Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 11 - l'agenda du libéralisme »

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Il n'y a aucune raison pour qu'un Etat libéral n'assure et n'indemnise pas les hommes contre les risques de son propre progrès. Il a au contraire toutes les raisons de le faire. Car, s'il est bien organisé, un tel système d'assurance sociale favoriserait les transformations techniques nécessaires, et réduirait la résistance si naturelle de ceux qui se voient sacrifiés au progrès. On ne saurait blâmer un homme qui déteste une machine qui le réduira à l'indigence et lui enlèvera le seul métier qu'il connaisse.
Il n'y a aucune raison pour qu'un Etat libéral n'assure et n'indemnise pas les hommes contre les risques de son propre progrès. Il a au contraire toutes les raisons de le faire. Car, s'il est bien organisé, un tel système d'assurance sociale favoriserait les transformations techniques nécessaires, et réduirait la résistance si naturelle de ceux qui se voient sacrifiés au progrès. On ne saurait blâmer un homme qui déteste une machine qui le réduira à l'indigence et lui enlèvera le seul métier qu'il connaisse.
Les ouvriers de l'industrie ne sont pas les seuls, cependant, à souffrir du progrès industriel. Tous les producteurs sont dans une certaine mesure soumis au même risque lorsque l'on invente de nouveaux procédés, lorsque surgissent des concurrents à meilleur rendement, ou lorsque les goûts du public changent. Certes, le trésor public ne saurait les assurer et les indemniser tous. Mais on peut limiter les pertes. Comment ? C'est là un problème très complexe que je ne prétends pas être capable de résoudre. Pour contribuer à la recherche d'une solution, indiquons que les entreprises seraient plus capables de faire face aux risques du progrès industriel si les sociétés étaient obligées d'amortir leur capital dans un délai égal à la durée utile des machines et des procédés que le capital a servi à acheter, et si elles étaient obligées, pour se procurer de nouveaux capitaux, de s'adresser au marché financier au lieu de puiser dans des bénéfices accumulés. Ce système serait très bien adapté aux petites sociétés. Mais les petites sociétés sont plus mobiles que les grandes. Elles peuvent se dissoudre plus facilement et l'on en crée plus facilement de nouvelles. De telles sociétés seraient mieux adaptées à une économie dynamique, et elles ne soulèveraient pas les problèmes et les tragédies de ces monstres à moitié hors d'usage, incapables de vivre comme de mourir, que sont les grandes sociétés.
On voit que cet agenda du libéralisme est long. Je ne prétends cependant pas qu'il soit complet. L'adaptation de l'ordre social à la division du travail est nécessairement une tâche immense, car il ne s'agit de rien de moins que de trouver à l'humanité un nouveau genre de vie. Elle doit donc, dans toutes ses ramifications, dépasser l'entendement de n'importe quel contemporain, le programme de n'importe quel parti, les énergies réformatrices de n'importe quelle génération. J'ai simplement voulu indiquer les points les plus critiques et les plus évidents sur lesquels la société moderne est mal adaptée à son mode de production, et ensuite illustrer la mission inachevée du libéralisme. L'agenda prouve que le libéralisme est tout autre chose que l'apologétique stérile qu'il était devenu pendant sa sujétion au dogme du laissez faire et à l'incompréhension des économistes classiques. Il démontre, je crois, que le libéralisme est, non pas une justification du ''statu quo'', mais une logique du réajustement social rendu nécessaire par la révolution industrielle.
Si nous considérons maintenant cet agenda dans son ensemble, nous voyons qu'il implique une répartition des revenus différente de celle qui existe aujourd'hui dans la plupart des sociétés organisées. L'effet de ces réformes serait en effet avant tout de réduire considérablement les possibilités d'enrichissement par l'exploitation et par l'exercice de privilèges légaux. Ces réformes s'attaquent à la source des gros revenus provenant des divers genres de monopoles, des mauvais marchés sur lesquels les ignorants et les faibles sont désavantagés. Au point de vue de l'économie d'échange, les revenus provenant de ces inégalités naturelles et juridiques ne sont pas légitimement gagnées. Ils sont parasitaires, adventices, et si le monde réel était conforme à la théorie des économistes classiques, ces revenus illégitimes n'existeraient pas. Ils ne représentent ni la rétribution du travail ou de la gestion, ni un intérêt du capital, ni les profits d'une entreprise, tels que les déterminent des marchés libres et équilibrés. Ce sont des tributs levés sur les salaires, les intérêts et les profits en dénaturant ou en manipulant le prix du marché.
Les réformateurs du libéralisme doivent donc se proposer de rectifier la situation qui permet à ces revenus illicites de se former ; si leurs réformes sont profondes et efficaces, il ne s'en formera plus. Or nous avons vu qu'afin de rectifier cette situation il faut : engager d'énormes dépenses pour l'eugénisme et l'éducation ; assurer la conservation du sol et des richesses naturelles qui constituent le patrimoine national, développer ce patrimoine par des travaux de récupération, de lutte contre les inondations et la sécheresse, d'aménagement des cours d'eaux, des ports et des routes, de développement de la houille blanche, d'amélioration des possibilités de transport et d'échange de marchandises et de services ; perfectionner les marchés en organisant des services de renseignements, d'inspection et autres, assurer et indemniser contre les risques et les pertes dues aux transformations économiques et techniques. Il faut encore bien d'autres choses, par exemple fournir les possibilités de récréation qui ne peuvent pas exister dans des collectivités spécialisées et surpeuplées.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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