Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 2 - les Dieux de la machine »

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La règlementation de l'industrie par l'État n'a en effet jamais été plus minutieuse que dans le siècle qui a précédé les grandes innovations techniques. Que l'on songe à ce que cette règlementation représentait. Que l'on considère, par exemple, le fameux système de règlements par lequel Colbert s'était efforcé de codifier et de généraliser la loi industrielle<ref>Les exemples qui suivent sont tirés de l'ouvrage de Eli F. Heckscher, ''Mercantilism'', vol. I, pp. 157 sqq.</ref>. Les règlements de la seule industrie textile forment quatre volumes in-quarto de 2 200 pages et trois volumes supplémentaires. Les règlements sur la fabrication des lainages en Bourgogne et dans quatre régions avoisinantes, stipulent que les tissus de Dijon et Selongey doivent être peignés sur une largeur d'une aune et trois-quart, que la trame doit comprendre quarante-quatre fois trente-deux fils, lisières comprises, et qu'à son arrivée à la foulerie, le drap doit avoir exactement une aune de large. Mais à Semur et en quatre autres endroits, la trame doit avoir treize cent soixante-seize fils, et mille deux cent seize à Châtillon. On avait oublié la ville de Langogne jusqu'en 1718, date à laquelle parut une ordonnance déclarant que Sa Majesté venait d'apprendre qu'aucun règlement ne spécifiait le nombre de fils dont ses draps devaient être composés, et que cette question devait absolument être réglée.  
La règlementation de l'industrie par l'État n'a en effet jamais été plus minutieuse que dans le siècle qui a précédé les grandes innovations techniques. Que l'on songe à ce que cette règlementation représentait. Que l'on considère, par exemple, le fameux système de règlements par lequel Colbert s'était efforcé de codifier et de généraliser la loi industrielle<ref>Les exemples qui suivent sont tirés de l'ouvrage de Eli F. Heckscher, ''Mercantilism'', vol. I, pp. 157 sqq.</ref>. Les règlements de la seule industrie textile forment quatre volumes in-quarto de 2 200 pages et trois volumes supplémentaires. Les règlements sur la fabrication des lainages en Bourgogne et dans quatre régions avoisinantes, stipulent que les tissus de Dijon et Selongey doivent être peignés sur une largeur d'une aune et trois-quart, que la trame doit comprendre quarante-quatre fois trente-deux fils, lisières comprises, et qu'à son arrivée à la foulerie, le drap doit avoir exactement une aune de large. Mais à Semur et en quatre autres endroits, la trame doit avoir treize cent soixante-seize fils, et mille deux cent seize à Châtillon. On avait oublié la ville de Langogne jusqu'en 1718, date à laquelle parut une ordonnance déclarant que Sa Majesté venait d'apprendre qu'aucun règlement ne spécifiait le nombre de fils dont ses draps devaient être composés, et que cette question devait absolument être réglée.  


Comment Sa Majesté pouvait-elle savoir le nombre de fils qu'il fallait prescrire à Dijon, à Semur ou à Langogne ? Naturellement en le demandant aux fabricants établis. Ses règlements étaient donc essentiellement un procédé permettant de protéger les intérêts de ces derniers contre la concurrence de novateurs trop audacieux. Toute règlementation par l'autorité doit nécessairement employer de telles méthodes, car aucun roi ni aucun bureau ne peut espérer inventer une technique de la production autre que la technique existante. Le gouvernement peut par hasard avoir une excellente idée, mais, normalement il est inévitable qu'il mette le poids de son autorité au service de la routine des intérêts établis. Ce que Colbert faisait sous Louis XIV était exactement la même chose que ce que le général Johnson<ref>Voir l'''ABC de la NRA'' publié par Brookings Institution.</ref> et M. Wallace ont fait sous le président Roosevelt.  
Comment Sa Majesté pouvait-elle savoir le nombre de fils qu'il fallait prescrire à Dijon, à Semur ou à Langogne ? Naturellement en le demandant aux fabricants établis. Ses règlements étaient donc essentiellement un procédé permettant de protéger les intérêts de ces derniers contre la concurrence de novateurs trop audacieux. Toute règlementation par l'autorité doit nécessairement employer de telles méthodes, car aucun roi ni aucun bureau ne peut espérer inventer une technique de la production autre que la technique existante. Le gouvernement peut par hasard avoir une excellente idée, mais, normalement il est inévitable qu'il mette le poids de son autorité au service de la routine des intérêts établis. Ce que Colbert faisait sous Louis XIV était exactement la même chose que ce que le général Johnson<ref>Voir l'''ABC de la NRA'' publié par Brookings Institution.</ref> et M. Wallace ont fait sous le président Roosevelt. Colbert avait réglementé l'industrie et l'agriculture en soutenant et en subventionnant les producteurs établis, et il ne faisait pas les choses à moitié. Les fabricants de Saint-Maixent « durent faire des démarches pendant quatre ans, de 1730 à 1734, avant d'être autorités à utiliser des fils de trame noirs »<ref>Heckscher, ''op. cit''., p. 120</ref>. Ils ne reçurent jamais la permission d'utiliser des fils noirs pour la chaîne.  
== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
<references /> <!-- aide : http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide:Notes et références -->
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