Charles Gave:Tout commence par un coup de foudre

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AVANT-PROPOS - Nous sommes des nains sur les épaules de géants << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CHAPITRE II - Le patient socialiste est mort, l’électro-encéphalogramme est plat, mais qui va lui dire ?


Charles Gave:Tout commence par un coup de foudre


Anonyme


CHAPITRE I
Tout commence par un coup de foudre
Un libéral nommé Jésus
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Auteur : Charles Gave
Genre
essai, actualité
Année de parution
2005
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"Parce que c’était lui, parce que c’était moi…"
Montaigne

Il y a quatre Evangiles.

Les premiers, ceux de Marc et Matthieu, ont été écrits par deux très braves types, le troisième, celui de Luc par un médecin, le quatrième par un "intello", Jean.

L’Evangile selon Saint Marc a sans doute été écrit sous la dictée de Pierre, un pêcheur de Galilée qui souffrait d’une double ignominie : d'abord il était un travailleur manuel, (horreur !) et ensuite il était de Galilée, région réputée pour être la plus arriérée de Palestine.

Matthieu, collecteur d’impôts pour la douane, fonction qui d’après la Loi juive était illégale, se trouvait quant à lui, dans une situation à peu près équivalente à celle d’un Intouchable dans l'Inde d'aujourd’hui. Luc médecin, n’était pas originaire de Palestine, parlait et écrivait en grec et n’a pas, semble-t-il, connu personnellement le Christ.

Enfin Jean, l’intellectuel de service, très jeune au moment de la prédication de Jésus, était à peine sorti de l’adolescence et comme tel, ignoré par les docteurs de la Loi et peu crédible comme témoin.

Il est difficile d’imaginer une plus remarquable collection de bras cassés[1].

Pourtant leurs écrits ont changé le monde…

Il s’est donc passé en Palestine, il y a 2000 ans, quelque chose d’extraordinaire entre Jésus et des individus que rien ne semblait prédisposer à un destin hors du commun.

Vous avez peut-être vu le film américain, West Side Story. Une reprise, mise à la sauce new-yorkaise, de Roméo et Juliette. Les deux héros, qui ne s’étaient jamais rencontrés, sont dans un lieu public et soudain ils se "voient ". Tous les témoins qui les entourent tombent brusquement dans l'ombre la plus épaisse, deviennent littéralement invisibles, tandis que " l’Autre " apparaît nimbé de lumière. N'est-ce pas la meilleure illustration cinématographique du mythique coup de foudre ?

Eh bien, ces hommes de Palestine, il y a plus de vingt siècles, ont vécu ce coup de foudre. Soudain, non seulement ils ont été " vus ", eux qui étaient dans l’ombre depuis toujours, et destinés à y rester, mais en plus ils ont vus !

Et Celui qui les voyait, leur a dit : " Viens, et suis-moi ".

C'est en cela que les Evangiles forment une œuvre unique : ils exposent des idées, les alignent dans le bon ordre pour raconter une histoire ou développer une démonstration. Et ce qui ressort des Evangiles est beaucoup plus qu'un récit : c'est la surprise immense de quatre témoins devant une personnalité qui les dépasse totalement.

De l’avoir côtoyée, d’avoir été choisis par elle, jamais ils ne s’en sont remis.

La puissance de ce Livre, ne s'apparente ni à une thèse ni à une histoire. Elle prend sa source dans une… Personne.

Le Christ, à notre connaissance, n’a jamais écrit une ligne. La seule fois où Il écrit, c’est avec son doigt dans la poussière, quand on lui amène la femme adultère.

Veut-il par là nous indiquer la valeur qu’il attache aux écrits ?

Il a toujours refusé de prescrire une règle de vie écrite aux gens qui le lui demandaient.

Quand les questions se faisaient trop précises, Il répondait en expliquant comment être un bon… Juif.

Tu connais les commandements :
Ne commets point d’adultère ;
Ne tue point ;
Ne dérobe point ;
Ne porte pas de faux témoignage ;
Honore ton père et ta mère.

Si le questionneur insistait, il répondait toujours

"Viens et suis-moi".

Il n’y a pas de recettes pour être un bon chrétien, il n’y a qu’un ordre : Viens et suis-moi.

La religion chrétienne n’est en rien un ensemble de lois et de préceptes à suivre.

Ce n’est pas la Torah, encore moins le Coran.

C’est l’histoire d’une personne qui est venu sur terre et qui regarde chaque individu comme nul ne l'a fait avant lui et ne l'a fait depuis.

L’extraordinaire de cette histoire ? Deux mille ans après, ce regard n’a pas baissé d’intensité.

Siècle après siècle, des hommes, des femmes, des enfants sont saisis – à la lecture du texte – par ce regard, et consacrent leurs vies à suivre cette personne, qui vivait il y a 2000 ans …

Et ce qu’ils suivent, ce n’est pas une idéologie, ce n’est pas une loi, c’est un homme, qu’ils aiment avec passion. Comme Pierre qui se jette à l’eau pour retrouver son Seigneur.

Les Evangiles, et ensuite toute l’histoire des grands saints, nous racontent une série d’histoires d’amour et chaque fois il y a le Christ et …une autre personne.

Il faut bien, alors, se rendre à l'évidence d'une chose : nous n’avons pas un portrait du Christ, mais… quatre.

Chacun des Evangélistes a fait ce qu’il a pu, dans la mesure de ses moyens. C'est un peu la description d’un éléphant qu'auraient faite quatre aveugles qui ne peuvent que toucher l'énorme bête.

Le résultat est surprenant. Au moins les quatre Evangélistes s’accordent-ils sur un point : Dieu ne sait compter que jusqu'à un[2]  ! Dieu ne s’intéresse ni aux masses ni aux nations ni à l'Histoire, avec un H majuscule.

Si l’on en croit Jésus, Dieu ne s’intéresse qu’à chacun d’entre nous, un par un, et veut développer avec chacun d’entre nous une relation individuelle.

Je[3] suis le chemin, la Vérité et la Vie.
Nul ne vient au Père que par Moi.
Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père…
Celui qui m’a vu a vu le Père...
Je suis le vrai cep et mon père est le vigneron : tout sarment qui est en moi et ne porte pas de fruit, il le retranche.
Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits.

Le message est d'une éloquente simplicité : l’amour va d’une personne à une autre.

C’est tout.

Il n’y a pas d’amour collectif.

Il n’y a pas d’amour de l’humanité, avec un grand H.

Il n’y a que l’amour qui va du Christ à un homme ou à une femme ; d’un homme ou d’une femme au Christ ; ou d’un homme, d'une femme à un autre homme, à une autre femme.

Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba au milieu des voleurs.
Ils le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent le laissant à demi-mort.
Par hasard un prêtre descendait par ce chemin. Il vit le malheureux et passa de l'autre côté, outre
De même un lévite arriva à cet endroit.
Il le vit et passa de l'autre côté.
Mais un Samaritain qui était en voyage arriva près de lui ;
Il le vit et fut pris de pitié.
Il s'approcha, pansa ses plaies en y versant de l'huile et du vin,
Puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d'argent et les donna à l'aubergiste, en lui disant :
"prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai".

Il n’existe de responsabilité, d’amour ou de morale qu’individuel.

Je n'ai pas le moindre doute que le prêtre et le lévite aient fait partie de toutes les organisations charitables locales pour lutter contre la faim dans le monde ou le déboisement de l’Amazonie. Nul doute qu’ils n’aient donné tous les deux au Téléthon…

Ce qui d'ailleurs prenait tout leur temps et les empêchait de se consacrer aux petits vieux qui, l'été, crevaient de chaud à leurs côtés. A ce moment-là, on ne leur en voudra pas, ils étaient en vacances, ou en voyage d’affaires.

Heureusement, pour le pauvre voyageur, le Samaritain, n’était pas, lui, un homme occupé ou important…

Ce que nous dit le Christ, encore et encore, c’est qu’il n’y a de morale "qu’individuelle ".

Il n’y a d’amour qu’individuel.

Voilà la loi du Seigneur.

• Il n’y a pas d’amour collectif,

• Il n’y a pas de responsabilité collective,

• Il n’y a pas de morale collective

La conséquence logique est effrayante : nous serons jugés un par un, et non pas collectivement.

Le "jugement de l’Histoire ", si cher à nos politiques, aux yeux de Dieu est une foutaise.

A quoi sert à un homme d’avoir conquis le monde
s’il a perdu la vie ?

Et notre responsabilité individuelle sera jugée en fonction de ce que chacun d’entre nous aura reçu.

L'injonction tombe comme un couperet :

On exigera beaucoup de celui à qui l’on aura beaucoup donné.
Et plus on aura confié à quelqu’un plus on lui redemandera…
Vous, de même quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites :
"Nous sommes des serviteurs inutiles.
Nous n’avons fait que ce que nous devions faire".

Phrases terribles, s’il en fût.

D’elles sont nées toute la tension créatrice qui a mené le monde européen pendant vingt siècles.

Il est relativement facile de se dire bon musulman ou bon juif, il suffit de respecter dans le détail la loi, telle qu’elle est énoncée dans leur Livre.

Or, nul ne peut se dire en conscience, un "bon chrétien ".

Les Evangiles ne sont pas un livre, mais une rencontre avec une Personne, à la fois exigeante, remplie de compassion et qui ne précise jamais ce qu’Elle attend de nous !

De quoi devenir fou, ou saint… d'ailleurs et assez souvent les deux à la fois.

Car quand on aime, on ne peut jamais donner assez à ceux que l’on aime

Celui qui n’a pas tout donné n’a rien donné…

Mais qu’est ce que « tout » ?

A ce stade de notre réflexion, je crois qu'il devient nécessaire d’expliquer pourquoi la religion chrétienne est fondamentalement différente des autres.

Toute religion a, me semble-t-il, trois axes de développement et d’approfondissement possibles, que chacun suivra selon ses propres préférences :

 la relation verticale à Dieu. C'est le judaïsme.

 la relation intérieure avec soi-même. C'est le bouddhisme.

 la relation horizontale avec les autres. C'est le confucianisme.

L’essence de la religion musulmane et de la religion juive est la même[4] : un monothéisme absolu régissant la relation avec Dieu, et un ensemble de règles très précises contrôlant les rapports soit avec les autres, soit avec soi-même.

Il en va tout différemment dans la religion chrétienne. Ces trois fonctions "fusionnent" en une personne : Jésus.

C’est pourquoi, l’une des plus grandes erreurs de notre temps est, je pense, de réunir sous la même bannière, ce qu’il est convenu d’appeler les religions du Livre.

La religion chrétienne ne repose pas sur un livre, mais sur un homme, sur un individu.

Mahomet a beaucoup emprunté à la Torah et à l’Ancien Testament. Il n’a rien emprunté au Nouveau Testament, et surtout pas cette notion d’individualisme forcené qui en est la trame.

L’essence de la religion chrétienne n’est ni de demander l’adhésion mécanique à une règle ni d'imposer que l'on adore son maître comme le fait un chien ; c'est l'exercice plein et entier du libre arbitre[5].

Car, nous le savons tous, l’amour ne se conçoit que libre.

Dieu veut être aimé par chacun d’entre nous, librement.

Chacun d’entre nous est libre de ses choix, à tout moment. Ayant choisi, il demeure mortellement inquiet, car au fond de lui même, " nul ne sait ce qui lui a été donné… " .

L’essence de cette parole, c’est que non seulement nous sommes libres de faire nos choix moraux, mais que ces choix peuvent – et vont sans doute – nous mettre en conflit avec tous nos proches. Ce qui est en rupture totale avec tous les tribalismes et tous les communautarismes.

Ne pensez pas que je suis venu apporter la paix sur terre ;
Je suis venu apporter, non la paix mais l’épée :
Je suis venu mettre le fils contre son père, et la fille contre sa mère
On aura pour ennemis les gens de sa propre maison.
Celui qui aime son père plus que moi, n’est pas digne de moi…
Celui qui sauvera sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie
A cause de moi, la retrouvera.

On songe à Sainte Jeanne de Chantal, marchant sur le corps de ses enfants qui s’étaient mis en travers de la porte pour l’empêcher de quitter sa maison.

Elle voulait fonder un ordre monastique, ce qu’elle fit…

Le message des Evangiles est un cri d’individualisme libérateur, et certainement pas un appel à l’on ne sait quel communautarisme. Nous sommes libres de nos choix, et donc responsables.

Et nos choix sont plus importants, oh combien, que nos attachements…

Comme l’a résumé Jean Paul II dans l’une de ces encycliques : "La liberté, c’est de pouvoir et de vouloir faire ce que l’on doit faire. "

En conséquence, toute liberté individuelle s’organise autour de ces trois composantes d’origine chrétienne :

• La possibilité d’exercer son choix qui dépend de l’environnement en général, du pouvoir politique en particulier. Sur ce sujet, les Evangiles ont aussi beaucoup à dire, et nous y reviendrons.

• La volonté de l’exercer, ce qui suppose du caractère en face des épreuves. Nous y reviendrons également.

• Enfin la capacité morale à juger de ce qui est nécessaire. Cette capacité ressort simplement de notre acuité individuelle, de notre courage à différencier le vrai du faux. Là encore, les Evangiles ont beaucoup à dire.

Et puisque nous évoquons pour la première fois le pouvoir politique, il est temps d’en venir à l’idéologie qu’il nous faut pourfendre, le socialisme[6].

Et comme nous l’avons fait pour les évangiles, revenir sur son histoire pour comprendre son essence.


Notes et références

  1. Et les autres Apôtres ne valaient guère mieux, à l’exception peut être de Judas qui tenait la bourse du groupe et qui semblait disposer d’un solide sens de son intérêt, a lui, ce qui l’a perdu.
  2. La formule est d’André Frossard dans Dieu existe, je l’ai rencontré
  3. Souligné par l’auteur. Cette affirmation de Jésus rendait les Juifs de son époque absolument fous furieux, C’était pour eux le blasphème ultime, qui, d’après la loi Judaïque était passible de mort. Comme Socrate, Jésus est mort parce que ses concitoyens respectaient la loi, et lui aussi. Les Juifs ne sont pas plus responsables de la mort du Christ que les Grecs ne le sont de celle de Socrate. Dans les deux cas, il n’y a eu qu’application de la loi. Voir à ce sujet les analyses de René Girard.
  4. Les pratiques ont cependant fort différentes, le message de la Torah reste ouvert a l’interprétation des générations successives et donc n’est pas clos, mais ouvert, ce qui n’est pas le cas du Coran.
  5. L’Eglise catholique avait perdu de vue cette réalité. D’où la Réforme.
  6. L’auteur a beaucoup hésité pour savoir s’il devait mettre une majuscule à socialisme. Tous comptes faits, il a décidé que le mot ne méritait pas de majuscule.
AVANT-PROPOS - Nous sommes des nains sur les épaules de géants << Charles Gave  —  Un libéral nommé Jésus >> CHAPITRE II - Le patient socialiste est mort, l’électro-encéphalogramme est plat, mais qui va lui dire ?