Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie IV : L'évolution de l'Etat féodal »

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La même règle s'applique aussi aux peuples de l'Océanie, pour ne pas oublier le dernier des grands cercles formateurs d'Etats : « Nulle part une médiation représentative entre le prince et le peuple ne fait défaut (...) Le principe aristocratique corrige... le principe patriarcal. Le despotisme aigu provient de la pression des classes et des castes plutôt que de la volonté autoritaire d'un individu{{ref|17}}. »
La même règle s'applique aussi aux peuples de l'Océanie, pour ne pas oublier le dernier des grands cercles formateurs d'Etats : « Nulle part une médiation représentative entre le prince et le peuple ne fait défaut (...) Le principe aristocratique corrige... le principe patriarcal. Le despotisme aigu provient de la pression des classes et des castes plutôt que de la volonté autoritaire d'un individu{{ref|17}}. »
==La désagrégation politique et sociale de l'Etat Féodal Primitif==
Nous ne pouvons ici étudier en détail les innombrables nuances que présente à l'examen ethno-historique et juridique la combinaison patriarcale aristocratique (ou ploutocratique) de la forme de gouvernement dans l'Etat Féodal Primitif. Elle n'a d'ailleurs qu'une importance minime pour la marche de l'évolution.
Quelque grande que soit à l'origine la puissance du souverain, un destin inexorable la détruit en peu de temps, et cette destruction s'effectue d'autant plus rapidement que cette puissance était plus grande, c'est-à-dire que le territoire de l'Etat Féodal Primitif de degré supérieur était plus étendu.
Grâce à l'occupation et à la colonisation toujours croissantes de terres incultes par de nouveaux esclaves la puissance du seigneur isolé s'accroît constamment, tendant à le rendre plus fort qu'il ne convient au pouvoir central. Mommsen{{ref|18}} écrit au sujet des Celtes : « Lorsque dans un clan comptant 80.000 hommes en état de porter les armes un seul noble pouvait se présenter à la diète avec une suite de 10.000 hommes, outre les serfs et clients, il est évident que la position de ce seigneur était plutôt celle d'un dynaste indépendant que d'un simple membre du clan. » Il en est de même du ''Heiou'' des Somali, « grand propriétaire foncier qui tient en dépendance sur son domaine des centaines de familles : la comparaison avec nos institutions féodales du Moyen Age s'impose ici involontairement{{ref|19}}. »
Bien qu'une telle élévation de quelques seigneurs isolés puisse se produire déjà dans l'Etat Féodal Primitif, elle n'atteint son plus haut degré que dans l'Etat de rang supérieur, dans le grand Etat Féodal. Elle est le résultat naturel de l'augmentation du pouvoir que confère à la propriété territoriale la délégation de l'autorité.
A mesure que le territoire de l'Etat s'étend, le pouvoir central est amené à céder une plus grande autorité aux gouverneurs des territoires-frontières les plus exposés aux attaques des ennemis du dehors et aux révoltes intérieures. Ces gouverneurs doivent unir au suprême commandement militaire la charge de premier fonctionnaire civil afin de pouvoir maintenir leur district sous la domination de l'Etat. Ils peuvent n'avoir besoin que d'un petit nombre de subordonnés pour le service civil, mais il leur faut toujours une grande force militaire permanente. Comment cette force sera-t-elle soldée ? Seul l'Etat parvenu à l'économie monétaire connaît le système des impôts affluant à une caisse centrale pour être répartis ensuite sur tout le territoire (il existe à cette règle une unique exception dont il sera parlé plus loin). Dans l'Etat Territorial d'économie naturelle, il ne peut être question ni de circulation monétaire ni de contribution en espèces. Le pouvoir central n'a donc d’autres ressources que d'assigner aux comtes, aux margraves ou aux satrapes les revenus de leur district. Ils s'approprient les taxes payées par les sujets, disposent des corvées, reçoivent les droits casuels, les amendes, etc., et doivent en échange entretenir une force armée, tenir une quantité déterminée de troupes à la disposition du pouvoir central, exécuter les constructions de routes et de ponts, donner l'hospitalité au souverain et à sa suite, ainsi qu'aux ''missi dominici'' et enfin servir à la cour une redevance fixe en objets précieux ou en produits d'un transport facile : chevaux, bestiaux, esclaves, métaux de prix, vin, etc.
En d'autres termes, le grand vassal reçoit un immense fief et devient le seigneur territorial le plus puissant de son district comme il en était, généralement déjà le plus important personnage. Il va de soi qu'il agit en cette qualité absolument comme le font ses pairs ne possédant pas de fonctions gouvernementales ; il occupe constamment de nouvelles terres sur lesquelles il établit de nouveaux serfs afin d'augmenter de plus en plus sa force militaire, un but que le pouvoir central ne peut qu'approuver et encourager. C'est la fatalité de l'existence de ces États d'être contraints à nourrir eux-mêmes les puissances locales destinées à les dévorer.
Le margrave peut parfois poser des conditions avant d'accorder son aide militaire, par exemple lors des éternelles querelles de succession. Il obtient alors telle importante concession, tout d'abord la reconnaissance formelle de l'hérédité de ses fonctions et de son fief qui est transformé maintenant en véritable fief féodal. Il devient ainsi toujours plus indépendant ; le mot mélancolique du moujik « le Ciel est haut et le Tzar est loin » est vrai sous tous les climats.
Nous trouvons en Afrique un exemple analogue ; « le royaume des Lunda{{ref|20}} est un Etat Féodal dans toute l'acception du mot. Les chefs (Mouata, Mona, Mouene) agissent à leur guise en ce qui concerne les affaires intérieures tant que cela agrée au Mouata-Yamvo. Généralement les chefs plus puissants résidant au loin envoient une fois l'an à Moussoumba leurs caravanes apportant le tribut : mais les grands seigneurs les plus éloignés de la capitale se dispensent pendant de longues périodes de tout paiement pendant que les chefs moins puissants et résidant plus près de la cour doivent envoyer leurs redevances plusieurs fois par an{{ref|21}}. »
Rien ne peut démontrer plus clairement quel grand rôle politique joue l'éloignement matériel dans ces Etats naturels faiblement coordonnés, et n'ayant qu'un insuffisant système de transport. On pourrait presque dire que l'indépendance des seigneurs féodaux augmente en raison du carré de la distance qui les sépare du siège du pouvoir central. La couronne doit rémunérer leurs services toujours plus chèrement, doit ou leur concéder l'un après l'autre les privilèges de souveraineté, ou tolérer qu'ils s'en emparent : hérédité des fiefs, droits de péage et de commerce (à un plus haut degré aussi le droit de battre monnaie), droit de plaid, droit d'aide, droit d'ost.
Les gouverneurs des provinces frontières parviennent ainsi graduellement à une indépendance de plus en plus complète et finalement à l'entière autonomie : néanmoins le lien officiel de suzeraineté peut continuer longtemps encore à réunir en apparence les principautés de fraîche date. Les exemples de cette marche typique des événements sont innombrables : l'histoire du Moyen Age en présente une chaîne ininterrompue. Non seulement les royaumes mérovingiens et carolingiens, mais encore plus tard la France, l'Allemagne, l'ltalie, l'Espagne, la Pologne, la Bohême, la Hongrie et aussi le Japon et la Chine{{ref|22}} ont parcouru à plusieurs reprises ce processus de désagrégation. Il en a été de même des Etats Féodaux de la Mésopotamie. Les grandes puissances se désagrègent continuellement pour s'agglomérer de nouveau. A propos de la Perse, il est dit en toutes lettres : « Des Etats séparés, des provinces, réussissaient à la suite de soulèvements heureux à conquérir leur indépendance pour une période plus ou moins longue et le Grand Seigneur à Suze n'avait pas toujours le pouvoir de les ramener à l'obéissance ; dans d'autres provinces les satrapes ou les chefs militaires exerçaient un gouvernement despotique, déloyal et arbitraire, soit de leur propre autorité, soit comme princes tributaires ou vice-rois du Grand-Seigneur. Véritable entassement d'Etats et de Territoires sans droit commun, sans administration réglée, sans juridiction en force, sans ordre et sans loi uniforme, l'Empire persan marchait fatalement à la débâcle{{ref|23}}. »
Il n'en était pas autrement de son voisin des Terres du Nil : « les familles d'occupants, les libres seigneurs du sol qui ne payaient tribut qu'au roi deviennent les princes souverains de certains territoires et districts. Ces princes (...) gouvernent les nomes, véritables départements administratifs, distincts de leurs possessions héréditaires. »
« Plus tard les heureuses expéditions guerrières qui remplirent très probablement la période restée inconnue entre l'Ancien et le Nouvel Empire, jointes à l'introduction de prisonniers de guerre que l'on pouvait utiliser comme manœuvres, provoqua une plus stricte exploitation des vaincus et une fixation exacte des redevances. Le pouvoir des Princes des nomes grandit de façon considérable pendant le Moyen Empire et des cours princières s'établirent qui rivalisent de faste avec la cour du Pharaon{{ref|24}}. » « Lors de l'affaiblissement de l'autorité royale pendant la période de décadence les hauts fonctionnaires abusaient égoïstement de leur puissance pour obtenir l'hérédité de leurs charges{{ref|25}}. »
Il va de soi que cette loi « historique » ne s'applique pas seulement aux peuples « historiques ». « En dehors du Radchistan aussi, dit Ratzel, à propos des Etats Féodaux de l'Inde, les nobles jouissent souvent d'une grande indépendance, si bien que à Haiderabad, après que le Nizam eut usurpé le pouvoir, les Oumara ou Nabad entretenaient des troupes indépendantes de son armée. Ces petits princes se conforment encore moins que les grands aux exigences toujours croissantes de l'administration des Etats Indiens{{ref|26}}. »
En Afrique enfin les grandes puissances féodales naissent et disparaissent sans cesse, véritables bulles d'air surgissant des flots éternels de la Destinée pour s'évanouir aussitôt. Le puissant royaume des Achanti a été réduit en un siècle et demi à un cinquième de son ancien territoire{{ref|27}} et nombre des royaumes auxquels se heurtaient jadis les Portugais ont disparu sans laisser de traces. Et pourtant c'étaient aussi de forts empires féodaux. « Les royaumes nègres fastueux et sanguinaires tels que le Benin, le Dahomey ou le royaume des Achanti, avec leur entourage de tribus sans organisation politique, offrent maint point de comparaison avec l'ancien Pérou et le Mexique. L'aristocratie héréditaire et exclusive des Mfoumous chargés principalement de l'administration des districts, et auprès d'elle la noblesse fonctionnaire plus éphémère, constituaient à Loango de puissants soutiens de l'autorité souveraine{{ref|28}}. »
Lorsque le grand royaume originaire s'est désagrégé ainsi en un certain nombre d'Etats secondaires indépendants les uns des autres de fait ou de droit, l'éternel processus recommence. Le plus grand dévore le plus petit jusqu'à ce que se forme un nouvel empire.
« Les plus puissants seigneurs fonciers deviennent plus tard empereurs », dit laconiquement Meitzen à propos de l'Allemagne{{ref|29}}. Mais ces grands domaines des familles régnantes fondent et se volatilisent aussi par suite de la nécessité où sont les princes de céder en fiefs aux vassaux belliqueux la souveraineté du sol. « Les rois eux-mêmes avaient épuisé tout ce qu'ils pouvaient donner ; leurs grandes possessions du Delta avaient fondu comme la neige au soleil », dit Schneider des Pharaons de la VIe dynastie. Et les domaines des Mérovingiens et des Carolingiens disparurent de la même manière dans le royaume des Francs comme en Allemagne ceux des maisons de Saxe et de Souabe{{ref|30}}. Les faits à l'appui sont trop connus pour qu'il soit nécessaire de les citer.
Nous rechercherons plus loin quelles sont les forces qui ont libéré finalement l'Etat Féodal Primitif de l'engrenage de ce cercle magique dans lequel l'agglomération alterne sans fin avec la désagrégation. Nous avons à considérer maintenant, après le côté politique, le côté social de ce phénomène historique qui transforme de la façon la plus décisive l'organisation de classe.
L'homme franc, constituant la couche inférieure du groupe dominateur, est atteint partout avec une violence inouïe. ''Il tombe au servage''. Sa déchéance va forcément de pair avec celle du pouvoir  ! Tous deux également menacés par les empiètements des grands seigneurs territoriaux sont des alliés naturels en face de l'ennemi commun. La royauté ne peut dominer les grands vassaux que tant que le ban des hommes libres se trouvant sur leur district est supérieur en nombre aux hommes d'armes qui composent leur suite. Mais l'implacable nécessité, que nous avons déjà reconnue, force la couronne à livrer les paysans au seigneur en même temps qu'elle augmente sa puissance. Dès que la suite seigneuriale est plus forte que le ban royal, c'en est fait du paysan libre. Lorsque la souveraineté politique a été déléguée au seigneur, c'est-à-dire lorsqu'il est devenu un souverain plus ou moins indépendant, la subjugation de l'homme libre s'accomplit, en partie du moins, sous des formes de légalité apparente : on le ruine par le service militaire requis d'autant plus fréquemment que l'intérêt dynastique du suzerain convoite davantage de nouvelles terres et de nouveaux sujets ; on abuse des droits de corvées, on avilit la justice, etc.
Le coup de grâce est donné enfin à la classe des hommes francs par la délégation formelle ou l'usurpation effective du plus important privilège de la couronne : le droit de disposer des terres non occupées. Celles-ci appartiennent à l'origine au peuple, c'est-à-dire à la communauté des hommes libres : mais d'après un droit primordial universellement é le chef de cette communauté, le patriarche, peut en disposer comme bon lui semble. Ce droit est transmis maintenant avec tous les autres privilèges de souveraineté au seigneur territorial et celui-ci a désormais en main le moyen d'en finir une fois pour toutes avec ce qu'il reste d'hommes libres. Il proclame comme sa propriété tout terrain encore disponible, il en interdit l'occupation aux paysans libres et n'en permet l'accès qu'à ceux qui reconnaissent son autorité, c'est-à-dire à ceux qui acceptent d'occuper vis-à-vis de lui une position de dépendance, de servitude.
Le dernier coup est porté maintenant à la liberté rurale. Jusqu'alors l'égalité des fortunes était garantie jusqu'à un certain point ; le paysan eût-il douze fils, le bien familial demeurait néanmoins toujours intact, car onze d'entre eux pouvaient se défricher de nouveaux champs dans les marches communes ou dans les terres incultes qui n'avaient pas encore été distribuées aux communautés. Cette ressource n'existe plus désormais. Les champs sont morcelés là où grandirent de nombreux enfants ; ils sont réunis par le mariage des uniques héritiers. Il y a maintenant des « ouvriers » pour aider à cultiver de grandes superficies agricoles : ce sont les propriétaires de ces champs si réduits par de nombreux morcellements qu'ils ne peuvent plus assurer la subsistance de leurs possesseurs. La libre communauté villageoise est divisée en riches et pauvres et déjà le lien se détache qui, comme dans la fable, faisait la force du faisceau. Et lorsqu’enfin les serfs font leur apparition dans la commune, lorsqu'un paysan trop malmené s'est livré au seigneur ou lorsque ce dernier a installé un de ses serviteurs sur un bien devenu vacant par la mort ou l'insolvabilité du propriétaire, toute cohésion sociale disparaît. Le paysan divisé par les différences de classe et de fortune est livré pieds et poings liés à son suzerain.
Les événements ne se passent pas différemment lorsque le magnat ne peut mettre en avant aucun droit de souveraineté politique : dans ce cas la force, l'insolente violation du droit se substituent au droit même et le souverain, lointain et impuissant, dépendant du bon vouloir des usurpateurs, n'a ni le pouvoir ni la possibilité d'intervenir.
En ce qui concerne ces faits également, il serait superflu de citer des exemples. En Allemagne, la classe paysanne a parcouru trois fois ce processus d'expropriation et de déclassement. D'abord à l'époque celtique{{ref|31}} ; puis l'orage frappa de nouveau les paysans aux IXe et Xe siècles et la troisième tragédie du même genre s'est déroulée à partir du XVe siècle dans les anciens territoires slaves de colonisation{{ref|32}}. Le paysan eut le plus à souffrir dans les républiques aristocratiques où faisait défaut l'autorité monarchique dont la naturelle solidarité d'intérêts avec les sujets pouvait adoucir tout au moins les formes extérieures de l'oppression. La Gaule celtique au temps de César nous en fournit un des premiers exemples.
« Là les grandes familles réunissaient dans leurs mains les pouvoirs économiques, militaires et politiques. Elles affermaient seules en véritables monopoles les droits lucratifs de l'Etat, tyrannisaient les hommes francs oppressés par les charges des redevances, les forçaient à emprunter et à renoncer à leur liberté, d'abord de fait en tant que débiteurs, puis légalement comme serfs. C’est chez elles que s'est développé d'abord le système des suites, le privilège aristocratique de s'entourer d'un nombre d'hommes d'armes salariés, les « ambactes{{ref|33}} », formant ainsi un Etat dans l'Etat. Appuyés sur ces hommes leur appartenant, elles défiaient les autorités légales et le ban communal et détruisaient virtuellement la communauté de l'Etat ... Seul le serf trouvait protection auprès de son maître, le devoir et l'intérêt contraignant ce dernier à venger les torts causés à son client. L'Etat n'ayant plus assez de force pour protéger les hommes francs, ceux-ci se donnèrent de plus en plus en servage aux puissants{{ref|34}}. » Quinze cents ans plus tard nous trouvons exactement les mêmes conditions en Courlande, en Livonie, dans la Poméranie suédoise, le Holstein de l'Est, le Mecklembourg et surtout en Pologne. Là le paysan est écrasé par le seigneur, ici c'est le ''Schlachzize'' – le petit noble – qui succombe. « L'histoire du monde est monotone », dit Ratzel. Dans l'ancienne Egypte le même processus a détruit aussi la classe paysanne : « La période du Moyen Empire, succédant à une époque guerrière, apporta également aux paysans du Sud une aggravation de leur sort. A mesure que les possessions foncières et le pouvoir des hommes libres augmentent leur nombre diminue. Les taxes des paysans sont rigoureusement fixées au moyen d'une exacte estimation des biens, une sorte de cadastre. Sous l'influence de cette pression de nombreux paysans se réfugient vers les domaines et les cités appartenant aux princes des nomes, et entrent dans l'organisme économique des maisons princières comme valets ou artisans, ou même comme fonctionnaires. Ils contribuent ainsi, avec les prisonniers de guerre, à élargir l'administration du domaine princier et accélèrent l'expulsion des paysans de leurs possessions, expulsion qui était probablement d'un usage courant à l'époque{{ref|35}}. »
Rien ne peut démontrer plus clairement que l'exemple de l'empire romain la nécessité inexorable de ce processus. Lorsque Rome apparaît sur la scène, en pleine « époque moderne », la notion de servitude a entièrement disparu et l'esclavage seul est connu. Quinze cents ans plus tard, après que Rome fut devenue une grande puissance au territoire exagérément étendu et dont les possessions reculées se détachent toujours davantage de la Métropole, les paysans sont retombés au servage. Les grands propriétaires fonciers auxquels sont concédées la juridiction commune et la police « ont réduit les manants, même lorsqu'ils étaient d'origine libre, propriétaire de « ''ager privatus vectigalis''{{ref|36}} » à une position de vasselage, ont développé avec une parfaite immunité la « ''glebae adscription''{{ref|37}} » virtuelle{{ref|38}}.  » En Gaule comme dans les autres provinces les Germains n'eurent qu'à adopter toute faite cette organisation féodale. La différence jadis si énorme entre les esclaves et les colons libres s'était entièrement effacée, économiquement d'abord et bientôt aussi dans la juridiction.
A mesure que l'homme franc tombe sous la dépendance politique et économique des seigneurs territoriaux du voisinage et qu'il est réduit au servage, la couche sociale jadis asservie s'élève. Les deux classes marchent l'une vers l'autre, se rencontrent à moitié chemin et finissent par fusionner. Ce que nous venons d'observer pour les libres colons et les esclaves laboureurs de la Rome de la décadence se répète partout. Ainsi en Allemagne les hommes libres et les anciens serfs se confondent en une couche sociale économiquement et légalement unifiée, celle des « ''Grundholden'' » (libres civilement mais tenus de rendre au seigneur certaines redevances et aides{{ref|39}}).
L'élévation des anciens « sujets » – nommons les d'un terme compréhensif : la plèbe – est aussi inévitable que la déchéance des hommes libres, et résulte de la même condition fondamentale, la base de toute cette organisation de l'Etat : l'agglomération de la propriété foncière entre des mains toujours moins nombreuses.
La plèbe est l'adversaire naturelle du pouvoir central qui l'a vaincue et qui la taxe, et l'adversaire des hommes francs qui la méprisent et l'oppriment politiquement et économiquement. Le grand magnat lui aussi est l'adversaire du pouvoir central, car ce dernier représente un obstacle sur son chemin vers l'indépendance politique ; et il est également l'adversaire des hommes francs, alliés du pouvoir central qui de plus entravent effectivement par leurs possessions l'extension de sa souveraineté et froissent son orgueil princier par leurs prétentions à l'égalité des droits. ''L'accord des intérêts politiques et sociaux doit donc réunir le seigneur et la plèbe''. Le seigneur ne peut arriver à l'indépendance entière que lorsqu'il dispose, dans ses luttes contre la couronne et les hommes francs, d'une troupe d'hommes d'armes éprouvés et de contribuables de bonne volonté. La plèbe ne peut être tirée de sa situation de paria que lorsque les hommes francs haïs et arrogants ont été abaissés.
C'est la solidarité d'intérêts entre le seigneur et ses sujets que nous rencontrons ici pour la seconde fois dans cette étude. Nous l'avons trouvée pour la première fois faiblement ébauchée durant la seconde période de la fondation de l'État. Cette solidarité porte le demi-prince à traiter ses serfs avec autant de bénévolence qu'il déploie de sévérité envers les hommes francs de son territoire ; les premiers combattront pour lui et paieraient la taille d'autant plus docilement, les seconds, malmenés et opprimés, céderont d'autant plus aisément à sa tyrannie, surtout comme par suite du déclin du pouvoir central leur indépendance souveraine n'est plus que l'ombre d'un mot. Ici et là – le fait s'est produit en Allemagne vers la fin du Xe siècle entièrement consciemment{{ref|40}} – le seigneur exerce une autorité particulièrement bénigne et cherche à attirer à lui les sujets des potentats voisins, autant pour augmenter sa propre puissance militaire et contribuable que pour diminuer celle de ses rivaux. La plèbe obtient ainsi, de fait et de droit, des avantages de plus en plus nombreux, un meilleur droit de propriété, parfois même l'autonomie, le droit de juridiction dans les affaires de la commune. Elle s'élève à mesure que les hommes francs s'abaissent jusqu'à ce que tous deux se rencontrent à mi-chemin et se fondent en une couche sociale à peu près homogène légalement et économiquement. A demi serfs, à demi sujets, ils constituent une formation caractéristique de l'Etat Féodal, lequel ne distingue pas encore nettement entre le droit commun et le droit privé ; c'est là une conséquence immédiate de son évolution historique qui érigea la domination politique dans le but de soutenir des droits économiques privés.


== Notes ==  
== Notes ==  
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# {{note|16}}Id. 1, ch. I, p. 215.
# {{note|16}}Id. 1, ch. I, p. 215.
# {{note|17}}Id. 1, ch. I, p. 267-268.
# {{note|17}}Id. 1, ch. I, p. 267-268.
# {{note|18}}
# {{note|18}}Mommsen, ''Weltgeschichte'', t. III, p. 234-235.
# {{note|19}}
# {{note|19}}Ratzel, 1, ch. II., p. 167.
# {{note|20}}
# {{note|20}}Le royaume Lunda ou empire Lunda est un empire africain occupant l’actuel Katanga, l’Angola oriental et le nord de la Zambie.Ils étaient dirigés par un empereur ou une impératrice (une ''numi'') désigné par un conseil. Le peuple Lunda réside sur le territoire de l’ancien empire. On distingue parmi eux les Lundas de Kazembe, appelés Lundas de l’est, qui parlent une langue différente, proche de celle de leurs voisins Bembas.
# {{note|21}}
# {{note|21}}Id, 1, ch. II, p. 229.
# {{note|22}}
# {{note|22}}Id. 1, ch. I, p. 128.
# {{note|23}}
# {{note|23}}Weber, ''Weltgeschichte'', t. III, p. 163.
# {{note|24}}
# {{note|24}}Thurnwald, 1er ch., p. 702-703.
# {{note|25}}
# {{note|25}}Id., 1er ch . p. 712. cf. Schneider, ''Kultur Denken der alten Aegypter'' ; Leipzig, 1907, p. 38.
# {{note|26}}
# {{note|26}}Ratzel, 1, ch. II, p . 599.
# {{note|27}}
# {{note|27}}Id. 1, ch. II, p. 362.
# {{note|28}}Id. 1, ch. II, p. 341.
# {{note|29}}Meitzen, I, ch. II, p. 633.
# {{note|30}}Inama-Sternegg, 1, ch. 1. p. 140-141.
# {{note|31}}Mommsen, 1 ch. V, p. 84.
# {{note|32}}Cf. l'exposition détaillée dans ''Grossgrunrfeigentum und soziale Frage'' de Franz Oppenheimer.
# {{note|33}}Les ambactes, selon le vieux mot d'origine celtique ambactos, désigne les auxiliaires militaires Gaulois de César.
# {{note|34}}Mommsen, 1 ch. III, p. 234-235.
# {{note|35}}Thurnwald, 1, p. 771.
# {{note|36}}« Le peuple romain reste propriétaire. »
# {{note|37}}Attribution de terre cultivée, de glèbe.
# {{note|38}}Meitzen, 1 ch. I, p. 362 ss.
# {{note|39}}Inama-Sternegg, 1 ch. I, p. 373-386.
# {{note|40}}Cf. Franz Oppenheimer, ''Grossgrunrfeigentum'', etc., p. 272.
# {{note|41}}
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