Différences entre les versions de « Max Stirner: § 1. Le Libéralisme politique »

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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 1. Le Libéralisme politique}}
{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 1. Le Libéralisme politique}}


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Au XVIIIe siècle, lorsqu'on eut vidé jusqu'à la lie la coupe du pouvoir dit absolu,
Au XVIIIe siècle, lorsqu'on eut vidé jusqu'à la lie la coupe du pouvoir dit absolu,
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le but de l'État, le meurtre comme moyen devient légitime et porte le nom sacré
le but de l'État, le meurtre comme moyen devient légitime et porte le nom sacré
d'« exécution », etc. La sainteté de l'État déteint sur tout ce qui lui est utile.
d'« exécution », etc. La sainteté de l'État déteint sur tout ce qui lui est utile.
La « liberté individuelle », sur laquelle le Libéralisme issu de 89 veille avec un
La « liberté individuelle », sur laquelle le Libéralisme issu de 89 veille avec un
soin jaloux, n'implique nullement la parfaite et totale autonomie de l'individu (autonomie
soin jaloux, n'implique nullement la parfaite et totale autonomie de l'individu (autonomie
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purement spirituelle, attendu que le Chrétien n'est le sujet que de l'Esprit (« Dieu est
purement spirituelle, attendu que le Chrétien n'est le sujet que de l'Esprit (« Dieu est
Esprit »). Cette pure puissance spirituelle, c'est le prince constitutionnel qui seul la
Esprit »). Cette pure puissance spirituelle, c'est le prince constitutionnel qui seul la
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 104
128 L’UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ
représente ; la perte de toute signification personnelle l'a si bien spiritualisé qu'on
représente ; la perte de toute signification personnelle l'a si bien spiritualisé qu'on
peut avec raison ne plus voir en lui qu'un « esprit », l'ombre fantomatique et
peut avec raison ne plus voir en lui qu'un « esprit », l'ombre fantomatique et
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y voyons-nous régner la liberté individuelle, l'indépendance vis-à-vis de tout
y voyons-nous régner la liberté individuelle, l'indépendance vis-à-vis de tout
commandement émanant d'un individu et vis-à-vis de quiconque pourrait donner un
commandement émanant d'un individu et vis-à-vis de quiconque pourrait donner un
ordre en disant « tel est notre plaisir * ». La monarchie constitutionnelle est la
ordre en disant « tel est notre plaisir <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.) </ref>». La monarchie constitutionnelle est la
réalisation parfaite de la vie sociale chrétienne, d'une vie spiritualisée.
réalisation parfaite de la vie sociale chrétienne, d'une vie spiritualisée.
La bourgeoisie est par toute sa conduite foncièrement libérale. Tout empiétement
La bourgeoisie est par toute sa conduite foncièrement libérale. Tout empiétement
sur le domaine d'autrui lui est odieux. Dès que le bourgeois soupçonne qu'il dépend
sur le domaine d'autrui lui est odieux. Dès que le bourgeois soupçonne qu'il dépend
du caprice, du bon plaisir, de la volonté de quelqu'un que n'autorise pas une « puissance
du caprice, du bon plaisir, de la volonté de quelqu'un que n'autorise pas une « puissance
supérieure », il brandit son libéralisme et crie à l' « arbitraire ». Aussi défend-il
supérieure », il brandit son libéralisme et crie à l' « arbitraire ». Aussi défend-il
énergiquement sa liberté contre ce qu'on appelle décret ou ordonnance ** : « Je n'ai
énergiquement sa liberté contre ce qu'on appelle décret ou ordonnance <ref>Ibid.</ref>: « Je n'ai
d'ordres à recevoir de personne ! » Une ordonnance implique que mon devoir peut
d'ordres à recevoir de personne ! » Une ordonnance implique que mon devoir peut
m'être tracé par la volonté d'un autre homme, et nous savons que la loi s'oppose à
m'être tracé par la volonté d'un autre homme, et nous savons que la loi s'oppose à
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disposer de ce qui est mien, et tracer à son gré la limite entre ce qui m'est permis et ce
disposer de ce qui est mien, et tracer à son gré la limite entre ce qui m'est permis et ce
qui m'est défendu.
qui m'est défendu.
La liberté de la presse est une des conquêtes du Libéralisme ; mais s'il combat la
La liberté de la presse est une des conquêtes du Libéralisme ; mais s'il combat la
censure comme un instrument au service du bon plaisir gouvernemental, il n'éprouve
censure comme un instrument au service du bon plaisir gouvernemental, il n'éprouve
cependant aucun scrupule à exercer à son tour la tyrannie à l'aide de « lois sur la
cependant aucun scrupule à exercer à son tour la tyrannie à l'aide de « lois sur la
presse »; d'où
presse »; d'où
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
** Ibid.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 105
L’HOMME 129
il appert que si les Libéraux tiennent à la liberté de la presse, c'est pour eux : leurs
il appert que si les Libéraux tiennent à la liberté de la presse, c'est pour eux : leurs
écrits, ne sortant pas de la légalité, ne risquent pas de tomber sous le coup de la loi.
écrits, ne sortant pas de la légalité, ne risquent pas de tomber sous le coup de la loi.
Ce qui est libéral, c'est-à-dire légal, peut seul être imprimé ; pour le reste, gare aux
Ce qui est libéral, c'est-à-dire légal, peut seul être imprimé ; pour le reste, gare aux
« délits de presse »!
« délits de presse »!
Eh ! oui, la liberté de la presse est assurée, la liberté personnelle est garantie, cela
Eh ! oui, la liberté de la presse est assurée, la liberté personnelle est garantie, cela
saute aux yeux, mais ce qu'on ne voit pas, c'est que la conséquence de toutes ces
saute aux yeux, mais ce qu'on ne voit pas, c'est que la conséquence de toutes ces
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! « Nous n'avons plus d'ordres à recevoir de personne ! » — et nous n’en
! « Nous n'avons plus d'ordres à recevoir de personne ! » — et nous n’en
sommes que plus étroitement asservis à la Loi. Nous sommes les forçats du Droit.
sommes que plus étroitement asservis à la Loi. Nous sommes les forçats du Droit.
Il n'y a plus dans l'État que des « gens libres », qu'oppriment mille contraintes
Il n'y a plus dans l'État que des « gens libres », qu'oppriment mille contraintes
(respects, convictions, etc.). Mais qu'importe ? Celui qui les écrase s'appelle l'État, la
(respects, convictions, etc.). Mais qu'importe ? Celui qui les écrase s'appelle l'État, la
Loi, et jamais un « tel » ou « un tel ».
Loi, et jamais un « tel » ou « un tel ».
D'où vient l'hostilité acharnée de la bourgeoisie contre tout commandement personnel,
D'où vient l'hostilité acharnée de la bourgeoisie contre tout commandement personnel,
c'est-à-dire n'émanant point des « faits », de la « raison », etc.? C'est qu'elle ne
c'est-à-dire n'émanant point des « faits », de la « raison », etc.? C'est qu'elle ne
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l'intérêt de l'Esprit, c'est le raisonnable, le vertueux, le légal, etc. : c'est là « la bonne
l'intérêt de l'Esprit, c'est le raisonnable, le vertueux, le légal, etc. : c'est là « la bonne
cause ». La bourgeoisie veut un maître impersonnel.
cause ». La bourgeoisie veut un maître impersonnel.
Voici d'ailleurs le principe : l'intérêt des faits doit seul gouverner l'homme, notamment
Voici d'ailleurs le principe : l'intérêt des faits doit seul gouverner l'homme, notamment
l'intérêt de la moralité, de la légalité, etc. Aussi nul ne peut-il être lésé dans ses
l'intérêt de la moralité, de la légalité, etc. Aussi nul ne peut-il être lésé dans ses
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non par une personne (le riche, par exemple, opprime le pauvre par l'argent, qui est un
non par une personne (le riche, par exemple, opprime le pauvre par l'argent, qui est un
« fait »).
« fait »).
Il n'y a donc plus qu'un seul maître, l'autorité de l'État ; nul n'est personnellement
Il n'y a donc plus qu'un seul maître, l'autorité de l'État ; nul n'est personnellement
le maître d'autrui, Dès sa naissance, l'enfant appartient à l'État ; ses parents
le maître d'autrui, Dès sa naissance, l'enfant appartient à l'État ; ses parents
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 106
130 L’UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ
ne sont que les représentants de ce dernier, et c'est lui, par exemple, qui ne tolère
ne sont que les représentants de ce dernier, et c'est lui, par exemple, qui ne tolère
pas l'infanticide, qui vaque aux soins du baptême, etc.
pas l'infanticide, qui vaque aux soins du baptême, etc.
Aux yeux paternels de l'État, tous ses enfants sont égaux (égalité civique ou politique)
Aux yeux paternels de l'État, tous ses enfants sont égaux (égalité civique ou politique)
et libres d'aviser aux moyens de remporter sur les autres : ils n'ont qu'à
et libres d'aviser aux moyens de remporter sur les autres : ils n'ont qu'à
concourir.
concourir.
La libre concurrence n'est rien d'autre que le droit que possède chacun de prendre
La libre concurrence n'est rien d'autre que le droit que possède chacun de prendre
position contre les autres, de se faire valoir, de lutter. Le parti de la féodalité s'est
position contre les autres, de se faire valoir, de lutter. Le parti de la féodalité s'est
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bourgeoisie voulait la concurrence libre, l'aristocratie cherchait à restaurer le système
bourgeoisie voulait la concurrence libre, l'aristocratie cherchait à restaurer le système
corporatif et le monopole.
corporatif et le monopole.
Aujourd'hui, la concurrence est victorieuse, comme elle devait l'être, dans sa lutte
Aujourd'hui, la concurrence est victorieuse, comme elle devait l'être, dans sa lutte
contre le système corporatif (voir la suite plus loin).
contre le système corporatif (voir la suite plus loin).
La Révolution a abouti à une Réaction, et cela montre es qu'était en réalité la
La Révolution a abouti à une Réaction, et cela montre es qu'était en réalité la
Révolution. Toute aspiration aboutit en effet à une réaction lorsqu'elle fait un retour
Révolution. Toute aspiration aboutit en effet à une réaction lorsqu'elle fait un retour
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toute réaction, parce que la réflexion pose des bornes, et dégage du « déchaînement »
toute réaction, parce que la réflexion pose des bornes, et dégage du « déchaînement »
et du « dérèglement » primitifs le but précis qu'on a poursuivi, c'est-à-dire le principe.
et du « dérèglement » primitifs le but précis qu'on a poursuivi, c'est-à-dire le principe.
Les mauvais sujets, les étudiants tapageurs et mécréants qui bravent toutes les
Les mauvais sujets, les étudiants tapageurs et mécréants qui bravent toutes les
convenances ne sont à proprement parler que des « philistins » : comme ces derniers,
convenances ne sont à proprement parler que des « philistins » : comme ces derniers,
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devenus « philistins », ils s'y soumettront un jour et s'y conformeront positivement.
devenus « philistins », ils s'y soumettront un jour et s'y conformeront positivement.
Tous leurs actes, toutes leurs pensées, aux uns comme aux autres, visent
Tous leurs actes, toutes leurs pensées, aux uns comme aux autres, visent
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 107
L'HOMME 131
à la « considération », mais le philistin est réactionnaire comparé au garnement.
à la « considération », mais le philistin est réactionnaire comparé au garnement.
L'un est un mauvais sujet rassis, venu à résipiscence, l'autre est un philistin en herbe.
L'un est un mauvais sujet rassis, venu à résipiscence, l'autre est un philistin en herbe.
L'expérience journalière démontre la vérité de cette remarque : les cheveux des pires
L'expérience journalière démontre la vérité de cette remarque : les cheveux des pires
mauvais sujets grisonnent sur des crânes de philistins.
mauvais sujets grisonnent sur des crânes de philistins.
Ce qu'on appelle en Allemagne la Réaction apparaît également comme le prolongement
Ce qu'on appelle en Allemagne la Réaction apparaît également comme le prolongement
réfléchi de l'accès d'enthousiasme provoqué par la guerre pour la liberté.
réfléchi de l'accès d'enthousiasme provoqué par la guerre pour la liberté.
La Révolution n'était pas dirigée contre l'ordre en général, mais contre l'ordre
La Révolution n'était pas dirigée contre l'ordre en général, mais contre l'ordre
établi, contre un état de choses déterminé. Elle renversa un certain gouvernement et
établi, contre un état de choses déterminé. Elle renversa un certain gouvernement et
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est mis à la place de l'ancien, on ne démolit que pour reconstruire, et toute révolution
est mis à la place de l'ancien, on ne démolit que pour reconstruire, et toute révolution
est une — restauration. C'est toujours la différence entre le jeune et le vieux philistin.
est une — restauration. C'est toujours la différence entre le jeune et le vieux philistin.
La Révolution a commencé en petite-bourgeoise par l'élévation du tiers état, de la
La Révolution a commencé en petite-bourgeoise par l'élévation du tiers état, de la
classe moyenne, et elle monte en graine sans être sortie de son arrière-boutique.
classe moyenne, et elle monte en graine sans être sortie de son arrière-boutique.
Celui qui est libre, ce n'est pas l'homme en tant qu'individu, — et lui seul l'homme
Celui qui est libre, ce n'est pas l'homme en tant qu'individu, — et lui seul l'homme
— mais c'est le bourgeois, le « citoyen » *, l'homme politique, lequel n'est pas un
— mais c'est le bourgeois, le « citoyen » <ref>En français dans le texte. (Note du Traducteur.)</ref>, l'homme politique, lequel n'est pas un
homme, mais un exemplaire de l'espèce bourgeoise, un citoyen libre.
homme, mais un exemplaire de l'espèce bourgeoise, un citoyen libre.
Dans la Révolution, ce ne fut pas l'individu qui agit
Dans la Révolution, ce ne fut pas l'individu qui agit
* En français dans le texte. (Note du Traducteur.)
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 108
132 L'UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ
et dont l'action eut une valeur historique, mais un Peuple : la Nation souveraine
et dont l'action eut une valeur historique, mais un Peuple : la Nation souveraine
voulut tout faire. C'est une entité artificielle, imaginaire, une Idée (la Nation n'est rien
voulut tout faire. C'est une entité artificielle, imaginaire, une Idée (la Nation n'est rien
de plus) qui s'y révèle agissante ; les individus n'y sont que les instruments au service
de plus) qui s'y révèle agissante ; les individus n'y sont que les instruments au service
de cette idée et ne sortent pas du rôle de « citoyens ».
de cette idée et ne sortent pas du rôle de « citoyens ».
La Bourgeoisie tient sa puissance, et en même temps ses limites, de la « constitution
La Bourgeoisie tient sa puissance, et en même temps ses limites, de la « constitution
de l'État », d'une charte, d'un prince « légitime » ou « légitimé » qui se dirige et
de l'État », d'une charte, d'un prince « légitime » ou « légitimé » qui se dirige et
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bien bêtes de ne pas faire valoir leurs droits à l'existence, et de se croire à la merci de
bien bêtes de ne pas faire valoir leurs droits à l'existence, et de se croire à la merci de
leur père.
leur père.
Celui qui est convoqué n'a plus à se demander : « Que voulait-on de moi, en m'appelant
Celui qui est convoqué n'a plus à se demander : « Que voulait-on de moi, en m'appelant
?» — mais bien : « Que veux-je, maintenant que je suis présent à l'appel ? » Ni
?» — mais bien : « Que veux-je, maintenant que je suis présent à l'appel ? » Ni
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légalité). La conséquence de ceci serait — si toutefois on pouvait attendre d'un
légalité). La conséquence de ceci serait — si toutefois on pouvait attendre d'un
Parlement rien
Parlement rien
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 109
L'HOMME 133
de pareil — de nous donner des Chambres parfaitement égoïstes, dont le cordon
de pareil — de nous donner des Chambres parfaitement égoïstes, dont le cordon
ombilical moral serait coupé, et qui ne garderaient plus aucun ménagement. Mais les
ombilical moral serait coupé, et qui ne garderaient plus aucun ménagement. Mais les
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comment s'étonner d'y voir toujours étaler tant de demi-égoïsme, d'égoïsme inavoué
comment s'étonner d'y voir toujours étaler tant de demi-égoïsme, d'égoïsme inavoué
et hypocrite ?
et hypocrite ?
Les membres des Parlements ne peuvent franchir les limites que leur tracent la
Les membres des Parlements ne peuvent franchir les limites que leur tracent la
charte, la volonté royale, etc. ; dépasser ces limites, ou tenter de les dépasser, serait
charte, la volonté royale, etc. ; dépasser ces limites, ou tenter de les dépasser, serait
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qui m'entravent ? Qui pourrait souscrire à une doctrine d'un aussi audacieux nihilisme
qui m'entravent ? Qui pourrait souscrire à une doctrine d'un aussi audacieux nihilisme
? Pas moi, en tout cas : je suis un citoyen légal !
? Pas moi, en tout cas : je suis un citoyen légal !
La Bourgeoisie se reconnaît à ce qu'elle pratique une morale étroitement liée à son
La Bourgeoisie se reconnaît à ce qu'elle pratique une morale étroitement liée à son
essence. Ce qu'elle exige avant tout, c'est qu'on ait une occupation sérieuse, une
essence. Ce qu'elle exige avant tout, c'est qu'on ait une occupation sérieuse, une
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clan des « individus » dangereux, au dangereux prolétariat : ce sont des « particuliers
clan des « individus » dangereux, au dangereux prolétariat : ce sont des « particuliers
» qui n'offrent aucune « garantie ». et n'ont »rien à perdre » et rien à risquer.
» qui n'offrent aucune « garantie ». et n'ont »rien à perdre » et rien à risquer.
La famille ou le mariage, par exemple, lient l'homme, et ce lien le case dans la société
La famille ou le mariage, par exemple, lient l'homme, et ce lien le case dans la société
et lui sert de garant ; — mais qui répond de la courtisane ? Le joueur risque tout
et lui sert de garant ; — mais qui répond de la courtisane ? Le joueur risque tout
son avoir sur une carte, il ruine lui et les autres : — pas de garantie !
son avoir sur une carte, il ruine lui et les autres : — pas de garantie !
On pourrait réunir sous le nom de « Vagabonds » tous ceux que le bourgeois tient
On pourrait réunir sous le nom de « Vagabonds » tous ceux que le bourgeois tient
pour suspects, hostiles et dangereux.
pour suspects, hostiles et dangereux.
Tout vagabondage déplaît d'ailleurs au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds
Tout vagabondage déplaît d'ailleurs au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds
de l'esprit, qui, étouffant sous le toit qui abritait leurs pères, s'en vont chercher au loin
de l'esprit, qui, étouffant sous le toit qui abritait leurs pères, s'en vont chercher au loin
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laissent soupçonner leur manque de domicile moral, on les appelle des « brouillons »,
laissent soupçonner leur manque de domicile moral, on les appelle des « brouillons »,
des « têtes chaudes » et des « exaltés ».
des « têtes chaudes » et des « exaltés ».
Tel est le sens étendu qu'il faut attacher à ces mots de Prolétariat et de Paupérisme,
Tel est le sens étendu qu'il faut attacher à ces mots de Prolétariat et de Paupérisme,
Combien on se tromperait, si l'on croyait la Bourgeoisie capable de désirer
Combien on se tromperait, si l'on croyait la Bourgeoisie capable de désirer
l'extinction de la misère (du paupérisme) et de consacrer à ce but tous ses efforts !
l'extinction de la misère (du paupérisme) et de consacrer à ce but tous ses efforts !
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 110
Rien au contraire ne réconforte le bon bourgeois comme cette conviction incomparablement
Rien au contraire ne réconforte le bon bourgeois comme cette conviction incomparablement
consolante qu' « un sage décret de la Providence a réparti une bonne fois et
consolante qu' « un sage décret de la Providence a réparti une bonne fois et
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dans les plus sombres oubliettes ! « Il veut attiser les mécontentements et renverser
dans les plus sombres oubliettes ! « Il veut attiser les mécontentements et renverser
l'ordre établi ! » Tuez ! Tuez !
l'ordre établi ! » Tuez ! Tuez !
Mais justement ces trouble-fête font à peu près le raisonnement suivant : « Les
Mais justement ces trouble-fête font à peu près le raisonnement suivant : « Les
bons bourgeois » s'inquiètent peu de qui les protège eux et leurs principes ; roi absolu,
bons bourgeois » s'inquiètent peu de qui les protège eux et leurs principes ; roi absolu,
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un peu de travail et un peu de naissance, en deux mots, un capital qui produit des
un peu de travail et un peu de naissance, en deux mots, un capital qui produit des
intérêts.
intérêts.
Le capital est ici le fonds, la mise, l'héritage (naissance) ; l'intérêt est la peine
Le capital est ici le fonds, la mise, l'héritage (naissance) ; l'intérêt est la peine
prise pour faire valoir (travail) : le capital travaille. Mais pas d'excès, pas d'ultra, pas
prise pour faire valoir (travail) : le capital travaille. Mais pas d'excès, pas d'ultra, pas
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il faut du travail, mais que ce travail soit peu ou point personnel, que ce soit le travail
il faut du travail, mais que ce travail soit peu ou point personnel, que ce soit le travail
du capital — et des travailleurs asservis.
du capital — et des travailleurs asservis.
Lorsqu'une époque est plongée dans une erreur, toujours les uns bénéficient de
Lorsqu'une époque est plongée dans une erreur, toujours les uns bénéficient de
cette erreur, tandis que les autres en pâtissent. Au Moyen Âge, l'erreur universellement
cette erreur, tandis que les autres en pâtissent. Au Moyen Âge, l'erreur universellement
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pour les laïques. « Le malheur, dit-on, rend sage »; aussi les laïques assagis
pour les laïques. « Le malheur, dit-on, rend sage »; aussi les laïques assagis
finirent-ils par ne plus admettre cette « vérité » du Moyen Âge.
finirent-ils par ne plus admettre cette « vérité » du Moyen Âge.
Il en est exactement de même pour la Bourgeoisie et le Prolétariat. Bourgeois et
Il en est exactement de même pour la Bourgeoisie et le Prolétariat. Bourgeois et
ouvriers croient à la « réalité » de l'argent ; ceux qui n'en ont pas sont aussi pénétrés
ouvriers croient à la « réalité » de l'argent ; ceux qui n'en ont pas sont aussi pénétrés
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ses « serviteurs » et leur distribue avec une sage économie quelques sommes (traitements,
ses « serviteurs » et leur distribue avec une sage économie quelques sommes (traitements,
appointements) pour gouverner en son nom ; il en fait ses régisseurs.
appointements) pour gouverner en son nom ; il en fait ses régisseurs.
Je reçois tout de l'État. Puis-je avoir quelque chose sans la permission de l'État ?
Je reçois tout de l'État. Puis-je avoir quelque chose sans la permission de l'État ?
Non, tout ce que je pourrais avoir ainsi, il me l'enlève dès qu'il s'aperçoit que les
Non, tout ce que je pourrais avoir ainsi, il me l'enlève dès qu'il s'aperçoit que les
« titres de propriété » me font défaut. Tout ce que je possède, je le dois à sa clémence.
« titres de propriété » me font défaut. Tout ce que je possède, je le dois à sa clémence.
C'est uniquement là-dessus, sur les titres, que repose la bourgeoisie ; le Bourgeois
C'est uniquement là-dessus, sur les titres, que repose la bourgeoisie ; le Bourgeois
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 111
n'est ce qu'il est que grâce à la bienveillante protection de l'État. Il aurait tout à perdre
n'est ce qu'il est que grâce à la bienveillante protection de l'État. Il aurait tout à perdre
si la puissance de l'État venait à s'effondrer.
si la puissance de l'État venait à s'effondrer.
Mais quelle est la situation de celui qui n'a rien à perdre dans cette banqueroute
Mais quelle est la situation de celui qui n'a rien à perdre dans cette banqueroute
sociale, du Prolétaire ? Comme tout ce qu'il a et ce qu'il pourrait perdre se chiffre par
sociale, du Prolétaire ? Comme tout ce qu'il a et ce qu'il pourrait perdre se chiffre par
zéro, il n'a pour ce zéro nul besoin de la protection de l'État. Il ne pourrait au contraire
zéro, il n'a pour ce zéro nul besoin de la protection de l'État. Il ne pourrait au contraire
qu'y gagner si cette protection venait à manquer aux protégés.
qu'y gagner si cette protection venait à manquer aux protégés.
Aussi celui qui ne possède pas considère-t-il l'État comme une puissance tutélaire
Aussi celui qui ne possède pas considère-t-il l'État comme une puissance tutélaire
de ceux qui possèdent ; cet ange gardien des capitalistes est — un vampire qui lui
de ceux qui possèdent ; cet ange gardien des capitalistes est — un vampire qui lui
suce le sang.
suce le sang.
L'État est un État bourgeois, c'est le status de la Bourgeoisie. Il accorde sa protection
L'État est un État bourgeois, c'est le status de la Bourgeoisie. Il accorde sa protection
à l'homme non en raison de son travail, mais en raison de sa docilité (loyalisme),
à l'homme non en raison de son travail, mais en raison de sa docilité (loyalisme),
suivant qu'il use des droits que l'État lui accorde en se conformant à la volonté,
suivant qu'il use des droits que l'État lui accorde en se conformant à la volonté,
autrement dit aux lois de l'État.
autrement dit aux lois de l'État.
Le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire à ceux qui
Le régime bourgeois livre les travailleurs aux possesseurs, c'est-à-dire à ceux qui
détiennent quelque bien de l'État (et toute fortune est un bien de l'État, appartient à
détiennent quelque bien de l'État (et toute fortune est un bien de l'État, appartient à
l'État et n'est donnée qu'en fief à l'individu), et particulièrement à ceux entre les mains
l'État et n'est donnée qu'en fief à l'individu), et particulièrement à ceux entre les mains
desquels est l'argent, aux capitalistes.
desquels est l'argent, aux capitalistes.
L'ouvrier ne peut tirer de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le
L'ouvrier ne peut tirer de son travail un prix en rapport avec la valeur qu'a le
produit de ce travail pour celui qui le consomme. « Le travail est mal payé ! » Le plus
produit de ce travail pour celui qui le consomme. « Le travail est mal payé ! » Le plus
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paient sans faire la grimace de gros impôts, afin de pouvoir payer d'autant plus misérablement
paient sans faire la grimace de gros impôts, afin de pouvoir payer d'autant plus misérablement
les ouvriers à leur service.
les ouvriers à leur service.
Mais les ouvriers ne sont, en tant qu'ouvriers, pas protégés par l'État ; en tant que
Mais les ouvriers ne sont, en tant qu'ouvriers, pas protégés par l'État ; en tant que
sujets de l'état, ils ont simplement la cojouissance de la « police », qui leur assure ce
sujets de l'état, ils ont simplement la cojouissance de la « police », qui leur assure ce
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». Leur principe, le travail, n'est pas estimé à sa valeur, mais exploité ; il est le
». Leur principe, le travail, n'est pas estimé à sa valeur, mais exploité ; il est le
butin de guerre des riches, de l'ennemi.
butin de guerre des riches, de l'ennemi.
Les ouvriers disposent d'une puissance formidable ; qu'ils parviennent à s'en
Les ouvriers disposent d'une puissance formidable ; qu'ils parviennent à s'en
rendre bien compte et se décident à en user, rien ne pourra leur résister : il suffirait
rendre bien compte et se décident à en user, rien ne pourra leur résister : il suffirait
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qu'ils s'apercevraient être à eux comme ils viennent d'eux. Tel est d'ailleurs le sens
qu'ils s'apercevraient être à eux comme ils viennent d'eux. Tel est d'ailleurs le sens
des meutes ouvrières que nous voyons éclater un peu partout.
des meutes ouvrières que nous voyons éclater un peu partout.
L'État est fondé sur — l'esclavage du travail. Que le travail soit libre, et l'État
L'État est fondé sur — l'esclavage du travail. Que le travail soit libre, et l'État
s'écroule.
s'écroule.


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== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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