Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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encore effectuée par voie d'entente et de coalition entre des entreprises
encore effectuée par voie d'entente et de coalition entre des entreprises
indépendantes, qui ont renoncé à tout ou partie de cette indépendance
indépendantes, qui ont renoncé à tout ou partie de cette indépendance
dans le but de limiter la concurrence, de réglementer la
ans le but de limiter la concurrence, de réglementer la
production, et même d'exercer un véritable monopole sur le marché.
production, et même d'exercer un véritable monopole sur le marché.


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grandes compagnies anglaises et américaines, et un cartel formé
grandes compagnies anglaises et américaines, et un cartel formé
entre ce trust et des compagnies allemandes et hollandaise.
entre ce trust et des compagnies allemandes et hollandaise.
''* § III. Les effets du monopole.''
Certains trusts ne sont que de vastes entreprises ayant une large
part dans le chiffre total des affaires de même nature de leur pays,
sans en détenir cependant le monopole. Mais tous les trusts tendent
naturellement au monopole, et beaucoup d'entre eux ont réussi à
l'établir sur un marché local ou sur le marché national, quelques-uns
même sur le marché universel. Plusieurs cartels, même parmi ceux
qui ne sont pas constitués en comptoirs de vente, sont aussi parvenus
au monopole, avec cette différence qu'ils ne sont pas des corporations
fermées.
Le monopole se caractérise par le pouvoir de fixer les prix. Il suffit
à un trust ou à un cartel, pour le posséder effectivement, de contrôler 80 à 90 p. 100 du débit total de la marchandise; le prix établi
par le trust est alors accepté comme le prix du marché, et les concurrents
qui subsistent encore l'adoptent eux-mêmes.
Quel que soit le monopoleur, entreprise unitaire simple, fédération
d'entreprises (cartel), ou entreprise unitaire d'origine composite
(trust), les effets du monopole sont toujours les mêmes et s'exercent
à l'égard des mêmes catégories d'intéressés. Ce sont, en première
ligne, les consommateurs; ce sont aussi les producteurs de matières
premières, les négociants en gros et les détaillants; ce sont enfin les
employés et ouvriers salariés.
Pour le consommateur, il semble qu'il soit à la merci du monopoleur,
et qu'il doive subir des prix très supérieurs à ceux qui résulteraient
de la concurrence. Tel n'est pas cependant l'avis de beaucoup
d'économistes, qui font valoir que le monopoleur, dominé par la
recherche du profit, n'a pas intérêt à hausser les prix outre mesure.
Abuser du monopole pour rançonner le consommateur, ce serait
susciter des compétiteurs, provoquer le recours à des succédanés tels
que l'alcool à la place du pétrole, et restreindre la consommation au
point de diminuer le bénéfice global. L'intérêt bien entendu d'un
trust est d'abaisser son prix jusqu'au point, variable suivant les produits,
où le débit correspond au plus grand benéfice, point qui peut
être très bas pour des articles susceptibles de se répandre dans de
très larges couches de consommateurs.
Freins insuffisants réplique-ton d'autre part. Qu'est-ce que la
concurrence potentielle, vis-à-vis d'un trust tout-puissant qui alimente
à peu près complètement le marché ? Pour le lui disputer, y
il faudrait engager des capitaux considérables dans une lutte dont
l'issue serait douteuse, mais dont le résultat immédiat le plus certain
serait l'improductivité totale des capitaux pendant toute la durée de
la concurrence, tant à cause de la surproduction inévitable que des
procédés extrêmes de la guerre commerciale. N'est-ce pas suffisant
pour décourager à l'avance toute compétition? Et si la concurrence
parvient néanmoins à s'établir, n'aboutira-t elle pas encore une fois
au rachat ou à la fusion? Enfin, ajoute-t-on, si la seule garantie
contre une hausse excessive se trouve dans l'intérêt bien entendu du
monopoleur, rien ne protège le public contre les manoeuvres financières
d'administrateurs audacieux qui se préoccupent peu des intérêts
permanents de l'entreprise, et ne songent qu'à profiter momentanément
du monopole en élevant les prix, pour donner un dividende
immédiat à un capital exagéré et pour amener une hausse temporaire
des titres dans un but de spéculation.
Mais la question ne peut ainsi se discuter ''in abstracto''; il faut
interroger les faits, tels qu'ils ressortent de l'enquête entreprise par
la Commission industrielle des États-Unis, de celle que poursuit la
Commission allemande instituée en 1902 et d'autres études documentaires.
Sur cette question des prix, trois conclusions résultent assez
nettement des enquêtes.
1° La formation d'une combinaison donne lieu à un relèvement
immédiat des prix. La constatation, faite en Amérique pour les trusts,
n'est pas moins sure pour les cartels européens. Le relèvement est
d'ailleurs justifié; il ne faut pas oublier, en effet, que toute combinaison
a pour origine un abaissement anormal des prix dû à l'excès
de la concurrence, qui ne laisse pas à l'industrie le juste profit dont
elle ne peut se passer.
2° Les prix des articles monopolisés par les trusts américains subissent des fluctuations fréquentes et considérables. Ce fait d'expérience
vient contredire les prévisions que l'on pouvait fonder sur le
pouvoir régulateur d'une coalition investie d'un monopole. Il est
cependant établi d'une façon incontestable par l'enquête américaine.
C'est que les trusts les plus puissants n'ont jamais joui jusqu'à présent
d'un monopole continu. Lorsque surgit la concurrence, le trust
cherche à l'abattre en abaissant ses prix, parfois au-dessous du prix
de revient si la concurrence est simplement locale, il ne baisse les
prix que sur les points où porte l'attaque, sauf à récupérer la perte en
les élevant partout ailleurs. En l'absence de concurrence, au contraire,
le trust tient le prix à un taux assez élevé pour recueillir seul,
à l'exclusion du public, le bénéfice des économies qui résultent pour
lui de la production en grand et du monopole. D'ailleurs, ce taux ne
signifie pas toujours un prix plus élevé qu'avant la combinaison,
ni même une différence plus grande entre le prix du produit et celui
de la matière première.
Quoi qu'il en soit, les fluctuations des prix prouvent suffisamment,
que le monopole ne s'est encore établi nulle part d'une façon permanente
et inattaquable, et que les trusts sont tenus à une modération
relative s'ils veulent le conserver. Jusqu'ici, toutes les fois qu'un
trust a voulu pousser trop loin ses avantages, il a provoqué des concurrences
qui lui ont été dommageables; les trusts du sel et del'ammoniaque
en Angleterre, le ''Whisky trust'' aux Etats-Unis, ont
ainsi supporté la peine de leur avidité, et le trust américain du
sucre, qui contrôlait 90 p. 100 de la production en 1898, n'en contrôle
plus que 55 p. 100 en 1900 pour la même raison.
En Europe, il est rare que les syndicats industriels manient les
prix avec autant d'audace qu'en Amérique. A part les exemples
déjà anciens qui viennent d'être cités, les trusts anglais paraissent
avoir usé modérément de leur pouvoir. La hausse de leurs produits,
en 1900 et 1901, est due pour la plus grande partie à celle des matières
premières, et les bénéfices qu'ils réalisent proviennent surtout des
économies de la concentration.
Quant aux cartels du continent, ils ont sans doute profité de leur
situation pour élever les prix au-dessus du taux de concurrence,
autant que le permettaient les tarifs douaniers; le cartel allemand
du sucre, notamment, pendant les deux années 1900-1902, a
pu hausser de 33 p. 100 le prix du raffiné, tandis que le prix du
sucre brut baissait de 36 p. 100 dans la seconde partie de cette
période; certains cartels du coke et de la fonte ont été l'objet de
plaintes justifiées au sujet des prix, de la qualité des livraisons et
des conditions léonines qu'ils imposaient à leurs clients. Toutefois,
il est équitable de reconnaître qu'en général la politique des cartels
allemands a été tempérée, qu'elle a tendu à stabiliser les cours et à
régulariser la production pendant une période de grandes vicissitudes
industrielles, de manière à éviter les crises de prix et les
embauchages d'ouvriers suivis de renvois en masse; les cartels de la
houille ont assuré à leurs clients des prix relativement modérés
pendant la disette du charbon en 1900; et si les prix de la houille,
du coke, de la fonte ou des demi-produits, établis par des contrats
à long terme, sont devenus onéreux après la baisse des produits
demi-ouvrés et finis pour les usiniers qui ne possédaient pas de
mines et de hauts fourneaux, les cartels ont répondu que « le producteur
qui s'est abstenu d'exploiter la hausse avec autant d'âpreté
que ses concurrents n'est évidemment pas à même d'accompagner
la baisse aussi rapidement que ces derniers ». Un autre cartel, celui
de l'alcool, a maintenu une certaine fixité des prix pour l'alcool de
bouche, et il a largement abaissé ceux de l'alcool industriel avant 1904.
L'opinion publique en Europe est singulièrement plus ombrageuse
qu'en Amérique à l'égard des monopoles, et ne tolérerait pas certains
procédés pratiqués de l'autre côté de l'Atlantique.
3° Les prix d'un grand nombre de produits monopolisés sont plus
élevés à l'intérieur qu'à l'exportation. Sur le marché intérieur, à
l'abri des barrières douanières, on fait payer des prix de monopole
au consommateur ou à l'industrie nationale; mais en même temps,
pour entretenir une large production sans encombrer le marché, on
vend le surplus en dehors des frontières à des prix inférieurs, parfois
même à perte, en se couvrant par des bonifications prélevées sur
les bénéfices de la vente à l'intérieur. On conquiert ainsi de nouveaux
marchés à l'étranger; mais on rend l'exportation impossible aux
industries nationales qui sont obligées de se servir du produit monopolisé.
Cette pratique est établie par les témoignages les plus nombreux
et les plus concordants; elle est courante dans les trusts américains,
comme dans les cartels allemands et autrichiens du sucre, de la
houille, du coke, de la fonte, etc. Les représentants des syndicats
cherchent à la justifier en disant que, s'ils n'opéraient pas ainsi, ils
seraient obligés de restreindre leur production et de lui donner une
allure plus irrégulière, faute de débouchés suffisants; de là un
accroissement de frais, qui retomberait plus lourdement encore sur
le consommateur indigène. Les syndicats ne sont d'ailleurs pas les
seuls à user de ces procédés de discrimination; dans les industries
d'exportation fortement protégées, les entreprises individuelles y
recourent volontiers pour le sucre, ce sont les législations elles-mêmes
qui ont donné l'exemple par leurs primes d'exportation.
Le monopole des corporations industrielles est aussi pesant pour
les producteurs et vendeurs de matières premières que pour les consommateurs.
Un trust qui est l'unique acheteur d'un produit dicte
naturellement ses conditions. La ''Standard Oil Co'' a parfois offert aux
producteurs de pétrole brut des prix très élevés pour ruiner une
raffinerie concurrente; mais quand elle s'est trouvée affranchie de
toute concurrence, elle a bien souvent abaissé ses prix d'achat au
point de mettre en perte les exploitants des puits de productivité
moyenne; maîtresse des transports par ses ''pipe-lines'', elle dispose à
son gré des puits qu'elle veut acheter. Dans les cartels du sucre,
chaque fabricant, après que les zones d'approvisionnement ont été
réparties par la convention, reste seul acheteur vis-à-vis des cultivateurs
de betteraves. Même pression des négociants syndiqués sur
les vignerons, des usiniers sur les pêcheurs de sardines, et ainsi de
suite. Il ne reste aux producteurs de matières que la ressource de se
syndiquer eux-mêmes pour soutenir leurs prix, s'ils sont conscients
de leurs intérêts et capables d'organisation.
Les négociants en gros et au détail subissent aussi la loi des syndicats de producteurs. Les grandes combinaisons industrielles ont
souvent exercé une influence salutaire, en écartant du marché des
matières brutes les éléments de spéculation qui en faussaient les
cours. Elles ont aussi rendu de véritables services aux consommateurs
en posant une limite aux exigences des détaillants, dans le but
de parvenir au plus grand débit possible de leurs marchandises;
c'est ainsi qu'elles fixent elles-mêmes les prix auxquels les commerçants
sont autorisés à vendre leurs produits, et ne leur consentent
les réductions ordinaires que s'ils observent ces conditions. Lorsque
la marge est suffisante, le détaillant n'est pas lésé; bien au contraire,
il retire un grand avantage de la stabilité des prix du gros maintenue
par certains cartels. Mais il n'est pas rare non plus qu'un syndicat
pèse sur les maisons de détail par des primes, des menaces ou
des amendes, pour les engager à ne vendre que ses produits à l'exclusion
de ceux de ses concurrents.
Quant aux ouvriers, il ne semble pas qu'ils aient eu jusqu'ici à
souffrir gravement de ces nouvelles organisations industrielles.
Malgré la fermeture des établissements inférieurs, le nombre total
des emplois dans les industries monopolisées est loin d'avoir diminué
seuls, les employés supérieurs et les commis voyageurs ont été
sérieusement atteints. D'un autre côté, la régularité de la production
a donné plus de stabilité aux emplois, plus de continuité au travail,
notamment dans les houillères et l'industrie du fer en Allemagne et
en Autriche. Pour les salaires, ils sont devenus plus uniformes,
et ils ont suivi une hausse normale dans les industries favorisées
par les circonstances, comme la métallurgie; à cet égard, il n'y a
pas eu de différence sensible entre les trusts et les grandes entreprises
de constitution simple. Naturellement, c'est toujours dans les
grandes exploitations prospères que les ouvriers reçoivent les salaires
les plus élevés, et c'est là seulement qu'ils peuvent obtenir des pensions
de retraite.
La concentration industrielle réalisée par les trusts facilite certainement
l'établissement de rapports réguliers entre les unions
ouvrières et les employeurs, par la pratique du contrat collectif et de
la conciliation en comités mixtes. Ainsi, dans les mines de houille de
Pittsburg, la compagnie formée par la fusion de 140 entreprises a
établi, d'accord avec l'Union générale des ouvriers mineurs américains, une échelle mobile des salaires avec un minimum; en Angleterre,
la ''Bradford Dyers' Association'' est représentée dans un comité
permanent de conciliation. Toutefois, cette concentration capitaliste
serait redoutable pour les ouvriers s'ils n'opéraient pas la concentration
de leur côté; on a vu des trusts échapper aux conséquences
de la grève dans certains de leurs établissements en transférant à
d'autres la production des usines arrêtées. La puissance capitaliste
d'un trust est tellement supérieure à celle d'un grand nombre de
patrons accidentellement réunis pour la résistance, que l'union de
toutes les associations ouvrières dans la branche d'industrie monopolisée
devient une nécessité. Encore la force même d'une grande
fédération ouvrière vient-elle se briser contre celle d'un trust colossal.
Dans la grève de 1901 menée contre la grande Corporation de l'acier
par l'Union générale des ouvriers du fer et de l'acier (''Amalgamated
Association of Iron, Steel and Tin Workers''), l'association ouvrière
malgré ses 60 000 ou 80 000 grévistes, a échoué rapidement et perdu
des positions; le nombre des usines dans lesquelles elle était reconnue
et admise à discuter les conditions du travail a été réduit.
Le pouvoir des grands trusts touche donc plus ou moins toutes les
classes de la société. Il est d'autant plus inquiétant qu'il est plus
concentré. Bien que les actions d'une vaste corporation soient
répandues dans un grand nombre de mains, il n'en est pas moins
vrai que sa direction effective appartient tout entière à un très petit
nombre de gros actionnaires. Dans les conditions actuelles de l'organisation
des trusts, ce sont moins les industriels que les financiers
qui ont le contrôle de ces entreprises. Il y a plus; les principaux
actionnaires des grandes affaires industrielles organisées en trusts
ont aussi la haute main dans d'autres affaires importantes, houillères,
chemins de fer, navigation, banques, assurances. Les mêmes
hommes figurent dans de multiples conseils d'administration, de
sorte que, sous leur direction, les diverses entreprises se prêtent un
mutuel concours. Cette circonstance favorise singulièrement l'intégration,
qui n'est qu'un aspect particulier de la concentration; c'est
ainsi que les charbonnages et les entreprises de transport viennent
par leurs faveurs fortifier la position des trusts et assurer leur monopole.
Mais il en résulte aussi que la haute banque domine toute la
grande industrie et tout le système économique; par les appuis
qu'elle sait se créer dans la presse et dans les pouvoirs publics, elle
parvient même à exercer son influence sur le système politique dans
le sens de ses intérêts; en sorte que le capitalisme, à sa plus haute
expression, devient un régime dans lequel quelques milliardaires
commandent, par les trusts et autres organisations financières, un
capital huit ou dix fois plus considérable que le leur, et détiennent
une puissance économique qui semble jusqu'ici sans contrepoids.
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