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{{titre|[[Maurice Bourguin: Les systèmes socialistes et l'évolution économique|Les systèmes socialistes et l'évolution économique]]|[[Maurice Bourguin]]|Avant-propos}}
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Beaucoup d'hommes, et parmi les plus cultivés, se trouvent
attirés aujourd'hui vers le socialisme, par révolte de conscience
contre les inégalités et les misères de nos civilisations industrielles.
Le socialisme s'adresse à leur raison par la rigueur de
sa critique et l'enchaînement scientifique de sa thèse évolutionniste;
il séduit leur imagination par la perspective d'une cité
plus heureuse de justice et de beauté.
Quelle que soit sa croyance, l'homme, en la faisant sienne,
la modèle à son image. Telle doctrine, qui se déforme et se
rapetisse chez les natures vulgaires, se développe, dans un
esprit supérieur, en système scientifique ou en aspiration
d'amour. Pour l'homme de coeur que hante l'image obsédante
de la misère, est-il rêve plus noble que celui du bonheur pour
tous? A quels avantages sociaux ne renoncerait-il pas avec joie,
s'il pouvait croire que la rançon de l'humanité souffrante fût à
ce prix? N'irait-il pas même jusqu'à sacrifier quelque chose de
sa liberté? Assurément, si le socialisme doit être le salut des
misérables, les hommes d'élite iront au socialisme, sans souci
de ce qu'ils pourront y perdre.
Mais des esprits formés à l'école des sciences expérimentales,
ou simplement à celle de la vie, ne sauraient se contenter du
côté purement négatif du socialisme, ni s'abandonner, dans leur
conception de l'avenir, à de vagues rêveries humanitaires, si
généreuses qu'elles soient. Leur socialisme doit être moins
instinctif et mieux précisé que celui d'un imaginatif comme Carlyle, ou d'un artiste comme Ruskin. S'arrétera-t-il à des
réformes partielles, à des améliorations telles qu'on peut les
attendre de la législation protectrice des travailleurs et du
progrès des associations ouvrières? Ira-t-il jusqu'au collectivisme,
ou à tout autre système de transformation sociale?
Aucun homme rénéchi, parmi ceux qui tendent au socialisme,
n'a le droit de se dérober à cette recherche; aucun d'eux ne doit
reculer devant un examen consciencieux des différentes formes
d'organisation socialiste, pour apprécier la valeur des solutions
positives que peut offrir la doctrine.
On a entrepris, dans les pages qui suivent, de procéder à cet
examen, et l'on s'est efforcé de distinguer, parmi les vues
d'avenir des écoles socialistes, celles qui paraissent irréalisables
de celles qui sont au contraire justifiées par l'observation.
Il était nécessaire, tout d'abord, d'étudier les théories, et
d'exposer aussi fidèlement que possible les divers systèmes de
société socialiste, pour soumettre à une critique purement théorique
leur organisation et leur fonctionnement hypothétique. Si
l'on doit découvrir, en effet, par voie d'analyse ou de raisonnement,
quelque vice radical dans la constitution d'un système, il paraît démontré, avant tout examen des faits, que le systéme est condamné à l'avortement. Sur ce terrain, c'est la méthode déductive qui peut seule être employée.
On évitera, dans cette étude, d'enrichir le vocabulaire sociologique
en créant des expressions nouvelles, et l'on se contentera
de celles que peut fournir la langue courante. Mais les
termes économiques ont une signification tellement élastique
qu'il est nécessaire, dès le début, de préciser le sens dans lequel ils seront employés.
J'entendrai ici par socialisme tout système qui implique suppression, réduction ou diffusion des revenus capitalistes, par l'institution de droits collectifs sur les choses au profit de communautés plus ou moins vastes, à côté ou à la place des
droits individuels. Ainsi défini, tout socialisme peut aussi bien
être désigné sous le nom de collectivisme; mais l'expression de collectivisme a pris dans l'usage un sens plus étroit.
Les systèmes socialistes qui ont fait l'objet d'une exposition
systématique à notre époque sont extrêmement nombreux. On
peut les classer à différents points de vue, en s'attachant à l'un
de leurs caractères essentiels.
Suivant que la propriété des moyens de production et la
direction des entreprises appartiennent à l'Etat, aux communes
ou à des associations libres, on distingue le socialisme d'État, le
socialisme communal, et le socialisme corporatif ou sociétaire.
Dans les deux premières formes, l'unité politique est en même
temps un organisme économique, et les services de production
et de circulation sont soumis à une direction autoritaire sur un
territoire déterminé; mais le socialisme communal, à moins de
se combiner avec le socialisme d'État, laisse les communes
régler en liberté leurs relations économiques réciproques. Le
socialisme corporatif, à l'état de pureté, suppose que nul, dans
l'association, ne peut revendiquer un droit individuel sur le
capital collectif, ni réclamer à ce titre un prélèvement sur les
produits; le principe socialiste n'y est même complètement
reconnu que si l'accès de la corporation, avec tous les droits
qu'il comporte, est librement ouvert à tous. Ces différentes
modalités du socialisme peuvent être intégrales ou partielles;
les exploitations industrielles de l'État et des communes, telles
qu'elles existent aujourd'hui, sont des applications partielles du
socialisme d'Etat et du socialisme municipal; une société qui se
composerait exclusivement d'associations de production fondées
sur les principes socialistes réaliserait le type intégral du socialisme
corporatif.
A un autre point de vue, on peut distinguer les systèmes socialistes
suivant leur mode d'organisation de la valeur; les uns
établissent une taxation de la valeur en unités de travail, d'après
le temps de travail social dépensé dans la production; les autres,
conservant le mode actuel de la valeur, lui laissent le caractère
d'un rapport d'échange avec la monnaie métallique régi par
l'offre et la demande. Le régime de la valeur-travail a été surtout appliqué au socialisme d'État; toutefois, on a cherché aussi à
l'introduire dans le socialisme corporatif.
Enfin, on peut encore baser une classification sur le mode de
la répartition;  il est communiste, quand tous les biens, y compris
les objets de consommation, sont communs à tous les membres
de l'État, de la commune ou de l'association, de telle sorte que
les produits sont à la discrétion de tous, ou distribués à chacun
selon ses besoins; collectiviste, quand la propriété commune ne
porte que sur les moyens de production et de circulation, les
moyens de consommation étant au contraire acquis à titre privatif
par les individus en proportion de leur travail.
Parmi ces trois classifications différentes, je m'attacherai de
préférence à la première, en la combinant avec la seconde.
J'exposerai d'abord un système de socialisme d'État intégral
connu sous le nom de collectivisme, dans lequel la valeur est
déterminée en unités de travail. Je lui conserverai sa dénomination
habituelle, sauf à lui appliquer, pour plus de précision,
le terme de collectivisme pur.
Ce système fera l'objet d'une étude particulièrement développée.
Non certes qu'il joue encore, à l'heure actuelle, un
rôle prépondérant dans la doctrine socialiste; il parait au
contraire s'en détacher aujourd'hui, puisque l'un des principaux
représentants du marxisme l'a implicitement répudié dans une
récente publication. Mais le collectivisme basé sur la valeur-travail
est celui de tous les régimes socialistes qui s'écarte le
plus de notre état social; c'est aussi le plus original et le plus
remarquable par son unité; il a occupé une place importante
dans l'histoire du socialisme contemporain, comme étant contenu,
au moins implicitement, dans les oeuvres de ses fondateurs
dernièrement encore, il reprenait une vie nouvelle sous
la plume de deux écrivains dont la pensée ne peut être indifférente.
A ces divers titres, il méritait un examen approfondi.
D'autres formes socialistes ont été passées en revue; formes
moins rigoureuses et moins absolues, qui conservent le
mécanisme de la valeur régie par l'offre et la demande. A part certaines variétés bâtardes du collectivisme, qui cherchent à
concilier le régime de l'offre et la demande avec la monnaie en
bons de travail, et sauf quelques utopies anciennes se rattachant
au socialisme sociétaire, tous les autres systèmes supposent la
monnaie métallique. Je réserverai le nom de socialisme d'État
à celui qui remet tout ou partie de la production à l'État, sans
transformer cependant le mode actuel de la valeur. Bien que
tout collectivisme national puisse être qualifié de socialisme
d'Etat, et réciproquement, il est utile d'appliquer aux deux
formes du socialisme d'État une désignation différente, pour
les distinguer sans recourir à de longues définitions. Il sera
question ensuite du socialisme communal, du socialisme corporatif
et même du coopératisme, qui n'est qu'une variété particulière
du précédent.
Le socialisme communal et le socialisme corporatif se rapprochent
de l'anarchisme, quand les groupes autonomes n'ont de
liaison entre eux que par des contrats librement formés ou par
un fédéralisme très lâche. Mais le véritable anarchisme suppose
encore l'abolition totale de l'État politique, la suppression de
tout organe de police central ou même local, l'absence de toute
loi générale réglant les activités individuelles et collectives; il
suppose aussi un mode de répartition communiste. L'anarchisme
et le communisme resteront en dehors de cette étude. On
n'y traitera pas non plus du socialisme agraire, qui ne vise que
la propriété foncière et n'a pas pour objectif une transformation
totale de la société.
Cette première Partie, consacrée à l'étude critique des systèmes
socialistes, avait été déjà publiée en 1901 dans la Revue
politique et parlementaire; toutefois, elle contient ici des
développements nouveaux sur l'équilibre économique dans la
société collectiviste, sur le socialisme d'État, et sur la position
de l'école marxiste vis-à-vis du collectivisme.
Il ne suffisait pas de présenter les différents types de société socialiste à l'état statique, et de raisonner sur leur constitution
théorique. Pour éprouver la valeur réelle des systèmes, pour
vérifier si le collectivisme, comme le prétendent ses théoriciens,
s'élabore progressivement dans la société présente et doit en
sortir un jour par le mouvement nécessaire des choses, il fallait
encore procéder a un examen général des faits contemporains,
et observer en particulier ceux qui peuvent contenir le germe
d'un ordre nouveau il fallait suivre le développement des
organes qui sont susceptibles de donner à la société une forme
nouvelle. Tel est l'objet de la seconde Partie de ce travail, consacrée
à l'étude des faits et de l'évolution économique.
Le cours naturel de l'évolution sociale, si rapide depuis les
grandes transformations industrielles du XIX siècle, nous
entraîne-t-il vers le collectivisme, ou vers quelque forme
mitigée du socialisme? Nous mène-t-il, au contraire, à un régime
de pur individualisme ou de fédéralisme libertaire? Question
impénétrable, sans doute, au début d'une ère de métamorphoses
plus profondes et plus brusques qu'à aucune autre époque de
l'humanité; mais question si grave et si poignante aussi, que
nous n'en pouvons détacher notre esprit. Or, si nous voulons
avoir quelque lumière sur l'énigme de l'avenir, si nous cherchons
un guide dans nos tâtonnements, nous n'avons d'autre
ressource que d'observer les formes économiques à l'état de
mouvement dans nos sociétés contemporaines, pour essayer d'y
découvrir quelques indices sur leur organisation future.
Ce livre a été écrit pour les hommes préoccupés de la question
sociale, qui cherchent sincèrement à s'orienter dans la
recherche de la vérité. Il n'a pas la prétention de leur fournir
une solution toute faite sous forme de système. Puisse-t-il au
moins leur servir d'auxiliaire, et fortifier en eux le sentiment
que notre seule sauvegarde contre les erreurs et les aventures en
matière sociale se trouve dans l'usage scrupuleux de la méthode
expérimentale.
Janvier1904.




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