Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 4 - l'ascension intellectuelle du collectivisme »

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M. Stuart Chase, par exemple, est un homme d'instincts libéraux et de sympathies démocratiques, mais il nous dit que pour arriver à la prospérité pour tous il nous faut : « la centralisation du gouvernement, la planification et le contrôle par l'autorité supérieure de l'activité économique... Les Etats-Unis et le Canada entreront dans un cadre régional unique, de même que la plus grande partie de l'Europe. Un état-major général industriel doit exercer une autorité suprême sur ces cadres, et disposer de pouvoirs dictatoriaux pour assurer le fonctionnement harmonieux (''sic'') de toutes les grandes sources de matières premières et d'approvisionnements. La démocratie politique peut subsister ''à condition que les questions économiques soient exclues de son domaine''<ref>Stuart Chase, op. cit., pp 312-313. Voir également George Soule, op. cit., pp. 214-215.</ref> » (c'est moi qui souligne).  
M. Stuart Chase, par exemple, est un homme d'instincts libéraux et de sympathies démocratiques, mais il nous dit que pour arriver à la prospérité pour tous il nous faut : « la centralisation du gouvernement, la planification et le contrôle par l'autorité supérieure de l'activité économique... Les Etats-Unis et le Canada entreront dans un cadre régional unique, de même que la plus grande partie de l'Europe. Un état-major général industriel doit exercer une autorité suprême sur ces cadres, et disposer de pouvoirs dictatoriaux pour assurer le fonctionnement harmonieux (''sic'') de toutes les grandes sources de matières premières et d'approvisionnements. La démocratie politique peut subsister ''à condition que les questions économiques soient exclues de son domaine''<ref>Stuart Chase, op. cit., pp 312-313. Voir également George Soule, op. cit., pp. 214-215.</ref> » (c'est moi qui souligne).  


Ainsi, M. Chase, tout en étant un partisan enthousiaste d'une dictature qui s'étendrait à des continents entiers, voudrait en même temps conserver l'essentiel de la liberté individuelle. Pour lui, comme pour tous les collectivistes de son école, le problème consiste à concilier la théorie d'une économie dictatoriale avec une répulsion instinctive contre la conduite des dictateurs en exercice. Certains arrivent assez facilement à réaliser cette conciliation. Ils s'arrangent pour expliquer la barbarie des dictatures qu'ils admirent, tout en dénonçant bravement celle de toutes les autres dictatures. Les sympathisants de l'expérience communiste sont profondément émus par les persécutions en Allemagne et les déportations en Italie. Mais ils croient dur comme fer qu'on a exagéré et qu'on a mal compris les persécutions et les déportations en Russie. M. Soule par exemple, parlant de la Russie des Soviets, déclare avec une conscience apparemment tranquille que la terre et le capital sont, en Russie, administrés par le Parti communiste  « afin que toutes ces choses soient utilisées pour le bien de la population tout entière (excepté ceux que l'Etat socialiste considère comme des individus inutiles : hommes d'Etat, prêtres, commerçants, patrons) ».  
Ainsi, M. Chase, tout en étant un partisan enthousiaste d'une dictature qui s'étendrait à des continents entiers, voudrait en même temps conserver l'essentiel de la liberté individuelle. Pour lui, comme pour tous les collectivistes de son école, le problème consiste à concilier la théorie d'une économie dictatoriale avec une répulsion instinctive contre la conduite des dictateurs en exercice. Certains arrivent assez facilement à réaliser cette conciliation. Ils s'arrangent pour expliquer la barbarie des dictatures qu'ils admirent, tout en dénonçant bravement celle de toutes les autres dictatures. Les sympathisants de l'expérience communiste sont profondément émus par les persécutions en Allemagne et les déportations en Italie. Mais ils croient dur comme fer qu'on a exagéré et qu'on a mal compris les persécutions et les déportations en Russie. M. Soule par exemple, parlant de la Russie des Soviets, déclare avec une conscience apparemment tranquille que la terre et le capital sont, en Russie, administrés par le Parti communiste  « afin que toutes ces choses soient utilisées pour le bien de la population tout entière (excepté ceux que l'Etat socialiste considère comme des individus inutiles : hommes d'Etat, prêtres, commerçants, patrons) ». D'autres, qui sympathisent avec la tentative fasciste, sont persuadés que les brutalités pires d'un régime communiste. C'est par une telle casuistique que les hommes concilient leur foi dans le principe collectiviste avec leur souvenir de ce que doit être une société civilisée.
 
Les apologistes du communisme et du fascisme sont donc obligés de croire que l'absolutisme qu'ils voient régner sur ces terres promises n'est que transitoire<ref>Voir par exemple la lettre d'Engels à Bebel (1875) :  « L'Etat n'étant qu'une institution transitoire que nous sommes obligés d'utiliser dans la lutte révolutionnaire, afin d'écraser nos ennemis par la force, il est absolument absurde de parler d'un Etat populaire libre. Pendant la période où le prolétariat ''a besoin'' de l'Etat, il en a besoin, non pas pour la liberté, mais pour écraser ses adversaires; et lorsqu'il sera devenu possible de parler vraiment de liberté, l'Etat en tant que tel aura cessé d'exister.  » (Cité dans l'''Etat et la Révolution'', de Lénine. Lénine donne une définition analogue : « La dictature est un pouvoir reposant directement sur la force, et qui n'est lié par aucune loi. La dictature révolutionnaire du prolétariat est une autorité maintenue au moyen de la force et contre la bourgeoisie, et elle n'est liée par aucune loi. », ''La révolution prolétarienne''.</ref> ; qu'il est une tare accidentelle ou une nécessité temporaire. Leur erreur est profonde. Une société collectiviste ne peut exister que sous un régime absolutiste, et c'est une vérité que M. Chase semble avoir vaguement entrevue lorsqu'il dit que « la démocratie politique peut subsister à condition que les questions économiques soient exclues de son domaine ». Si l'on considère, par exemple, que les écoles, les universités, les églises, les journaux, les livres et même le sport ont besoin d'argent, de clients, et d'appui économique, le domaine abandonné à la liberté et à la démocratie par M. Chase est égal à zéro. C'est pourquoi l'absolutisme que nous voyons en Russie, en Allemagne, en Italie, loin d'être transitoire, constitue le principe essentiel d'un ordre collectiviste digne de ce nom.  


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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