Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 11 - l'agenda du libéralisme »

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==Les problèmes sociaux==
==Les problèmes sociaux==
J'ai indiqué que les « frictions » et les « perturbations » dont les économistes classiques admettaient l'existence - pour les négliger aussitôt - étaient en fait les problèmes sociaux qui auraient dû, et qui doivent toujours dans une société pratiquant la division du travail, être le souci primordial des hommes éclairés. Car les frictions et les perturbations marquent les points sur lesquels l'ordre social est en conflit avec l'économie. C'est sur ces points que les hommes, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent s'adapter à la manière dont l'humanité gagne sa vie. Les causes de ce défaut d'adaptation sont nombreuses et variées ; il est certain qu'on ne peut les attribuer toutes, comme le pensent les socialistes, au simple fait que les titres juridiques de nue-propriété des moyens de production sont entre les mains d'individus privés et non pas de l'Etat<ref>Voir au chap. V.</ref>.
J'ai indiqué que les « frictions » et les « perturbations » dont les économistes classiques admettaient l'existence - pour les négliger aussitôt - étaient en fait les problèmes sociaux qui auraient dû, et qui doivent toujours dans une société pratiquant la division du travail, être le souci primordial des hommes éclairés. Car les frictions et les perturbations marquent les points sur lesquels l'ordre social est en conflit avec l'économie. C'est sur ces points que les hommes, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent s'adapter à la manière dont l'humanité gagne sa vie. Les causes de ce défaut d'adaptation sont nombreuses et variées ; il est certain qu'on ne peut les attribuer toutes, comme le pensent les socialistes, au simple fait que les titres juridiques de nue-propriété des moyens de production sont entre les mains d'individus privés et non pas de l'Etat<ref>Voir au chap. V.</ref>. Le défaut d'adaptation est dû au fait qu'une révolution s'est produite dans le mode de production. Comme cette révolution a lieu chez des hommes qui ont hérité d'un genre de vie radicalement différent, le réajustement nécessaire doit s'étendre à l'ordre social tout entier. Il doit presque certainement continuer aussi longtemps que la révolution industrielle elle-même se poursuit. Il ne peut y avoir un moment auquel « l'ordre nouveau » est réalisé. De par la nature des choses, une économie dynamique doit nécessairement être logée dans un ordre social progressiste.
 
Les véritables problèmes des sociétés modernes se posent partout où l'ordre social n'est pas compatible avec les nécessités de la division du travail. Une revue des problèmes actuels ne serait pas autre chose qu'un catalogue de ces incompatibilités. Le catalogue commencerait pas l'hérédité, énumérerait toutes les coutumes, les lois, les institutions, et les politiques, et ne serait achevé qu'après avoir traité de la notion qu'a l'homme de sa destinée sur terre, de ses idées sur son âme et celle de tous les autres hommes. Car tout conflit entre l'héritage social et la façon dont les hommes doivent gagner leur vie entraîne nécessairement du désordre dans leurs affaires et de la division dans leurs esprits. Lorsque l'héritage social et l'économie ne forment pas un tout homogène il y a nécessairement révolte contre le monde ou renonciation au monde. C'est pourquoi, à des époques comme la nôtre, où la société est en conflit avec les conditions de son existence, le mécontentement mène certains à la violence et d'autres à l'ascétisme et au culte de l'au-delà. Lorsque les temps sont troublés, les uns font des barricades et d'autres entrent au couvent. C'est pourquoi la plus grande partie de la littérature contemporaine est d'un côté, une littérature révolutionnaire, et de l'autre, une littérature d'évasion, souvent d'ailleurs mêlée à la première<ref>Considérons par exemple l'admiration alternée de M. Stuart Chase pour le machinisme et pour le primitivisme mexicain, son dégoût de l'industrialisme simultané à la vision enchanteresse d'une Utopie technique ; ou la fascination exercée par D.H. Lawrence, qui s'était évadé de la réalité dans la sensation sexuelle avec un fanatisme tout ascétique, sur tant de sympathisants du socialisme marxiste.</ref>.
 
==Le champ des réformes==
Ce malaise spirituel reflète, comme la souffrance que cause un soulier trop étroit, le défaut d'adaptation des hommes à la façon dont ils doivent gagner leur vie. Il y a ceux qui sont nés handicapés : la détérioration de la souche dont ils sont nés les empêche de faire leur chemin dans la vie. D'autres sont handicapés par des maladies d'enfance, par la sous-alimentation et le manque de soins. D'autres sont les victimes d'une vie familiale pervertie ou stupide, et porteront toute leur vie les stigmates de l'infériorité et de la perversion. Ils ne s'adapteront pas facilement. Puis il y a ceux qui ont été brisés par la pauvreté et la misère de leur jeunesse, et qui n'auront jamais la possibilité de développer leurs dons. Éduquer les grandes masses, équiper les hommes pour une vie dans laquelle ils doivent se spécialiser tout en restant capables de changer de spécialité, voilà un immense problème non encore résolu. L'économie de la division du travail exige que ces problèmes d'eugénisme et d'éducation soient effectivement traités, et l'économie classique suppose qu'ils le sont. Mais on ne s'en occupe pas. Il ne faut pas croire non plus, comme le suppose le dogme du laissez faire, que ces problèmes se résolvent d'eux-mêmes. Il faut donc les inscrire à l'agenda de la politique libérale.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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