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le | N'appelle pas les hommes des pécheurs et ils n'en seront pas ; toi seul es le | ||
créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la | créateur des péchés ; c'est toi, qui t'imagines aimer les hommes, qui les jettes dans la | ||
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c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes, | c'est toi qui les éclabousses de la bave de ta possession ; car tu n'aimes pas les hommes, | ||
mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé. | mais l'Homme. Je te le dis : tu n'as jamais vu de pécheurs, tu n'en as que — rêvé. | ||
Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que | Je gaspille ma jouissance de moi, parce que je crois devoir servir un autre que | ||
moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice », | moi, parce que je me crois des devoirs envers lui et me crois appelé au « sacrifice », | ||
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sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par | sauf — et dans tous les cas — Moi. Et ainsi ce n'est pas seulement par l'être ou par | ||
1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique. | 1'action, mais encore par la conscience, que je suis l' — Unique. | ||
Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien. | Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien. | ||
Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu | Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pour quoi on te fait passer, et tu | ||
seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus. | seras plus puissant ; regarde-toi comme plus, et tu seras plus. | ||
Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es | Tu n'es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es | ||
possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier. | possesseur du tien, c'est-à-dire de tout ce que tu as la force de t'approprier. | ||
On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi | On a toujours cru devoir me donner une destination extérieure à moi, et c'est ainsi | ||
qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que | qu'on en vint finalement à m'exhorter à être humain et à agir humainement, parce que | ||
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Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me | Homme que je me développe, et je ne développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me | ||
développe. | développe. | ||
Tel est le sens de l'Unique. | Tel est le sens de l'Unique. | ||
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== Notes et références == | == Notes et références == |
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