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{{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 3. Le Libéralisme humanitaire}} | {{titre|L’Unique et sa propriété|[[Max Stirner]]<br><small>(1845)</small>|§ 3. Le Libéralisme humanitaire}} | ||
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Le Libéralisme trouve son expression complète et définitive dans le Libéralisme | Le Libéralisme trouve son expression complète et définitive dans le Libéralisme | ||
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être utile aux autres et même à la postérité, cela n'enlève point à son travail son | être utile aux autres et même à la postérité, cela n'enlève point à son travail son | ||
caractère égoïste. | caractère égoïste. | ||
En second lieu, puisque lui aussi ne faisait que travailler pour lui-même, pourquoi | En second lieu, puisque lui aussi ne faisait que travailler pour lui-même, pourquoi | ||
son oeuvre serait-elle humaine, alors que celle des autres est inhumaine, c'est-à-dire | son oeuvre serait-elle humaine, alors que celle des autres est inhumaine, c'est-à-dire | ||
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poèmes, nous connaissons tout Schiller, tandis que des centaines et des milliers de | poèmes, nous connaissons tout Schiller, tandis que des centaines et des milliers de | ||
poètes ne nous apprennent à connaître que le fumiste et non l' « homme ». | poètes ne nous apprennent à connaître que le fumiste et non l' « homme ». | ||
Mais cela revient simplement à dire que telle oeuvre me révèle aussi complètement | Mais cela revient simplement à dire que telle oeuvre me révèle aussi complètement | ||
que possible, tandis que telle autre ne témoigne que de la connaissance que j'ai | que possible, tandis que telle autre ne témoigne que de la connaissance que j'ai | ||
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comme étant lui-même, d'être considéré sous tous les autres aspects qui constituent sa | comme étant lui-même, d'être considéré sous tous les autres aspects qui constituent sa | ||
vie ; le désir pour la satisfaction duquel est née son oeuvre était — théorique. | vie ; le désir pour la satisfaction duquel est née son oeuvre était — théorique. | ||
Tu vas répliquer que tu révèles un tout autre homme, un homme plus digne, plus | Tu vas répliquer que tu révèles un tout autre homme, un homme plus digne, plus | ||
haut, plus grand, en un mot plus Homme, que tel ou tel autre. Soit, je veux admettre | haut, plus grand, en un mot plus Homme, que tel ou tel autre. Soit, je veux admettre | ||
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hommes, en puissent faire autant : ce n'est que parce que tu es un homme unique que | hommes, en puissent faire autant : ce n'est que parce que tu es un homme unique que | ||
tu as pu l'accomplir, et en cela tu es unique. | tu as pu l'accomplir, et en cela tu es unique. | ||
Ce n'est pas l'homme qui fait ta grandeur, c'est toi qui la fais parce que tu es plus | Ce n'est pas l'homme qui fait ta grandeur, c'est toi qui la fais parce que tu es plus | ||
qu'un homme et plus puissant que d'autres — hommes. | qu'un homme et plus puissant que d'autres — hommes. | ||
On s'imagine ne pouvoir être plus qu'homme. Être moins qu'homme serait | On s'imagine ne pouvoir être plus qu'homme. Être moins qu'homme serait | ||
pourtant bien plus difficile. | pourtant bien plus difficile. | ||
On s'imagine en outre que tout ce que l'on fait de bien, de beau, de remarquable | On s'imagine en outre que tout ce que l'on fait de bien, de beau, de remarquable | ||
fait honneur à l'homme. Mais si je suis homme, c'est comme Schiller était souabe, | fait honneur à l'homme. Mais si je suis homme, c'est comme Schiller était souabe, | ||
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homme, un Souabe, un Prussien et un myope distingués. Tous ces qualificatifs valent | homme, un Souabe, un Prussien et un myope distingués. Tous ces qualificatifs valent | ||
au fond la canne de Frédéric le Grand, qui n'est célèbre que parce que Frédéric l'est. | au fond la canne de Frédéric le Grand, qui n'est célèbre que parce que Frédéric l'est. | ||
À l'ancien « rendez hommage à Dieu », le Moderne répond « rendez hommage à | À l'ancien « rendez hommage à Dieu », le Moderne répond « rendez hommage à | ||
l'Homme ». Mais mes hommages je compte les garder pour moi. | l'Homme ». Mais mes hommages je compte les garder pour moi. | ||
Lorsque la Critique exhorte les hommes à être « humains », elle formule la condition | Lorsque la Critique exhorte les hommes à être « humains », elle formule la condition | ||
indispensable de la sociabilité ; car ce n'est qu'en tant qu'on est homme parmi les | indispensable de la sociabilité ; car ce n'est qu'en tant qu'on est homme parmi les | ||
hommes que l'on peut vivre avec eux en société. Elle montre aussi son but social, la | hommes que l'on peut vivre avec eux en société. Elle montre aussi son but social, la | ||
fondation de la « société humaine ». | fondation de la « société humaine ». | ||
La Critique est incontestablement la plus parfaite de toutes les théories sociales, | La Critique est incontestablement la plus parfaite de toutes les théories sociales, | ||
parce qu'elle écarte et annihile tout ce qui sépare l'homme de l'homme : tous les | parce qu'elle écarte et annihile tout ce qui sépare l'homme de l'homme : tous les | ||
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foncière inimitié, en luttant corps à corps avec l'Égoïsme sous sa forme la plus | foncière inimitié, en luttant corps à corps avec l'Égoïsme sous sa forme la plus | ||
primitive et par conséquent la plus dure, l'unicité ou l'exclusivisme. | primitive et par conséquent la plus dure, l'unicité ou l'exclusivisme. | ||
« Comment pouvez-vous vivre d'une vie vraiment sociale, tant qu'il reste en vous | « Comment pouvez-vous vivre d'une vie vraiment sociale, tant qu'il reste en vous | ||
la moindre trace d'exclusivisme, la moindre chose qui n'est que vous et rien que | la moindre trace d'exclusivisme, la moindre chose qui n'est que vous et rien que | ||
vous ? | vous ? | ||
Je demande au contraire : Comment pouvez-vous être vraiment uniques, tant qu'il | Je demande au contraire : Comment pouvez-vous être vraiment uniques, tant qu'il | ||
reste entre vous la moindre trace de dépendance, la moindre chose qui n'est pas vous | reste entre vous la moindre trace de dépendance, la moindre chose qui n'est pas vous | ||
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douze vous faites la douzaine, à mille vous formez un peuple, et à quelques millions | douze vous faites la douzaine, à mille vous formez un peuple, et à quelques millions | ||
l'humanité ! | l'humanité ! | ||
« Ce n'est que par votre humanité que vous pouvez avoir commerce les uns avec | « Ce n'est que par votre humanité que vous pouvez avoir commerce les uns avec | ||
les autres en tant qu'hommes, de même que grâce seulement à votre patriotisme vous | les autres en tant qu'hommes, de même que grâce seulement à votre patriotisme vous | ||
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commerce les uns avec les autres en votre nom propre, et être les uns pour les autres | commerce les uns avec les autres en votre nom propre, et être les uns pour les autres | ||
— ce que vous êtes. | — ce que vous êtes. | ||
Le Critique le plus radical est précisément celui que frappe le plus cruellement la | Le Critique le plus radical est précisément celui que frappe le plus cruellement la | ||
malédiction qui pèse sur son principe. À mesure qu'il se dépouille d'un exclusivisme | malédiction qui pèse sur son principe. À mesure qu'il se dépouille d'un exclusivisme | ||
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quelque chose d'exclusif ou de privé, mais qu'est-ce qui peut être en définitive plus | quelque chose d'exclusif ou de privé, mais qu'est-ce qui peut être en définitive plus | ||
exclusif que l'exclusive, l'unique personne elle-même ? | exclusif que l'exclusive, l'unique personne elle-même ? | ||
Peut-être pense-t-il qu'il vaudrait mieux que tous devinssent des « hommes » et | Peut-être pense-t-il qu'il vaudrait mieux que tous devinssent des « hommes » et | ||
abandonnassent leur exclusivisme ? Mais « tous » ne signifie précisément rien d'autre | abandonnassent leur exclusivisme ? Mais « tous » ne signifie précisément rien d'autre | ||
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obligé de se contenter de déclarer que cette personne est une « personne privée » et de | obligé de se contenter de déclarer que cette personne est une « personne privée » et de | ||
se résigner à lui rendre en réalité tout le domaine du privé. | se résigner à lui rendre en réalité tout le domaine du privé. | ||
Que fera la Société, si elle ne s'inquiète plus de rien de privé ? Va-t-elle rendre le | Que fera la Société, si elle ne s'inquiète plus de rien de privé ? Va-t-elle rendre le | ||
privé impossible ? Non, mais elle « le subordonnera aux intérêts de la Société, et permettra | privé impossible ? Non, mais elle « le subordonnera aux intérêts de la Société, et permettra | ||
par exemple aux volontés individuelles de s'accorder autant de jours de congé | par exemple aux volontés individuelles de s'accorder autant de jours de congé | ||
qu'elles le jugeront bon, pourvu que ces volontés individuelles ne se mettent pas en | qu'elles le jugeront bon, pourvu que ces volontés individuelles ne se mettent pas en | ||
contradiction avec l'intérêt général | contradiction avec l'intérêt général <ref>Bruno BAUER : Judenfrage, p. 66. »</ref>. Tout le privé sera abandonné à lui-même : il | ||
ne présente aucun intérêt pour la Société. | ne présente aucun intérêt pour la Société. | ||
« L'irréductible opposition faite à la Science par l'Église et la religiosité prouve | « L'irréductible opposition faite à la Science par l'Église et la religiosité prouve | ||
qu'elles sont (ce qu'elles ont toujours été, quelque illusion qu'on ait pu se faire à leur | qu'elles sont (ce qu'elles ont toujours été, quelque illusion qu'on ait pu se faire à leur | ||
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chacun pourvoira à sa félicité selon qu'il en sentira personnellement le besoin, et | chacun pourvoira à sa félicité selon qu'il en sentira personnellement le besoin, et | ||
choisira et salariera pour veiller sur son âme celui qui lui semblera offrir le plus de | choisira et salariera pour veiller sur son âme celui qui lui semblera offrir le plus de | ||
garanties de succès. Et la Science enfin sera hors de question | garanties de succès. Et la Science enfin sera hors de question <ref>Bruno BAUER : Judenfrage, p. 60.</ref>. » | ||
Qu'arrivera-t-il ? La vie sociale va-t-elle donc finir, et toute sociabilité, toute fraternité, | Qu'arrivera-t-il ? La vie sociale va-t-elle donc finir, et toute sociabilité, toute fraternité, | ||
tout ce qui a été édifié sur le principe d'amour ou de société va-t-il s'effondrer | tout ce qui a été édifié sur le principe d'amour ou de société va-t-il s'effondrer | ||
? | ? | ||
Comme si l'un ne devait pas fatalement toujours rechercher l'autre parce qu'il en a | Comme si l'un ne devait pas fatalement toujours rechercher l'autre parce qu'il en a | ||
besoin, comme si l'autre pouvait ne pas toujours s'offrir à l'un parce qu'il en a besoin ! | besoin, comme si l'autre pouvait ne pas toujours s'offrir à l'un parce qu'il en a besoin ! | ||
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l'un reste le fils, l'autre reste le père, mais ce n'est plus comme fils et père qu'ils tiennent | l'un reste le fils, l'autre reste le père, mais ce n'est plus comme fils et père qu'ils tiennent | ||
l'un à l'autre. | l'un à l'autre. | ||
Le dernier privilège est en vérité l' « Homme », et tous ont ce privilège, tous en | Le dernier privilège est en vérité l' « Homme », et tous ont ce privilège, tous en | ||
jouissent. Car, comme le dit Bruno Bauer lui-même : « Le privilège subsiste quand | jouissent. Car, comme le dit Bruno Bauer lui-même : « Le privilège subsiste quand | ||
même tous y ont part | même tous y ont part <ref>Bruno BAUER : Die gute Sache der Freiheit, pp. 62-63.</ref>. » | ||
Résumons donc les étapes parcourues par le Libéralisme : | Résumons donc les étapes parcourues par le Libéralisme : | ||
Primo : L'individu n'est pas l'Homme, aussi la personnalité individuelle n'a-t-elle | Primo : L'individu n'est pas l'Homme, aussi la personnalité individuelle n'a-t-elle | ||
aucune valeur : donc, pas de volonté personnelle, pas d'arbitraire, plus d'ordres ni | aucune valeur : donc, pas de volonté personnelle, pas d'arbitraire, plus d'ordres ni | ||
d'ordonnances ; | d'ordonnances ; | ||
Secundo : L'individu n'a rien d'humain, aussi le mien et le tien n'ont-ils aucun | Secundo : L'individu n'a rien d'humain, aussi le mien et le tien n'ont-ils aucun | ||
fondement dans la réalité : donc, plus de propriété ; | fondement dans la réalité : donc, plus de propriété ; | ||
Tertio : Attendu que l'individu n'est pas Homme et n'a rien d'humain, il ne doit | Tertio : Attendu que l'individu n'est pas Homme et n'a rien d'humain, il ne doit | ||
être rien du tout ; c'est un égoïste, et la Critique doit supprimer lui et son égoïsme | être rien du tout ; c'est un égoïste, et la Critique doit supprimer lui et son égoïsme | ||
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de cette « renaissance » que prêche le Christianisme : Deviens une nouvelle créature, | de cette « renaissance » que prêche le Christianisme : Deviens une nouvelle créature, | ||
deviens « Homme » ! | deviens « Homme » ! | ||
Tout cela ne fait-il pas songer au Pater Noster ? C'est à l'Homme qu'appartient la | Tout cela ne fait-il pas songer au Pater Noster ? C'est à l'Homme qu'appartient la | ||
Puissance (la force, dunamis), et c'est pourquoi aucun individu ne peut être maître : | Puissance (la force, dunamis), et c'est pourquoi aucun individu ne peut être maître : | ||
c'est l'Homme qui est le maître des individus. — C'est à l'Homme qu'appartient la | c'est l'Homme qui est le maître des individus. — C'est à l'Homme qu'appartient la | ||
Royauté, c'est-à-dire le monde, et c'est pourquoi l'individu ne doit pas être propriétaire | Royauté, c'est-à-dire le monde, et c'est pourquoi l'individu ne doit pas être propriétaire: c'est l'Homme, c'est « Tous », qui possède le monde comme une propriété. — Enfin, | ||
: c'est l'Homme, c'est « Tous », qui possède le monde comme une propriété. — Enfin, | |||
c'est à l'Homme qu'appartient la gloire, la Glorification (doxa), car l'Homme, c'est-àdire | c'est à l'Homme qu'appartient la gloire, la Glorification (doxa), car l'Homme, c'est-àdire | ||
l'humanité, est le but de l'individu, but pour lequel il travaille, pour lequel il | l'humanité, est le but de l'individu, but pour lequel il travaille, pour lequel il | ||
pense et vit, pour la glorification duquel il doit devenir « Homme ». | pense et vit, pour la glorification duquel il doit devenir « Homme ». | ||
Les hommes se sont jusqu'à présent toujours efforcés de découvrir une forme | Les hommes se sont jusqu'à présent toujours efforcés de découvrir une forme | ||
sociale dans laquelle leurs anciennes inégalités ne fussent plus « essentielles ». Le but | sociale dans laquelle leurs anciennes inégalités ne fussent plus « essentielles ». Le but | ||
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Chrétien et le Mahométan, etc., tandis que maintenant l'Homme s'oppose aux hommes, | Chrétien et le Mahométan, etc., tandis que maintenant l'Homme s'oppose aux hommes, | ||
ou, puisque les hommes ne sont pas l'Homme, au non-Homme. | ou, puisque les hommes ne sont pas l'Homme, au non-Homme. | ||
À cette proposition : « Dieu est devenu homme », succède à présent cette autre : | À cette proposition : « Dieu est devenu homme », succède à présent cette autre : | ||
« L'Homme est devenu moi ». C'est là le moi humain. Mais nous disons au contraire : | « L'Homme est devenu moi ». C'est là le moi humain. Mais nous disons au contraire : | ||
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somme tout repose sur moi, et que sans moi l'Homme est perdu. Je ne puis cependant | somme tout repose sur moi, et que sans moi l'Homme est perdu. Je ne puis cependant | ||
me sacrifier sur l'autel de ce Saint des Saints, et désormais je ne me demanderai plus | me sacrifier sur l'autel de ce Saint des Saints, et désormais je ne me demanderai plus | ||
si mes manifestations sont d'un Homme ou d'un non-Homme : que cet Esprit me | si mes manifestations sont d'un Homme ou d'un non-Homme : que cet Esprit me | ||
laisse en paix ! | laisse en paix ! | ||
Le Libéralisme humanitaire n'y va pas de main morte. Que tu veuilles, à n'importe | Le Libéralisme humanitaire n'y va pas de main morte. Que tu veuilles, à n'importe | ||
quel point de vue, être ou avoir quelque chose de particulier, que tu prétendes au | quel point de vue, être ou avoir quelque chose de particulier, que tu prétendes au | ||
moindre avantage que n'ont pas les autres, que tu veuilles t'autoriser d'un droit qui | moindre avantage que n'ont pas les autres, que tu veuilles t'autoriser d'un droit qui | ||
n'est pas un des « droits généraux de l'humanité », et tu es un égoïste. | n'est pas un des « droits généraux de l'humanité », et tu es un égoïste. | ||
Soit, je ne prétends avoir ou être rien de particulier qui me fasse passer avant les | Soit, je ne prétends avoir ou être rien de particulier qui me fasse passer avant les | ||
autres, je ne veux bénéficier à leurs dépens d'aucun privilège, mais — je ne me | autres, je ne veux bénéficier à leurs dépens d'aucun privilège, mais — je ne me | ||
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aucun tort, pas plus que je ne fais de tort au rocher en ayant sur lui le « privilège » du | aucun tort, pas plus que je ne fais de tort au rocher en ayant sur lui le « privilège » du | ||
mouvement. S'il pouvait l'avoir, il l'aurait. | mouvement. S'il pouvait l'avoir, il l'aurait. | ||
Ne pas faire de tort aux autres hommes ! De là découlent la nécessité de ne posséder | Ne pas faire de tort aux autres hommes ! De là découlent la nécessité de ne posséder | ||
aucun privilège, de renoncer à tout « avantage », et la plus rigoureuse doctrine de | aucun privilège, de renoncer à tout « avantage », et la plus rigoureuse doctrine de | ||
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exemple comme juif ou comme chrétien. Fort bien, moi non plus je ne me prends pas | exemple comme juif ou comme chrétien. Fort bien, moi non plus je ne me prends pas | ||
pour quelque chose de particulier ! Je me tiens pour unique ! J'ai bien quelque analogie | pour quelque chose de particulier ! Je me tiens pour unique ! J'ai bien quelque analogie | ||
avec les autres, mais cela n'a d'importance que pour la comparaison et la réflexion | avec les autres, mais cela n'a d'importance que pour la comparaison et la réflexion; en fait, je suis incomparable, unique. Ma chair n'est pas leur chair, mon esprit n'est | ||
; en fait, je suis incomparable, unique. Ma chair n'est pas leur chair, mon esprit n'est | pas leur esprit; que vous les rangiez dans des catégories générales, « la Chair, | ||
pas leur esprit ; que vous les rangiez dans des catégories générales, « la Chair, | |||
l'Esprit », ce sont là de vos pensées, qui n'ont rien de commun avec ma chair et mon | l'Esprit », ce sont là de vos pensées, qui n'ont rien de commun avec ma chair et mon | ||
esprit, et ne peuvent le moins du monde prétendre à me dicter une « vocation ». | esprit, et ne peuvent le moins du monde prétendre à me dicter une « vocation ». | ||
Je ne veux respecter en toi rien, ni le propriétaire, ni le gueux, ni même l'Homme, | Je ne veux respecter en toi rien, ni le propriétaire, ni le gueux, ni même l'Homme, | ||
mais je veux t'employer. | mais je veux t'employer. | ||
J'apprécie que le sel me fait mieux goûter mes aliments, aussi ne me fais-je pas | J'apprécie que le sel me fait mieux goûter mes aliments, aussi ne me fais-je pas | ||
faute d'en user ; je reconnais dans le poisson une nourriture qui me convient, et j'en | faute d'en user ; je reconnais dans le poisson une nourriture qui me convient, et j'en | ||
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poisson l'animalité, et chez toi l'humanité, mais tu n'es jamais à mes yeux que ce que | poisson l'animalité, et chez toi l'humanité, mais tu n'es jamais à mes yeux que ce que | ||
tu es pour moi, c'est-à-dire mon objet, et en tant que mon objet, tu es ma propriété. | tu es pour moi, c'est-à-dire mon objet, et en tant que mon objet, tu es ma propriété. | ||
Le Libéralisme humanitaire est l'apogée de la gueuserie. Nous devons commencer | Le Libéralisme humanitaire est l'apogée de la gueuserie. Nous devons commencer | ||
par descendre jusqu'au dernier échelon du dénuement et de la gueuserie si nous | par descendre jusqu'au dernier échelon du dénuement et de la gueuserie si nous | ||
voulons parvenir à l'individualité ; mais est-il rien de plus misérable que — l'Homme | voulons parvenir à l'individualité ; mais est-il rien de plus misérable que — l'Homme | ||
tout nu ? | tout nu ? | ||
C'est toutefois dépasser la gueuserie que de me dépouiller même de l'Homme, | C'est toutefois dépasser la gueuserie que de me dépouiller même de l'Homme, | ||
après m'être aperçu que lui aussi m'est étranger et n'est pas un titre sur lequel je puisse | après m'être aperçu que lui aussi m'est étranger et n'est pas un titre sur lequel je puisse | ||
Ligne 513 : | Ligne 539 : | ||
le gueux, se dressant dans sa nudité, dépouillé de toute enveloppe étrangère, se | le gueux, se dressant dans sa nudité, dépouillé de toute enveloppe étrangère, se | ||
trouve avoir rejeté même sa gueuserie et cesser d'être un gueux. | trouve avoir rejeté même sa gueuserie et cesser d'être un gueux. | ||
Je ne suis plus un gueux, mais j'en fus un. | Je ne suis plus un gueux, mais j'en fus un. | ||
Si l'on n'est pas, jusqu'à cette heure, parvenu à s'entendre, c'est que toute la | Si l'on n'est pas, jusqu'à cette heure, parvenu à s'entendre, c'est que toute la | ||
bataille s'est livrée entre les partisans d'une « liberté » » parcimonieusement mesurée | bataille s'est livrée entre les partisans d'une « liberté » » parcimonieusement mesurée | ||
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chaque individu, quelle barrière lui opposer ? Comment faire pour libérer l'homme | chaque individu, quelle barrière lui opposer ? Comment faire pour libérer l'homme | ||
sans, du même coup, mettre en liberté le non-homme ? | sans, du même coup, mettre en liberté le non-homme ? | ||
Le Libéralisme, quelle que soit sa nuance, a un ennemi mortel, qui lui est aussi | Le Libéralisme, quelle que soit sa nuance, a un ennemi mortel, qui lui est aussi | ||
irréductiblement opposé que le Diable l'est à Dieu : toujours à côté de l'homme se | irréductiblement opposé que le Diable l'est à Dieu : toujours à côté de l'homme se | ||
dresse le non-homme, et l'égoïste à côté de l'individu. État, Société, Humanité, rien ne | dresse le non-homme, et l'égoïste à côté de l'individu. État, Société, Humanité, rien ne | ||
parvient à déloger ce diable de ses positions. | parvient à déloger ce diable de ses positions. | ||
Le Libéralisme humanitaire a pris à tâche de prouver aux autres Libéraux qu'ils | Le Libéralisme humanitaire a pris à tâche de prouver aux autres Libéraux qu'ils | ||
n'ont pas encore la moindre idée de ce que c'est que vouloir la « liberté ». | n'ont pas encore la moindre idée de ce que c'est que vouloir la « liberté ». | ||
Les autres Libéraux n'apercevaient que l'égoïsme individuel, et le plus grave leur | Les autres Libéraux n'apercevaient que l'égoïsme individuel, et le plus grave leur | ||
échappait ; le Libéralisme radical, lui, dirige ses batteries contre l'égoïsme « en | échappait ; le Libéralisme radical, lui, dirige ses batteries contre l'égoïsme « en | ||
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la cause de la liberté ; d'où, grâce à lui, opposition aujourd'hui complète et hostilité | la cause de la liberté ; d'où, grâce à lui, opposition aujourd'hui complète et hostilité | ||
implacable entre l'homme et le non-homme, représentés l'un par la « Critique » et | implacable entre l'homme et le non-homme, représentés l'un par la « Critique » et | ||
l'autre par la « masse | l'autre par la « masse <ref>Lit. Ztg., V, 23; V, 12 sqq.</ref>», ou, sur le terrain de la théorie, l'un par ce qu'on appellera la | ||
« Critique libre et humaine » (Judenfrage, p. 114) et l'autre par les critiques superficielles | « Critique libre et humaine » (Judenfrage, p. 114) et l'autre par les critiques superficielles | ||
et grossières, telles que, par exemple, la critique religieuse. | et grossières, telles que, par exemple, la critique religieuse. | ||
La Critique proclame son ferme espoir de vaincre la « masse » et de lui donner un | La Critique proclame son ferme espoir de vaincre la « masse » et de lui donner un | ||
« certificat d'indigence | « certificat d'indigence <ref>Lit. Ztg., V, 15.</ref>». Elle prétend finir par avoir raison, et par rabaisser toutes | ||
les dissensions des « tièdes » et des « timides » à n'être plus qu'une chicane égoïste, | les dissensions des « tièdes » et des « timides » à n'être plus qu'une chicane égoïste, | ||
une querelle misérable et mesquine. Et, en fait, toute dispute va perdre son importance, | une querelle misérable et mesquine. Et, en fait, toute dispute va perdre son importance, | ||
Ligne 551 : | Ligne 581 : | ||
d'opérations : toutes deux combattent l'égoïsme, le désavouent et s'en accusent | d'opérations : toutes deux combattent l'égoïsme, le désavouent et s'en accusent | ||
mutuellement. | mutuellement. | ||
La Critique et la masse poursuivent le même but : affranchissement vis-à-vis de | La Critique et la masse poursuivent le même but : affranchissement vis-à-vis de | ||
l'égoïsme, et ne se disputent que pour savoir laquelle des deux approche le plus de ce | l'égoïsme, et ne se disputent que pour savoir laquelle des deux approche le plus de ce | ||
but ou même l'atteint. | but ou même l'atteint. | ||
Juifs, Chrétiens, absolutistes, hommes des ténèbres et hommes du grand jour, | Juifs, Chrétiens, absolutistes, hommes des ténèbres et hommes du grand jour, | ||
Politiques, Communistes, tous se défendent énergiquement contre le reproche d'égoïsme | Politiques, Communistes, tous se défendent énergiquement contre le reproche d'égoïsme; et quand vient la Critique, qui les en accuse carrément et sans ménagements, | ||
; et quand vient la Critique, qui les en accuse carrément et sans ménagements, | |||
tous se disculpent de cette accusation et se mettent à guerroyer contre — l'égoïsme, | tous se disculpent de cette accusation et se mettent à guerroyer contre — l'égoïsme, | ||
l'ennemi même auquel la Critique fait la guerre. | l'ennemi même auquel la Critique fait la guerre. | ||
Ennemis des égoïstes, tous le sont, aussi bien la masse que la Critique, et l'une | Ennemis des égoïstes, tous le sont, aussi bien la masse que la Critique, et l'une | ||
comme l'autre s'efforce de repousser l'égoïsme, tant en se prétendant blanche comme | comme l'autre s'efforce de repousser l'égoïsme, tant en se prétendant blanche comme | ||
neige qu'en noircissant la partie adverse. | neige qu'en noircissant la partie adverse. | ||
Le Critique est le vrai « porte-parole de la masse »; il lui fournit de l'égoïsme | Le Critique est le vrai « porte-parole de la masse »; il lui fournit de l'égoïsme | ||
« une notion simple et les mots pour l'exprimer », tandis que les anciens porte-parole, | « une notion simple et les mots pour l'exprimer », tandis que les anciens porte-parole, | ||
Ligne 574 : | Ligne 604 : | ||
intentionné, qui suit les peureux le fouet à la main pour les forcer à montrer qu'ils ont | intentionné, qui suit les peureux le fouet à la main pour les forcer à montrer qu'ils ont | ||
du coeur. | du coeur. | ||
Aussi toute l'opposition entre la Critique et la masse se réduit-elle au dialogue | Aussi toute l'opposition entre la Critique et la masse se réduit-elle au dialogue | ||
suivant : « Vous êtes des égoïstes ! — Non, nous n'en sommes pas ! — Je vais vous le | suivant : « Vous êtes des égoïstes ! — Non, nous n'en sommes pas ! — Je vais vous le | ||
prouver ! — Tu ne peux nous condamner sans nous entendre ! | prouver ! — Tu ne peux nous condamner sans nous entendre ! | ||
Prenons-les donc, les uns comme les autres, et pour ce qu'ils se prétendent, pour | Prenons-les donc, les uns comme les autres, et pour ce qu'ils se prétendent, pour | ||
des non-égoïstes, et pour ce qu'ils se croient mutuellement, pour des égoïstes : ce sont | des non-égoïstes, et pour ce qu'ils se croient mutuellement, pour des égoïstes : ce sont | ||
des égoïstes et ce n'en sont pas. | des égoïstes et ce n'en sont pas. | ||
La Critique dit bien : Tu dois affranchir si complètement ton moi de toute limitation | La Critique dit bien : Tu dois affranchir si complètement ton moi de toute limitation | ||
qu'il devienne un moi humain. Mais Moi je dis : Affranchis-toi tant que tu | qu'il devienne un moi humain. Mais Moi je dis : Affranchis-toi tant que tu | ||
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que tu abattes les tiennes. Qui a jamais eu le bonheur de reculer la moindre borne, de | que tu abattes les tiennes. Qui a jamais eu le bonheur de reculer la moindre borne, de | ||
lever le moindre obstacle qui fût une barrière pour tous les hommes ? | lever le moindre obstacle qui fût une barrière pour tous les hommes ? | ||
Celui qui renverse une de ses barrières peut avoir par là montré aux autres la route | Celui qui renverse une de ses barrières peut avoir par là montré aux autres la route | ||
et le procédé à suivre ; mais renverser leurs barrières reste leur affaire. Personne, | et le procédé à suivre ; mais renverser leurs barrières reste leur affaire. Personne, | ||
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seules, les miennes, me concernent, et elles seules peuvent être par moi renversées. Je | seules, les miennes, me concernent, et elles seules peuvent être par moi renversées. Je | ||
ne puis être un moi humain, parce que je suis Moi et non purement homme. | ne puis être un moi humain, parce que je suis Moi et non purement homme. | ||
Mais examinons encore une fois si dans ce que nous enseigne la Critique nous ne | Mais examinons encore une fois si dans ce que nous enseigne la Critique nous ne | ||
découvrirons rien à quoi nous puissions nous rallier ! Je ne suis pas libre tant que je | découvrirons rien à quoi nous puissions nous rallier ! Je ne suis pas libre tant que je | ||
ne me dépouille pas de tout intérêt, et je ne suis pas homme tant que je ne suis pas | ne me dépouille pas de tout intérêt, et je ne suis pas homme tant que je ne suis pas | ||
désintéressé. Soit, mais il m'importe en somme assez peu d'être homme et d'être libre, | désintéressé. Soit, mais il m'importe en somme assez peu d'être homme et d'être libre, | ||
tandis qu'il m'importe beaucoup de ne laisser échapper sans en profiter aucune occasion | tandis qu'il m'importe beaucoup de ne laisser échapper sans en profiter aucune occasion | ||
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Critique qui nous y invite : ne laissons s'ancrer, devenir stable, aucune partie de notre | Critique qui nous y invite : ne laissons s'ancrer, devenir stable, aucune partie de notre | ||
propriété, et ne nous trouvons bien que lorsque nous — détruisons. | propriété, et ne nous trouvons bien que lorsque nous — détruisons. | ||
Tu n'es homme, dit la Critique, que si tu critiques, analyses et détruis sans repos | Tu n'es homme, dit la Critique, que si tu critiques, analyses et détruis sans repos | ||
ni trêve ! Et nous disons : Je suis homme sans cela, et qui plus est je suis Moi. Aussi | ni trêve ! Et nous disons : Je suis homme sans cela, et qui plus est je suis Moi. Aussi | ||
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d'indépendance, et je la « consomme » avant qu'elle ait le temps de se cristalliser et de | d'indépendance, et je la « consomme » avant qu'elle ait le temps de se cristalliser et de | ||
devenir « idée fixe » ou « manie ». | devenir « idée fixe » ou « manie ». | ||
Et si j'agis ainsi, ce n'est pas parce que « l'Humanité m'y convie » et m'en fait un | Et si j'agis ainsi, ce n'est pas parce que « l'Humanité m'y convie » et m'en fait un | ||
devoir, mais parce que je m'y convie moi-même. Je ne me raidis point pour renverser | devoir, mais parce que je m'y convie moi-même. Je ne me raidis point pour renverser | ||
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en ne la critiquant pas ! Bref, je n'ai pas de vocation et je n'en suis aucune, | en ne la critiquant pas ! Bref, je n'ai pas de vocation et je n'en suis aucune, | ||
pas même celle d'être homme. | pas même celle d'être homme. | ||
Est-ce à dire que je refuse les bénéfices réalisés dans les différentes directions par | Est-ce à dire que je refuse les bénéfices réalisés dans les différentes directions par | ||
les efforts du Libéralisme ? Oh ! que non ! Gardons-nous de rien laisser perdre de ce | les efforts du Libéralisme ? Oh ! que non ! Gardons-nous de rien laisser perdre de ce | ||
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libéré, je tourne les yeux vers moi-même, et je le proclame hautement : ce que l'homme | libéré, je tourne les yeux vers moi-même, et je le proclame hautement : ce que l'homme | ||
a l'air d'avoir gagné, c'est Moi, et Moi seul, qui l'ai gagné. | a l'air d'avoir gagné, c'est Moi, et Moi seul, qui l'ai gagné. | ||
L'homme est libre quand « l'Homme est pour l'homme l'être suprême ». Il faut | L'homme est libre quand « l'Homme est pour l'homme l'être suprême ». Il faut | ||
donc, pour que l'oeuvre du Libéralisme soit complète et parachevée, que tout autre | donc, pour que l'oeuvre du Libéralisme soit complète et parachevée, que tout autre | ||
être suprême soit anéanti, que la Théologie soit détrônée par l'Anthropologie, qu'on se | être suprême soit anéanti, que la Théologie soit détrônée par l'Anthropologie, qu'on se | ||
moque de Dieu et de la Providence, et que l' « athéisme » devienne universel. | moque de Dieu et de la Providence, et que l' « athéisme » devienne universel. | ||
Que « mon Dieu » même en arrive à n'avoir plus aucun sens, c'est la dernière | Que « mon Dieu » même en arrive à n'avoir plus aucun sens, c'est la dernière | ||
perte que puisse faire l'égoïsme de la propriété, car Dieu n'existe que s'il a à coeur le | perte que puisse faire l'égoïsme de la propriété, car Dieu n'existe que s'il a à coeur le | ||
salut de l'individu, comme celui-ci cherche en lui son salut. | salut de l'individu, comme celui-ci cherche en lui son salut. | ||
Le Libéralisme politique abolit l'inégalité du maître et du serviteur, et fit l'homme | Le Libéralisme politique abolit l'inégalité du maître et du serviteur, et fit l'homme | ||
sans maître, anarchique. Le maître, séparé de l'individu, de l'égoïste, devint un fantôme | sans maître, anarchique. Le maître, séparé de l'individu, de l'égoïste, devint un fantôme: la Loi ou l'État. — Le Libéralisme social à son tour supprima l'inégalité résultant | ||
: la Loi ou l'État. — Le Libéralisme social à son tour supprima l'inégalité résultant | |||
de la possession, l'inégalité du riche et du pauvre et fit l'homme sans biens ou | de la possession, l'inégalité du riche et du pauvre et fit l'homme sans biens ou | ||
sans propriété. La propriété retirée à l'individu revint au fantôme : la Société. — | sans propriété. La propriété retirée à l'individu revint au fantôme : la Société. — | ||
Ligne 644 : | Ligne 683 : | ||
la propriété emporte les soucis qu'elle procurait, et le dieu qui chancelle et s'abat | la propriété emporte les soucis qu'elle procurait, et le dieu qui chancelle et s'abat | ||
comme un vieil arbre arrache du sol ses racines, les préjugés. Mais attendons la fin. | comme un vieil arbre arrache du sol ses racines, les préjugés. Mais attendons la fin. | ||
Le maître ressuscite sous la forme État, et le serviteur reparaît : c'est le citoyen, l'esclave | Le maître ressuscite sous la forme État, et le serviteur reparaît : c'est le citoyen, l'esclave | ||
de la loi, etc. — Les biens sont devenus la propriété de la Société, et la peine, le | de la loi, etc. — Les biens sont devenus la propriété de la Société, et la peine, le | ||
Ligne 655 : | Ligne 694 : | ||
dieu », parce qu'il nous est parfaitement adéquat, étant proprement « nous-même » ; | dieu », parce qu'il nous est parfaitement adéquat, étant proprement « nous-même » ; | ||
nous-même, mais séparé de nous et élevé au-dessus de nous. | nous-même, mais séparé de nous et élevé au-dessus de nous. | ||
POST-SCRIPTUM | |||
== POST-SCRIPTUM == | |||
Les observations qui précèdent sur la « libre critique humaine » et celles que | Les observations qui précèdent sur la « libre critique humaine » et celles que | ||
j'aurai encore à faire par la suite sur les écrits de tendance parallèle ont été notées au | j'aurai encore à faire par la suite sur les écrits de tendance parallèle ont été notées au | ||
Ligne 664 : | Ligne 707 : | ||
écrit le mot fin au bout de mon livre, de jeter un coup d'oeil en arrière et d'intercaler | écrit le mot fin au bout de mon livre, de jeter un coup d'oeil en arrière et d'intercaler | ||
ici quelques remarques en forme de post-scriptum. | ici quelques remarques en forme de post-scriptum. | ||
J'ai devant moi le huitième et dernier fascicule paru de l’Allgemeine | J'ai devant moi le huitième et dernier fascicule paru de l’Allgemeine | ||
Literaturzeitung (Revue générale de la littérature) de Bruno Bauer. | Literaturzeitung (Revue générale de la littérature) de Bruno Bauer. | ||
Dès les premières lignes, il nous est de nouveau parlé des « intérêts généraux de la | Dès les premières lignes, il nous est de nouveau parlé des « intérêts généraux de la | ||
Société ». Mais la Critique s'est recueillie et donne à cette « Société » une signification | Société ». Mais la Critique s'est recueillie et donne à cette « Société » une signification | ||
Ligne 675 : | Ligne 720 : | ||
elle s'est aperçue depuis que l'État, même sous la forme d' « État libre », n'est pas la | elle s'est aperçue depuis que l'État, même sous la forme d' « État libre », n'est pas la | ||
société humaine, ou, pour parler sa langue, que le peuple n'est pas l' « Homme ». | société humaine, ou, pour parler sa langue, que le peuple n'est pas l' « Homme ». | ||
Nous avons vu la Critique faire table rase de la théologie et prouver clairement | Nous avons vu la Critique faire table rase de la théologie et prouver clairement | ||
que le Dieu succombe devant l'Homme ; nous la voyons à présent jeter par-dessus | que le Dieu succombe devant l'Homme ; nous la voyons à présent jeter par-dessus | ||
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spirituels » de rang inférieur pourraient-ils tenir devant l'Esprit suprême ? L' « Homme | spirituels » de rang inférieur pourraient-ils tenir devant l'Esprit suprême ? L' « Homme | ||
» renverse de leur piédestal les idoles fausses. | » renverse de leur piédestal les idoles fausses. | ||
Ce que la Critique se propose pour le moment, c'est l'étude de la « masse », qu'elle | Ce que la Critique se propose pour le moment, c'est l'étude de la « masse », qu'elle | ||
campe en face de l’ « Homme » pour la combattre au nom de ce dernier. Quel est | campe en face de l’ « Homme » pour la combattre au nom de ce dernier. Quel est | ||
actuellement l'objet de la Critique ? — La masse, un être spirituel ! La Critique | actuellement l'objet de la Critique ? — La masse, un être spirituel ! La Critique | ||
« apprendra à la connaître » et découvrira qu'elle est en contradiction avec l'Homme ; | « apprendra à la connaître » et découvrira qu'elle est en contradiction avec l'Homme ; | ||
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preuve qu'elle n'en a eu à démontrer que le divin et le national, autrement dit l'Église | preuve qu'elle n'en a eu à démontrer que le divin et le national, autrement dit l'Église | ||
et l'État, sont la négation même de l'humanité. | et l'État, sont la négation même de l'humanité. | ||
On définira la masse en disant qu'elle est le produit le plus important et le plus | On définira la masse en disant qu'elle est le produit le plus important et le plus | ||
significatif de la Révolution ; c'est la foule abusée pour laquelle les illusions de la | significatif de la Révolution ; c'est la foule abusée pour laquelle les illusions de la | ||
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philistins, etc.), la non-satisfaite est — la masse. Et s'il en est ainsi, le Critique luimême | philistins, etc.), la non-satisfaite est — la masse. Et s'il en est ainsi, le Critique luimême | ||
ne fait-il pas partie de la masse ? | ne fait-il pas partie de la masse ? | ||
Mais les non-satisfaits tâtonnent encore en pleine obscurité, et leur déplaisir se | Mais les non-satisfaits tâtonnent encore en pleine obscurité, et leur déplaisir se | ||
traduit par une « mauvaise humeur sans bornes ». C'est de ceux-là que le Critique, | traduit par une « mauvaise humeur sans bornes ». C'est de ceux-là que le Critique, | ||
Ligne 710 : | Ligne 758 : | ||
classes inférieures du peuple » en ce que ce n'est pas seulement elles, mais lui-même | classes inférieures du peuple » en ce que ce n'est pas seulement elles, mais lui-même | ||
dont il doit apaiser les rancunes. | dont il doit apaiser les rancunes. | ||
Toutefois, l'instinct ne le trompe pas, quand il tient la masse pour « naturellement | Toutefois, l'instinct ne le trompe pas, quand il tient la masse pour « naturellement | ||
opposée à la théorie » et lorsqu'il prévoit que « plus cette théorie prendra d'ampleur, | opposée à la théorie » et lorsqu'il prévoit que « plus cette théorie prendra d'ampleur, | ||
Ligne 717 : | Ligne 766 : | ||
en face de l'Homme, à plus forte raison, qu'elle va n'être plus qu'une simple « masse | en face de l'Homme, à plus forte raison, qu'elle va n'être plus qu'une simple « masse | ||
», un ramassis inhumain ou un troupeau de non-hommes. | », un ramassis inhumain ou un troupeau de non-hommes. | ||
Le Critique en arrive à nier toute humanité : parti de cette hypothèse que l'humain | Le Critique en arrive à nier toute humanité : parti de cette hypothèse que l'humain | ||
est le vrai, il se retourne lui-même contre cette hypothèse en contestant le caractère | est le vrai, il se retourne lui-même contre cette hypothèse en contestant le caractère | ||
Ligne 724 : | Ligne 774 : | ||
« pas humain », le Critique ne fait que formuler explicitement cette tautologie que | « pas humain », le Critique ne fait que formuler explicitement cette tautologie que | ||
l'inhumain n'est pas humain. | l'inhumain n'est pas humain. | ||
Quand l'inhumain se sera résolument tourné le dos à lui-même, que dira-t-il au | Quand l'inhumain se sera résolument tourné le dos à lui-même, que dira-t-il au | ||
critique qui le harcèle, avant de s'éloigner de lui sans s'être laissé émouvoir par ses | critique qui le harcèle, avant de s'éloigner de lui sans s'être laissé émouvoir par ses | ||
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n'étais pas — Unique. Mais aujourd'hui je cesse de me regarder comme l'inhumain, je | n'étais pas — Unique. Mais aujourd'hui je cesse de me regarder comme l'inhumain, je | ||
cesse de me mesurer et de me laisser mesurer à l'aune de l'Homme, je cesse de | cesse de me mesurer et de me laisser mesurer à l'aune de l'Homme, je cesse de | ||
m'incliner devant quelque chose de supérieur à moi, et ainsi — adieu, ô Critique | m'incliner devant quelque chose de supérieur à moi, et ainsi — adieu, ô Critique | ||
humain ! J'ai été l'inhumain, mais je n'ai fait que passer par là, et je ne le suis plus : je | humain ! J'ai été l'inhumain, mais je n'ai fait que passer par là, et je ne le suis plus : je | ||
Ligne 741 : | Ligne 791 : | ||
pas de ceux que l'on peut peser à la balance de l'humanité, du désintéressement, etc., | pas de ceux que l'on peut peser à la balance de l'humanité, du désintéressement, etc., | ||
c'est l'égoïsme de — l'Unique ! | c'est l'égoïsme de — l'Unique ! | ||
Il faut nous arrêter encore à un autre passage du même fascicule : « La Critique | Il faut nous arrêter encore à un autre passage du même fascicule : « La Critique | ||
ne pose aucun dogme et ne veut rien connaître d'autre que les objets. » | ne pose aucun dogme et ne veut rien connaître d'autre que les objets. » | ||
La Critique redoute d'être « dogmatique » et d'édifier des dogmes. Naturellement, | La Critique redoute d'être « dogmatique » et d'édifier des dogmes. Naturellement, | ||
car ce serait là passer aux antipodes de la critique, au dogmatisme, et, comme | car ce serait là passer aux antipodes de la critique, au dogmatisme, et, comme | ||
Ligne 753 : | Ligne 805 : | ||
foi, et le progrès dans le penser sur l'immobilité. Aux yeux du Critique, aucune | foi, et le progrès dans le penser sur l'immobilité. Aux yeux du Critique, aucune | ||
pensée n'est assurée, car toute pensée est elle-même le penser ou l'esprit pensant. | pensée n'est assurée, car toute pensée est elle-même le penser ou l'esprit pensant. | ||
C'est pourquoi, je le répète, le monde religieux — qui est précisément le monde | C'est pourquoi, je le répète, le monde religieux — qui est précisément le monde | ||
des pensées — atteint sa perfection dans la Critique, où le penser est supérieur à toute | des pensées — atteint sa perfection dans la Critique, où le penser est supérieur à toute | ||
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première se résout. Cette pensée supérieure pourrait s'appeler celle du mouvement de | première se résout. Cette pensée supérieure pourrait s'appeler celle du mouvement de | ||
l'esprit ou du procès intellectuel, c'est-à-dire la pensée du penser ou de la critique. | l'esprit ou du procès intellectuel, c'est-à-dire la pensée du penser ou de la critique. | ||
La liberté de penser est en fait ainsi devenue complète ; c'est le triomphe de la | La liberté de penser est en fait ainsi devenue complète ; c'est le triomphe de la | ||
liberté spirituelle, car les pensées individuelles, « égoïstes », perdent leur caractère | liberté spirituelle, car les pensées individuelles, « égoïstes », perdent leur caractère | ||
dogmatique d'impératif. Une seule le conserve, le — dogme du penser libre ou de la | dogmatique d'impératif. Une seule le conserve, le — dogme du penser libre ou de la | ||
critique. | critique. | ||
Contre tout ce qui appartient au monde de la pensée, la Critique a le droit, c'est-àdire | Contre tout ce qui appartient au monde de la pensée, la Critique a le droit, c'est-àdire | ||
la force, pour elle : elle est victorieuse. La Critique, et la Critique seule, « domine | la force, pour elle : elle est victorieuse. La Critique, et la Critique seule, « domine | ||
Ligne 773 : | Ligne 828 : | ||
comme en se jouant toute autre pensée ; tous ces vermisseaux de pensées se tordent, | comme en se jouant toute autre pensée ; tous ces vermisseaux de pensées se tordent, | ||
mais elle les broie malgré leurs contorsions et leurs « détours ». | mais elle les broie malgré leurs contorsions et leurs « détours ». | ||
Je ne suis pas un antagoniste de la critique, autrement dit je ne suis pas un dogmatique, | Je ne suis pas un antagoniste de la critique, autrement dit je ne suis pas un dogmatique, | ||
et je ne me sens pas atteint par les dents du Critique. Si j'étais un dogmatique, | et je ne me sens pas atteint par les dents du Critique. Si j'étais un dogmatique, | ||
Ligne 778 : | Ligne 834 : | ||
et je complèterais ce dogme en me faisant « systématique » et en bâtissant un | et je complèterais ce dogme en me faisant « systématique » et en bâtissant un | ||
système, c'est-à-dire un édifice de pensées. | système, c'est-à-dire un édifice de pensées. | ||
Réciproquement, si j'étais un Critique et le contradicteur du Dogmatique, je conduirais | Réciproquement, si j'étais un Critique et le contradicteur du Dogmatique, je conduirais | ||
le combat du penser libre contre la pensée qui enchaîne, et je défendrais le | le combat du penser libre contre la pensée qui enchaîne, et je défendrais le | ||
penser contre le pensé. Mais je ne suis le champion ni du penser ni d'une pensée, car | penser contre le pensé. Mais je ne suis le champion ni du penser ni d'une pensée, car | ||
mon point de départ est Moi, qui ne suis pas plus une pensée que je ne consiste dans | mon point de départ est Moi, qui ne suis pas plus une pensée que je ne consiste dans | ||
le fait de penser. Contre Moi, l'innommable, se brise le royaume des pensées, du | le fait de penser. Contre Moi, l'innommable, se brise le royaume des pensées, du | ||
penser et de l'esprit. | penser et de l'esprit. | ||
La Critique est la lutte du possédé contre la possession comme telle, contre toute | La Critique est la lutte du possédé contre la possession comme telle, contre toute | ||
possession ; elle naît de la conscience que partout règne la possession ou, comme | possession ; elle naît de la conscience que partout règne la possession ou, comme | ||
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le non-penser me sauve des pensées. Ce n'est pas le penser qui peut me délivrer de la | le non-penser me sauve des pensées. Ce n'est pas le penser qui peut me délivrer de la | ||
possession, mais bien mon absence de pensée, ou Moi, l'impensable, l'insaisissable. | possession, mais bien mon absence de pensée, ou Moi, l'impensable, l'insaisissable. | ||
Un haussement d'épaules me rend les mêmes services que la plus laborieuse | Un haussement d'épaules me rend les mêmes services que la plus laborieuse | ||
méditation, allonger mes membres dissipe l'angoisse des pensées, un saut, un bond | méditation, allonger mes membres dissipe l'angoisse des pensées, un saut, un bond | ||
Ligne 800 : | Ligne 858 : | ||
formidable d'un cri de joie sans pensée ne pouvait être comprise tant que dura | formidable d'un cri de joie sans pensée ne pouvait être comprise tant que dura | ||
la longue nuit du penser et de la foi. | la longue nuit du penser et de la foi. | ||
« Quelle frivolité, et quelle grossière frivolité, de vouloir, par un coq-à-l'âne, | « Quelle frivolité, et quelle grossière frivolité, de vouloir, par un coq-à-l'âne, | ||
résoudre les plus difficiles problèmes et s'acquitter des plus vastes devoirs ! » | résoudre les plus difficiles problèmes et s'acquitter des plus vastes devoirs ! » | ||
Mais as-tu des devoirs, si tu ne te les imposes pas ? Tant que tu t'en imposes tu ne | Mais as-tu des devoirs, si tu ne te les imposes pas ? Tant que tu t'en imposes tu ne | ||
peux en démordre, et je ne nie pas, note-le bien, que tu penses, et qu'en pensant tu | peux en démordre, et je ne nie pas, note-le bien, que tu penses, et qu'en pensant tu | ||
Ligne 822 : | Ligne 882 : | ||
possédés et se retrouvent égoïstes. Si on veut leur faire un reproche, ce ne peut être | possédés et se retrouvent égoïstes. Si on veut leur faire un reproche, ce ne peut être | ||
que le reproche opposé, celui d'être possédés par leurs idées. | que le reproche opposé, celui d'être possédés par leurs idées. | ||
Aucune force égoïste, nulle puissance policière et rien de semblable ne doit entrer | Aucune force égoïste, nulle puissance policière et rien de semblable ne doit entrer | ||
en jeu contre les pensées. C'est ce que croient les dévots de la pensée. Mais le penser | en jeu contre les pensées. C'est ce que croient les dévots de la pensée. Mais le penser | ||
Ligne 828 : | Ligne 889 : | ||
m'était un devoir, c'est ce que j'ai de plus cher que je devrais, nouvel Abraham, lui | m'était un devoir, c'est ce que j'ai de plus cher que je devrais, nouvel Abraham, lui | ||
sacrifier. | sacrifier. | ||
Dans le royaume de la Pensée, qui, comme celui de la foi, est le royaume céleste, | Dans le royaume de la Pensée, qui, comme celui de la foi, est le royaume céleste, | ||
celui-là a assurément tort qui recourt à la force sans pensée, juste comme a tort celui | celui-là a assurément tort qui recourt à la force sans pensée, juste comme a tort celui | ||
Ligne 836 : | Ligne 897 : | ||
Mais, d'autre part, ils y seraient des criminels s'ils prétendaient en sortir et ne plus | Mais, d'autre part, ils y seraient des criminels s'ils prétendaient en sortir et ne plus | ||
s'en reconnaître les sujets. | s'en reconnaître les sujets. | ||
Il en résulte encore que dans leur lutte contre le gouvernement, ceux qui pensent | Il en résulte encore que dans leur lutte contre le gouvernement, ceux qui pensent | ||
ont pour eux le droit, autrement dit la force, tant qu'ils ne combattent que les pensées | ont pour eux le droit, autrement dit la force, tant qu'ils ne combattent que les pensées | ||
Ligne 845 : | Ligne 907 : | ||
de la pensée succombe sous les coups de l'égoïsme. Seul le combat égoïste, le combat | de la pensée succombe sous les coups de l'égoïsme. Seul le combat égoïste, le combat | ||
entre égoïstes peut trancher un différend et tirer une question au clair. | entre égoïstes peut trancher un différend et tirer une question au clair. | ||
Mais c'est là réduire le penser lui-même à n'être plus qu'affaire de bon plaisir | Mais c'est là réduire le penser lui-même à n'être plus qu'affaire de bon plaisir | ||
égoïste, l'affaire de l'unique, ni plus ni moins qu'un simple passe-temps ou qu'une | égoïste, l'affaire de l'unique, ni plus ni moins qu'un simple passe-temps ou qu'une | ||
Ligne 852 : | Ligne 915 : | ||
de l'instaurer, parce qu'elle n'est que la prêtresse du penser et qu'elle n'aperçoit | de l'instaurer, parce qu'elle n'est que la prêtresse du penser et qu'elle n'aperçoit | ||
par-delà le penser que — le déluge. | par-delà le penser que — le déluge. | ||
La Critique soutient bien, par exemple, que la libre critique doit vaincre l'État, | La Critique soutient bien, par exemple, que la libre critique doit vaincre l'État, | ||
mais elle se défend contre le reproche que lui fait le gouvernement de l'État de | mais elle se défend contre le reproche que lui fait le gouvernement de l'État de | ||
Ligne 858 : | Ligne 922 : | ||
n'est que par l'audace ennemie de toute règle et de toute discipline que l'État peut être | n'est que par l'audace ennemie de toute règle et de toute discipline que l'État peut être | ||
vaincu. | vaincu. | ||
Concluons : Nous en avons assez dit pour qu'il paraisse évident que la nouvelle | Concluons : Nous en avons assez dit pour qu'il paraisse évident que la nouvelle | ||
évolution qu'a subie le Critique n'est pas une métamorphose et qu'il n'a fait que | évolution qu'a subie le Critique n'est pas une métamorphose et qu'il n'a fait que | ||
Ligne 865 : | Ligne 930 : | ||
voulait critiquer la Critique, il devrait commencer par examiner s'il y a réellement | voulait critiquer la Critique, il devrait commencer par examiner s'il y a réellement | ||
quelque chose dans l'hypothèse sur laquelle elle est bâtie. | quelque chose dans l'hypothèse sur laquelle elle est bâtie. | ||
Moi aussi je pars d'une hypothèse, attendu que je me suppose ; mais mon hypothèse | Moi aussi je pars d'une hypothèse, attendu que je me suppose ; mais mon hypothèse | ||
ne tend pas à se parfaire comme « l'Homme tend à sa perfection », elle ne me | ne tend pas à se parfaire comme « l'Homme tend à sa perfection », elle ne me | ||
Ligne 874 : | Ligne 940 : | ||
que je suis posé et non supposé, et, encore une fois, je ne suis posé que du moment où | que je suis posé et non supposé, et, encore une fois, je ne suis posé que du moment où | ||
je me pose, c'est-à-dire que je suis à la fois le créateur et la créature. | je me pose, c'est-à-dire que je suis à la fois le créateur et la créature. | ||
Si les hypothèses qui ont eu cours jusqu'à présent doivent se désorganiser et | Si les hypothèses qui ont eu cours jusqu'à présent doivent se désorganiser et | ||
disparaître, elles ne doivent pas se résoudre simplement en une hypothèse supérieure | disparaître, elles ne doivent pas se résoudre simplement en une hypothèse supérieure | ||
telle que la pensée ou le penser même, la Critique. | telle que la pensée ou le penser même, la Critique. | ||
Leur destruction doit m'être profitable à Moi, sinon la solution nouvelle qui naîtra | Leur destruction doit m'être profitable à Moi, sinon la solution nouvelle qui naîtra | ||
de leur mort rentrerait dans la série innombrable de toutes celles qui jusqu'à présent | de leur mort rentrerait dans la série innombrable de toutes celles qui jusqu'à présent | ||
Ligne 883 : | Ligne 950 : | ||
longtemps acceptées que pour édifier sur leurs ruines le trône d'un étranger, d'un | longtemps acceptées que pour édifier sur leurs ruines le trône d'un étranger, d'un | ||
intrus : Homme, Dieu, État ou Morale. | intrus : Homme, Dieu, État ou Morale. | ||
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== Notes et références == | == Notes et références == | ||
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