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{{infobox Etat}}
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Une tendance supplémentaire noue encore plus étroitement ces relations psychiques. Pour revenir à la comparaison du berger et de l'ours, il y a dans le désert, à côté de l'ours qui veille sur les abeilles, d'autres ours qui convoitent le miel. Mais notre tribu de bergers bloque leur chemin, et protège ses ruches par la force des armes. Les paysans sont habitués, quand le danger menace, à faire appel à des nomades, qu'ils ne considèrent plus comme des voleurs et des assassins, mais comme des protecteurs et des sauveurs. Imaginez la joie des paysans lorsque la bande de vengeurs, de retour, ramène au village les femmes et les enfants kidnappés, avec la tête de l'ennemi ou son scalp. Ces liens ne sont plus désormais des fils ténus, mais de solides nœuds.
Une tendance supplémentaire noue encore plus étroitement ces relations psychiques. Pour revenir à la comparaison du berger et de l'ours, il y a dans le désert, à côté de l'ours qui veille sur les abeilles, d'autres ours qui convoitent le miel. Mais notre tribu de bergers bloque leur chemin, et protège ses ruches par la force des armes. Les paysans sont habitués, quand le danger menace, à faire appel à des nomades, qu'ils ne considèrent plus comme des voleurs et des assassins, mais comme des protecteurs et des sauveurs. Imaginez la joie des paysans lorsque la bande de vengeurs, de retour, ramène au village les femmes et les enfants kidnappés, avec la tête de l'ennemi ou son scalp. Ces liens ne sont plus désormais des fils ténus, mais de solides nœuds.
Voici l'une des principales forces de cette « intégration », selon laquelle, plus tard, ceux qui initialement ne sont pas du même sang, et assez souvent originaires de différents groupes parlant des langues différentes, seront en fin de compte soudés ensemble en un seul peuple, avec un discours, une coutume, et un sentiment de nationalité. Cette unité se développe peu à peu de la souffrance commune et de la nécessité, de la victoire partagée et de la défaite, de la joie et de la tristesse commune. Un domaine nouveau et vaste est ouvert lorsque maître et esclave servent les mêmes intérêts ; survient donc un courant de sympathie, un sentiment du service commun. Les deux parties s'appréhendent, et peu à peu reconnaissent mutuellement leur commune humanité. Peu à peu, des points de similitude sont détectés, à la place des différences bâtimentaires et vestimentaires, de langue et de religion, qui avaient jusqu'alors provoqué uniquement l'antipathie et la haine. Peu à peu, ils apprennent à se comprendre, d'abord par un langage commun, et ensuite grâce à l'habitude du quotidien. Le filet de l'interdépendance psychique devient plus fort.  
Voici l'une des principales forces de cette « intégration », selon laquelle, plus tard, ceux qui initialement ne sont pas du même sang, et assez souvent originaires de différents groupes parlant des langues différentes, seront en fin de compte soudés ensemble en un seul peuple, avec un discours, une coutume, et un sentiment de nationalité. Cette unité se développe peu à peu de la souffrance commune et de la nécessité, de la victoire partagée et de la défaite, de la joie et de la tristesse commune. Un domaine nouveau et vaste est ouvert lorsque maître et esclave servent les mêmes intérêts ; survient donc un courant de sympathie, un sentiment du service commun. Les deux parties s'appréhendent, et peu à peu reconnaissent mutuellement leur commune humanité. Peu à peu, des points de similitude sont détectés, à la place des différences bâtimentaires et vestimentaires, de langue et de religion, qui avaient jusqu'alors provoqué uniquement l'antipathie et la haine. Peu à peu, ils apprennent à se comprendre, d'abord par un langage commun, et ensuite grâce à l'habitude du quotidien. Le filet de l'interdépendance psychique devient plus fort.  
Dans cette deuxième étape de la formation des Etats, le travail de la terre, pour l'essentiel, a été tracé. Aucune autre étape ne peut être comparée en importance à la transition par laquelle l'ours devient un apiculteur. Pour cette raison, de courtes références doivent suffire.
Dans cette deuxième étape de la formation des Etats, le travail de la terre, pour l'essentiel, a été tracé. Aucune autre étape ne peut être comparée en importance à la transition par laquelle l'ours devient un apiculteur. Pour cette raison, de courtes références doivent suffire.


La troisième étape arrive au moment où le « surplus » obtenu par le travail de la paysannerie est apporté régulièrement aux tentes des bergers nomades sous la forme d'un « tribut », un règlement qui permet aux deux parties d'évidents et considérables avantages. Par ce moyen, la paysannerie est soulagée entièrement des petits désagréments liés à l'ancienne méthode de collecte des impôts, telles que quelques hommes battus, des femmes violées, ou des fermes incendiées. Les bergers nomades, pour leur part, n'ont plus besoin d'appliquer à cette « entreprise » aucune « dépense » ou travail, pour employer une expression mercantile, et ils consacrent leur temps et l'énergie ainsi libérée à une « extension de travaux », autrement dit, à assujettir d'autres paysans.
La troisième étape arrive au moment où le « surplus » obtenu par le travail de la paysannerie est apporté régulièrement aux tentes des bergers nomades sous la forme d'un « tribut », un règlement qui permet aux deux parties d'évidents et considérables avantages. Par ce moyen, la paysannerie est soulagée entièrement des petits désagréments liés à l'ancienne méthode de collecte des impôts, telles que quelques hommes battus, des femmes violées, ou des fermes incendiées. Les bergers nomades, pour leur part, n'ont plus besoin d'appliquer à cette « entreprise » aucune « dépense » ou travail, pour employer une expression mercantile, et ils consacrent leur temps et l'énergie ainsi libérée à une « extension de travaux », autrement dit, à assujettir d'autres paysans.
Cette forme de tribut se trouve dans de nombreux cas bien connus de l'histoire : les Huns, les Magyars, les Tatars, les Turcs, ont tiré leurs revenus les plus importants de leurs tributs européens. Parfois, le caractère du tribut versé par les sujets à leurs maîtres est plus ou moins flou, et l'acte prend l'apparence d'un paiement pour la protection, voire d'une subvention. L'histoire est bien connue selon laquelle Attila a été dépeint par le faible empereur de Constantinople comme un prince vassal, tandis que le tribut qu'il versait au Hun était en réalité une taxe.
Cette forme de tribut se trouve dans de nombreux cas bien connus de l'histoire : les Huns, les Magyars, les Tatars, les Turcs, ont tiré leurs revenus les plus importants de leurs tributs européens. Parfois, le caractère du tribut versé par les sujets à leurs maîtres est plus ou moins flou, et l'acte prend l'apparence d'un paiement pour la protection, voire d'une subvention. L'histoire est bien connue selon laquelle Attila a été dépeint par le faible empereur de Constantinople comme un prince vassal, tandis que le tribut qu'il versait au Hun était en réalité une taxe.


La quatrième étape, une fois de plus, est d'une très grande importance, car elle ajoute un facteur décisif dans le développement de l'Etat, tel que nous sommes habitués à le voir de nos jours, à savoir, l'union sur une bande de terre de deux groupes ethniques. (Il est bien connu qu'il n'existe aucune définition juridique d'un État qui ne puisse être envisagée sans la notion de territoire de l'Etat.) A partir de maintenant, la relation des deux groupes, qui était à l'origine internationale, devient progressivement de plus en plus intranationale.  
La quatrième étape, une fois de plus, est d'une très grande importance, car elle ajoute un facteur décisif dans le développement de l'Etat, tel que nous sommes habitués à le voir de nos jours, à savoir, l'union sur une bande de terre de deux groupes ethniques. (Il est bien connu qu'il n'existe aucune définition juridique d'un État qui ne puisse être envisagée sans la notion de territoire de l'Etat.) A partir de maintenant, la relation des deux groupes, qui était à l'origine internationale, devient progressivement de plus en plus intranationale.  
Cette union territoriale peut être provoquée par des influences étrangères. Il se peut que de plus fortes hordes aient subjugué les tribus de bergers situées les plus en avant, ou que l'augmentation de la population pastorale ait atteint la limite fixée par la capacité nutritive des steppes ou des prairies, il se peut aussi qu'une grande peste du bétail ait contraint des bergers à substituer à l'étendue illimitée des Prairies le goulet de quelque vallée de la rivière. En général, cependant, des causes internes suffirent à ce que les bergers restassent dans le voisinage de leurs paysans.  
Cette union territoriale peut être provoquée par des influences étrangères. Il se peut que de plus fortes hordes aient subjugué les tribus de bergers situées les plus en avant, ou que l'augmentation de la population pastorale ait atteint la limite fixée par la capacité nutritive des steppes ou des prairies, il se peut aussi qu'une grande peste du bétail ait contraint des bergers à substituer à l'étendue illimitée des Prairies le goulet de quelque vallée de la rivière. En général, cependant, des causes internes suffirent à ce que les bergers restassent dans le voisinage de leurs paysans.  
Le devoir de protéger leurs tributaires contre d'autres « ours » les obligèrent à conserver un prélèvement de jeunes guerriers sur leurs sujets, et ce fut en même temps une excellente mesure de défense car elle empêcha les paysans de céder à un désir de rompre leurs liens, ou de laisser certains autres bergers nomades devenir leur suzerains. Cet évènement-ci fut loin d'être rare, car, si la tradition est correcte, il a été le moyen par lequel les fils de Riourikae vinrent en Russie.
 
Le devoir de protéger leurs tributaires contre d'autres « ours » les obligèrent à conserver un prélèvement de jeunes guerriers sur leurs sujets, et ce fut en même temps une excellente mesure de défense car elle empêcha les paysans de céder à un désir de rompre leurs liens, ou de laisser certains autres bergers nomades devenir leur suzerains. Cet évènement-ci fut loin d'être rare, car, si la tradition est correcte, il a été le moyen par lequel les fils de Riourik{{ref|54}} vinrent en Russie.
Pour le moment, la juxtaposition locale ne signifiait pas une communauté nationale dans son sens le plus étroit, c'est-à-dire une organisation unifiée.
Pour le moment, la juxtaposition locale ne signifiait pas une communauté nationale dans son sens le plus étroit, c'est-à-dire une organisation unifiée.
Parfois les bergers se préoccupèrent de sujets fort peu belliqueux, ils exercèrent leur vie nomade, errant paisiblement ici ou là et vivant de l'élevage de leur bétail, comme chez les Périèquesaf et les Hilotesag. Ce fut aussi le cas des métis Wahuma, « les plus beaux hommes de monde » (Kandt), en Afrique centrale, ou du clan touareg des Hadanara de l'Asgar, « qui ont pris leur place parmi les Imradsah et sont devenus des pillards errants. Ces Imrads constituèrent la classe servante des Asgars, qui vivaient à leur dépens, bien que ces Imrads auraient pu mettre sur le champ de bataille dix fois plus de guerriers ; la situation fut analogue à celle de Spartiates vis-à-vis de leurs Hilotes ».  
 
La même chose peut être dite des Tedaai parmi leurs voisins Borkousaj :
Parfois les bergers se préoccupèrent de sujets fort peu belliqueux, ils exercèrent leur vie nomade, errant paisiblement ici ou là et vivant de l'élevage de leur bétail, comme chez les Périèques{{ref|55}} et les Hilotes{{ref|56}}. Ce fut aussi le cas des métis Wahuma, « les plus beaux hommes de monde » (Kandt), en Afrique centrale, ou du clan touareg des Hadanara de l'Asgar, « qui ont pris leur place parmi les Imrads{{ref|57}} et sont devenus des pillards errants. Ces Imrads constituèrent la classe servante des Asgars, qui vivaient à leur dépens, bien que ces Imrads auraient pu mettre sur le champ de bataille dix fois plus de guerriers ; la situation fut analogue à celle de Spartiates vis-à-vis de leurs Hilotes ».  
Tout comme la terre est divisée en une région semi-désertique abritant les nomades, et une autre composée de jardins de dattiers, la population est divisée elle aussi entre les nomades d'une part, et la population sédentaire de l'autre. Même si elles sont à peu près de nombre égal, dix à douze mille personnes en tout, il va sans dire que les derniers sont soumis aux premiers.
 
Et la même chose s'appliquait à l'ensemble du groupe de bergers nomades connu sous le nom des Masi Galla et des Bahimaak.
La même chose peut être dite des Teda{{ref|58}} parmi leurs voisins Borkous{{ref|59}} :
 
« Tout comme la terre est divisée en une région semi-désertique abritant les nomades, et une autre composée de jardins de dattiers, la population est divisée elle aussi entre les nomades d'une part, et la population sédentaire de l'autre. Même si elles sont à peu près de nombre égal, dix à douze mille personnes en tout, il va sans dire que les derniers sont soumis aux premiers. »
 
Et la même chose s'appliquait à l'ensemble du groupe de bergers nomades connu sous le nom des Masi Galla et des Bahima{{ref|60}}.
 
Même si les différences dans les possessions sont considérables, ces tribus ont peu d'esclaves, en tant que classe servile. Celle-ci est constituée de peuples d'une caste inférieure, qui vivent séparés d'eux. Le pastoralisme est le fondement de la famille, de l'Etat, et même du principe de l'évolution politique. Dans ce vaste territoire, entre Scehoa et les frontières méridionales, d'une part, et le Zanzibar d'autre part, il n'y a aucun pouvoir politique fort, en dépit d'une forte dynamique sociale.
Même si les différences dans les possessions sont considérables, ces tribus ont peu d'esclaves, en tant que classe servile. Celle-ci est constituée de peuples d'une caste inférieure, qui vivent séparés d'eux. Le pastoralisme est le fondement de la famille, de l'Etat, et même du principe de l'évolution politique. Dans ce vaste territoire, entre Scehoa et les frontières méridionales, d'une part, et le Zanzibar d'autre part, il n'y a aucun pouvoir politique fort, en dépit d'une forte dynamique sociale.
Dans le cas où le pays n'était pas adapté à l'élevage du bétail sur une grande échelle – comme ce fut le cas partout en Europe occidentale – et où une population moins pacifique pouvait faire des tentatives d'insurrection, la caste des seigneurs devint plus ou moins installée définitivement, en prenant possession ou bien de lieux abrupts ou bien de points stratégiquement importants pour leur camp, par exemple des châteaux ou des villes. A partir de ces centres, ils contrôlèrent leurs « sujets », principalement dans le but de recueillir leur tribut, ne prêtant aucune attention à eux par ailleurs. Ils les laissèrent gérer seuls leurs affaires, exercer leur culte religieux, régler leurs différends, et ajuster leurs méthodes de développement interne. Ils n'intervinrent ni pour contester leur constitution autochtone, ni pour répudier leurs responsables locaux.
Dans le cas où le pays n'était pas adapté à l'élevage du bétail sur une grande échelle – comme ce fut le cas partout en Europe occidentale – et où une population moins pacifique pouvait faire des tentatives d'insurrection, la caste des seigneurs devint plus ou moins installée définitivement, en prenant possession ou bien de lieux abrupts ou bien de points stratégiquement importants pour leur camp, par exemple des châteaux ou des villes. A partir de ces centres, ils contrôlèrent leurs « sujets », principalement dans le but de recueillir leur tribut, ne prêtant aucune attention à eux par ailleurs. Ils les laissèrent gérer seuls leurs affaires, exercer leur culte religieux, régler leurs différends, et ajuster leurs méthodes de développement interne. Ils n'intervinrent ni pour contester leur constitution autochtone, ni pour répudier leurs responsables locaux.
Si Frants Buhl le relate correctement, ce fut le début de la domination des Israélites en Canaanal. L'Abyssinie, cette grande force militaire, a pu sembler, à première vue, être un État pleinement développé. Mais elle ne semble pas, en réalité, avoir progressé au-delà de la quatrième étape.
A tout le moins, comme le précise Ratzel,
Le principal souci des Abyssins porte sur le tribut, pour lequel ils suivent la méthode des monarques orientaux des temps anciens et modernes, qui n’interfèrent pas avec la gestion interne et l'administration de la justice de leurs peuples soumis.
Le meilleur exemple de la quatrième étape se retrouve dans la situation de l'ancien Mexique avant la conquête espagnole :
La confédération sous la direction des Mexicains avait des idées progressistes sur la conquête. Seules les tribus qui offraient de la résistance furent éliminées. Dans les autres cas, les vaincus ont été simplement pillé, puis tenus de payer un tribut. La tribu vaincue se régissait comme auparavant, avec ses propres fonctionnaires. Ce fut différent au Pérou, où la formation d'un empire compact suivit la première attaque. Au Mexique, l'intimidation et l'exploitation ont été les seuls buts de la conquête. Et il se peut que le soi-disant Empire du Mexique à l'époque de la conquête n'ait été qu'un groupe de tribus indiennes intimidées et soumises, dont la fédération a été empêchée par la crainte de pillages lancés depuis certaines forteresses inexpugnables situées en leur sein.


On notera que l'on ne peut pas parler d'Etat au sens propre. Ratzel montre cela dans la note suivante :
Si Frants Buhl le relate correctement, ce fut le début de la domination des Israélites en Canaan{{ref|61}}. L'Abyssinie, cette grande force militaire, a pu sembler, à première vue, être un État pleinement développé. Mais elle ne semble pas, en réalité, avoir progressé au-delà de la quatrième étape.
Il est certain que les différentes peuplades soumises par les guerriers de Montezuma étaient séparés les unes des autres par des étendues de territoires non encore conquis. Une situation très semblable s'appliquait à la domination des Hova à Madagascar. Ceci ne signifie pas que la dispersion de quelques garnisons, ou plus encore, que la présence de colonies militaires sur le terrain, est une marque de domination absolue, puisque ces colonies avaient beaucoup de peine à maintenir une bande de terre de quelques kilomètres dans la soumission.
 
A tout le moins, comme le précise Ratzel, « le principal souci des Abyssins porte sur le tribut, pour lequel ils suivent la méthode des monarques orientaux des temps anciens et modernes, qui n’interfèrent pas avec la gestion interne et l'administration de la justice de leurs peuples soumis. »
 
Le meilleur exemple de la quatrième étape se retrouve dans la situation de l'ancien Mexique avant la conquête espagnole : « la confédération sous la direction des Mexicains avait des idées progressistes sur la conquête. Seules les tribus qui offraient de la résistance furent éliminées. Dans les autres cas, les vaincus ont été simplement pillé, puis tenus de payer un tribut. La tribu vaincue se régissait comme auparavant, avec ses propres fonctionnaires. Ce fut différent au Pérou, où la formation d'un empire compact suivit la première attaque. Au Mexique, l'intimidation et l'exploitation ont été les seuls buts de la conquête. Et il se peut que le soi-disant Empire du Mexique à l'époque de la conquête n'ait été qu'un groupe de tribus indiennes intimidées et soumises, dont la fédération a été empêchée par la crainte de pillages lancés depuis certaines forteresses inexpugnables situées en leur sein. »
 
On notera que l'on ne peut pas parler d'Etat au sens propre. Ratzel montre cela dans la note suivante : « il est certain que les différentes peuplades soumises par les guerriers de Montezuma étaient séparés les unes des autres par des étendues de territoires non encore conquis. Une situation très semblable s'appliquait à la domination des Hova à Madagascar. Ceci ne signifie pas que la dispersion de quelques garnisons, ou plus encore, que la présence de colonies militaires sur le terrain, est une marque de domination absolue, puisque ces colonies avaient beaucoup de peine à maintenir une bande de terre de quelques kilomètres dans la soumission. »
 
La logique des évènements fit rapidement passer de la quatrième à la cinquième étape, et modela presque entièrement l'Etat complet. Les querelles survinrent entre tribus ou villages voisins que les seigneurs ne permirent plus d'être convoités, car sinon la servilité des paysans aurait pu être compromise. Les seigneurs s'arrogèrent le droit d'arbitrage, et en cas de besoin, celui de faire respecter leur jugement. En fin de compte, au sein de chaque « tribunal » du roi du village ou du chef de tribu, on trouva un fonctionnaire qui le suppléait dans l'exercice du pouvoir, tandis que les chefs furent autorisés à conserver l'apparence du pouvoir. L'Etat des Incas donne, d'une manière primitive, un exemple typique de cet agencement.
La logique des évènements fit rapidement passer de la quatrième à la cinquième étape, et modela presque entièrement l'Etat complet. Les querelles survinrent entre tribus ou villages voisins que les seigneurs ne permirent plus d'être convoités, car sinon la servilité des paysans aurait pu être compromise. Les seigneurs s'arrogèrent le droit d'arbitrage, et en cas de besoin, celui de faire respecter leur jugement. En fin de compte, au sein de chaque « tribunal » du roi du village ou du chef de tribu, on trouva un fonctionnaire qui le suppléait dans l'exercice du pouvoir, tandis que les chefs furent autorisés à conserver l'apparence du pouvoir. L'Etat des Incas donne, d'une manière primitive, un exemple typique de cet agencement.
On trouvait des Incas unis à Cuzco, où ils avaient leurs terres patrimoniales et des habitations. Toutefois un représentant des Incas, le Tucricuc, résidait dans chaque secteur à la cour du chef indigène. Il « avait un contrôle sur toutes les affaires de sa circonscription ; il soulevait les troupes, dirigeait la collecte du tribut, organisait le travail sur les routes et les ponts, surveillait l'administration de la justice, et en bref supervisait tout dans son secteur. »
On trouvait des Incas unis à Cuzco, où ils avaient leurs terres patrimoniales et des habitations. Toutefois un représentant des Incas, le Tucricuc, résidait dans chaque secteur à la cour du chef indigène. Il « avait un contrôle sur toutes les affaires de sa circonscription ; il soulevait les troupes, dirigeait la collecte du tribut, organisait le travail sur les routes et les ponts, surveillait l'administration de la justice, et en bref supervisait tout dans son secteur. »
Les mêmes institutions qui furent élaborées par les chasseurs américains et les pasteurs sémites se trouvèrent aussi chez les éleveurs africains. En Ashanti, le système du Tucricuc a été développé d'une manière typique, et à Dualla fut mis en place pour les sujets vivants dans des villages isolés "une institution fondée sur la conquête à mi-chemin entre un système féodal et l'esclavage."
 
L'auteur rapporte même que les Lozisam eurent une constitution qui correspondait à la première étape de l'organisation de la féodalité médiévale :
Les mêmes institutions qui furent élaborées par les chasseurs américains et les pasteurs sémites se trouvèrent aussi chez les éleveurs africains. En Ashanti, le système du Tucricuc a été développé d'une manière typique, et à Dualla fut mis en place pour les sujets vivants dans des villages isolés « une institution fondée sur la conquête à mi-chemin entre un système féodal et l'esclavage. »
Leurs villages sont (...) comme un filet entouré d'un cercle de hameaux où vivent leurs serfs. Ceux-ci labourent les champs de leurs seigneurs dans le voisinage immédiat, cultivent des céréales, ou élèvent le troupeau de bovins.
 
L'auteur rapporte même que les Lozis{{ref|62}} eurent une constitution qui correspondait à la première étape de l'organisation de la féodalité médiévale : « leurs villages sont (...) comme un filet entouré d'un cercle de hameaux où vivent leurs serfs. Ceux-ci labourent les champs de leurs seigneurs dans le voisinage immédiat, cultivent des céréales, ou élèvent le troupeau de bovins. »
 
La seule chose qui ne fut pas typique ici consistait en ce que les seigneurs ne vivaient pas dans des châteaux ou des forts isolés, mais s'étaient installés dans les villages, parmi leurs sujets.
La seule chose qui ne fut pas typique ici consistait en ce que les seigneurs ne vivaient pas dans des châteaux ou des forts isolés, mais s'étaient installés dans les villages, parmi leurs sujets.
Il n'y eut qu'un tout petit pas des Incas aux Doriens de Lacédémone, de Messénie, ou de Crète, et pas une plus grande distance ne séparait le Foulbé, Dualla, le Lozi, des Etats à l'organisation féodale relativement rigide des empires négro-africains de l'Ouganda, de l'Ounyoro, etc., et les empires féodaux de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, et d'Asie.
Il n'y eut qu'un tout petit pas des Incas aux Doriens de Lacédémone, de Messénie, ou de Crète, et pas une plus grande distance ne séparait le Foulbé, Dualla, le Lozi, des Etats à l'organisation féodale relativement rigide des empires négro-africains de l'Ouganda, de l'Ounyoro, etc., et les empires féodaux de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, et d'Asie.
Dans tous ces lieux, les mêmes résultats furent imposés par la force par les mêmes causes socio-psychologiques. La nécessité de maintenir l'ordre parmi les sujets, et en même temps de les maintenir à leur pleine capacité de travail, conduisit progressivement de la cinquième à la sixième étape, en laquelle l'Etat, par l'acquisition d'une force intranationale pleine et entière et par l'évolution du concept de « Nationalité », se développa très rapidement.
Dans tous ces lieux, les mêmes résultats furent imposés par la force par les mêmes causes socio-psychologiques. La nécessité de maintenir l'ordre parmi les sujets, et en même temps de les maintenir à leur pleine capacité de travail, conduisit progressivement de la cinquième à la sixième étape, en laquelle l'Etat, par l'acquisition d'une force intranationale pleine et entière et par l'évolution du concept de « Nationalité », se développa très rapidement.
Le besoin devint de plus en plus fréquent d'intervenir, de dissiper les problèmes, de punir ou de contraindre à l'obéissance, et ainsi se développa l'habitude de la règle de droit et des usages du pouvoir étatique. Les deux groupes, séparés initialement, et ensuite unis sur un territoire, se bornèrent tout d'abord à vivre côte à côte, puis se mélangèrent ensuite à la manière du procédé « mécanique » employé en chimie, jusqu'à ce qu'ils devinrent progressivement une « combinaison chimique ». Ils se mêlèrent, s'unirent, fusionnèrent, tant dans les us et coutumes, que dans leurs expressions et leurs cultes.
Le besoin devint de plus en plus fréquent d'intervenir, de dissiper les problèmes, de punir ou de contraindre à l'obéissance, et ainsi se développa l'habitude de la règle de droit et des usages du pouvoir étatique. Les deux groupes, séparés initialement, et ensuite unis sur un territoire, se bornèrent tout d'abord à vivre côte à côte, puis se mélangèrent ensuite à la manière du procédé « mécanique » employé en chimie, jusqu'à ce qu'ils devinrent progressivement une « combinaison chimique ». Ils se mêlèrent, s'unirent, fusionnèrent, tant dans les us et coutumes, que dans leurs expressions et leurs cultes.
Bientôt, des liens de parenté unirent les castes supérieures et les couches inférieures. Dans presque tous les cas, les maîtres choisirent les plus belles des vierges des races assujetties pour en faire leurs concubines. Une race de bâtards se développa ainsi, qui parfois devint la nouvelle classe dirigeante, et qui parfois fut rejetée, puis, à cause du sang des maîtres qui coulait dans leurs veines, constitua tôt ou tard les dirigeants de la race assujettie par leur naissance. En forme comme en contenu, l'État primitif fut achevé.
Bientôt, des liens de parenté unirent les castes supérieures et les couches inférieures. Dans presque tous les cas, les maîtres choisirent les plus belles des vierges des races assujetties pour en faire leurs concubines. Une race de bâtards se développa ainsi, qui parfois devint la nouvelle classe dirigeante, et qui parfois fut rejetée, puis, à cause du sang des maîtres qui coulait dans leurs veines, constitua tôt ou tard les dirigeants de la race assujettie par leur naissance. En forme comme en contenu, l'État primitif fut achevé.


== Notes ==  
== Notes ==  
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# {{note|52}}Le terme cafre ou caffre désigne les Noirs de la Cafrerie (partie de l’Afrique australe), appelés en Afrique du Sud : Kaffer (Kaffir, Keffir). Kaffer est en afrikaans assimilable au mot nigger aux Etats-Unis ou « nègre » dans la France coloniale.
# {{note|52}}Le terme cafre ou caffre désigne les Noirs de la Cafrerie (partie de l’Afrique australe), appelés en Afrique du Sud : Kaffer (Kaffir, Keffir). Kaffer est en afrikaans assimilable au mot nigger aux Etats-Unis ou « nègre » dans la France coloniale.
# {{note|53}}Les Hyksôs (en démotique heka khasewet, littéralement « chefs des pays étrangers », en grec ancien : Ὑκσως) formaient autrefois un groupe pluriethnique vivant dans l'Asie de l'ouest, et qui arriva à l'est du delta du Nil au cours de la seconde période intermédiaire.
# {{note|53}}Les Hyksôs (en démotique heka khasewet, littéralement « chefs des pays étrangers », en grec ancien : Ὑκσως) formaient autrefois un groupe pluriethnique vivant dans l'Asie de l'ouest, et qui arriva à l'est du delta du Nil au cours de la seconde période intermédiaire.
# {{note|54}}Premier prince de Novgorod et fondateur de la dynastie Riourikide qui régnera sur la Rus' de Kiev jusqu'en 1240.
# {{note|55}}Habitant d'une cité grecque, qui ne jouissait pas des droits de citoyenneté, sans pour autant être esclave ou dépendant personnel. (Les plus connus étaient ceux de Laconie, soumis à Sparte).
# {{note|56}}Esclave public à Sparte.
# {{note|57}}C'est-à-dire les vassaux.
# {{note|58}}Les Teda ou Toubous sont des peuples vivant au Sahara Oriental, nord du Tchad, sud de la Libye, nord-est du Niger, sud-ouest de l'Égypte.
# {{note|59}}Le Borkou donne son nom aujourd'hui à une des régions du Tchad.
# {{note|60}}Tribus nomades bantoues.
# {{note|61}}Terme utilisé dans le récit biblique pour décrire la partie du Proche-Orient située entre la Méditerranée et le Jourdain (cette région correspond plus ou moins aujourd'hui aux territoires de la Palestine, de l'ouest de la Jordanie, du sud de la Syrie et du Liban), avant sa conquête par Josué et les Tribus d'Israël sorties d'Égypte. Le terme provient du nom de Canaan, petit-fils de Noé.
# {{note|62}}Les Lozis sont un peuple d'Afrique australe, surtout présent en Zambie et au Botswana, ainsi qu'en Namibie, dans la région de Caprivi.
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