Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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= Livre 1. Le collectivisme pur et son régime de la valeur =
= Livre 1. Le collectivisme pur et son régime de la valeur =


== Chapitre 1. Les plans de société collectiviste ==
== Chapitre 1. Les plans de société collectiviste. ==


Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants :
Le pur collectivisme se caractérise par les deux traits suivants :
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a imaginé une règle de calcul ingénieuse que nous retrouverons
a imaginé une règle de calcul ingénieuse que nous retrouverons
plus loin.
plus loin.
== CHAPITRE 5 Le paysan propriétaire, l'artisan et le boutiquier dans la société collectiviste. ==
Avant de passer a l'étude des autres formes socialistes, nous nous
demanderons encore si le collectivisme peut se concilier, au moins
provisoirement, avec la petite propriété du paysan sur son lopin de
terre, de l'artisan sur ses instruments de travail, du boutiquier sur
son fonds de commerce.
La plupart des socialistes, dans les pays de petite propriété comme
la France, la Belgique et l'Allemagne du Sud, déclarent que cette
propriété, essentiellement différente de la propriété capitaliste caractérisée
par l'exploitation du travail d'autrui, est respectable et sera
respectée. Ils en garantissent le maintien, jusqu'au jour où cette
forme individuelle, dernier vestige d'un mode de production suranné,
aura été éliminée par le cours naturel des choses.
C'est le programme du Congrès de Marseille en 1892, et du Congrès
de Nantes en 1894; c'est aussi celui de la plupart des écrivains
du parti. En 1870, M. Liebknecht constatait que les paysans parcellaires
français et allemands tiennent encore fermement à leur propriété,
bien qu'elle soit dans la plupart des cas une propriété simplement
nominale et imaginaire; un décret d'expropriation provoquerait
chez eux sans aucun doute une opposition énergique, peut-être
même une rébellion ouverte. Au lieu d'appliquer ici la résolution de
l'Internationale votée au Congrès de Bâle (1869), suivant laquelle il
est nécessaire, dans l'intérêt de la société, de transformer la propriété
du sol en propriété commune, il faut donc, tout en éclairant
les paysans sur leur situation désespérée, se borner à soutenir devant eux des mesures d'allégement, telles que la conversion des dettes
hypothécaires en dettes vis-à-vis de l'État, et les amener à la communauté
par la concurrence des associations agricoles constituées
sur les domaines actuels de l'État.
M. Vandervelde écrit que la petite propriété et le petit commerce
constituent le domaine de l'association libre, que la propriété privée
restera applicable aux petits moyens de production, et que les formules
du collectivisme s'appliquent exclusivement aux branches
d'industrie où la concentration capitaliste s'est déjà opérée. ((Ce ne
sont pas les socialistes qui veulent enlever au paysan sa terre, au
commerçant sa boutique, au petit patron son établi. Ceux-là sont
expropriés, ruinés, dëcapitalisés par les gros capitalistes. ))
Suivant M. Jaurès, "la propriété paysanne sera maintenue dans
l'ordre collectiviste, tant que le paysan croira y trouver son intérêt;
elle y sera môme protégée contre les empiétements du capital usuraire,
libérée de l'hypothèque, affranchie de la spéculation et de
l'usure. De même, il y aura peut-être lieu de maintenir en bien des
points la petite usine, le petit atelier de fonderie dissimulé au fond
d'une cour, où le petit patron travaille avec deux ou trois ouvriers".
M. Jules Guesde dit à son tour « Là où le moyen de production est
encore à un état suffisamment rudimentaire pour être mis en valeur par
son propriétaire, nous nous inclinons devant cette propriété réellement
individuelle que l'on nous accuse stupidement de menacer."
Pour M. Gabriel Deville, « là où les moyens de travail se trouvent
entre les mains de celui qui les met en oeuvre, bien qu'ils s'y trouvent
sous la forme d'appropriation individuelle, le parti ouvrier
n'aura qu'à laisser faire les événements qui éliminent de plus en
plus cette forme d'appropriation». Mais tant que le paysan et le petit
industriel n'auront pas été conduits par les faits à renoncer volontairement
à leur modeste instrument de travail pour jouir des bénéffices
autrement rémunérateurs de l'appropriation collectiviste, on le
leur conservera. Le socialisme n'a pas la prétention de précéder les
phénomènes économiques, il se borne à les suivre. Bien plus en
attendant que le paysan renonce de lui-même à la propriété exclusive
de son morceau de terre, on l'intéressera à l'ordre communiste en le libérant de l'impôt foncier et de la dette hypothécaire, en mettant
gratuitement à sa disposition des engrais, semences et machines. La
petite propriété n'a pas de défenseurs plus sincères et plus chauds
que les collectivistes, dit-il; et il conclut à la protection de la petite
propriété, qu'elle soit industrielle, agricole ou commerciale.
II est très vrai que les socialistes restent dans la logique de leur
système, lorsqu'ils disent qu'ils n'ont pas à devancer les faits mais
sont-ils aussi logiques, lorsque, sous prétexte de ne pas les précéder,
ils promettent de protéger la petite propriété contre les empiétements
du capital usuraire qui menace son existence? N'est-ce pas se mettre
en travers de l'évolution qui doit conduire à la généralisation de la
propriété collective? N'est-il pas contradictoire de vouloir sauver ce
que l'on déclare irrémédiablement perdu? Il nous est permis de
penser, avec Engels, que des considérations de tactique locale
viennent ici obscurcir la pureté des principes. La social-démocratie
allemande, moins préoccupée sans doute du point de vue opportuniste,
a rejeté au Congrès de Breslau, en 1895, un programme tendant
à la consolidation de la petite propriété rurale, malgré l'appui que
lui donnaient Liebknecht et Bobel.
Quoi qu'il en soit de ce point doctrinal, d'autres questions nous
intéressent davantage. Le régime collectiviste est-il capable de respecter
la petite propriété du producteur sur ses moyens de production
? N'y a-t-il pas incompatibilité absolue entre collectivisme et
propriété individuelle des facteurs de la production? L'espèce de propriété
que l'on promet de conserver à celui qui l'exploite lui-même
serait-elle l'équivalent de celle qu'il possède aujourd'hui?
Si nous considérons d'abord le paysan propriétaire, nous voyons
que son droit se trouvera transformé et limité. Transformé, car sa
propriété, au lieu d'être absolue et perpétuelle, sera désormais
déléguée, soumise au domaine éminent de l'État, précaire et subordonnée
aux caprices d'une autorité naturellement disposée à étendre
la propriété collective aux dépens des derniers vestiges de la propriété
individuelle. Son droit sera limité, car le paysan ne pourra
plus vendre sa terre, ni la louer: ce serait prendre la qualité de capitaliste; et quant au droit de la transmettre par succession,
l'État sera fatalement conduit à l'abolir un jour, pour ne pas éterniser
une institution condamnée. La terre, désormais, n'aura plus
de valeur marchande, l'argent et l'échange ayant totalement disparu.
Le paysan sera dépouillé de son capital foncier; la terre ne sera plus
pour lui une forme d'investissement du capital-valeur, mais un
instrument de production dont il jouira par préférence à tout autre.
Les conditions mêmes de sa jouissance et de son exploitation
seront profondément modifiées. Que fera-t-il des produits qu'il ne
consacrera pas à la consommation familiale? On ne peut supposer
qu'il les vende à prix d'argent, car il est impossible que la monnaie
et les prix subsistent, même partiellement, à côté des taxes en unités
de travail; deux systèmes de valeur ne peuvent coexister dans un
même milieu pour des marchandises semblables, et si l'or continuait
à circuler comme monnaie-marchandise pendant une période transitoire
de l'ordre collectiviste, les bons de travail, impuissants à
s'imposer comme étalons de valeur, auraient eux-mêmes une valeur variable
en or, et ne seraient plus que des assignats mobiliers, portant,
comme nos anciens assignats territoriaux, sur des choses non
liquides. On ne conçoit pas davantage que le paysan soit autorisé à
vendre son blé sur le marché pour un prix en bons de travail variable
suivant l'offre et la demande, tandis que le blé récolté sur les terres
collectives aurait une cote fixe, déterminée par son coût en travail
de productivité moyenne. Permettre aux propriétaires ruraux de
vendre leurs récoltes même en bons de travail, ce serait ouvrir la
porte à l'agiotage sur les bons comme sur les marchandises, et conserver,
dans les pores de la société collectiviste, le commerce privé et
la spéculation, la banque et la Bourse, le crédit et le capital usuraire,
tous les organes que le socialisme a pour but de détruire; ce serait
tolérer, au profit des exploitants propriétaires, la rente de la terre et
l'intérêt du capital foncier; ce serait admettre enfin une concurrence
qui refoulerait tous les blés de l'État dans les greniers publics où ils
finiraient par pourrir, si les blés du commerce privé, dominant le
marché, s'offraient à un prix inférieur. Il faut donc de toute nécessité,
si l'on conserve au paysan son lopin de terre, qu'on l'oblige au moins à
livrer tous ses produits à l'Administration des entrepôts publics, qui
lui en donnera le prix en bons suivant le tarif commun du travail.
Quel sera ce tarif? Dans le système le plus radical, le paysan
perdra la propriété de son matériel d'exploitation, bestiaux, charrues,
engrais, etc.; ce matériel lui sera désormais octroyé par
l'État, qui en surveillera l'emploi. Le cultivateur-propriétaire sera
rémunéré suivant la durée de son travail d'intensité moyenne,
quel que soit le produit qu'il fournira. Le petit propriétaire qui
aura acquis à prix élevé une terre à blé féconde, un gras pâturage
ou un riche vignoble, perdra tout le fruit de son labeur et de son
épargne; il ne sera pas mieux rétribué que le propriétaire d'un
maigre champ de sarrasin, ou le concessionnaire gratuit d'une terre
collective.
Lui laisse-t-on, suivant le système de M. Jaurès, la propriété de
son matériel d'exploitation, avec le soin de le renouveler et de
l'étendre? On peut alors lui appliquer le mode de rétribution propre
à ce système, et l'intéresser à la culture intensive en le payant
d'après la quantité de ses produits, à la condition qu'il admette
ses auxiliaires au partage des bénéfices exceptionnels dus à la
supériorité de son exploitation. Mais le tarif sera calculé de manière
à supprimer toute différence résultant de l'inégalité naturelle
des terres; l'hectolitre de blé, par exemple, sera payé 20 bons
sur les mauvaises terres et 10 seulement sur les bonnes suivant
son coût moyen en engrais, amortissement et travail sur chacune
de ces catégories de terres; de sorte que le cultivateur-propriétaire
des bonnes terres sera encore dépouillé du revenu dont il jouissait
après l'avoir chèrement acquis. La suppression de la rente du sol
s'impose en régime collectiviste; jamais l'État ne laissera l'exploitant
d'une terre supérieure, propriétaire ou non, bénéficier d'un
revenu de monopole, soit en lui payant 20 bons un hectolitre de
blé dont la production ne coûte que 10 sur cette terre favorisée,
soit même en le lui payant au prix de vente, au coût moyen de
l'hectolitre sur l'ensemble du pays, 15 bons dans l'hypothèse précédemment
exposée; ce serait consacrer la rente, détruire l'égalité
entre les travailleurs, se mettre dans l'obligation d'élever
les prix au détriment des consommateurs pour conserver le monopole
de quelques-uns, et renier le principe premier du collectivisme.
Le petit propriétaire rural, dépouillé du revenu de sa propriété,
perd jusqu'à la liberté de diriger son exploitation à sa guise. Il la
perd, même si l'État veut bien lui laisser la propriété de ses constructions,
améliorations foncières, instruments de culture, bestiaux et
approvisionnements. N'oublions pas, en effet, que l'Administration même en régime décentralisé, reste investie du pouvoir discrétionnaire
de régler la production suivant les besoins sociaux. II est impossible de laisser le propriétaire exploiter à sa fantaisie, et produire de la viande quand il faut du blé et du sucre. Genre de culture, qualité et quantité des produits, tout lui est imposé par les
directeurs de la production, qui peuvent le contraindre à passer la
charrue sur un vignoble pour y semer du blé. Comment pourrait il
rester libre de régler même l'intensité de sa culture? De toute nécessité,
la direction des exploitations doit passer tout entière à l'Administration.
Tel est l'état du paysan soi-disant propriétaire. On lui laisse la jouissance de sa terre ,ais en le dépouillant de son droit exclusif, en lui appliquant; pour le paiement de son travail, un tarif aqui le prive totalement du revenu de sa propriété, en lui retirant même la
liberté d'exploitation, en le réduisant, pour tout dire, à une condition
qui est exactement celle du cultivateur d'une parcelle du domaine
collectif. Voilà ce que les socialistes appellent ménager les transitions,
respecter la petite propriété rurale, améliorer la condition du petit
propriétaire, l'intéresser à l'ordre communiste.
Que dire de l'artisan, du petit industriel, forgeron, menuisier, boulanger, serrurier, mettant lui-même en oeuvre ses instruments de
travail avec l'aide de quelques ouvriers? Sa propriété sera-t-elle respectée?
Lui laissera-t-on ses outils, ses machines, son atelier? Les
socialistes semblent disposés à lui conserver la propriété de ses
instruments de travail. Mais s'il doit régler sa production sur l'ordre
de l'autorité publique, livrer tous ses produits à l'Administration, en recevoir le prix au tarif ordinaire, donner à ses ouvriers, sous le
contrôle des inspecteurs, une rétribution égale à la sienne, sauf une légère différence pour son travail de direction, a*aue signifie sa propriété, et que lui rapporte-t-elle ? Dans le régime le plus favorable, il jouira, comme ses ouvriers du reste d'une prime exceptionnelle s'il dispose d'un outillage perfectionné, mais il sera toujours à la merci d'un caprice des fonctionnaires, qui pourront l'obliger à changer ou à réduire sa production. Tôt ou tard, ce régime d'arbitraire conduira au régime à l'heure, à l'abdication devant l'État envahissant, et la petite propriété de l'artisan aura
vécu.
Quant au petit boutiquier, son avenir est clair; son commerce doit disparaître, et le commerçant au détail, s'il conserve sa boutique, ne pourra jamais être qu'un tenancier de l'Administration. A côté des grands entrepôts publics d'habillement, de meubles, de quincaillerie,
il sera toujours nécessaire d'avoir de petits magasins de
débit assez nombreux, pour mettre à la portée des consommateurs les objets de consommation journalière, tels que comestibles, boissons,
menus articles de papeterie, de mercerie, de parfumerie, etc.
On pourra donc adoucir la transition en laissant certains boutiquiers
à leurs boutiques. Mais ils ne seront plus propriétaires des articles
qu'ils débiteront, et ne réaliseront plus de profits sur la vente; ils
seront des employés publies, comptables des produits que les entrepôts
leur fourniront, chargés de les écouler dans le public au tarif
officiel, et rétribués, comme les autres travailleurs, suivant la durée de
leur travail.
Dans cette question des petits producteurs indépendants, on ne
peut reprocher à M. Kautsky d'altérer les principes. Après avoir
exposé les mesures de protection nécessaires en faveur des salariés
agricoles, et les améliorations qu'il est possible de réaliser au profit de
l'agriculture et des populations agricoles, il déclare que les socialistes
ne sont pas disposés à exproprier les paysans mais le parti ne
défend pas les intérêts des entrepreneurs; il considère comme impossible
et contraire à ses principes le salut, ou même le relèvement de
l'exploitation paysanne. M. Kautsky montre ensuite comment les
paysans et les artisans, dans un régime collectiviste, tout en gardant
la possession de leur terre ou de leur atelier, recevront de la société
leurs matières et leurs outils, devront se conformer à la production
sociale et livrer leurs produits à la société. Il est douteux, ajoute-t-il,
que l'on réussise par cette politique (tracée d'ailleurs pour l'Allemagne)
à gagner les paysans au parti socialiste, qui restera toujours,
au fond, le parti des prolétaires de la ville; mais il ne faut pas désespérer
de les amener à la neutralité; car « les innombrables propriétaires
d'infimes exploitations parasites renonceront avec joie à l'indépendance
et à la propriété dont ils n'ont que les apparences, quand
on leur montrera les avantages incontestables de la grande exploitation
»
Ni pour le paysan, ni pour l'artisan, ni pour le commerçant au
détail, la propriété ne peut être conservée dans la société collectiviste.
Toute promesse à cet égard reste vaine par la force des choses; suivant
la logique implacable du système, cette soi-disant propriété,
respectée pendant une période transitoire, ne peut être qu'une formule creuse et une coquille vide. Quoi qu'on en puisse dire, il n'est
pas possible que l'avènement du collectivisme pur soit graduel et
progressif; du jour où il triomphera, le propriétaire rural, le petit
industriel et le boutiquier se trouveront fatalement soumis a la loi
commune, conservant peut-être la possession, mais perdant à coup
sûr la propriété réelle, le revenu, le profit, et jusqu'à la liberté
d'exploitation.
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