Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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== Chapitre 10. Position du problème et aperçu préliminaire. ==
== Chapitre 10. Position du problème et aperçu préliminaire. ==


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s'engagent-elles dans la voie du collectivisme autoritaire, ou dans
s'engagent-elles dans la voie du collectivisme autoritaire, ou dans
celle de l'individualisme libertaire ?
celle de l'individualisme libertaire ?
== Chapitre 11. La concentration industrielle et commerciale. ==
* Section 1. Agrandissement des entreprises.
La concentration dans l'industrie manufacturière, les transports,
le commerce de détail, les banques, les assurances, etc., est un fait
si universellement connu, si fortement établi par des observations
nombreuses et concordantes, qu'il est devenu banal de le constater;
toutefois, il n'est pas inutile de mesurer par des chiffres l'étendue
actuelle du mouvement, et surtout la vitesse de son cours. Sur ce
dernier point, nous n'avons guère à notre service que les statistiques
allemandes, les seules qui aient été établies sur les mêmes bases à deux
époques différentes. Il est vrai que l'Allemagne, dont le développement
industriel a été si remarquable dans les dernières années du
XIXème siècle, nous offre une excellente illustration du phénomène.
Dans l'intervalle de treize ans qui sépare les deux derniers recensements
professionnels allemands de 1883 et 1895, le nombre des
petites exploitations industrielles (travailleurs isolés et établissements
occupant 5 personnes au plus) a sensiblement diminué,
tandis qu'augmentait celui des moyennes (6 à 50 personnes) et des
grandes exploitations. Les premières ont perdu 79000 personnes
, alors que les secondes en gagnaient 793000
et les troisièmes 353000; aussi la
proportion du personnel des petites entreprises dans l'ensemble
est-elle tombée de 55 à 40 p. 100. A l'intérieur de chacune de ces
trois grandes classes, même tendance à l'accroissement proportionnel
du personnel des établissements les plus importants. Si l'on tient compte, à côté du personnel, de l'importance des forces inanimées employées dans les diverses exploitations, en comptant un cheval-vapeur comme l'équivalent de 24 forces humaines, la prépondérance des grandes entreprises apparait bien plus forte
encore. Dans l'industrie et le commerce (les statistiques allemandes
ne nous permettent pas de les séparer pour ce calcul nous observons
que, si les petits établissements occupent encore 46 p. 100 du
personnel, ils n'emploient plus que 15 p. 100 du total des forces en hommes et en moteurs, tandis que les grands établissements de plus de 100 personnes, avec leurs différentes branches et succursales,
comprennent plus de la moitié de ces forces réunies (exactement
54,8 p. 100),. Dans ce chiffre, les exploitations géantes, celles qui
emploient plus de 1000 personnes, comptent à elles seules pour 18 p. 100; la maison Krupp occupe pour sa part 44000 ouvriers et employés, et dispose d'une force de 36 560 chevaux-vapeur. Ces immenses établissements d'industrie et de commerce ont plus que doublé en nombre et en personnel dans l'espace de treize ans.
La concentration est donc extrêmement rapide en Allemagne depuis
quelques années. Elle se fait sentir principalement dans les industries
textiles, les industries chimiques, les mines, la construction des machines,
la minoterie, le travail des métaux et l'industrie du bâtiment.
En France, nous ne pouvons constater la progression par des chiffres que pour les fabriques de sucre, qui décroissent en nombre alors qu'elles augmentent leur production. Quant à l'état statique de l'industrie dans son ensemble, tel qu'il ressort du ''Recensement des industries et des professions'' de 1896, il dénote une concentration
déjà très avancée, puisque les grands établissements industriels;
occupant au moins 5O salariés comprennent à eux seuls 45 p. 100 du
personnel de l'industrie (sans les transports). Même proportion à
peu près en Belgique pour les établissements de même importance, d'après le Recensement des industries et des métiers de 1896. Les exploitations de plus de 1000 ouvriers comprennent, comme en France, à peu près le dixième de la population ouvrière.
Pour l'Angleterre, nous ne pouvez suivre le mouvement que dans l'industrie textile, on la moyenne par établissement des broches,
des métiers et des ouvriers s'élève régulièrement. Aux États-Unis, il
nous est possible de mesurer la vitesse de la concentration dans
l'industrie tout entière par le même procédé des moyennes progressives.
Dans l'ensemble, l'importance moyenne des entreprises en
capital, en personnel et en produit s'élève d'une façon à peu près
continue depuis 1850, bien que le nombre des établissements se
soit beaucoup accru dans le dernier Census de 1900, à la suite d'un
relevé plus soigneux des petits métiers. Pour quelques grandes industries,
machines agricoles, cordonnerie mécanique, tapis, fer et acier,
cuirs, liqueurs, constructions des navires, lainages, etc., le nombre
absolu des entreprises a même une tendance à diminuer. Si l'on
remonte jusqu'en 1850, les différences de moyennes sont énormes;
depuis 1880 même, la progression est très sensible dans les principales
industries. Ainsi, depuis cette époque jusqu'en 1900, l'importance
moyenne des établissements a doublé ou triplé dans la plupart
des divisions; l'accroissement est même plus rapide encore dans la
construction des navires, dans celle des machines agricoles et dans
l'industrie des cuirs i.
En même temps qu'elle se concentre, l'industrie obéit à deux autres
tendances, qui agissent en sens contraire l'une de l'autre sans être
cependant contradictoires.
D'un côté, les entreprises industrielles subissent certainement la
loi générale de la spécialisation progressive. C'est ainsi que les filatures
de coton anglaises restreignent leur fabrication à une série de
numéros très limitée, de manière à éviter les arrêts résultant des
changements de numéros sur les métiers, et à conquérir une supériorité
décisive dans un genre de production très spécialisé. Quand une
grande société industrielle possède plusieurs établissements, il arrive
souvent que la division du travail s'opère par l'affectation de chaque
établissement à une spécialité distincte.
D'autre part, on observe aussi que les grandes entreprises, lors
même qu'elles restent spécialisées, tendent à embrasser la série complète
des fabrications nécessaires à la production d'une marchandise
achevée, et cherchent parfois à étendre leurs opérations depuis
l'extraction des matières premières jusqu'à la vente au consommateur,
de manière à se rendre indépendantes des industries connexes
et des intermédiaires, et à fournir le maximum de rendement sans
arrêts dans la production. Ainsi une fabrique d'horlogerie, tout en
i. Voir AnnexeI, 2°.
LA CONCENTRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE 137
se consacrant à un genre d-e'1-.ftat.b_rLic_a~tti_o_nJ. s~p1é! cialisé, r_ai.s,is.e1m.wble autour
de son moteur des opérations multiples jusque-là disséminées dans
une multitude d'ateliers à domicile. Une grande filature possède des
ateliers de réparation; un grand tissage s'annexe une blanchisserie
ou une teinturerie; une grande usine fait subir à ses sous-produits
les préparations complémentaires qui doivent en faire des produits
marchands; les fabriques de papier achètent des établissements de
défibrage du bois, tandis que les chocolateries acquièrent des fabriques
de sucre; les entreprises de navigation sur le Rhin sont propriétaires
de docks et d'engins de manutention; les grandes entreprises d'abattoirs
à Chicago ont leurs wagons et dépôts frigorifiques dans les
places principales où elles expédient la viande, etc.
Nulle part ce phénomène d'intégration ne se manifeste avec autant
de force que dans l'industrie du fer et de l'acier, où les entreprises
importantes se suffisent complètement à elles-mêmes, possédant, à
côté de leurs hauts fourneaux, laminoirs et usines de transformation,
des mines de houille, des gisements de minerais et des voies
ferrées; en Allemagne, en Autriche et aux États-Unis, les houillères
fusionnent avec les établissements sidérurgiques et métallurgiques.
D'autres industries, comme celles du zinc et des glaces, des
produits chimiques, présentent une organisation analogue; des
fabriques de machines et des compagnies maritimes achètent des
mines de houille. (V. Annexe II, l", Allemagne.)
La grande industrie s'annexe aussi le commerce. Le syndicat
houiller du Rhin a créé une filiale qui monopolise le commerce et
le transport de la houille dans la région. Des entreprises anglaises
et américaines pour la production du thé, du tabac, de la bière, se
subordonnent les détaillants ou établissent dans les grandes villes
des bureaux de vente au détail. De même, des fabriques de machines
agricoles, d'instruments de musique, de machines à coudre, de bicyclettes
et automobiles, de meubles et tapis, tiennent des magasins
de vente dans les principaux centres d'écoulement.
Même accroissement dans les entreprises de navigation. Les petits
armateurs conservent encore la pêche et le cabotage; mais la navigation
au long cours, surtout par bateaux à vapeur, appartient
presque exclusivement à de grandes sociétés. Des compagnies
anglaises se sont agrandies en achetant les flottes de leurs concurrents.
La moyenne du tonnage par entreprise, dans la navigation à
vapeur du monde, a doublé de 1880 à 1903, passant de 2 372 à
5 486 tonnes. Les grandes entreprises possédant une flotte supérieure
à 100000 tonneaux, qui n'étaient que 3 en 1880 avec 387 163
138 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
tonneaux, soit 5,2 p. 100 de l'ensemble de la navigation à vapeur,
sont au nombre de 39 en 1905, avec 7849S90 tonneaux, soit 27,6
p. 100 de l'ensemble; parmi elles, deux compagnies allemandes possèdent
respectivement 523 000 et 708000 tonneaux
Le commerce est soumis à la même loi de centralisation, bien
que d'une façon moins sensible. En Allemagne, de 1883 à 1895, les
petits établissements de commerce et de transport occupant moins
de 6 personnes n'ont certes pas décru en nombre et en personnel
comme les petites exploitations industrielles ils ont, au contraire,
augmenté d'une façon absolue. Mais leur augmentation proportionnelle
a été moins rapide que celle des moyens et grands établissements,
de sorte qu'en définitive l'importance relative du petit commerce
dans l'ensemble a diminué; la proportion de son personnel est
tombée de 76 à 70 p. 10&
En France, nous ne pouvons faire de semblables comparaisons
d'une époque à une autre. Nous savons seulement qu'en 1896 les
établissements commerciaux employant 5 salariés et plus occupent la
PT7ftTi't1ltPTTlüt~QllTTI~~9~TrtM®du commerce. moitié du
personnel
salarié du commerce*.
Mais qu'est-il besoin de statistiques, pour établir un fait qui
s'affirme aux yeux du public le moins initié par la croissance extraordinaire
des grands magasins et des bazars? Partout ils s'agrandissent
et se multiplient; ils étendent le cercle de leur clientèle bien
au delà de la ville ou ils sont situés, grâce aux facilités nouvelles des
expéditions par petits colis ils cherchent à atteindre les couches les
plus nombreuses de la population par des procédés rajeunis de vente
à crédit ou à tempérament. On ne rencontre qu'à Paris des magasins
au chiffre d'affaires de 1SO ou 180 millions, comme le Louvre ou le
Bon Marché. Mais Londres possède les établissements Spiers et Pond
(capital, 48 millions de francs} et le bazar Whiteley (SS millions d'affaires)
à Chicago, c'est Siegel Cooper and C° (90 millions d'affaires),
Marshal Field (80 millions); à Berlin, c'est le bazar Wertheim (40 millions),
etc.
Dans des branches de commerce plus spécialisées, les grands magasins
s'étendent d'une autre manière. Tandis que la maison Potin multiplie
ses correspondants en province, l'épicerie Lipton, au capital
de 63 millions, répand ses 300 succursales sur tout le solde l'Angleterre.
Une grande maison de tabacs anglaise, Salmon et Gluckstein,
possède 140 magasins de débit; telle maison de librairie française
i. Voir Annexe I, 3°.
2. Voir Annexe1,1°.
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLEET COMMERCIALE 139' .1.
établit des succursales dans les dîSérents quartiers de Paris et dans
les villes de province; certaines entreprises, tant à Londres qu'à
Paris, possèdent des restaurants de quartier multiples; les commerces
de la boucherie, de la boulangerie et de la laiterie présentent des cas
d'extension analogues dans certaines grandes villes; des sociétés
possèdent de grands hôtels disséminés dans un même pays ou dans
les diverses contrées du monde. Sous cette forme, la concentration
ne s'opère plus par la création ou l'agrandissement d'un magasin
gigantesque, mais par la multiplication des comptoirs locaux qui
dépendent d'une même entreprise et constituent les organes d'une
maison mère
Le grand commerce de détail, comme la grande industrie, tend à la
fois à la spécialisation et à l'intégration. Lorsqu'une grande maison
de détail s'annexe le commerce du gros, lorsqu'une grande épicerieentreprend
de fabriquer elle-même certains des produits qu'elle met
en vente, lorsqu'un grand magasin établit pour ses besoins des.
ateliers de confection, de tapisserie, d'ébénisterie et autres, l'intégration
consiste à réunir sous une même direction une série d'opérations
connexes pour un même genre de marchandises, et se concilie
avec la spécialisation. Mais lorsque l'intégration s'effectue par la
concentration dans un même établissement de plusieurs branches de
commerce différentes, il n'en est plus de même; les deux tendances,
spécialisation et intégration, sont alors contradictoires; aussi s'observent-
elles dans des entreprises différentes. Tandis que certains
grands magasins multiplient leurs rayons dans les spécialités les
plus disparates, de manière à attirer la clientèle par la plus grande
variété possible d'objets à sa convenance, d'autres magasins prospèrent
et grandissent en présentant au public tous les modèles possibles
d'une même spécialité, quincaillerie, épicerie, verrerie, meubles,
fourrures, vêtements pour hommes, etc.
La banque se concentre de la même manière que le commerce
de détail. Les banques constituées par actions ont pris à la fin
du xix° siècle un développement considérable; elles étendent maintenant
leurs rameaux sur toute la surface d'un pays, et fondent
même des succursales sur les places étrangères. En 190S, les cinq
grandes banques françaises par actions (y compris la Banque de
France) possèdent un capital de 1 milliard, et des dépôts et comptes.
courants pour 3 milliards et demi; là-dessus, le Crédit lyonnais, à
1. Maerostv, 7)'!M~and the S~:<e.p. 193 et 194, Londres, Richards, 1901,pet.
m-8". Sombart, Uer moderne .Ka~aHsmus, t. U, p. 397,Leipzig,Duncker, i902,
2 vol. in-8'
HO LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
lui seul, détient plus de 1 milliard de dépôts. Les petites banques
locales disparaissent successivement devant les agences des grandes
sociétés de crédit; les unes sont absorbées, les autres cessent leurs
affaires sans être remplacées, de sorte qu'il n'y a guère, pour subsister
en face des banques par actions et de leurs succursales, que
les banques privées les plus importantes situées dans les grands cen-
,tres d'affaires. De même, en Angleterre, beaucoup de banques privées
ont été absorbées par les Joint stock ~aH/-s, et les amalgamations des
banques de province avec les banques de Londres ont été fréquentes
dans les vingt dernières années. Aussi les banques par actions sontelles
parvenues à un grand développement 21 d'entre elles possèdent
plus de 100 succursales dans le Royaume-Uni; les dépôts, pour
16 banques par actions, s'élèvent à près de 10 milliards de francs, et
le capital, pour les 6 principales, à 1 800 millions
En Allemagne, les grandes banques de Berlin, comme la Deutsche
Bank, n'ont pas seulement créé des succursales; elles ont surtout,
en augmentant leur capital, absorbé des banques considérables
situées dans les grands centres industriels et maritimes. Tantôt elles
se sont contentées d'acquérir la majorité des actions pour dominer
la direction de la banque provinciale; tantôt elles ont acheté la totalité
des actions et transformé la banque en filiale. La crise de 1900-1901
a eu pour effet de fortifier encore les plus puissantes au détriment
des moyennes et petites banques Aux États-Unis, la formation des
trusts a accélère la concentration dans les affaires de la banque, en
privant les banques locales d'une partie de leur clientèle industrielle,
et en augmentant l'importance des grandes banques de spéculation
de New-York, qui ont fondé les principaux trusts.
Dans la banque comme dans le commerce de détail, un mouvement
d'intégration se poursuit parallèlement à celui de la concentration,
en sens contraire de la spécialisation. Les grands établissements
de crédit du continent ne se bornent pas aux opérations de
banque à court terme, dépôts et comptes courants, escomptes et
avances sur titres; ils se chargent des ordres de bourse et des opérations
de change; beaucoup même, surtout en Allemagne, entreprennent
des émissions d'emprunts et de valeurs industrielles.
Cependant le crédit hypothécaire et le crédit agricole restent généralement
distincts, réservés à des institutions particulières.
Les assurances n'échappent pas non plus à la loi commune. En
1. G. François, Les banques anglaises, Revued'économie politique, juillet 1902.
2. V. Annexe, II, 1', Allemagne.
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLE ET COMMERCIALE i4i
France et en Allemagne, le nombre des compagnies d'assurances.
sur la vie reste stationnaire, ou s'accroît à peine depuis de longues
années, tandis que le chiffre de leurs affaires progresse rapidement;
aussi la moyenne des capitaux assurés, par compagnie, a-t-elle
presque doublé en France, et triplé en Allemagne depuis 1880; degrandes
compagnies y ont absorbé des sociétés moindres. Aux Etats-
Unis, le nombre des sociétés d'assurances sur la vie est tombé de 71
en 1870 à 37 en 1889, et la moyenne par société des sommes assurées
a sextuplé, passant de 140 a 845 millions de francs. L'actif des
sociétés d'assurance-vie s'élève à 11,5 milliards de francs aux États-
Unis, 7,2 milliards en Angleterre, 2,1 milliards en France, celui des
sociétés d'assurance de toute nature monte à 5 milliards eu Allemagne
les grands établissements d'assurances, devenus d'immenses
réservoirs de l'épargne privée, disposent par là d'une puissance
financière considérable~.
La concentration a eu deux conséquences naturelles, que les statistiques
nous permettent de saisir l'agglomération des capitaux dans
les sociétés par actions, et la décroissance continue de la proportion
des entrepreneurs vis-à-vis des salariés.
Dans l'industrie manufacturière, les mines, les chemins de fer, la
navigation, le commerce, la banque, les assurances, etc., les entreprises
les plus considérables ont du, pour la plupart, se constituer en
sociétés par actions. En France (1899), le capital de ces sociétés
monte à 13 milliards 1/2, non compris 22 milliards en obligations.
Pour l'Angleterre (1904), leur capital s'élève à 70 milliards 1/2 de
francs, y compris celui des compagnies de chemins de fer. En Allemagne
(1896), capital et réserves des sociétés' par actions montent
a 10 milliards de francs, sans compter 8 milliards en obligations.
Aux États-Unis (1900) les sociétés par actions fournissent 89,S p. 100
du produit total de l'industrie; la proportion s'élève même à
81,4 p. 100 dans l'industrie chimique, à 89,9 p. 100 dans celle du
coton, et 93,6 p. 100 dans celle du fer et de l'acier~.
L'industrie, à mesure qu'elle grandit, devient une propriété imperi.
Voir AnnexeI, 4".
2. Bulletüxde statistique et de Z~gisZatâocnompraréem, ai l~Jüt, p.â80.-Statistical
~SM.BrMaeM<e/Hb?n- t~hee sC~n<tM)~t~~Mf~<g?'e~<Ot!Ne/~c!Mm~a~<!MK~coo<~NMOt'~p,e.,m2a3i6t9e0tt,2p0.a.80–.–HS~a/nMdw~'Serc-r~
tcrbacb der Staatswissenschaften,20éd., v°.~Me~eM~eAa/Yen, p. 194. ?'M)~/<A
Census of Me United States ~N00,t. Vn, p. Lxvtet Lxvti. D'après le Recensement
professionnelaHemand (GeU).u. Hand.MaD. R. 1895,p. i84), les entreprises
collectives en Allemagne,y compris celles de t'Ëtat et des municipalités,
emploient 33,t p. tOOdu personnel total de l'industrie et du commerce en 1895,
au lieu de 30,3 p. 100en 1882.
143 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ECONOMIQUE
sonnelle, mo-nTni-ayée s1o-us forme d-1e- tairtnr_es _m·r_obiliers. A ce deg-r1é-, elle
subit de plus en plus la domination de la haute finance. Les grandes
entreprises ne peuvent plus se passer du concours des maisons de
banque, soit pour l'émission de leurs titres, soit pour des avances et
des commandites. L'inQuence de la finance sur l'industrie est surtout
sensible à l'égard des trusts et des cartels, qui sont formés et cré-
-dites par la haute banque.
II résulte aussi de la centralisation industrielle et commerciale que
ta proportion des patrons indépendants diminue vis-à-vis du nombre
sans cesse grossissant des salariés. La diminution est particulièrement
rapide en Allemagne de 3S p. 100 en 1882, la proportion des
.entrepreneurs d'industrie et de commerce (en comptant parmi eux
les chefs d'ateliers à domicile, et parmi les salariés les ouvriers à
domicile isolés) est tombée à 26 p. 100 en 189S; si l'on met de côté
les travailleurs isolés, la proportion tombe d'une époque à l'autre
de 17,3 à 12,3 p. 100 dans l'industrie, et de 26,3 à 22,9 p. 100 dans le
commerce. En Belgique, dans l'industrie, la chute est moins rapide,
parce que le développement industriel y est plus ancien; néanmoins,
au lieu d'une proportion de 1 patron pour 1,8 ouvrier en 1846, on
n'y trouve plus en 1896 que 1 patron pour 3 ouvriers. Mêmeproportion
à la même époque dans l'industrie française, tandis que le
commerce compte un peu plus de patrons que de salariés'.
En même temps que diminue le nombre des entrepreneurs relativement
aux salariés, le capital des entreprises, principalement le
capital fixe, augmente plus vite que le personnel salarié. L'évolution
industrielle a donc pour conséquence d'amoindrir l'importance relative
des facteurs personnels à l'égard des facteurs matériels dans le
procès de production.
La cause du mouvement universel de concentration capitaliste est
bien connue; c'est la supériorité des grandes entreprises dans la concurrence
qui le provoque, avec la force irrésistible d'une loi naturelle.
Considérons l'industrie. Une grande entreprise, disposant de larges
capitaux, peut se procurer les meilleures machines, et tenir sans cesse
son outillage à hauteur des inventions les plus récentes; elle achète
les brevets pour l'exploitation des procédés les plus perfectionnés
elle attire les directeurs et ingénieurs les plus capables, les ouvriers
les plus habiles et les plus laborieux par des salaires plus élevés et
des journées plus courtes. Dans les ateliers, le travail est organisé de
t. Voir AnnexeI, 5*.
LA CONCENTRATIONINDUSTRIELLE ET COMMERCIALE m
manière à donner la plus grande production aux moindres frais
spécialisation extrême des tâches, application des ouvriers saperieurs
à certains travaux délicats, qui permettent de donner ensuite
la besogne courante à des ouvriers ordinaires recevant un salaire
réduit, utilisation complète et continue des machines, traitement
industriel des déchets et des sons-produits par quantités suffisantes.
De toutes manières, le grand établissement réalise des économies: sur
la main-d'oeuvre, moins coûteuse malgré les hauts salaires de certains
ouvriers; sur les matières, utilisées sans déperdition sur le
machinisme, d'autant moins onéreux par unité de force qu'il est plus
puissant; sur les frais généraux, d'autant moins élevés par unité
de produit que l'entreprise est plus considérable. Par la supériorité
de son organisation du travail, le grand établissement procède avec
plus de rapidité et de simplicité dans l'exécution, et obtient une plus
grande homogénéité des produits il peut ainsi fournir des livraisons
régulières, ponctuelles et uniformes aux prix les plus bas, et
renouveler promptement ses assortiments; il est capable d'exécuter
les commandes les plus considérables et les plus pressées, et d'entreprendre
les travaux de construction les plus gigantesques.
Ces avantages au point de vue technique de la production ne sont
pas les seuls; dans la partie commerciale de sa tâche, le grand entrepreneur
n'est pas moins favorisé. Qu'il s'agisse d'achats de matières
premières ou de matériel, qu'il s'agisse de transports on même
d'obligations fiscales, les conditions sont généralement meilleures
pour celui qui opère par grandes masses. Au point de vue de la
vente, les grandes maisons peuvent se charger des plus vastes commandes,
et organiser elles-mêmes l'exportation; elles ont le moyen
de se passer des intermédiaires onéreux. L'étendue de leur capital et
l'élasticité de leur crédit leur permettent de profiter des occasions
favorables pour leurs approvisionnements, d'attendre un relèvement
des cours pour l'écoulement de leurs marchandises, et de surmonter
les crises qui écrasent les faibles. Leur capital, circulant plus vite,
est aussi pl~s productif. Le crédit leur est facile, et l'escompte largement
ouvert au taux le plus bas. Grâce à l'ampleur de leurs transactions,
elles peuvent aussi se contenter d'un moindre profit sur chaque
marchandise. Pour toutes ces raisons d'ordre industriel et commércial,
les grandes entreprises peuvent vendre moins cher et réaliser
des bénénces plus élevés; elles l'emportent naturellement dans la
concurrence, et survivent quand los autres succombent.
Dans le commerce de détail, les avantages de la concentration sont,
pour la plupart, de même nature que dans l'industrie et les trans144
LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
1 1 /1. Il
ports économies sur les frais généraux, conditions favorables pour
les achats, ampleur et bon marché du crédit, circulation rapide du
capital, etc. Les grands magasins peuvent éliminer un grand nombre
d'intermédiaires coûteux, et se rendre indépendants des négociants
en gros; ils dictent leurs conditions aux fabricants, qu'ils se subordonnent
par des participations, des avances et des contrats à livrer.
Ils attirent la clientèle par l'étendue, la variété, la fraîcheur de leurs
approvisionnements sans cesse renouvelés, par les facilités qu'ils
donnent à l'acheteur d'exercer son choix, de faire rapidement des
achats multiples et de s'en dégager dès qu'il le désire.
Quant aux grandes banques par actions, leur supériorité ne vient
pas de la modicité relative de leurs frais; mais l'importance des capitaux
dont elles disposent leur permet d'abaisser le taux de l'escompte
au profit de leurs meilleurs clients, sans avoir à se préoccuper d'un
réescompte onéreux, dont les petites banques sont toujours obligées
au contraire de tenir compte à l'avance; par-dessus tout, la puissance
du crédit attaché à leur signature et l'étendue de leur sphère d'action
leur assurent la prééminence. C'est en effet par leur rayonnement sur
tout le territoire d'un grand pays qu'elles peuvent drainer partout
les capitaux flottants, pour les porter sur les points où ils sont le
plus nécessaires, et par conséquent le plus lucratifs; c'est par la multiplicité
de leurs comptoirs qu'elles peuvent attirer une immense clientèle
et répandre dans le public les titres qu'elles se chargent de
placer fructueusement. En particulier, les banques qui émettent des
valeurs industrielles doivent avoir un capital-actions considérable,
pour entreprendre les grandes affaires et diviser les risques en créant
des entreprises multiples et variées.
L'analyse qui vient d'être présentée montre suffisamment que les
avantages de la concentration ne sont pas toujours attachés à la
dimension de l'établissement, mais qu'ils le sont plutôt à la dimension
de l'entreprise. La distinction est essentielle, car une entreprise
peut réunir sous une même direction industrielle et commerciale
plusieurs établissements distincts et éloignés. II ya des limites qu'un
établissement ne peut dépasser dans sa croissance sans une lourde
surcharge des frais généraux, et sans une aggravation périlleuse des
difncultés de surveillance et de direction; il n'y a pas de limite,
semble-t-il, à l'extension des entreprises. Une entreprise trouve donc
avantage, dans certaines circonstances, à s'étendre par multiplication
de ses établissements, agences ou succursales, plutôt que par agrandissement
d'un siège unique. Nous en avons déjà cité quelques
exemples; nous le verrons mieux encore en étudiant les trusts.
862

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