Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 9 - la grande révolution et la montée de la "grande association" »

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Cette révolution, qui intéresse l'humanité tout entière et pose toutes les grandes questions sociales de notre époque, est due principalement à la division du travail croissante dans des marchés toujours plus étendus : le machinisme, la société anonyme, et la concentration sont des phénomènes secondaires. Je veux dire par là que les hommes ne sont tentés d'inventer et d'installer des machines qu'une fois qu'ils ont commencé à spécialiser leur industrie en vue d'un marché étendu. S'il est vrai que les machines elles-mêmes favorisent la spécialisation, le fait essentiel est que les machines ne sont pas inventées tant que le travail n'est pas spécialisé. Les fameuses inventions de l'industrie textile anglaise, qui sont si souvent considérées comme la cause immédiate de la révolution industrielle, ont été faites par des « hommes pratiques, dont la plupart étaient des ouvriers plongés dans les détails de leur art, et mis en présence d'une difficulté définie à vaincre, d'une économie particulière à réaliser »<ref>Hobson, ''op. cit.'', p. 80. Hobson note également que les savants, au sens strict du terme, furent fort peu mêlés à ces grandes découvertes. De tous les grands inventeurs de textile, Cartwright seul était un penseur.</ref>. Les inventions s'accumulèrent naturellement au fur et à mesure que l'industrie textile se développait. Mais il est suffisamment clair que l'invention a commencé dans l'industrie qui était déjà la plus spécialisée. Cela est également vrai de la société anonyme. L'usage de cette forme d'organisation industrielle ne devint général qu'au milieu du XIXe siècle, lorsque la division du travail fut encore plus poussée.
Cette révolution, qui intéresse l'humanité tout entière et pose toutes les grandes questions sociales de notre époque, est due principalement à la division du travail croissante dans des marchés toujours plus étendus : le machinisme, la société anonyme, et la concentration sont des phénomènes secondaires. Je veux dire par là que les hommes ne sont tentés d'inventer et d'installer des machines qu'une fois qu'ils ont commencé à spécialiser leur industrie en vue d'un marché étendu. S'il est vrai que les machines elles-mêmes favorisent la spécialisation, le fait essentiel est que les machines ne sont pas inventées tant que le travail n'est pas spécialisé. Les fameuses inventions de l'industrie textile anglaise, qui sont si souvent considérées comme la cause immédiate de la révolution industrielle, ont été faites par des « hommes pratiques, dont la plupart étaient des ouvriers plongés dans les détails de leur art, et mis en présence d'une difficulté définie à vaincre, d'une économie particulière à réaliser »<ref>Hobson, ''op. cit.'', p. 80. Hobson note également que les savants, au sens strict du terme, furent fort peu mêlés à ces grandes découvertes. De tous les grands inventeurs de textile, Cartwright seul était un penseur.</ref>. Les inventions s'accumulèrent naturellement au fur et à mesure que l'industrie textile se développait. Mais il est suffisamment clair que l'invention a commencé dans l'industrie qui était déjà la plus spécialisée. Cela est également vrai de la société anonyme. L'usage de cette forme d'organisation industrielle ne devint général qu'au milieu du XIXe siècle, lorsque la division du travail fut encore plus poussée.
Il est indispensable de se rendre compte de la primauté de la division du travail dans l'économie moderne pour pouvoir faire une juste distinction entre les phénomènes vraiment progressifs et les autres. Si nous voulons retrouver notre route dans les difficultés pratiques et dans la confusion intellectuelle de notre époque, il nous faut revenir au premier principe de l'économie dans laquelle nous vivons, et voir bien nettement que son caractère déterminant est l'accroissement des richesses par un mode de production qui met fin à l'autarcie des nations, des localités et des individus, et crée entre eux une interdépendance profonde et complexe.
==Le retard culturel==
Pendant plus de mille ans après la décomposition de la grande association du monde romain, les peuples occidentaux ont vécu en petites collectivités relativement fermées. C'est à ce genre d'existence que nos habitudes traditionnelles et nos idées préconçues, que nos coutumes et nos institutions ont été adaptées. Notre intelligence a été adaptée à un genre de vie organisé sur une petite échelle, et immuable au cours d'une génération donnée. Mais la révolution industrielle a institué un genre de vie organisé sur une très grande échelle, dans lequel les hommes et les communautés ont perdu leur autonomie et dépendent étroitement les uns des autres, dans lequel les changements ne sont plus assez graduels pour être imperceptibles, un genre de vie hautement dynamique par rapport à la durée même d'une existence humaine. Jamais la plus grande partie de l'humanité ne s'est vu imposer si brusquement une transformation plus profonde des habitudes, des idées et des valeurs.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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