Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 8

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Benjamin Constant:Principes de politique - Chapitre 8


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Chapitre 8 : De l'initiative

L’on a mal compris, ce me semble, le sens de l’article constitutionnel qui a rapport à l’initiative. La charte royale la refusait presque entièrement aux chambres qu’elle avait créées. Ce n’était que par une extension, pour ainsi dire illégale, que les députés s’étaient emparés de la faculté de développer en public leurs propositions, et les ministres annonçaient le projet de leur disputer ce privilége. Lorsqu’une proposition était accueillie, des formes lentes et embarrassées entravaient sa marche. En un mot, le droit de proposition n’était dans la constitution de 1814, qu’une ressource insuffisante, contraire à l’intention de la constitution même, et toujours en danger d’être supprimée par une interprétation plus rigoureuse de cette constitution. Dans notre acte constitutionnel, au contraire, une seule différence distingue l’initiative des chambres de celle dont le parlement d’Angleterre est investi : le chef de l’état n’est pas obligé de prononcer son veto : le silence en tient lieu. Mais quand l’opinion publique réclame l’adoption d’une proposition populaire, un gouvernement représentatif peut-il longtemps lui opposer le silence ? Le caractère d’un tel gouvernement n’est-il pas d’être dirigé par l’opinion ? L’initiative est donc, par le fait, complétement rendue aux représentants de la nation, qui peuvent même reproduire leurs propositions aussi souvent qu’ils le jugent convenable, droit que l’article 21 de la charte royale leur avait enlevé. Mon opinion sur l’initiative n’a nullement changé : elle me paraît, comme il y a un an, une partie nécessaire des attributions de la représentation nationale. Elle ne peut sans doute être refusée aux ministres ; il leur appartient d’indiquer les désirs du gouvernement, comme les députés indiquent le vœu du peuple ; mais il arrivera naturellement que le gouvernement n’exercera presque jamais son initiative. Les ministres siégeant dans les chambres, au nombre des représentants, feront en cette qualité les propositions qu’exigeront les circonstances ou les besoins de l’état. Le gouvernement sentira qu’il est de sa dignité d’attendre plutôt que de devancer. Quand il propose des projets de loi, c’est lui qui se soumet au jugement des chambres : quand il attend la proposition des chambres, il devient leur juge. Laissons durant ces premiers moments, notre mécanisme constitutionnel s’établir et se simplifier par l’usage et l’habitude. On multiplie les difficultés en croyant les prévenir ; on les crée, lorsqu’on transforme en griefs des incertitudes qui tiennent à l’inexpérience. Mettons de bonne foi la constitution en activité ; au lieu de l’ébranler par des changements prématurés, voyons si l’emploi de ce qui existe ne nous offre pas les mêmes avantages. Tant qu’on n’a pas essayé d’une constitution par la pratique, les formes sont une lettre morte : la pratique seule en démontre l’effet et en détermine le sens. Nous n’avons que trop souvent abattu l’édifice sous prétexte de le reconstruire : profitons désormais des lumières qui ne s’acquièrent que par les faits, afin de pourvoir graduellement à tous les besoins partiels, avec mesure, avec sagesse, avec lenteur, à l’aide du temps, le plus doux et le plus puissant des auxiliaires.

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