Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre I : Le collectivisme pur et son régime de la valeur »

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valeur est compatible avec le maintien de la petite propriété chez le
valeur est compatible avec le maintien de la petite propriété chez le
producteur indépendant, paysan, artisan et boutiquier.
producteur indépendant, paysan, artisan et boutiquier.
== Chapitre 3. Le progrès de la production. ==
* § I. Insuffisance du collectivisme pur au point de vue du développement des forces productives.
Le collectivisme, privé de l'excitation du profit individuel, renferme-
t-il un ressort de progrès industriel aussi énergique que la
concurrence? La question est d'importance capitale; car, si le socialisme
doit sacrifier la production à son rêve d'une plus juste répartition,
il est incapable de réaliser, pour la généralité des citoyens,
une amélioration sensible des conditions matérielles, et ne peut
aboutir qu'à la médiocrité générale et au rationnement.
Les socialistes comptent sur un énorme accroissement de richesses,
lorsqu'une organisation méthodique de la production aura supprimé
les doubles emplois, les faux frais et fausses directions, les chômages,
les parasites de l'ordre capitaliste, les dépenses improductives
telles que les dépenses militaires et le service de la dette publique.
On voudrait partager leur confiance dans le fonctionnement régulier
du mécanisme immense de la production nationale régie par l'État.
Mais un inconnu aussi redoutable interdit les appréciations optimistes
à ceux qui se défient de l'intelligence suprême préposée à la
direction, et des moyens dont elle disposera pour exercer ses fonctions
régulatrices.
En revanche, on reconnaîtra volontiers que des travailleurs rétribués
suivant l'habileté et l'intensité de leur travail seront incités à
fournir le maximum d'efforts. D'une façon générale, on peut admettre que des hommes ayant conscience de travailler pour la collectivité
prendront plus d'intérêt à la production que de simples salariés au
service de l'industrie privée.
Dans le même esprit d'impartialité, on se gardera de dire que
toute invention cessera, lorsque l'inventeur ne pourra plus tirer
profit d'un brevet ni exploiter sa découverte comme entrepreneur
d'industrie. Il y aura peut-être, dans le monde industriel, moins de
travailleurs sacrifiant leur repos et leur santé à des recherches dont
le succès ne donnera plus la fortune. Néanmoins, sans parler des
distinctions honorifiques qui pourront encore récompenser les auteurs
de découvertes utiles, l'amour-propre, et le besoin instinctif chez
l'homme d'exercer ses facultés naturelles, suffiront sans doute à stimuler
encore le génie inventif des hommes de science, des directeurs
de la production et des simples travailleurs manuels.
Mais, en dehors des découvertes éclatantes qui, à défaut d'avantages
matériels, procurent au moins la célébrité, peut-on espérer
qu'un régime de production administrative, privé de la concurrence,
sera favorable aux améliorations de détail dans l'agencement des
tâches et l'emploi des matières, aux perfectionnements insensibles
dans l'organisation des services, aux multiples combinaisons qui
tendent à améliorer la qualité des produits, à les approprier aux
goûts de l'acheteur, à réduire les frais et à augmenter les rendements
? La question qui se pose ici porte surtout sur la direction; il
s'agit de savoir si la direction, dans le monde collectiviste, peut avoir
la même vigueur, le même esprit de progrès, la même vigilance
qu'en régime de concurrence.
Pour les industries qui sont déjà exploitées par l'État ou par des sociétés anonymes, il ne semble pas tout d'abord que la direction,
en régime collectiviste, doive être inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.
Dans les plus vastes organisations administratives dirigées
par un personnel salarié, dans le service des postes et télégraphes,
des ponts et chaussées, des chemins de fer, dans les exploitations
minières appartenant à des compagnies ou à des États, la gestion est
régulière, parfois rigoureuse, et des progrès incessants se réalisent,
d'une façon anonyme, lors même que l'entreprise n'est soumise à
aucune concurrence; pourquoi n'en serait-il pas de même pour des
industries socialisées?
Il y a cependant, entre les unes et les autres, une différence importante
au point de vue qui nous occupe. La constitution des grandes
compagnies d'industrie et de transport est tout aristocratique, et leur
action reste dominée par la recherche du profit. Le personnel dirigeant, dans les exploitations d'Etat comme dans celle des sociétés anonymes, est recruté suivant des modes qui tendent à opérer une
sélection des capacités. Si la production collectiviste doit être dirigée
par un personnel électif, les garanties seront loin d'être équivalentes.
Car les travailleurs ne seront personnellement intéressés ni à l'amélioration
des produits, ni à la diminution des frais, ni à l'emploi des
machines les plus productives; il importera peu au tisseur de
donner à la société deux mètres d'étoffe sur un métier perfectionné
plutôt qu'un mètre sur un métier ordinaire, si son heure de travail
doit être payée de la même manière. Dès lors que les travailleurs
attachés à un établissement ne seront pas directement intéressés au
progrès de la production et à l'écoulement des produits, il est douteux,
s'ils sont appelés à élire leur chef, que leur choix se porte sur
celui qui possédera les meilleures qualités d'organisation et de commandement.
Supporteraient-ils une surveillance minutieuse du
travail, un contrôle rigoureux des produits? Se soumettraient-ils à
des réformes intérieures contrariant leurs habitudes ou leurs intérêts?
Accepteraient-ils des machines nouvelles qui déplaceraient une
partie d'entre eux? Pour que l'autorité ne fût pas énervée, il faudrait
au moins adopter un mode de recrutement qui ne mît pas les directeurs
sous la dépendance de leurs subordonnés immédiats.
Reste la catégorie innombrable des entreprises de toute nature,
agricoles, industrielles, maritimes, voiturières, commerciales, qui,
gérées aujourd'hui par des entrepreneurs responsables, passeraient,
en régime collectiviste, sous la gestion des fonctionnaires. Ici, la
déperdition de forces serait incalculable. Rien ne peut remplacer,
dans la direction de ces entreprises aux dimensions restreintes,
l'excitation de l'intérêt individuel. Le labeur acharné du paysan propriétaire,
l'activité fiévreuse de l'homme d'affaires, la poursuite
incessante des combinaisons les plus économiques, la recherche des
produits les plus appréciés de la clientèle, la surveillance vigilante
du personnel, tout cet effort opiniâtre et continu du cultivateur, de
l'industriel, du commerçant qui se dépense sans compter, parce qu'il
sait que sa fortune et sa réputation dépendent de son travail et de
son habileté, seraient sacrifiés sans compensation dans une organisation
bureaucratique qui embrasserait la production tout entière,
depuis les grandes usines jusqu'aux plus modestes ateliers, aux plus
minces exploitations rurales et aux plus petits magasins de débit.
Comme cause d'affaiblissement, la diminution d'activité serait
peut-être moins redoutable encore que l'énormité des frais. Il faut
insister sur ce point; une gestion administrative aussi vaste tendrait à être tellement dispendieuse, que la société risquerait de dissiper
en frais généraux la plus grande partie, sinon la totalité de
cette plus-value capitaliste dont elle aurait la prétention de faire
bénéficier les travailleurs et les incapables. Il ne suffit pas d'escompter
les frais d'entretien d'une armée de fonctionnaires salariés;
il faut encore tenir compte d'un coulage universel qu'une administration
généralisée ne saurait éviter dans les services publics de
production, de transport et de débit. Des fonctionnaires, surtout
s'ils tiennent leurs pouvoirs de l'élection, n'auront jamais le même
souci de l'économie, la même sévérité dans le contrôle, la même
ingéniosité dans la recherche des combinaisons propres à diminuer
les frais, que des entrepreneurs supportant personnellement les
risques de l'entreprise.
Enfin, il est très probable que cette administration lourde et dispendieuse
n'aurait ni assez d'autorité, ni assez d'énergie pour
poursuivre avec persévérance une politique d'épargne permettant
d'accroître la puissance productive de la nation. Déjà, les pouvoirs
électifs de nos États modernes ne savent pas pourvoir régulièrement
à l'amortissement des dettes publiques. Que serait-ce dans l'État
collectiviste, s'il fallait imposer aux électeurs des retenues sur la
rétribution de leur travail, en vue d'assurer non seulement l'amortissement,
la reproduction du capital consommé, mais aussi son
accroissement? Personne n'aurait un intérêt individuel à l'épargne
nationale; pour qu'elle fût égale à la somme des épargnes privées
d'une société individualiste, il faudrait que le sentiment du devoir
social s'élevât, chez la masse des citoyens comme chez leurs représentants,
à la hauteur des sacrifices les plus difficiles.
De leur côté, les travailleurs n'auront aucun intérêt immédiat à
ne pas fatiguer le machinisme et à ne pas gaspiller les matières premières,
puisqu'ils seront rétribués à l'heure de travail d'intensité
moyenne, sans considération des économies réalisées sur le matériel
et les matières. Ils sauront sans doute que leur bien-être individuel
dépend de l'accroissement du revenu net de la société; ils auront
tous, je l'accorde, une haute idée de la solidarité sociale. Mais si
cette idée peut provoquer, chez des natures d'élite, un effort momentané
ou même un grand sacrifice, nul ne pensera qu'elle soit capable
d'imposer à la masse des travailleurs ce contrôle incessant sur soi-même
qui serait nécessaire pour prévenir le gaspillage; il ne faut
pas attendre un tel dévouement de l'individu ordinaire, quand il ne
doit recueillir personnellement qu'un bénéfice infinitésimal de ses
efforts.
Les socialistes modernes ont le bon sens de ne plus trop compter,
dans la cité future, sur la passion désintéressée du bien et sur
l'amour de l'humanité comme moteurs de l'appareil social; ils se
défendent de bâtir sur l'hypothèse d'une transformation de la nature
humaine. Mais alors, il faut reconnaître qu'une société fondée sur
un système de valeur qui n'intéresse pas les producteurs à l'emploi
des instruments perfectionnés et a. Feconomie dés moyens est condamnée
à la stagnation, au coulage, à l'affaiblissement de la production;
et finalement à la médiocrité, sinon à la disette générale.
Schaeffle n'avait pas manqué de signaler cette faiblesse du collectivisme,
tout en mêlant à sa clairvoyante critique quelques paroles
d'encouragement. Ces paroles ont été entendues.
Pour ceux qui veulent rester fidèles au principe collectiviste, il ne
peut être question de revenir aux inégalités résultant des prix de
concurrence. Comment donc, en conservant le collectivisme, échapper
au reproche de poursuivre une meilleure distribution des richesses
aux dépens de la production? Si les producteurs n'ont pas un intérêt
visible et immediat a une rigoureuse economie, c'est qu'ils ne se procurent pas eux-mêmes les moyens de production dont ils se servent,
et n'en ont pas la propriété; mais on ne saurait, semble-t-il,
reconnaître la propriété corporative sans rétablir un ordre individualiste
à peine élargi. Si les producteurs ne sont pas intéressés à se
servir d'agents matériels fournissant une production supérieure a la
moyenne, c'est qu'ils ne sont pas rétribués suivant la productivité
de leurs instruments de travail; mais on ne saurait sans injustice
les rétribuer sur cette base, dans un système de production administrative
qui confère à l'autorité publique le pouvoir de distribuer gratuitement
et arbitrairement les moyens de production.
Il paraît difficile de sortir de ces contradictions. Néanmoins,
l'épreuve a été tentée.
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