Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre IV : Les inductions tirées des faits »

Aller à la navigation Aller à la recherche
 
(14 versions intermédiaires par le même utilisateur non affichées)
Ligne 2 480 : Ligne 2 480 :
pour avoir le moyen et le droit d'atteindre des destinées plus
pour avoir le moyen et le droit d'atteindre des destinées plus
hautes.
hautes.
Dans ces destinées du prolétariat, les révolutionnaires n'aperçoivent
Dans ces destinées du prolétariat, les révolutionnaires n'aperçoivent
qu'un but suprême à atteindre, l'abolition du salariat. Mais
qu'un but suprême à atteindre, l'abolition du salariat. Mais
Ligne 2 492 : Ligne 2 493 :
En réalité, le socialisme d'État, s'il devenait intégral, généraliserait
En réalité, le socialisme d'État, s'il devenait intégral, généraliserait
le salariat au point d'en faire le régime universel.
le salariat au point d'en faire le régime universel.
Les institutions mêmes qui semblaient devoir limiter ou tempérer
Les institutions mêmes qui semblaient devoir limiter ou tempérer
le salariat n'ont pas justifié les espérances qu'elles avaient fait naître
le salariat n'ont pas justifié les espérances qu'elles avaient fait naître
Ligne 2 511 : Ligne 2 513 :
couches plus nombreuses, à mesure que les exploitations s'agrandissent
couches plus nombreuses, à mesure que les exploitations s'agrandissent
et que les populations agricoles se détachent de la terre.
et que les populations agricoles se détachent de la terre.
Mais le salariat n'implique par lui-même ni subordination personnelle,
Mais le salariat n'implique par lui-même ni subordination personnelle,
ni infériorité sociale. Encore une fois, la qualité de prolétaire
ni infériorité sociale. Encore une fois, la qualité de prolétaire
Ligne 2 529 : Ligne 2 532 :
réaliser, mais dont aucune ne parait au-dessus des forces humaines,
réaliser, mais dont aucune ne parait au-dessus des forces humaines,
ni en dehors des conditions normales de l'évolution économique.
ni en dehors des conditions normales de l'évolution économique.
Avant tout, le salaire doit être plus élevé. Sur le continent européen,
Avant tout, le salaire doit être plus élevé. Sur le continent européen,
le salaire de la plupart des travailleurs manuels est insuffisant;
le salaire de la plupart des travailleurs manuels est insuffisant;
Ligne 2 536 : Ligne 2 540 :
salaire des ouvriers agricoles est resté particulièrement bas, et celui
salaire des ouvriers agricoles est resté particulièrement bas, et celui
des travailleurs à domicile est misérable.
des travailleurs à domicile est misérable.
Néanmoins, des progrès appréciables ont été déjà réalisés. Dans
Néanmoins, des progrès appréciables ont été déjà réalisés. Dans
tous les pays civilisés, le taux général des salaires a haussé pendant
tous les pays civilisés, le taux général des salaires a haussé pendant
Ligne 2 552 : Ligne 2 557 :
dans tous les pays prospères, et particulièrement chez les peuples
dans tous les pays prospères, et particulièrement chez les peuples
qui accomplissent leur transformation économique.
qui accomplissent leur transformation économique.
La cause générale de ce phénomène est évidemment l'accroissement
La cause générale de ce phénomène est évidemment l'accroissement
de la productivité du travail par le fait des progrès techniques.
de la productivité du travail par le fait des progrès techniques.
Ligne 2 575 : Ligne 2 581 :


L'accroissement de la production par le progrès scientifique, qui a
L'accroissement de la production par le progrès scientifique, qui a
rendu possible la hausse générale des salaires au xix" siècle, ne
rendu possible la hausse générale des salaires au XIXème siècle, ne
suffit cependant pas à l'expliquer. S'il existait, en effet, une loi
suffit cependant pas à l'expliquer. S'il existait, en effet, une loi
naturelle limitant le salaire au minimum strictement indispensable
naturelle limitant le salaire au minimum strictement indispensable
à l'entretien de la vie physiologique, si le salaire, en d'autres termes,
à l'entretien de la vie physiologique, si le salaire, en d'autres termes,
n'offrait quelque résistance que par la mortalité de la population
n'offrait quelque résistance que par la mortalité de la population
ouvrière, l'accroissement de la production, en réduisant le prix des.
ouvrière, l'accroissement de la production, en réduisant le prix des
choses nécessaires à la vie, n'aurait eu d'autre effet pour les travailleurs
choses nécessaires à la vie, n'aurait eu d'autre effet pour les travailleurs
que d'abaisser leur salaire en argent. Il est vrai que les théoriciens
que d'abaisser leur salaire en argent. Il est vrai que les théoriciens
Ligne 2 587 : Ligne 2 593 :
détermination du salaire minimum; mais leur formule est alors si
détermination du salaire minimum; mais leur formule est alors si
contingente, elle fait une place si importante à l'action effective des
contingente, elle fait une place si importante à l'action effective des
exigences de la classe ouvrière, qu'elle perd toute signification rigoui.
exigences de la classe ouvrière, qu'elle perd toute signification rigoureuse et tout caractère de contrainte; le cercle d'airain se desserre -comme un ruban élastique.
Voir AnnexeIX.
 
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 36.9
LES SYSTÈMES SOCIALISTES.
Teuse et tout caractère de contrainte; le cercle d'airain se desserre
-comme un ruban élastique.
Là se trouve, en effet, la vérité. Si le salaire s'est élevé en même
Là se trouve, en effet, la vérité. Si le salaire s'est élevé en même
temps que la productivité du travail, c'est qu'il possède une force de
temps que la productivité du travail, c'est qu'il possède une force de
Ligne 2 604 : Ligne 2 606 :
contraire un élément extensible des frais, et même un élément irréductible
contraire un élément extensible des frais, et même un élément irréductible
résistant à une baisse du prix du produit.
résistant à une baisse du prix du produit.
lesBeuanuiocnosup odu'vércioènreosmisatnesgiaisterasi,tentde dm'haéinrétesineir la enpréttoenuttionétat émdeisecaupsaer
 
un certain minimum de salaire correspondant à l'étalon de vie habi-
Beaucoup d'économistes traitent d'hérésie la prétention émise par les unions ouvrières anglaises, de maintenir en tout état de cause un certain minimum de salaire correspondant à l'étalon de vie habituel; cette théorie du ''living wage'', d'après laquelle l'industrie doit en toute circonstance, nourrir ses hommes et assurer à ceux qu'elle emploie un minimum d'existence, leur parait se heurter à des lois
teunel toucteettecircthoénosrtaienced, u nliovuinrrgir msaegse,hodm'ampreèss eltaqauseslulerer l'inàducesturxie qud'eolilte,
emploie un minimum d'existence, leur parait se heurter à des lois
naturelles inéluctables. Pour eux, les volontés humaines les mieux
naturelles inéluctables. Pour eux, les volontés humaines les mieux
trempées, les plus unies, les plus tendues par l'excès du désespoir,
trempées, les plus unies, les plus tendues par l'excès du désespoir,
.doivent se briser devant la loi implacable qui soumet les salaires aux
doivent se briser devant la loi implacable qui soumet les salaires aux
variations des prix du produit.
variations des prix du produit.
Mais cette vue théorique, inspirée, il est vrai, par l'observation de
Mais cette vue théorique, inspirée, il est vrai, par l'observation de
certains faits concluants en apparence, ne représente cependant
certains faits concluants en apparence, ne représente cependant
,qu'un côté du problème complexe de la valeur. En formulant avec
qu'un côté du problème complexe de la valeur. En formulant avec
dceettevenptreéciseixoenrcelaunsueboirndfilnuaetniocne indcuonsteaslatairbel,e onsuorublleieprqixue,desireleviepnrti,x
cette précision la subordination du salaire, on oublie que si le prix de vente exerce une influence incontestable sur le prix de revient,
celui-ci, à son tour, agit par ses variations sur le prix du produit;
celui-ci, à son tour, agit par ses variations sur le prix du produit;
dans le conflit perpétuel des éléments en concurrence, la force décide
dans le conflit perpétuel des éléments en concurrence, la force décide
'de la victoire.
de la victoire.
 
Parmi les frais de production, il en est qui, à raison des circonstances,
Parmi les frais de production, il en est qui, à raison des circonstances,
n'ont aucune force interne de résistance, et qui suivent docilement
n'ont aucune force interne de résistance, et qui suivent docilement
les mouvements des prix du produit c'est le cas, généralement,
les mouvements des prix du produit; c'est le cas, généralement,
pour le fermage aux époques de renouvellement du bail, pour
pour le fermage aux époques de renouvellement du bail, pour
'l'intérêt du capital immobilisé, et même, dans une certaine mesure,
l'intérêt du capital immobilisé, et même, dans une certaine mesure,
pour le prix de la matière première quand elle n'a qu'un seul débouché.
pour le prix de la matière première quand elle n'a qu'un seul débouché.
D'autres, au contraire, sont irréductibles soit qu'ils puisent leur
D'autres, au contraire, sont irréductibles soit qu'ils puisent leur
force dans la loi, comme les impôts; soit qu'ils trouvent des points
force dans la loi, comme les impôts; soit qu'ils trouvent des points
,d'appui extérieurs et des débouchés en dehors de l'industrie en souffrance,
d'appui extérieurs et des débouchés en dehors de l'industrie en souffrance,
comme les frais d'assurances, les taxes de transport, les loyers
comme les frais d'assurances, les taxes de transport, les loyers des magasins de vente au détail et l'intérêt des capitaux circulants.
370 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
~d=es Tmnangcarnsisn!nsa rdtef vwenntcte aauu ddééttaaiill eett ll''iinnttéérrêêtt ddeess ccaappiittaauuxx cciirrccuullaanntst.s.
Ces frais sont intangibles, et l'industrie qui ne peut les payer est
Ces frais sont intangibles, et l'industrie qui ne peut les payer est
impuissante à les réduire; elle doit restreindre elle-même sa production,
impuissante à les réduire; elle doit restreindre elle-même sa production,
Ligne 2 636 : Ligne 2 636 :
pour les couvrir; ces sortes de frais, au lieu d'être déterminés par le
pour les couvrir; ces sortes de frais, au lieu d'être déterminés par le
prix de vente, contribuent au contraire à le déterminer.
prix de vente, contribuent au contraire à le déterminer.
Or, les éléments du coût de production qui possèdent ce privilège
Or, les éléments du coût de production qui possèdent ce privilège
ne forment pas une catégorie invariable et fermée; tel élément, qui
ne forment pas une catégorie invariable et fermée; tel élément, qui
Ligne 2 651 : Ligne 2 652 :
leurs caisses de secours, que de consentir à des abaissements qui pourraient
leurs caisses de secours, que de consentir à des abaissements qui pourraient
se consolider comme dans les industries à domicile. En Angleterre,
se consolider comme dans les industries à domicile. En Angleterre,
depuis la constitution de trade-unions puissantes, les salaires.
depuis la constitution de trade-unions puissantes, les salaires,
au lieu de tomber comme jadis, se maintiennent relativement
au lieu de tomber comme jadis, se maintiennent relativement
stables dans les périodes de dépression industrielle, sans que le
stables dans les périodes de dépression industrielle, sans que le
chômage soit devenu plus intense dans les mêmes périodes
chômage soit devenu plus intense dans les mêmes périodes
Il n'v a donc aucune raison théorique pour considérer les salaires
 
Il n'y a donc aucune raison théorique pour considérer les salaires
comme destinés fatalement à subir le contre-coup des plus extrêmes
comme destinés fatalement à subir le contre-coup des plus extrêmes
fluctuations des prix. Et de fait, dans le dernier demi-siècle qui
fluctuations des prix. Et de fait, dans le dernier demi-siècle qui
s'est écoulé, si les salaires ont été réduits pendant les périodes de
s'est écoulé, si les salaires ont été réduits pendant les périodes de
crise. la baisse ne leur a pas fait perdre tout le terrain gagné; les
crise, la baisse ne leur a pas fait perdre tout le terrain gagné; les
reculs momentanés n'ont été que des oscillations dans un mouvement
reculs momentanés n'ont été que des oscillations dans un mouvement
général de hausse.
général de hausse.
Ce mouvement est destiné à se prolonger et à grandir encore,
Ce mouvement est destiné à se prolonger et à grandir encore,
parce que ses causes agiront dans l'avenir avec une force grandissante.
parce que ses causes agiront dans l'avenir avec une force grandissante.
Les découvertes de la science et la diffusion des connaissances
Les découvertes de la science et la diffusion des connaissances
techniques ne cesseront d'accroître la productivité du travail dans.
techniques ne cesseront d'accroître la productivité du travail dans
l'agriculture et dans l'industrie; les conditions resteront donc favorables
l'agriculture et dans l'industrie; les conditions resteront donc favorables
à la hausse générale des salaires, sauf dans quelques industries
à la hausse générale des salaires, sauf dans quelques industries
où la main-d'oeuvre pourra se trouver momentanément atteinte
où la main-d'oeuvre pourra se trouver momentanément atteinte
t. TuMmBaranowski, Studien sMt-Theorieund G<Mc7t:'c/dte~r Handelskrisenin
E~S7K<, p. 234, Iéna, Fischer, MOI,in-S".
LE SENS DE L'ÉVOLUTIONET LA POLITIQUE SOCIALE =371I
par de brusques transformations du machinisme. En outre, les
par de brusques transformations du machinisme. En outre, les
associations ouvrières, selon toute vraisemblance, se fortifieront par
associations ouvrières, selon toute vraisemblance, se fortifieront par
Ligne 2 679 : Ligne 2 679 :
passé; ils sauront mieux profiter de l'essor de la production pour
passé; ils sauront mieux profiter de l'essor de la production pour
élargir leur part dans la richesse sociale.
élargir leur part dans la richesse sociale.
Mais, ici encore, le théoricien pessimiste intervient pour jeter sa
Mais, ici encore, le théoricien pessimiste intervient pour jeter sa
note découragée Qu'importe la hausse générale des salaires? Quelle
note découragée. Qu'importe la hausse générale des salaires? Quelle
amélioration peut-elle procurer aux classes ouvrières, si elle doit
amélioration peut-elle procurer aux classes ouvrières, si elle doit
entraîner, par l'augmentation des prix de revient, une hausse gênérale
entraîner, par l'augmentation des prix de revient, une hausse générale
des prix et un accroissement équivalent des charges de la vie
des prix et un accroissement équivalent des charges de la vie
pour les travailleurs?
pour les travailleurs?
Rien de tel cependant, ni en théorie ni en fait. En admettant
Rien de tel cependant, ni en théorie ni en fait. En admettant
même que la hausse des salaires se répercute exactement sur les prix
même que la hausse des salaires se répercute exactement sur les prix
Ligne 2 692 : Ligne 2 694 :
l'intérêt, le revenu foncier, le profit, qui ont plutôt une tendance
l'intérêt, le revenu foncier, le profit, qui ont plutôt une tendance
à baisser. Si, par exemple, le prix d'une marchandise contient
à baisser. Si, par exemple, le prix d'une marchandise contient
3 francs de salaires et 3 francs de revenus capitalistes, et si le salaire =
3 francs de salaires et 3 francs de revenus capitalistes, et si le salaire
vient à doubler, le prix ne doublera pas, mais passera de 6 à 9 francs.
vient à doubler, le prix ne doublera pas, mais passera de 6 à 9 francs.
Or, il n'est pas indifférent à l'ouvrier de recevoir 6 francs au lieu
Or, il n'est pas indifférent à l'ouvrier de recevoir 6 francs au lieu
de 3, alors même que le produit devrait coûter désormais 9 francs
de 3, alors même que le produit devrait coûter désormais 9 francs
au lieu de 6; sa part proportionnelle dans le produit s'élève de la i
au lieu de 6; sa part proportionnelle dans le produit s'élève de la
moitié aux deux tiers. Tandis que la hausse générale des salaires pro- :L:
moitié aux deux tiers. Tandis que la hausse générale des salaires profite exclusivement à la classe ouvrière, la hausse des prix qui peut
fite exclusivement à la classe ouvrière, la hausse des prix qui peut
en résulter ne pèse pas sur elle seule, et ne l'atteint en aucune façon
en résulter ne pèse pas sur elle seule, et ne l'atteint en aucune façon
quand il s'agit d'objets qui n'entrent pas dans sa consommation
quand il s'agit d'objets qui n'entrent pas dans sa consommation
ordinaire.
ordinaire.
Cette dissertation, théorique est d'ailleurs dénuée d'intérêt, parce
Cette dissertation, théorique est d'ailleurs dénuée d'intérêt, parce
qu'elle suppose, à côté du salaire croissant, des frais qui restent
qu'elle suppose, à côté du salaire croissant, des frais qui restent
Ligne 2 708 : Ligne 2 710 :
dans tous les États qui n'ont pas à supporter des charges exceptionnelles,
dans tous les États qui n'ont pas à supporter des charges exceptionnelles,
le coût de l'existence a plutôt diminué depuis trente ans,
le coût de l'existence a plutôt diminué depuis trente ans,
malgré la hausse générale des salaires. A part le logement dans les j
malgré la hausse générale des salaires. A part le logement dans les grandes villes, la viande, le lait et quelques produits moins importants,
grandes villes, la viande, le lait et quelques produits moins importants,
tous les objets de consommation populaire, tous les articles
tous les objets de consommation populaire, tous les articles
fabriqués de qualité commune sont aujourd'hui moins chers qu'en
fabriqués de qualité commune sont aujourd'hui moins chers qu'en
1870, et le seront moins encore dans l'avenir.
1870, et le seront moins encore dans l'avenir.
372 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
 
_n.a
Pour que le salariat perde son caractère oppressif, il ne suffit pas
Pour que le salariat perde son caractère oppressa, 11ue sm.m pnB
que le travail soit mieux rétribué; il faut aussi qu'il soit moins
que le travail soit mieux rétribué; il faut aussi qu'il soit moins
pénible, moins absorbant et moins dangereux. A cet égard encore,
pénible, moins absorbant et moins dangereux. A cet égard encore,
les améliorations réalisées depuis une cinquantaine d'années nous
les améliorations réalisées depuis une cinquantaine d'années nous
font présager celles qui seront obtenues à l'avenir.
font présager celles qui seront obtenues à l'avenir.
Dans la grande industrie, les journées de 13 à 15 heures ont fait
Dans la grande industrie, les journées de 13 à 15 heures ont fait
place aux journées de 10 heures, et même à des durées plus courtes
place aux journées de 10 heures, et même à des durées plus courtes
Ligne 2 728 : Ligne 2 729 :
patronale elle-même, sont des forces qui continueront à agir dans le
patronale elle-même, sont des forces qui continueront à agir dans le
même sens avec une énergie croissante.
même sens avec une énergie croissante.
Il faut encore, pour que le contrat de travail ne conserve aucune
Il faut encore, pour que le contrat de travail ne conserve aucune
trace des anciens rapports de sujétion, que les termes en soient parfaitement
trace des anciens rapports de sujétion, que les termes en soient parfaitement
Ligne 2 739 : Ligne 2 741 :
au louage de services son caractère irritant, surtout lorsqu'il est
au louage de services son caractère irritant, surtout lorsqu'il est
conclu par des groupes de travailleurs qui s'engagent à exécuter certains
conclu par des groupes de travailleurs qui s'engagent à exécuter certains
ouvrages pour un prix déterminé'.
ouvrages pour un prix déterminé.
 
Reste enfin, pour les salariés, à conquérir le bien le plus précieux
Reste enfin, pour les salariés, à conquérir le bien le plus précieux
et le plus essentiel, la sécurité de l'avenir. A cet égard, la loi leur
et le plus essentiel, la sécurité de l'avenir. A cet égard, la loi leur
Ligne 2 750 : Ligne 2 753 :
plus élevé, permettra mieux l'épargne au travailleur, et le garantira
plus élevé, permettra mieux l'épargne au travailleur, et le garantira
davantage contre les risques auxquels il reste exposé.
davantage contre les risques auxquels il reste exposé.
Mais il n'y a de véritable sécurité pour l'ouvrier que s'il peut
Mais il n'y a de véritable sécurité pour l'ouvrier que s'il peut
compter sur la stabilité de son emploi. Nous rencontrons ici l'obstacle
compter sur la stabilité de son emploi. Nous rencontrons ici l'obstacle
qui s'oppose incessamment aux efforts de la classe ouvrière, le mal
qui s'oppose incessamment aux efforts de la classe ouvrière, le mal
dont elle souffre le plus dans notre organisation économique le
dont elle souffre le plus dans notre organisation économique: le
1. Schloss, Lesmodes de !-<fn:M):e!M!t du travail, trad. Rist, Giard, 1902,in-S".
chômage. Nul problème plus douloureux et plus pressant, nul non
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 3?3
.cth.Aô~mage. 1N\Tul~ pro.biWlème plnus dooulor ureux et plus pressant, nul non
plus qui échappe davantage à la volonté humaine; devant ce
plus qui échappe davantage à la volonté humaine; devant ce
vice inhérent au régime de la concurrence, il semble jusqu'ici que
vice inhérent au régime de la concurrence, il semble jusqu'ici que
Ligne 2 762 : Ligne 2 764 :
point même, divers symptômes permettent d'espérer un état
point même, divers symptômes permettent d'espérer un état
meilleur.
meilleur.
Les crises générales, qui provoquent les chômages en masse les
Les crises générales, qui provoquent les chômages en masse les
plus difficiles à secourir, semblent devoir s'atténuer. Quant aux chômages
plus difficiles à secourir, semblent devoir s'atténuer. Quant aux chômages
Ligne 2 781 : Ligne 2 784 :
de patrons et d'ouvriers, légalement organisées et rendues responsables
de patrons et d'ouvriers, légalement organisées et rendues responsables
des irrégularités de l'industrie vis-à-vis du personnel
des irrégularités de l'industrie vis-à-vis du personnel
salarié de la profession. Quant & la masse flottante des incapables,
salarié de la profession. Quant à la masse flottante des incapables,
des faibles et des infirmes qui sont en chômage chronique, elle reste
des faibles et des infirmes qui sont en chômage chronique, elle reste
nécessairement en dehors des organisations professionnelles et ne.
nécessairement en dehors des organisations professionnelles et ne
relève que de l'assistance mais ce n'est pas elle qui pèse sur le salaire
relève que de l'assistance mais ce n'est pas elle qui pèse sur le salaire
des ouvriers valides et laborieux.
des ouvriers valides et laborieux.
Le chômage et le sK.'ea~ny system dans les industries à domicile,
 
Le chômage et le ''sweaty system'' dans les industries à domicile,
voilà les deux grandes plaies des sociétés modernes. Sont-ce les
voilà les deux grandes plaies des sociétés modernes. Sont-ce les
seules? La situation des travailleurs, loin de s'améliorer, ne tend-elle
seules? La situation des travailleurs, loin de s'améliorer, ne tend-elle
Ligne 2 797 : Ligne 2 801 :
élevés, et, à tout prendre, des conditions meilleures, non seulement
élevés, et, à tout prendre, des conditions meilleures, non seulement
dans l'industrie, mais aussi dans les petits emplois des chemins de
dans l'industrie, mais aussi dans les petits emplois des chemins de
374 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
fer, des administrations et du commerce. Par le fait de cette émigration,
fer, des administrations et du commerce. Par le fait de cette émigration,
les ouvriers qui restent attachés à l'agriculture se trouvent
les ouvriers qui restent attachés à l'agriculture se trouvent
Ligne 2 806 : Ligne 2 809 :
en masses puissantes et s'affranchir des servitudes économiques
en masses puissantes et s'affranchir des servitudes économiques
qui pèsent encore sur lui.
qui pèsent encore sur lui.
Le salariat peut donc devenir un état dans lequel le travailleur et
Le salariat peut donc devenir un état dans lequel le travailleur et
l'employé trouveront plus de bien-être, d'indépendance et de sécurité.
l'employé trouveront plus de bien-être, d'indépendance et de sécurité.
Ligne 2 823 : Ligne 2 827 :
contraire en harmonie avec l'ensemble du procès historique des
contraire en harmonie avec l'ensemble du procès historique des
sociétés modernes.
sociétés modernes.
Ce but, on l'atteindra d'autant mieux que les hommes sauront
Ce but, on l'atteindra d'autant mieux que les hommes sauront
renoncer à leurs préjugés de classe, et cesseront de se représenter
renoncer à leurs préjugés de classe, et cesseront de se représenter
Ligne 2 838 : Ligne 2 843 :
de ses devoirs sociaux, la contrainte sur soi-même, la persévérance
de ses devoirs sociaux, la contrainte sur soi-même, la persévérance
dans l'accomplissement des obligations syndicales, la loyauté
dans l'accomplissement des obligations syndicales, la loyauté
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 373
dans les rapports avec les employeurs, le respect des engagements
dans les rapports avec les employeurs, le respect des engagements
librement contractés.
librement contractés.
De même encore, on peut dire que les travailleurs manuels ne constituent
De même encore, on peut dire que les travailleurs manuels ne constituent
pas la nation tout entière, et que les problèmes qui les concernent
pas la nation tout entière, et que les problèmes qui les concernent
Ligne 2 850 : Ligne 2 855 :
homme de coeur, nul homme doué de quelque sens politique ne peut
homme de coeur, nul homme doué de quelque sens politique ne peut
s'en désintéresser. S'il est vrai que l'état d'abaissement des prolétaires
s'en désintéresser. S'il est vrai que l'état d'abaissement des prolétaires
est pour une nation un état de barbarie, s'il est vrai que l'espritrévolutionnaire
est pour une nation un état de barbarie, s'il est vrai que l'esprit révolutionnaire
est une menace constante pour la civilisation, il n'est
est une menace constante pour la civilisation, il n'est
rien de plus essentiel pour la société moderne que le progrès des
rien de plus essentiel pour la société moderne que le progrès des
Ligne 2 856 : Ligne 2 861 :
n'est rien de plus nécessaire, puisque toutes les conditions de l'accroissement
n'est rien de plus nécessaire, puisque toutes les conditions de l'accroissement
des richesses, perfectionnement du machinisme, intensité
des richesses, perfectionnement du machinisme, intensité
et habileté du travail humain, sontétroitementliëesà l'élévation
et habileté du travail humain, sont étroitement liées à l'élévation
des salaires et au bien-être des travailleurs.
des salaires et au bien-être des travailleurs.
C'est dire que les entrepreneurs eux-mêmes, considérés en général,
C'est dire que les entrepreneurs eux-mêmes, considérés en général,
sont intéressés à ce progrès. Dans une population ouvrière préservée
sont intéressés à ce progrès. Dans une population ouvrière préservée
Ligne 2 876 : Ligne 2 882 :
un état d'équilibre organisé où il y aura, pour eux comme pour les
un état d'équilibre organisé où il y aura, pour eux comme pour les
salariés, plus d'ordre et de sécurité?
salariés, plus d'ordre et de sécurité?
Il est vrai que le coût de production s'élève, toutes les fois que
Il est vrai que le coût de production s'élève, toutes les fois que
la loi ou les associations ouvrières introduisent une amélioration
la loi ou les associations ouvrières introduisent une amélioration
en faveur des salariés. Mais de même qu'en définitive un entrepreneur
en faveur des salariés. Mais de même qu'en définitive un entrepreneur
ne profite pas d'une baisse des salaires, parce que ses concur376
ne profite pas d'une baisse des salaires, parce que ses concurrents bénéficient de réductions semblables, de même il ne souffre pas d'un relèvement des salaires ou d'une diminution de la journée de
LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
rents bénéficient de réductions semblables, de même il ne souffre pa?.
d'un relèvement des salaires ou d'une diminution de la journée de
travail, quand la règle est établie par la loi ou par de puissantes
travail, quand la règle est établie par la loi ou par de puissantes
organisations syndicales qui peuvent l'imposer à tous; les conditions
organisations syndicales qui peuvent l'imposer à tous; les conditions
Ligne 2 892 : Ligne 2 896 :
acceptent de travailler à des conditions inférieures se trouve écartée.
acceptent de travailler à des conditions inférieures se trouve écartée.
Il n'y a, pour souffrir de la situation, que les entreprises parasites,
Il n'y a, pour souffrir de la situation, que les entreprises parasites,
celles qui ne parviennent à subsister que par l'exploitation abusive"
celles qui ne parviennent à subsister que par l'exploitation abusive
des forces de travail; celles-là sont condamnées à succomber; c'est
des forces de travail; celles-là sont condamnées à succomber; c'est
un mal social qui disparaît.
un mal social qui disparaît.
Mais que deviennent les industries nationales, si elles ont il supporter
Mais que deviennent les industries nationales, si elles ont il supporter
des frais qui leur rendent la lutte impossible vis-à-vis de la
des frais qui leur rendent la lutte impossible vis-à-vis de la
Ligne 2 908 : Ligne 2 913 :
d'accorder une protection contre les pays retardataires qui menaceraient
d'accorder une protection contre les pays retardataires qui menaceraient
par leur concurrence les conquêtes de la classe ouvrière.
par leur concurrence les conquêtes de la classe ouvrière.
L'objection ne prend toute sa force qu'à l'égard des industries d'exportation.
L'objection ne prend toute sa force qu'à l'égard des industries d'exportation.
Toutefois, l'expérience nous montre que les pays où la
Toutefois, l'expérience nous montre que les pays où la
Ligne 2 915 : Ligne 2 921 :
que, malgré des salaires plus forts et des journées plus courtes, le
que, malgré des salaires plus forts et des journées plus courtes, le
coût de la main-d'oeuvre y est moins élevé qu'ailleurs.
coût de la main-d'oeuvre y est moins élevé qu'ailleurs.
Cette observation n'a d'ailleurs qu'une valeur relative. Les hauts
Cette observation n'a d'ailleurs qu'une valeur relative. Les hauts
salaires et les courtes journées n'exercent leur effet sur la productivité
salaires et les courtes journées n'exercent leur effet sur la productivité
Ligne 2 921 : Ligne 2 928 :
meilleure éducation professionnelle; il peut donc arriver qu'une
meilleure éducation professionnelle; il peut donc arriver qu'une
hausse des salaires ou une réduction du temps de travail s'opérant
hausse des salaires ou une réduction du temps de travail s'opérant
d'une façon trop brusque dans un pays rompe momentanément.
d'une façon trop brusque dans un pays rompe momentanément l'équilibre au détriment de certaines industries nationales. D'un
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 377
autre côté, l'avantage attaché à l'emploi d'ouvriers bien payés,
"·,· -1- _· .t~t: .J.1.M n· l'équilibre au détriment de certaines industries nationales. D'un
autre côté, l'avantage attaché à l'emploi d'ouvriers bien payés,.
incontestable dans les industries mécaniques où la perfection du
incontestable dans les industries mécaniques où la perfection du
machinisme assure la prééminence, cesse d'exister dans les industries a,
machinisme assure la prééminence, cesse d'exister dans les industries a,
Ligne 2 932 : Ligne 2 937 :
est réellement intéressée, même au point de vue purement utilitaire,
est réellement intéressée, même au point de vue purement utilitaire,
à conserver des industries qui exportent le sang et la vie des hommes.
à conserver des industries qui exportent le sang et la vie des hommes.
Un jour viendra sans doute où les États se lasseront de cette luttehomicide,
Un jour viendra sans doute où les États se lasseront de cette lutte homicide,
comme ils se lassent déjà des primes à l'exportation.
comme ils se lassent déjà des primes à l'exportation.
Soit par la force de l'exemple, soit par des conventions diplomatiques,
Soit par la force de l'exemple, soit par des conventions diplomatiques,
soit même par des accords entre syndicats de producteurs
soit même par des accords entre syndicats de producteurs
Ligne 2 940 : Ligne 2 946 :
de hausse parallèle dans les différents pays industriels. La concurrence
de hausse parallèle dans les différents pays industriels. La concurrence
étrangère n'est pas, en définitive, un obstacle a l'ascension
étrangère n'est pas, en définitive, un obstacle a l'ascension
des classes ouvrières, parce que les mêmes causes agissent dans les'
des classes ouvrières, parce que les mêmes causes agissent dans les
pays en concurrence pour déterminer une progression simultanée.
pays en concurrence pour déterminer une progression simultanée.
Lorsque le salariat aura subi ces transformations, l'opposition
Lorsque le salariat aura subi ces transformations, l'opposition
d'intérêts entre employeurs et salariés subsistera encore, comme ell&
d'intérêts entre employeurs et salariés subsistera encore, comme elle
existe entre producteurs et négociants, entre commerçants et consommateurs,
existe entre producteurs et négociants, entre commerçants et consommateurs,
entre tous ceux qui ont à débattre les clauses d'un
entre tous ceux qui ont à débattre les clauses d'un
Ligne 2 964 : Ligne 2 971 :
contractant avec des groupes coopératifs, se trouvent dispensés
contractant avec des groupes coopératifs, se trouvent dispensés
de toute surveillance; et les employeurs, de leur côté, sauront
de toute surveillance; et les employeurs, de leur côté, sauront
378 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
accepter les exigences des ouvriers et les hausses de salaires avec
accepter les exigences des ouvriers et les hausses de salaires avec
autant de sang-froid et de résignation qu'ils subissent aujourd'hui
autant de sang-froid et de résignation qu'ils subissent aujourd'hui
les hausses du prix de la houille ou du. coton.
les hausses du prix de la houille ou du coton.
 
===§ 4. L'individu dans la société.===
 
Le régime vers lequel nous porte l'évolution historique est un
régime plus organisé que celui des débuts du capitalisme. Dans cette
organisation, qui est un peu celle du présent, et qui sera vraisemblablement,
dans une mesure bien plus large encore, celle de l'avenir,
l'individu ne perd-il pas quelque chose de son autonomie?
 
Question troublante, à coup sûr, dans un temps comme le nôtre,
où l'individu est plus attaché que jamais à son indépendance et
semble peu disposé à abdiquer ses droits. Le régime moderne se
distingue justement de l'ancien par ce trait essentiel que l'individu,
affranchi des liens qui l'attachaient à la terre, à la famille, à la corporation,
à la caste ou à la cité, est devenu libre, mobile, capable de
se déclasser, de s'élever ou de s'abaisser, dans la mêlée universelle
où s'agitent confusément les éléments sociaux depuis la suppression
des cadres fixes qui formaient la structure de l'ancienne société.
L'individu va-t-il donc, par une nouvelle évolution, retomber sous
le joug de l'État ou de la corporation? Assistons-nous à une reconstitution
des corps, qui menacerait encore une fois l'indépendance
individuelle conquise au prix de tant de luttes? N'y a-t-il pas, dans
cette double tendance des sociétés modernes, une contradiction interne
redoutable qui ne pourra se dénouer que par la ruine de l'un des
deux termes, individualisme ou organisation collective?
 
Assurément, l'ordre social qui se dessine dans le présent est bien
éloigné de l'individualisme atomique qui domina longtemps en
Europe, à la suite de la Révolution française et sous l'influence des
philosophes de la liberté naturelle. Des associations de capitalistes,
de producteurs, de consommateurs, de patrons, de salariés, assez
puissantes pour limiter ou abolir la concurrence, pour imposer leurs
règles à toute une profession, pour obliger les dissidents à se soumettre
ou à disparaître, un tel régime est en contradiction avec la
liberté du travail, des échanges et des contrats, avec la conception
parcellaire et inorganique de la liberté. A plus forte raison la contrainte
légale et fiscale, qui prend de nos jours une si grande extension
au profit de certaines classes, est-elle en opposition avec ces
principes.
 
Mais les transformations sociales qui se sont opérées depuis le
début du XIXème siècle ne permettent plus de revenir à l'individualisme
de la législation révolutionnaire. Les liens d'interdépendance et de
coopération sont devenus trop nombreux et trop forts, par l'effet de
la civilisation moderne, pour que l'individu puisse encore aspirer à
la liberté hypothétique de l'homme de la nature, ou à l'indépendance
de l'homme primitif qui se suffit à lui-même. L'individualisme a
changé de nature, et ne se conçoit plus autrement que fortifié par
l'association.
 
Or, il est inévitable qu'une association, quelle qu'elle soit, cherche
à atteindre son plus haut degré de puissance et exerce effectivement
son pouvoir pour remplir sa destination, même aux dépens de l'autonomie
individuelle. L'État devra-t-il donc entreprendre la lutte
contre les associations, et s'efforcer de détruire lui-même les germes
les plus féconds d'une organisation des forces collectives, au nom
d'un idéal suranné de dispersion et de concurrence anarchique?
Faudra-t-il qu'il établisse ou qu'il conserve un appareil archaïque de
répression contre les syndicats de producteurs, lors même que ces
nouvelles combinaisons se présenteraient comme des formes perfectionnées
de l'organisation économique, donnant aux producteurs le
moyen de réduire les frais, de régler la production d'après les besoins,
et d'assurer la prééminence aux industries nationales? Combattra-t-il
les coopératives, alors que les consommateurs réalisent une économie
et un progrès en supprimant par leurs associations des intermédiaires
devenus inutiles? S'opposera-t-il aux entreprises des communes,
lorsqu'elles tendent à ériger en services publics des monopoles
qui intéressent la généralité de leurs habitants? Devra-t-il se mutiler
lui-même, et renoncer à toute action sociale par respect pour le principe
individualiste? Ce serait une politique singulièrement rétrograde
que celle qui se proposerait d'étouffer toutes les manifestations
de la vie collective et tous les efforts d'organisation, prémices d'un
avenir meilleur; elle ne réussirait qu'à retarder un mouvement
nécessaire, au grand dommage des intérêts généraux.
 
Si les associations exercent une action légitime lorsqu'elles usent
de leur force pour remplir leur fonction, on accordera que les associations
ouvrières sont aussi dans leur rôle naturel, lorsqu'elles
exercent leur pouvoir de fait pour réaliser leurs fins. Non sans doute
qu'il puisse jamais être permis à un syndicat ouvrier de commettre
des attentats et de troubler l'ordre public; aucune société régulière
ne saurait tolérer le désordre et la violence, d'où qu'ils viennent.
Mais on conçoit qu'une association ouvrière recoure aux moyens
pacifiques qui sont à sa portée pour atteindre son but. Il est naturel
qu'elle interdise de travailler pour un salaire inférieur à un taux
déterminé, qu'elle cherche à imposer les conditions syndicales à
tous les ouvriers de la profession, et qu'elle mette en interdit les
récalcitrants, généralement inférieurs en moralité ou en capacité,
qui lèsent les intérêts de leur classe en acceptant des conditions plus
basses. L'individu, suivant la conception unioniste anglaise, conserve
la faculté de débattre ses intérêts particuliers pour obtenir la
prime due à sa supériorité; mais il n'a pas, sauf les cas de faiblesse
appréciés individuellement, la faculté de compromettre le succès des
efforts collectifs en allongeant la durée de son travail ou en travaillant
au rabais. Si l'association est assez nombreuse et assez puissante,
elle saura même contraindre les isolés à s'affilier, et ne permettra
l'accès du métier qu'à cette condition; elle n'admettra pas
qu'un homme se dérobe aux obligations et aux charges communes,
en se réservant de recueillir le bénéfice de l'action syndicale. Aucune
législation, aucune jurisprudence ne pourra jamais protéger efficacement
les réfractaires contre la pression d'un syndicat comprenant
déjà la grande majorité des ouvriers d'une profession. Tyrannie
syndicale! dira-t-on. Faut-il donc lui préférer l'omnipotence patronale
? Et si la contrainte des coalitions ouvrières est nécessaire au
succès de leurs efforts, préférerait-on le régime de l'indépendance
individuelle et du contrat individuel, qui laisse le patron maître de
fixer le salaire à son gré sous la pesée de la concurrence?
 
Un régime de grandes associations organisées, si favorable soit-il
aux intérêts de l'ensemble, ne va donc pas sans sacrifices pour
l'individu. Mais en quoi l'individu, qui subit aujourd'hui la loi de
la majorité dans l'ordre politique, trouverait-il plus pénible de se
soumettre à la même loi dans l'ordre de ses intérêts professionnels?
La règle commune établie dans une profession par la loi ou par les
syndicats supprime, il est vrai, la faculté individuelle de travailler ou
de faire travailler à des conditions inférieures; mais c'est en vue de
sauver l'individu lui-même de la dépression qui résulterait d'un état
de concurrence anarchique; la réglementation a pour but de protéger
le développement individuel, elle constitue la véritable garantie de
l'individu. Enveloppé dans les grandes masses des unions permanentes,
l'individu se trouve sans doute moins indépendant dans son
activité économique, moins maître de ses destinées; mais il y gagne
aussi d'être mieux soutenu et plus sûr de l'avenir. S'il perd quelque
chose de son autonomie, c'est seulement dans le cercle de sa vie économique
quant à ses conquêtes essentielles, quant aux libertés qui
lui sont aussi précieuses aujourd'hui qu'au premier jour, liberté de
mouvement, de pensée, de parole, liberté de citoyen, elles lui restent
intactes, ou ne subissent d'atteintes que pour des causes absolument
étrangères au mouvement d'organisation économique.
 
Si toutefois l'individu se trouvait menacé dans ses intérêts légitimes
et dans ses libertés essentielles par la puissance tyrannique
des associations, il appartiendrait à l'État, organe du droit et gardien
de l'équilibre social, de le protéger contre ce nouveau danger.
 
Si le monopole des trusts et des cartels devenait vexatoire pour le
public, l'État serait fatalement amené à intervenir comme il est déjà
intervenu dans l'industrie des chemins de fer, soit pour imposer a ces
dangereuses combinaisons une certaine publicité de leurs opérations
et un contrôle administratif, soit pour limiter leurs prix par des tarifs,
soit même pour les absorber. Le jour où il deviendrait nécessaire de
combattre la puissance de l'aristocratie industrielle et financière, la
démocratie, quelles que soient les immenses ressources de ses adversaires,
ne saurait être longtemps trompée ni finalement vaincue.
 
Si les associations professionnelles, devenues prépondérantes,
usaient de leur pouvoir pour persécuter des individus ou les exclure
du métier à raison de leurs opinions ou de leurs croyances, en
dehors de tout motif d'intérêt professionnel et par simple malveillance
à l'égard des personnes, il deviendrait nécessaire d'instituer
des garanties contre ces abus. Des associations assez fortes pour
imposer une réglementation générale ou une suspension de travail
dans toute une profession prennent en quelque sorte le caractère
d'institutions publiques, surtout si elles sont investies de certains
pouvoirs par des lois d'organisation professionnelle; elles ne sauraient
être affranchies de tout contrôle.
 
Dans les pays où les communes s'emparent de multiples entreprises
industrielles, il parait également nécessaire d'établir des règles générales d'exploitation qui protègent le public contre les malversations
et les tyrannies locales. Une législation prévoyante peut ainsi obliger
les villes à instituer pour leurs entreprises une administration indépendante
et un budget distinct sur le modèle des exploitations privées il est possible de réserver aux municipalités une part légitime
d'influence dans la gestion des entreprises municipales (comme dans
celle des établissements hospitaliers), sans laisser ces services à leur
entière discrétion, exposés à tous les contre-coups des vicissitudes
électorales.
 
Enfin l'État, dans ses propres exploitations industrielles, doit
donner des garanties contre lui-même. II faut savoir écouter sans
parti-pris les individualistes, dont les répugnances à l'égard des
entreprises publiques ne sont que trop souvent justifiées par les faits;
leur position n'est jamais si forte que lorsqu'ils dénoncent les périls
du socialisme d'État. On peut le reconnaître en toute sincérité,
bien que les adversaires du socialisme abusent souvent des comparaisons
avec l'industrie privée pour accabler les exploitations publiques.
 
Si l'État se substituait aux particuliers dans la direction des
petites et des moyennes entreprises, il en résulterait évidemment
une énorme déperdition d'énergie; mais, en dehors peut-être de
quelques esprits rectilignes, dépourvus d'influence sur la marche
des événements et des idées, qui donc aujourd'hui songe à cette
socialisation intégrale manifestement impossible? L'exploitation par
l'État ne peut s'appliquer qu'à de très grandes industries, qui sont
entre les mains de sociétés anonymes quand elles ne sont pas dans
les siennes; c'est donc à la gestion administrative des grandes compagnies
qu'il faut comparer celle de l'État.
 
Or on doit reconnaître, en dehors de tout esprit de système, que
la gestion des entreprises publiques comporte trop aisément un
fâcheux parasitisme fonctionnaires et ouvriers conservés inutilement
après que leur emploi a perdu sa raison d'être, travail relâché
et peu productif, commandes faites sans besoin réel dans le but de
favoriser certaines branches de la production nationale, etc. Elle
offre aussi des inconvénients particuliers au point de vue financier;
les recettes, versées dans le budget de l'État, ne sont pas suffisamment
appliquées aux besoins propres de l'exploitation qui les a fournies,
de sorte que l'amortissement du capital est presque toujours
complètement négligé, et les dépenses industrielles les plus essentielles,
celles mêmes qui sont nécessaires à l'extension du service et
à l'accroissement des produits, restent parfois en souffrance.
 
L'administration des grandes compagnies est-elle supérieure?
Celle d'une compagnie prospère ne connaît pas, il est vrai, ces faiblesses
financières. Mais toute société anonyme souffre aussi du
parasitisme, du népotisme des administrateurs, du gaspillage et de la
lourdeur bureaucratique, d'autant plus sensiblement qu'elle est plus
vaste. Et si les économistes voulaient bien faire le procès des
grandes compagnies de transport et d'industrie, et constituer un
dossier des abus qu'elles commettent vis-à-vis du public en y apportant
la même perspicacité, la même rigueur et le même entrain qu'à
leur critique des exploitations d'État, il est probable que l'administration des compagnies n'y résisterait pas mieux que celle de l'État.
Les défauts se révéleraient à peu près les mêmes, parce qu'ils tiennent
aux imperfections et aux erreurs des hommes appelés à diriger ces
grands mécanismes impersonnels; et si, par certains côtés, la gestion
de l'État se montre inférieure en vertu de sa constitution
propre, du moins reste-t-elle plus préoccupée de servir l'intérêt public.
 
Ce n'est donc pas dans ces faiblesses, inhérentes à toute grande
entreprise, que se trouve le véritable vice du socialisme d'État il est
plutôt dans le danger couru par la liberté. Plus les exploitations
publiques deviennent nombreuses et importantes, plus s'accroît le
nombre des fonctionnaires, des salariés, des fournisseurs, des
clients de tout ordre qui tombent sous la dépendance immédiate ou
indirecte des autorités publiques. Quel que soit le système politique,
un tel régime de centralisation économique menace la liberté individuelle
autant que les libertés publiques. Si le pouvoir tombe entre
les mains d'un parti intolérant qui dispose des emplois, des tarifs et
des contraintes pour favoriser sa clientèle politique et pour satisfaire
ses rancunes, il ne reste aucun refuge l'individu contre l'arbitraire.
Le mal est d'autant plus redoutable, que les masses populaires ont
rarement le respect de la pensée individuelle et la notion des droits
de la minorité; ces sentiments supposent un certain affinement moral
et intellectuel, qui manque peut-être encore à nos démocraties. Le
socialisme d'État, s'il n'accepte pas des freins nécessaires, peut
rendre inhabitable aux dissidents le pays le plus intelligent et le plus policé.
 
Aussi n'est-il pas de garanties plus nécessaires pour l'individu
que celles qui doivent entourer la gestion par l'État des exploitations
industrielles. C'est ici qu'il convient d'appliquer la distinction, chere aux
collectivistes, entre le gouvernement des hommes et l'administration
des choses, en séparant nettement du gouvernement politique
l'administration des entreprises publiques. L'essentiel est que
ces services soient exploités dans l'intérêt du public, et que les
recettes nettes, après un prélèvement régulier pour l'amortissement
du capital et l'extension de l'entreprise, profitent à la collectivité.
Quant à la gestion, il est de l'intérêt général qu'elle appartienne à
des autorités indépendantes, soustraites aux influences politiques,
disposant d'un budget autonome comme celui des exploitations
privées; il peut même paraître avantageux qu'elle soit déléguée à
une société fermière, administrant le service pour le compte de l'État
sous son contrôle, et recevant à titre de rétribution une part déterminée
des bénéfices.
 
On ne peut se dissimuler les difficultés du problème de la liberté
dans une société qui tend à s'organiser; la liberté ne peut être sauvegardée
que par un système compliqué de contrepoids, qui ménage
les droits de l'individu sans entraver le développement légitime et
bienfaisant des collectivités. Les esprits simplistes proclameront
immédiatement la conciliation impossible; ils perdent de vue que la
constitution sociale se complique nécessairement avec la marche de
la civilisation. Les pouvoirs politiques sont devenus plus complexes
depuis la chute des monarchies absolues; nos systèmes de gouvernement,
fondés sur la séparation des pouvoirs et sur la conciliation
de principes opposés, fonctionnent cependant depuis un siècle et
plus, malgré leur complication et parfois leur incohérence. De
même, l'équilibre économique résulte, dans les sociétés progressives,
d'une série de compromis renouvelés à mesure que les situations se
modifient. L'équilibre n'est pas impossible à maintenir entre l'individu
et la collectivité. Aujourd'hui, demain surtout, c'est l'individu
qui risque d'être sacrifié. Il n'est pas inutile d'insister sur la nécessité
de lui ménager sa part.
 
===§ 5. La démocratie dans l'ordre économique.===
 
On ne saurait faire trop de réserves lorsqu'on s'efforce de déchiffrer
l'avenir à travers les données du présent; même à la suite d'une
longue investigation, l'induction qui semblait la plus prudente peut
n'être qu'une vaine aventure et se trouver démentie par les faits
ultérieurs.
 
C'est ainsi que les prévisions hasardées dans cette étude ont été
établies par généralisation et prolongement de certains phénomènes
observés dans les pays les plus progressifs. Mais toutes les nations ne
sont pas appelées, sans doute, à suivre la même voie; les conditions
de climat, de territoire, de race, de formation historique sont trop
différentes, même dans les pays de civilisation occidentale, pour que
la marche de leur évolution soit exactement semblable. Aujourd'hui
même, les États-Unis, qui sont le pays d'élection des trusts, ne
paraissent pas un terrain favorable à la coopération; l'association
agricole, si prospère en Allemagne, ne s'implante pas en Angleterre;
le socialisme municipal, si avancé dans ce dernier pays, existe à
peine en France et en Belgique. Ces exemples pourraient être multipliés;
ils nous prouvent que la constitution économique de la société
future, ne s'élaborant pas partout de la même manière, peut se trouver, dans certaines régions, privées de certains organes dont l'évolution est plus lente ou même ne s’accomplira pas.
 
 
Il faut aussi compter, en tout pays, avec les causes possibles d'arrêt ou de régression : recrudescence de l’esprit d’agression et de conquête, prédominance de l’esprit révolutionnaire sur l’esprit d’organisation, haines de races et haines de classes, conflits en matière religieuses détournant l’attention des problèmes économiques et absorbant les activités, réformes maladroites et précipitées atteignant la production dans ses sources, ruinant les finances publiques, provoquant une réaction dans les milieux de petite bourgeoisie jusque dans la classe populaire, etc.
 
 
Enfin la marche du développement historique, telle que nous pouvons l’apercevoir, peut être profondément troublée par l’intervention de facteurs imprévus ou a peine entrevus. La science transformera encore les manières d’utiliser l'énergie naturelle dans l'industrie ; elle bouleversera peut-être les modes de transports et les moyens de communiquer la pensée ; elle est capable de révolutionner l’agriculture et de multiplier les moyens d’alimentation dans une proportion inespérée. Dès aujourd’hui, nous soupçonnons l’importance de la transmission de la force à grande distance ; nous devançons par la pensée l’époque où toutes les contrées habitables du globe seront soumises à une exploitation agricole et industrielle intensive ; mais nous nous représentons difficilement le mouvement de la production et de la circulation dans ce monde agrandi, et les répercussions de tout genre que ces progrès de la science et de la richesse pourront avoir sur l'état de l’homme en société. Par le fait de ces transformations, les problèmes qui absorbent aujourd’hui notre attention peuvent se trouver déplacés , altérés, transportés en dehors du domaine de nos provisions actuelles.
 
 
Toutefois, il ne parait pas vraisemblable que des éléments nouveaux puissent intervertir, ni même retarder longtemps l'évolution parallèle ou successive des peuples civilisés vers un état de capitalisme, d'organisation collective et de démocratie, dans lequel les classes ouvrières grandiront en puissance, en richesse et en culture.
 
 
Propriété individuelle et salariat y subsisteront encore. Nul ne peut prétendre que ce sont là des institutions éternelles et, à vrai dire, une telle affirmation serait démentie par l’histoire de toutes les institutions humaines. Déjà nous pouvons prévoir que le domaine de la propriété collective s'étendra, et que la propriété individuelle, sous la pression de certaines forces telles que les lois d'impôts et les lois de protection ouvrière, perdra elle-même sa qualité de droit
absolu en subissant l'alliage du droit collectif; nous pouvons prévoir
aussi que le salariat se modifiera par l'émancipation progressive des
classes ouvrières. Mais l'observation la plus attentive des faits contemporains
ne nous permet pas actuellement de présager une transformation
générale de la propriété individuelle en propriété collective,
ni une métamorphose du mode de la production et des échanges.
Ouvriers inconscients des destinées de notre race, nous n'avons
pas le droit de soulever plus avant le voile qui recouvre l'avenir
sans être infidèles à la méthode de l'induction historique; tout le
reste n'est qu'hypothèse dénuée de preuve expérimentale, et par
conséquent de valeur scientifique.
 
L'objectif présenté ici paraîtra sans doute trop médiocre aux uns,
et trop avancé aux autres. Mais les événements ne se dirigent pas au
gré d'un parti; ils sont la résultante de forces multiples agissant en
sens contraire, et le cours de l'histoire, dans les pays de civilisation
progressive, est un perpétuel compromis entre la force de la tradition
conservatrice et celle de l'innovation rationaliste.
 
L'état social que nous essayons d'apercevoir ne sera certes pas
une apothéose après laquelle il ne resterait qu'à tirer le rideau;
l'humanité ne connaîtra sans doute jamais cette étape définitive,
l'état stationnaire dans le bonheur universel. Est-ce une raison pour
renoncer au culte de l'idéal? La perte serait incalculable. C'est la
vision d'une cité idéale de justice qui entretient chez les militants
du parti révolutionnaire l'ardeur et la passion de la lutte; c'est elle
qui soutient les plus humbles pendant les misères de la grève, et qui
inspire les plus grands dévouements. Là se trouve la source la plus
féconde des énergies; si elle venait à tarir, c'en serait fait du développement
de la classe ouvrière, qui dépend avant tout de ses propres
efforts. Mais pourquoi cette ardeur s'éteindrait-elle chez les travailleurs,
le jour où leur esprit formé par l'expérience apercevrait l'idéal
collectiviste comme une chimère, et apprendrait à mesurer ses espérances
sur les réalités? N'est-ce pas déjà l'état d'esprit d'un grand
nombre de travailleurs, de membres dirigeants des syndicats, des
coopératives et des mutualités, et cette pleine connaissance des conditions
positives de l'évolution exclut-elle chez eux l'activité et le
dévouement aux intérêts de leur classe? Non, la conscience des réalités
ne ralentit pas leur élan, parce qu'ils savent que le but réel du
mouvement, l'amélioration progressive du salariat par la force des
organisations ouvrières, est en lui-même un idéal digne d'être
atteint, qui vaut l'effort et le sacrifice.
 
A l'inverse, on peut comprendre l'inquiétude des esprits modérés et conservateurs devant les transformations si rapide de la constitution sociale, devant les agitations du monde moderne, les déplacements d'influence, les sentiments nouveaux des classes populaires.
Le contraste est immense, en effet, entre le tourbillon confus des sociétés modernes et la stabilité hiérarchique de l'ancienne société.
Il y a là un passage dangereux, où l'homme risque de perdre ses qualités d'autrefois sans acquérir celles que réclame son adaptation au nouvel état social. Mais « toute société recèle des forces latentes dont l'observateur n'a pas la mesure, des puissances de réaction contre le mal qui s'amassent sous des apparences de langueur, des germes nouveaux où dorment des forces inconnues ». Des vertus nouvelles naissent spontanément, en réaction contre les dangers qui menacent la nouvelle organisation sociale; la société possède ses moyens de défense comme un organisme.
 
La société de l'avenir sera plus largement démocratique que la notre, parce qu'il est inévitable que la démocratie dans l'ordre politique engendre la démocratie dans l'ordre économique. Sachons donc accepter cette évolution nécessaire. C'est avoir l'inintelligence de son temps, c'est faire de la méthode historique un usage incomplet et par conséquent abusif, que de s'isoler dans un culte chagrin de la tradition et de la coutume des ancêtres; c'est manquer de sens historique que de renier tout le mouvement de son siècle en maudissant la souveraineté du nombre, les tendances à l'égalité et les « faux dogmes de 89 », malgré qu'ils aient acquis droit de cité dans l'histoire; c'est aussi faillir à la loi d'amour de l'Evangile que de fermer son coeur aux aspirations de la multitude vers une vie plus haute et un développement plus large de la personne humaine.
 
Le passé a eu ses vertus et ses vices, comme le présent a les siens. L'orgueil de race, l'esprit de caste, la violence des passions égoïstes chez ceux qui détenaient la toute-puissance , la barbarie des peines, l'esprit d'intrigue, les faveurs iniques et la corruption des cours, n'avaient rien de plus nobles que l'envie populaire, l'esprit de secte, l'ambition intrigante et la corruption dans la démocratie; le sentiment de l'honneur féodal, les vertus patriarcales chez les maîtres et les serviteurs, n'avaient pas une valeur plus grande que le sentiment de l'indépendance et de la dignité personnelle, la pitié fraternelle, le dévouement à la science, l'activité généreuse dépensée au service de la cause populaire. La démocratie a ses faiblesses, parce
qu'elle est humaine, mais elle a aussi sa grandeur. Il faut l'accueillir
sans arrière-pensée et sans crainte; il faut l'aimer et la saluer avec
joie, parce que c'est elle qui, dans un état de haute civilisation,
multiplie le mieux les valeurs individuelles et réalise la plus grande
somme de bonheur pour le plus grand nombre.
862

modifications

Menu de navigation