Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre IV : Les inductions tirées des faits »

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négatif; sur des points essentiels, la puissance des faits
négatif; sur des points essentiels, la puissance des faits
a ruiné la théorie du laisser faire et renversé ses prévisions.
a ruiné la théorie du laisser faire et renversé ses prévisions.
SECTIONII. COLLECTIVISMPEUR ET SOCIALISME
B'ÉTAT INTÉGRAL.
ducPtoiounr leest coétlalebcltiisvsiesmteesn, t sodc'iuanlisatmioonde instoécgiraallieste desdemopyroednusctidoen proe-t
d'échange sont des événements non pas probables, mais certains.
Une doctrine qui procède par de telles affirmations justifie-t-elle ses
prétentions scientifiques? Les socialistes modernes croient observer
fidèlement les méthodes des sciences positives, parce qu'ils présentent
ce régime de l'avenir non pas comme une conception arbitraire
de l'esprit, mais comme le terme fatal d'un procès historique déterminé
par des forces immanentes. Il faut donc recourir à l'observation
pour apprécier si l'évolution s'accomplit effectivement ence sens.
Le collectivisme pur, par la constitution propre de son système de
la valeur, forme un bloc indivisible d'une rigoureuse unité, qui ne
comporte aucune survivance du mode actuel des échanges; il est
isme pfoasssseibleg,raduneolulesmeln'atv'.ons Avuu,coqnutreairle'a,vèlneemsoecniat lismdue. cdo'Éllteactt,iviqsmuie laipsuser
i2.. 7V.o~irop-~luMsMhaudte, lpa. F6r0anectes.oo?:<M:pO)-aMv?o,l. n-, p. fO à 147
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 3tt
subsister le régime actuel de la valeur marchande, pourrait s'étIalbli1rpar
extension successive des exploitations publiques aux dépens des
entreprises privées, jusqu'à la socialisation complète de la production.
Si donc on entend par révolution sociale une transformation radicale
et simultanée de la propriété et de la production, on dira que le collectivisme
pur ne se conçoit pas sans révolution, tandis que le socialisme
d'État intégral pourrait se fonder aussi bien par évolution progressive
que par révolution. Révolution ou évolution, la forme
même du collectivisme se trouve impliquée dans ces deux termes. Il
s'agit de savoir si le collectivisme intégral, sous l'une quelconque de
ses formes, trouve dans l'état social actuel des conditions déterminantes,
ou au moins des circonstances favorables à sa réalisation
par une voie ou par l'autre.
St. La thèse de l'effondrement; révolution et crises.
Envisageons d'abord l'hypothèse d'une transformation totale de
l'organisation économique s'opérant d'un seul coup; comment pourrait-
elle s'accomplir? Serait-ce par la force, à la suite d'une défaite
nationale, d'une grève générale ou d'une émeute victorieuse donnant
la dictature au prolétariat? Serait-ce d'une manière pacifique,
parla voie du suffrage universel et après la conquête régulière des
pouvoirs publics par le prolétariat? Actuellement, il n'y faut pas
songer, en France moins peut-être qu'ailleurs; trop d'intérêts s'y
opposent pour qu'une transformation radicale puisse être seulement
tentée, surtout par la violence. Si l'on considère, à côté du nombre
des possédants, la multitude des entreprises privées de tout genre,
agricoles, industrielles, commerciales, maritimes, voiturières et
autres, on conviendra qu'il s'agirait aujourd'hui de tout autre chose
que de l'expropriation de quelques usurpateurs par la masse. Une
expropriation globale, même avec indemnité, provoquerait des résistances
passionnées dans une fraction considérable delà population.
Paysans propriétaires, fermiers, petits industriels et petits commerçants,
agents et employés de tout genre qui sont venus grossir
les rangs des classes moyennes, sont en immense majorité hostiles a
la révolution par intérêt et par tempérament Dans la petite bourgeoisie,
une opposition significative se manifeste déjà contre les lois
de protection ouvrière, dès qu'elles atteignent la petite industrie et le
1. Kautsky, .Be/'o)'MMsociales et r~M~M~o~sociale, Mouvement socialiste,
13 octobre1<03,p. 1848.
313 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
-pce.ttit commerce; que serait-ce, si lta- c-'l1a-sse moyenne se sentait atteinte
dans ses oeuvres vives? Chez les populations rurales, les symptômes
sont les mêmes; en Suisse, où le referendum populaire assure la prépondérance
à l'élément rural, les électeurs des campagnes ont usé de
leurs pouvoirs pour faire échouer des réformes ouvrières comme
l'assurance obligatoire contre les accidents et la maladie, et pour
établir à leur profit un tarif protectionniste. Les classes rurales ne
subissent plus passivement comme jadis l'impulsion des grands
centres; au contraire, dans les nouvelles conditions des sociétés
contemporaines, avec le suffrage universel, la facilité des déplacements,
la diffusion de l'instruction, les progrès de l'esprit d'association
dans les campagnes, les populations rurales sont destinées à
exercer une influence croissante sur la direction politique de leur
pays. Aussi paraît-il invraisemblable qu'elles se soumettent à une
pression extérieure, et qu'elles se laissent entamer par l'action révolutionnaire
des populations industrielles. Encore moins peut-on croire
que le paysan renoncera de lui-même un jour à sa propriété et à sa
culture indépendante au profit d'une collectivité; pour qui connait
tant soit peu la nature du paysan, une telle hypothèse fait
sourire.
Parmi les salariés, les ouvriers agricoles, qui forment la majorité,
ou au moins une portion considérable de la classe ouvrière, se laissent
difficilement pénétrer par la doctrine socialiste, même dans les
pays de grande culture capitaliste où le journalier a peu d'espoir
d'acquérir une propriété indépendante; c'est encore une masse inerte,
sur laquelle on ne peut compter ni pour l'attaque ni pour la défense.
Les domestiques, dont le nombre s'accroît avec les progrès de
l'aisance, sont attachés à l'ordre social actuel par divers motifs. Les
ouvriers à domicile, pour la plupart, restent étrangers à la lutte de
classes, et ne participent guère aux agitations du prolétariat de
l'usine. Les auxiliaires de la petite industrie, rapprochés de leurs
patrons, capables même de s'établir à leur tour, n'ont pas tous l'esprit
révolutionnaire. Et même dans la grande industrie, les salariés qui
parviennent à une aisance et à une sécurité relatives restent généralement
en dehors du mouvement. En Angleterre et aux États-Unis,
les grandes unions ouvrières prouvent par leur attitude que la puissance
et la maturité de la classe ouvrière ne développent pas chez
elle les tendances révolutionnaires; le fait est d'autant plus significatif
que ces deux pays sont précisément les plus avancés au point
de vue capitaliste, et qu'en Angleterre, où la population rurale est
réduite au minimum, les ouvriers d'industrie forment la grande
LES SYSTEMES DEVANT LES FAITS 31~
"t.~ T _»7_ _i _.a.. 7t~t i 1- majorité. Les ouvriers anglais et américains n'adhèrent pas à la
révolution, parce qu'ils n'y croient pas et la jugent sans lendemain.
Le parti socialiste, il est vrai, fait de nouvelles et précieuses recrues
parmi les « intellectuels », qui lui fournissent des cadres et lui
donnent une force de rayonnement considérable. Cependant, les
marxistes reprochent à ces nouveaux venus leur défaut de combativité,
leur aversion pour la lutte de classes et pour la violence révolutionnaire.
Au lieu de l'âpreté qui caractérise le parti de la révolution,
ils n'apportent dans la lutte que les sentiments traditionnels
de leur classe; à part quelques individualités marquantes, qui
observent à la lettre l'intransigeance de classe et gourmandent les
modérés au nom du prolétariat ouvrier, ce sont en général des réformistes,
que M. Kautsky accuse d'accomplir une oeuvre de division et
d'affaiblissement 1.
Bref, si l'on élimine tous les éléments inertes, suspects ou franchementréfractaires,
il nereste, comme ferments révolutionnaires vivaces,
qu'un contingent relativement restreint; aussi les purs révolutionnaires,
conscients de leur faiblesse numérique et dédaigneux de la
masse, renient-ils aujourd'hui le principe de la démocratie. Mais
cette minorité ardente, énergique, audacieuse, qui s'accroît certainement
avec l'extension du prolétariat industriel, reste néanmoins
impuissante en face de l'énorme puissance de stabilité du corps
social. Aucun pays peut-être n'est à l'abri d'une surprise de la
force; mais, dans nos démocraties modernes, il serait puéril de
compter sur le coup de main audacieux d'une minorité pour fonder
quelque chose de stable et réaliser une transformation durable de
l'ordre social.
On se ferait illusion si l'on concluait, sur la foi de certains indices,
à une diminution des forces de résistance au cours de l'évolution
capitaliste. Un certain nombre de petits industriels et commerçants
sont dépouillés de leur indépendance économique; mais, sur d'autres
points, la classe moyenne compense largement ces pertes en s'agrégeant
de nombreux salariés. Le socialisme révolutionnaire étend ses
succès électoraux dans certains pays; mais, pour apprécier exactement
leur signification, il faudrait faire la part des mécontentements
de tout ordre qui se traduisent par un vote d'opposition; combien,
parmi les électeurs des candidats socialistes, seraient partisans de
l'expropriation on masse?
i. Kautsky, Réformes sociales et révolution sociale, Mouvement qoeialiste,
15 actobre 1902, p. 1848; f.e marxisme et son o':<t~MeBernstein, trad. Martin-
Leray, p. 251et suiv., Stock, )000, in-12.
314 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
Supposons cependant qu'une majorité sincèrement collectiviste se
constitue dans un pays de suffrage universel, qu'elle occupe le Parlement
et le gouvernement; pourrait-elle décréter la révolution? C'est
une observation banale aujourd'hui, même chez les écrivains socialistes,
qu'une révolution sociale ne se fait pas par décret comme une
révolution politique; on ne transforme pas subitement par un vote
le régime de la propriété, celui de la production et des échanges, tout
le mécanisme intime et compliqué de la vie matérielle d'un peuple,
toute la constitution économique qui enveloppe les individus et régit
les moindres détails de leur existence quotidienne. Établir de toutes
pièces un système de centralisation économique dans lequel l'autorité
publique gouvernerait la production et la circulation tout entières,
avant que le système eût fait ses preuves par une adaptation progressive,
ce serait arrêter brusquement la vie de l'organisme qui en
subirait l'expérience. Un tel bouleversement des rapports sociaux
formés au cours des siècles est en dehors de toute réalité possible.
L'idée de révolution, au sens de transformation subite des institutions
fondamentales de la société économique, est antiscientifique au premier
chef; elle est en opposition avec la loi de continuité qui s'observe
dans l'histoire comme dans la nature; elle est contraire aux
données des sciences naturelles, qui nous enseignent que la nature
ne fait pas de bonds.
Aussi les socialistes dirigeants ont-ils trop de science et d'expérience
pour ne pas apercevoir la vanité de la tradition révolutionnaire.
Ils répudient solennellement la thèse catastrophique. Il n'est
plus un chef du parti socialiste qui attende le succès d'une brusque
révolte du prolétariat; il n'en est aucun qui compte sur la paupérisation
des masses pour provoquer la catastrophe. Loin de la, a
mesure que les faits viennent démentir la théorie de la misère grandissante,
on proclame que la transformation sociale doit être l'oeuvre
d'un prolétariat affranchi de la misère, moins écrasé de travail, plus
instruit et plus conscient.
La foi révolutionnaire, la confiance qu'un ordre nouveau, indéterminé
mais désirable, sortira spontanément du chaos provoqué par
la grève générale, cette foi s'est cependant maintenue dans quelques
pays et quelques milieux, chez certains militants des syndicats
ouvriers hostiles à l'action politique régulière et partisans de l'action
directe. Des écrivains subtils, et sans bienveillance pour les combinaisons
parlementaires, se sont faits les organes de ces aspirations.
Plus la cause populaire recueille de sympathies dans les milieux
cultivés, plus ces hommes multiplient leurs efforts pour marquer tes
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 3i5
différences et accentuer les antagonismes. Intellectuels idéalistes.
démocrates solidaristes, socialistes.réformistes, catholiques sociaux,
sont plus maltraités par eux que leurs adversaires directs, les manchestériens
à l'union prechée au nom des Droits de 1 ho~ou~
l'Évangile, on préfère encore la formule CA~ chez soi, chacun
pour soi, qui a du moins le mérite d'exclure tout rapprochement de
classes. Aussi s'applique-t-on à creuser les fossés sur les points où
la confusion pourrait s'établir. L'organisation professionnelle,
l'intervention de l'État dans l'intérêt des travailleurs peuvent
figurer, par exemple, dans les programmes démocratiques; mais
l'esprit de fraternité qui les inspire est directement opposé à l'esprit
matérialiste et révolutionnaire des partisans de la lutte des classes.
Les interprètes de cette doctrine, bien qu'appartenant eux-mêmes,
en général, à une tout autre catégorie que celle des travailleurs,
manuels, réservent aux intellectuels leurs épithetes les plus dédaigneuses,
et se plaisent à exciter les défiances des travailleurs en
présentant tout effort qui n'a pas pour objet d'entretenir l'esprit de
haine comme une tentative pour les domestiquer. Tactique naturelle
à un parti qui ne peut vivre que de la ferveur révolutionnaire
il lui faut accuser son caractère original et préserver son individualité.
Et s'il est vrai que le mouvement progressif de la vie résulte
du conflit des idées et des forces, quelle que soit la résistance de
notre sens moral vis-à-vis d'une politique qui tend à attiser les haines
entre les hommes, quel que soit notre jugement sur la valeur scientifique
de la doctrine révolutionnaire, peut-être estimerons-nous
encore utile qu'il y ait des hommes pour en conserver le dépôt.
Mais en dehors de cette fraction anarchiste par sa tactique, on a
su, chez les marxistes même hostiles au réformisme, accepter les
récentes leçons de l'histoire et de la science. Il n'est pas question,
sans doute, d'abandonner l'idée révolutionnaire; tout en condamnant
l'abus qui consiste à transporter dans l'ordre social les lois de
la nature physique, telles que la loi de la concurrence vitale ou la loi
de continuité, on accepte volontiers le concours des sciences naturelles
quand elles fournissent l'exemple de changements de forme
soudains comme la naissance. Mais on constate en même temps que
ces révolutions, dont la nature nous offre des exemples, sont le
résultat ultime d'évolutions lentes qui se poursuivent au sein des
organismes; on observe avec raison qu'elles n'interviennent normalement
qu'après que les organes de l'être nouveau ont atteint un
certain degré de développement. Et de même, on admet que la révolution
sociale, pour aboutir, doit être précédée d'une longue elabo316
LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
ar_vaxta:inocnée qudiesenorpgraénpeasre del'9e lasupccroèsd;uctiilolnu,i fuanut laurgnee cdoénvceleonptrpaetmioennt tdrèess
associations professionnelles, une forte éducation politique et éconotsLtmhieaoèninqssteuheèrdaésedvediocetlrrauéaltvleniao,
osnfloucnmrtliiamsoastneasise.tniaopinroreou,gvrreisèsursabeiivni.tese,iDpeèonsqutuerlinodrsspu',oreep,nlèadrsereerérpvacaomerlluèuntdiieeosdn'ufvinnoseaioelcesimtarnlaeenantstufporeeràlrmldeuasn-.lee
Nous pourrions donc passer immédiatement à l'étude du point de
vue évolutionniste, si nous ne devions, avant de poursuivre, exalmiéienerà
laattetnhtèisveemreénvtolutiloantnhaèisree. sociOalnistaeffidrmese,criesnes,efqfeuti, eqstueintliemermégeinmte
capitaliste est condamné, par sa constitution même, à engendrer la
surproduction générale, et l'on conclut que le régime sombrera fatalement
un jour dans une crise de surproduction plus intense que les
autres, qui paralysera ses organes au point de lui rendre la vie
impossible; ce sera la catastrophe finale, après laquelle s'imposera le
régime de la propriété collective.
edrxaelscePèoseuensrdttreelepupsrnreoéndcenuouocnrntsoi-omsneinsstqe.dusainIslcolanpsutseniuqemtueaoslbu,iecnpaclleuctysuteileéauvirdsoéli'eri,midnpedàoursstucatrerniprectrseao,idnuscrpteialoarmntiovlame egfnaétudnsteées--
besoins sociaux, ou par le fait de la nature qui donne parfois des
récoltes imprévues; mais la surproduction dont souffrent certaines
industries, la métallurgie et la filature par exemple, signifie nécesls'ainirdeumsterniet
qmu'iinl ièyrea seotusl-epsrodpurocdtiuocntionsdansalimceerntatainireess. autCrees,sontetllelsà qduees
ruptures d'équilibre accidentelles, qui se réparent automatiquement
lorsque le jeu naturel des prix entraîne une restriction dans les
industries encombrées, ou un accroissement dans celles dont la
production est relativement insuffisante.
De même encore, il peut y avoir surproduction des marchandises
par rapport à la monnaie, lorsque la monnaie et ses succédanés
.cp~nboai'aanlrietusisegsmelmlaeeretg,cnéhitnneétédnrrèutaosslùetréisetpeedlasnesdpsuoaerpstlsreaiexszcaurninvnss'ieeetesdtmmopauooestnneus,eécrtoarmipmerleaauiissqnutqne'uuanobininroesnepdaacmls'nréiatqsengeuiéfinleiédsdbrteereaelesp,uarroldpodperrusousiditspspuqracuirtx'ieaolgunlsrenui-er
corDreesspodnédtraqàueumneentssous-pacrocidduecnttieolns edtesmomméteanutxanépsréciesounxt. donc possiLES
SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 3tT
1 1 1.- _> _s_
Mes, nul ne le conteste; mais qu'il puisse y avoir surproduction
générale portant sur tous les produits à la fois, les économistes le
nient absolument. Pour eux, le cas est théoriquement impossible;
il ne peut y avoir surproduction sans sous-production. On ne saurait
concevoir comment la production simultanément accrue dans toutes
ses branches pourrait, à un moment quelconque, dépasser d'une
façon absolue la somme des besoins et des pouvoirs d'achat des
individus dans la société, puisque ce sont toujours les produits qui,
par l'intermédiaire de la monnaie, s'échangent contre les produits.
Le surcroît de production chez les uns trouve son écoulement
naturel en s'échangeant contre le surplus des autres, puisque la
capacité d'achat des uns et des autres se trouve étendue par le fait
qu'ils ont une plus grande quantité de produits à offrir. Un accroissement
général de la production, s'il est bien équilibré dans toutes
ses parties, loin d'être une cause d'engorgement, facilite les échanges
par l'extension des débouchés.
Cette théorie si connue des débouchés, à laquelle J.-B. Say aattaché
son nom, rencontre cependant d'assez nombreux contradicteurs.
La plupart des socialistes la repoussent, et restent attachés à
l'idée d'un ye~en~ y/Mt, d'un engorgement absolu, qui sera naturellement
le terme de l'évolution capitaliste, et qui provoquera la rupture
dénnitivo de l'enveloppe pour donner naissance à l'ordre
nouveau.
Telle est bien, semble-t-il, la pensée d'Engels dans MH~-jOM/M~.
Développant sa thèse des antagonismes sociaux et des contradictions
économiques suivant la dialectique hégélienne, Engels expose comment
la perfectibilité du machinisme moderne, poussée au plus haut
degré, se transforme, sous le coup de l'anarchie sociale de laproduction,
en une loi implacable qui force le capitaliste industriel à toujours
perfectionner ses machines et à toujours accroître leur force
productive, tandis que la capacité d'extension du marché est contrôlée
par des lois différentes et d'un effet bien moins énergique. De
la les crises, dans lesquelles la collision économique est parvenue à
son apogée. Le mode de production se rebelle contre le mode
d'échange; la production capitaliste est devenue incapable de diriger
dorénavant les forces productives qu'elle a créées, et ces forces productives
poussent elles-mêmes de plus en plus impérieusement vers
la solution de l'antagonisme, vers l'abolition de leur qualité de
capital et vers la récognition pratique de leur caractère réel, celui
de forces productives sociales. Le point où l'appropriation des
moyens de production et des produits par une classe est devenue un
318 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
obstacle au développement économique, politique et intellectuel de
la société, ce point est aujourd'hui atteint; « La force expansive des
moyens de production fait éclater les fers que la production capitaliste
leur avait mis H
Cependant on ne trouve là qu'une simple affirmation. Pourquoi
y
la capacité du marché ne s'étend-elle pas aussi vite que celle des
forces productives? La question n'est pas résolue, et l'exposé d'Engels
resterait incomplet, si l'on ne recourait, pour l'interpréter, à une
théorie déjà développée par différents écrivains. Cette théorie, à
laquelle Engels se réfère sans doute, est celle de la consommation
insuffisante, d'après laquelle il y aurait désaccord constant entre la
capacité d'expansion presque illimitée de la production et la capacité
d'absorption du marché, qui est au contraire limitée; limitée, en
effet, chez la masse des consommateurs, par la faiblesse de leurs
moyens d'achat, et, chez les capitalistes, par les bornes naturelles de
leurs besoins. Une partie du produit social, correspondant au revenu
capitaliste non dépensé, se trouve donc en excès; et ce revenu non
d~é~pt~entlsnét,tRPmm`-iisc ePnn rrtéSseCrnvreWpnpaarr ll'é'Pp'anragrn.ren,a seen ttrrannnseffonrnmmen enn" nouveaux
moyens de production qui ne font qu'aggraver pour l'avenir la
surproduction
C'est ainsi que Sismondi, Rodbertus, et d'autres écrivains plus
récents comme MM. Dûhring, Hertzka et Hobson, ont cherché it
montrer qu'il y a surproduction universelle par le fait que les travailleurs
ne reçoivent pas le produit intégral de leur travail, et n'ont
même qu'une capacité d'achat toujours décroissante. 'La théorie se
trouve, au surplus, expressément indiquée dans certains passages
d'Engels et de Karl Marx. « II arrive, dit Engels, que le surtravail
des uns engendre le chômage des autres, et que la grande industrie,
qui parcourt le globe en quête de nouveaux consommateurs, limite
chez elle les masses au minimum de la famine, et détruit de ses
propres mains son marché intérieur. » Et Marx, voulant montrer
que plus la puissance productive se développe, plus elle rencontre
comme obstacle la base trop étroite de la consommation, nous dit
'<(Quant à la puissance de consommation de la masse, elle dépend
non de ce que la société peut produire et consommer, mais de la dist.
Engels, Socialismeutopiqueet socialismescientifique,p. 26et s., trad. Lafargue,
Derveaux, brochure (tirée de r~H<Dt:A)'u~).
2. De BergmannG, e.sc/MeA<cefer Ka~'OM~Q'&onomi'sAc'At'McnnMfOt'i'eK, not.
.chap. m et vu, Stuttgard, Kohiammer, ISOS,m-8°.– HandwOrt.d. Staatswiss.
.2°édit., \'° A'MM, par Herkner.
3. Engels, Socialismeutopique et socialismescientifique,p. 27.
LES SYSTEMESDEVANT LES FAITS 319
tribution de la richesse, qui a une tendance à ramener à un
minimum, variable entre des bornes plus ou moins étroites, la consommation
de la grande masse; elle est limitée, en outre, par le
besoin d'accumulation, d'agrandissement du capital, et d'obtention
de quantités de plus en plus fortes de plus-value )); en d'autres
termes, la consommation est bornée par la faiblesse du revenu de la
classe salariée, et par l'épargne reproductive de la classe capitaliste.
Un peu plus loin, Karl Marx dira encore « Actuellement, la cause
ultime d'une crise réelle se ramène toujours à l'opposition entre la
misère, la limitation du pouvoir de consommation des masses, et
là tendance de la production capitaliste à multiplier les forces productives,
comme si celles-ci avaient pour seule limite l'étendue
absolue de la consommation dont la société est capable. » i 11,
Mais Karl Marx et Engels ne pouvaient se contenter définitivement
d'une explication aussi imparfaite des crises; car, s'il y avait
réellement surproduction absolue par insuffisance de la consommation.
tenant à l'exiguïté des ressources chez les uns, à la satiété des
besoins et à l'épargne chez les autres, on ne comprendrait pas comment
la société capitaliste ne souffre pas d'un état de surproduction
chronique, au lieu de subir de simples crises passagères; le mécanisme
social, incapable de fonctionner normalement, aurait dû se
briser depuis longtemps.
Aussi Engels dit-il lui-même, dans un autre passage de l'.4n<f-
2)M~ftMy,que si la sous-consommation des masses est une condition
essentielle des crises, elle ne saurait pas plus en expliquer la présence
actueUe que l'absence antérieure*. Et Karl Marx, dans une partie du
Capital écrite postérieurement aux passages cités plus haut, déclare
nettement que l'explication des crises par insuffisance de consommateurs
capables de payer est une pure tautologie; il fait remarquer,
dans le même sens, que les crises surviennent précisément à la suite
d'une période de prospérité pendant laquelle les salaires étaient au
taux le plus élevé
La thèse de la consommation insuffisante est en effet insoutenable.
Quels que soient les progrès de la production, la consommation (productiveetimproductive)
neluiest jamais inférieure; et s'il arrive parfois
que les producteurs sont obligés, pour écouler leurs marchandises,
1. Karl Marx, Le Capital, trad. Borchardt et Vanderrydt, tiv. III, t'" partie,
p. 267, et 2*partie, p. 26, Giard, 1901,3 vol. iti-8".
2. Engels, Ne)')' ~«yen ûa/;rtH~ CMKxMsMydte~r W~e~c~t~, 4° édit.,
p. 308, Stuttgart, Dietz, !90t.
3. Karl Marx,Le Capital, trad. Borchardt, !iv. 11,p. 438.
320 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
de l1es vendr"eJ au-dessous du prix de revient, cette situation ne se pré1-
sente que d'une façon accidentelle et temporaire, et n'est nullement
la conséquence nécessaire d'un vice constitutionnel du régime économique,
ayant son origine dans les inégalités de la répartition
capitaliste. Il est bien évident que les salariés ne reçoivent pas en
salaires, et ne peuvent dépenser pour leur consommation une valeur
égale à celle des produits fournis par leur travail; mais la part du
produit social que les salariés ne peuvent acheter faute de ressources
suffisantes n'est jamais, pour aucune fraction, en excès sur la consommation
si cette part n'est pas totalement dépensée par les capitalistes
en consommations improductives, l'excédent qu'ils ont
épargné se trouve employé en nouveaux moyens de production et en
salaires affectés à la consommation; la totalité du produit social,
consistant en objets de consommation et en moyens de production,
trouve donc son emploi. L'épargne absorbée par les emprunts d'État
s'emploie elle-même en constructions, matériel, etc., tandis que
l'épargne affectée à l'achat de titres déjà existants dégage une égale
quantité de capitaux, qui se tournent vers la production au lieu et
place des capitaux nouvellement épargnés.
Si, à un instant de raison, la surproduction générale par insuffisance
de la consommation n'est pas théoriquement impliquée par la
constitution du régime économique, elle ne l'est pas davantage dans
les instants qui suivent. Peu importe l'accroissement de production
qui résulte de l'épargne reproductive réalisée dans la période antérieure
peu importe même l'état stationnaire de la population les
conditions d'équilibre entre la production et la consommation sont
toujours les mêmes; le produit social tout entier, comprenant à la
fois une plus grande quantité d'objets pour la consommation personnelle,
et une plus grande masse de moyens de production pour
l'épargne reproductive, peut toujours trouver son placement par
voie d'échanges réciproques. Il est possible que les producteurs ne
sachent pas se conformer à ces différentes destinations du revenu
social, et qu'ils provoquent une crise par surproduction relative sur
certains points, accompagnée de sous-production sur d'autres. Mais
s'ils observent exactement les proportions entre les objets de consommation
réclamés par les consommateurs et les moyens de production
réclamés par l'épargne, ils évitent même les crises de surproduction
partielle.
La surproduction générale n'est donc pas un mal organique inhérent
au régime de la répartition. Aussi Marx tente-t-il -par d'autres
voies de rattacher les crises à un vice essentiel de l'organisation capiLES
SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 321
t.ESSYaTËMESSOCIAt.tSTES. S~
taliste. Tantôt il tes attribue à l'expansibilité intermittente du système
de fabrique, et à sa dépendance vis-à-vis du marché universel; mais
ce n'est là qu'une constatation du phénomène au lieu d'une explication'.
Tantôt il leur donne pour base matérielle le renouvellement
périodique, et généralement décennal des cléments du capital fixe,
bien que ce renouvellement ne s'opère pas simultanément dans toutes
les industries Tantôt enfin il les rattache à la baisse continue du
taux du profit (( Enentraînant la baisse continue du taux du profit,
le progrès de la productivité du travail donne le jour à une force
antagoniste qui, à un moment donné, agit à l'encontre du développement
de la productivité, et ne peut être vaincue que par des crises
sans nombre. )) En effet, poursuit-il, la baisse du taux du profit
surexcite nécessairement la concurrence et provoque un redoublement
d'activité du capital, puisque chaque capitatiste s'efforce de
réaliser, par le perfectionnement des procédés et la multiplication
des produits, un profit exceptionnel qui compense les effets de la
baisse
Toutefois il ne s'agit pas là, comme on pourrait le croire, d'une
explication nouvelle des crises. Si l'accroissement de la production,
accéléré par la diminution du taux du profit, est une cause de surproduction
générale, c'est que la consommation s'étend moins rapidement
qu'elle; et Marx, pour l'établir, expose précisément ici la
thèse de la sous-consommation des masses. Il est donc permis de
penser que l'ensemble de la théorie se trouve implicitement condamné
par le passage du livre Il cité précédemment.
Toute cette question des crises, chez Karl Marx, est traitée d'une
façon fragmentaire et obscure, et nulle part nous ne pouvons y saisir
la trace d'un antagonisme fondamental qui doive aboutir un jour,
par un excès de tension, à la rupture de la forme capitaliste.
Ce n'est pas que Karl Marx ait négligé de faire ressortir la délicatesse
de l'organisme. On connaît la théorie magistrale, et d'ailleurs
invérifiable, qu'il expose au livre 11 du Capital pour donner, après
Quesnay, un aperçu synthétique de la circulation des richesses, un
tableau économique des échanges qui s'effectuent entre les diSérenies
(lasses de producteurs et de capitalistes. Au cours de cet exposé,
Marx signale avec quelque complaisance les multiples occasions dans
lesquelles des crises peuvent se produire Mais ces crises éventuelles
1. Karl Marx, Le capital, trad. Roy, liv. p. 195 et 08.
2. Kart Marx, Lecapital, trad. Borchardt, liv. II, p. IST.
3. Idem, liv. H!, t" partie, p. 279a 283.
4. Idem, Uv.H, p. S20-S225; SO-SS25;57-558;SSO.
332 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
ne s.ront rt.oujours que dse~s_ r_ua_ptures "d·'·équilibre -p-aJ_rIt-ielles, des d'1é'psaccords
accidentels entre la production dans certaines de ses branches,
et les besoins actuels de la société soit en objets de consommation
personnelle, soit en moyens de production nécessaires à l'emploi de
la plus-value capitalisée. Ces ruptures, Marx nous montre bien
qu'elles ont mille chances de se produire, surtout avec le mécanisme
actuel du crédit; mais il ne résulte nullement de son exposé qu'elles
soient inévitables, comme tenant à l'essence de l'organisation capitaliste.
Marx le reconnaît d'ailleurs implicitement lui-même, par cela seul
qu'il décrit, dans le schéma de la reproduction progressive, comment
les échanges entre les différentes classes peuvent s'effectuer normalement
pendant une durée indéfinie, sans que la capitalisation croissante
d'une partie du revenu capitaliste fasse obstacle, à un moment
quelconque, à l'écoulement normal de la production tout entière,
si cette production est convenablement dirigée Les crises ne seraient
donc, suivant ce thème, que des surproductions partielles et accidentelles,
résultant d'erreurs que les producteurs pourraient éviter. Or,
J.-B. Say n'a pas dit autre chose.
Nous n'avons donc aperçu nulle part, ni chez Marx, ni chez
Engels, une cause inhérente à l'organisation sociale qui doive fatalement
entraîner une série de crises de surproduction générale
jusqu'à l'effondrement total du régime capitaliste.
Malgré tout, l'école marxiste n'a pas perdu sa confiance dans la
crise finale. Engels, dans une note ajoutée par lui au livre III du
Capital, en 1892 ou 1893, écarte bien la thèse ancienne de Marx
d'après laquelle les cycles périodiques des crises générales, à peu
près décennaux jusqu'ici, seraient destinés à se raccourcir graduellement~.
Il reconnaît que le procès est de plus longue durée, et qu'au
lieu d'être universel et uniforme, il se morcelle en périodes différentes
dans les différents pays. Mais Engels ne renonce pas à la traditionnelle
prophétie sur la catastrophe finale. Pour lui, chacun des éléments
qui agissent à l'encontre de la reproduction des anciennes
crises (élargissement du marché devenu universel, fin du monopole
industriel de l'Angleterre, éparpillement des capitaux à travers le
monde, trusts, droits protecteurs) porte en lui le germe d'une crise
future beaucoup plus violente que toutes les autres; et plus d'un
symptôme semble annoncer que nous sommes aujourd'hui dans la
1. Karl Marx,Le capital, trad. Borchardt,liv. II, chap. xxt.
2. Karl Marx, Le capital, trad. Roy,liv. J, p. 279-2.
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 333
phase préparatoire d'un nouveau krach mondial d'une violence
inouïe
Quant à M. Kautsky, auquel il faut toujours revenir pour avoir le
dernier état de la doctrine, son attitude est assez ambiguë. D'un
côté, il nous dit que la théorie de l'écroulement n'a pas été formulée
par Marx et Engels, et que le mot est de Bernstein. Mais il déclare
aussi que la surproduction générale sera le dernier terme du régime
capitaliste. Après un passage où il semble reprendre à son compte
les thèses vieillies de la sous-consommation des masses et de l'abais <
sement progressif de leur capacité d'achat, il nous dit que le
mode de production capitaliste devient impossible du jour où le
marché ne s'étend plus dans la même mesure que la production et
où la surproduction devient chronique. Or la surproduction chronique,
longtemps retardée par l'ouverture et l'extension du marché
international, pèse déjà sur certaines branches de l'industrie anglaise,
industrie textile, agriculture, bientôt aussi industrie métallurgique,
par le fait de la concurrence des autres nations exportatrices. Surproduction
chronique et stagnation générale, voilà donc l'avenir du
régime capitaliste, lorsque les pays neufs sauront se suffire à euxmêmes
et cesseront de recevoir le trop-plein des nations industrielles.
« On doit en venir fatalement à une telle situation, si l'évolution
économique continue de progresser comme elle l'a fait jusqu'ici; car
le marché extérieur comme le marché intérieur a ses limites, tandis
que l'extension de la production est pratiquement illimitée, a Non
pas qu'une énorme crise universelle doive survenir très prochainement,
ni que le mode de production capitaliste ne puisse tomber
avant qu'il en soit arrivé à la période de décomposition; mais a la
surproduction chronique irrémédiable représente l'extrême limite au
delà de laquelle le régime capitaliste ne peut plus subsister ')
II s'agit donc maintenant, comme dernière limite, non plus d'une
crise aiguë et d'une catastrophe soudaine, mais d'une stagnation
telle que le mode de production capitaliste devient insupportable
pour la masse de la population. Cette perspective d'une surproduction
chronique est fondée sur l'idée que le marché, tant intérieur
qu'extérieur, a ses limites, qui vont en s'élargissant peut-être, mais
jusqu'à un certain point de saturation absolue.
On s'étonne de rencontrer une vue aussi courte chez un penseur
comme M. Kautsky. Le marché est évidemment limité en étendue,
). Note d'Engels dans Karl Marx, f,<?captta~, trad. Borohardt, !iv. Ht, S"partie.
2. Kautsky, Lemarxisme et son ef!'<fe Bft'n~tH, p. 85,25Set suiv., 202.
324 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
puisque le monde est physiquement borné; mais il ne l'est certainement
pas en profondeur, parce que les besoins de l'homme sont
inunis, et qu'ils s'étendent et se diversifient par le progrès de la
civilisation. Sur cette base psychologique, il reste vrai que les produits
s'échangent d'autant plus facilement entre eux qu'ils deviennent
plus abondants et plus variés. Les nations n'ont rien à perdre,
sauf quelques anciens monopoles, au développement économique
des pays qui leur servent de débouchés; leurs produits d'exportation
s'écouleront d'autant mieux que les autres pays pourront leur fournir
une contre-partie plus forte.
La théorie de J.-B. Say paraît donc juste en principe. On peut
seulement lui reprocher d'être pratiquement incomplète, et de nepas
tenir compte suffisamment de l'écart qui existe, par l'intervention
de la monnaie et du crédit, entre les deux opérations constitutives.
de l'échange des marchandises.
Il faut reconnaître, en effet, que si la théorie des débouchés arencontré
quelque scepticisme dans divers milieux scientifiques et
dans le monde des affaires, c'est qu'elle paraît en contradiction avec
certains faits d'observation courante. Il serait assurément difficile d&
citer des périodes de véritable surproduction générale, pendant lesquelles
les produits de toute nature, agricoles et industriels, dépassant
d'une façon absolue la capacité du marché, seraient restés.
invendus en masse. Mais on a constaté, à différentes reprises, des.
crises graves et généralisées pendant lesquelles une partie de la
production ne trouvait pas d'écoulement a des prix rémunérateurs.
II est entendu que les crises ne peuvent avoir pour origine unesurproduction
générale; les seuls excès de production qui puissent
entraîner des crises sont des surproductions partielles, correspondant
par ailleurs à des insuffisances de production. Mais il faut convenir
que ces crises se sont singulièrement aggravées et multipliées il la
suite de la révolution industrielle, depuis que les producteurs,
pourvus de moyens puissants et disposant de toutes les ressources
du crédit moderne, ont élargi le cercle de leurs affaires et entrepris
de produire pour des clients inconnus sur des marchés éloignés. On
crée de nouvelles entreprises, on accumule les stocks, sans s'inquiéter
si la somme des produits similaires n'excède pas les besoins relatifs
de la consommation. Le marchéest restreint, on le sait pertinemment,
mais on se Batte d'y conquérir une place aux dépens des autres. Par
la recherche individuelle du profit et sous l'empire d'une force supérieure,
les producteurs provoquent donc eux-mêmes la surproduction
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 32S
-dont ils auront à souffrir, avec l'espoir d'écha1p1,per personnellement à
'sesconsëquenees.
Or ces crises de surproduction, partielles à l'origine, prennent une
gravité particulière lorsqu'elles frappent des industries de première
importance comme la production du blé, la métallurgie, l'industrie
houillère, celle des textiles et quelques autres. Elles se répercutent
alors sur de nombreuses industries connexes ou dérivées, sur les
banques et le marché financier, et finalement sur les branches de
production les plus indépendantes et les plus éloignées, qui se trouvent
atteintes elles-mêmes, d'une façon indirecte, par la restriction
des consommations qu'entraîne la réduction d'un grand nombre de
fevenus. Par ces incidences multipliées, la perturbation peut être
telle dans les débouchés des autres industries et dans le mécanisme
fragile du crédit, que l'organisme économique s'en trouve momentanément
paralysé; la crise, issue d'une surproduction partielle, se
transforme alors en crise générale.
Même situation possible, avec une origine différente, lorsqu'à la
suite de spéculations de Bourse excessives éclate une crise financière
d'une intensité exceptionnelle, qui désorganise le crédit et affecte par
contre-coup les diverses branches de la production. Il arrive d'ailleurs
fréquemment que les deux causes se combinent, et que la crise
-résulte à la fois des excès de la production et de la spéculation. Mais
peu importe la distinction; une crise violente, quelle qu'en soit
l'origine, se manifeste sous les mêmes formes; lorsqu'elle est assez
grave à son point de départ pour avoir des répercussions prolongées,
la stagnation se généralise, les stocks des différentes marchandises
restent en magasin, et la situation se présente sous l'apparence bien
définie d'une surproduction générale.
La surproduction générale, ou au moins généralisée à de nombreuses
industries, apparaît donc ainsi aux périodes aiguës des
grandes perturbations non jamais comme la cause, mais comme la
.conséquence extrême de la crise. La cause première de la crise, c'est
toujours une surproduction partielle ou un excès de spéculation
financière; la cause immédiate de la surproduction généralisée, c'est
le détraquement général du système de la circulation et le resserrement
du crédit, c'est-à-dire la crise elle-même. Bien que tous les
éléments de la richesse subsistent intacts dans leur existence maté~
rielle et que les besoins de la consommation soient toujours aussi
pressants, les machines s'arrêtent, les établissements se ferment, les
marchandises accumulées dans les magasins ne s'échangent plus,
le lien est rompu entre producteurs et consommateurs, prêteurs et
326 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
emprunteurs, employeurs et salariés; en un mot, la vie économique
semble momentanément suspendue, parce que les organes de la circulation
sont désaccordes.
Telle parait être la liaison naturelle des causes et des effets dans
le processus des grandes crises, autant du moins qu'on en peut juger
dans un sujet aussi délicat et aussi obscur, où les causes premières
des phénomènes visibles échappent généralement à l'observation, et
ne peuvent guère être saisies que par le raisonnement.
Mais, pensera-t-on, qu'importe cette dissertation théorique sur
l'origine des crises? A quoi bon démontrer que les crises ne peuvent
être engendrées par une surproduction absolue, s'il existe en fait des
crises générales, issues d'autres causes peut-être, mais tellement
graves qu'elles présentent à peu près les mêmes caractères et aboutissent
en fin de compte à la surproduction générale? La société
n'est-elle pas, dans tous les cas, menacée de la même catastrophe au
cours d'une crise particulièrement violente?
Il importe beaucoup, au contraire, d'établir que les crises ne sont
pas des maladies constitutionnelles inhérentes au régime actuel de
la production et de la répartition. Car s'il en était ainsi, les crises
seraient non seulement inévitables, mais fatalement destinées, avec
l'extension du capitalisme, à s'aggraver progressivement, peut-être
même à s'établir un jour en permanence, et à corrompre tout le
régime jusqu'à entraîner sa chute. Si au contraire les crises, même les
plus violentes, ont pour origine exclusive des erreurs partielles de la
production et de la spéculation, si elles ne se généralisent que par
l'effet indirect des troubles de la circulation, elles ne constituent que
des accidents, funestes sans doute, mais susceptibles peut-être de
s'adoucir et de se raréfier, sinon de disparaître totalement.
Or il n'est pas douteux, pour tout observateur attentif, que des
facteurs nombreux interviennent dans le monde moderne pour
écarter ou atténuer les causes de perturbation. M. Bernstein invoque
très justement en ce sens l'accroissement universel des richesses et
le perfectionnement du crédit 1.La production s'accroît parallèlement
en tout pays et dans toutes ses branches. La production agricole,
dont l'insuffisance a été jadis une cause si fréquente de surproduction
industrielle, se développe en surface et en intensité; elle se
régularise en même temps, grâce à l'immense extension de l'aire
cultivée, assez vaste aujourd'hui pour que les variations des récoltes
L Bernstein, Socialisme fAc'o~Mee<st)<'MtMe'Moc)'ap<ra!etique, trad. Cohen,
p. <ISet suiv., Stock, 1000,in-12.
LES SYSTÈMES DEVANT LES FAITS 327i .1
sur les différents points du globe se compensent a peu près. La
production houillère et minérale, celle des textiles et des autres
matières premières, suivent docilement la marche ascendante de
l'industrie. Les métaux précieux eux-mêmes sont extraits en assez
grande abondance pour que le progrès des transactions n'entraîne
pas une contraction monétaire. Bref, il ne peut résulter de cet
accroissement parallèle des diverses productions qu'une plus grande
facilité dans les échanges nationaux et internationaux, et une diminution
des risques de surproduction partielle.
Une crise vient-elle néanmoins à éclater? Ses effets sont amortis
par l'influence de la richesse acquise. Grâce aux épargnes antérieures,
aux subsides fournis par de puissantes associations, aux crédits
accordés à la consommation, la crise affecte moins gravement la capacité
d'achat de ceux qu'elle atteint. Ses effets sur la consommation
devenant moins restrictifs, ses répercussions sont aussi moins violentes
et moins lointaines.
D'autre part', les capitaux accumulés ont pris une puissance
énorme. Maniés par des banquiers internationaux, les capitaux se
portent de toute leur masse sur les points menacés; attirés par la
hausse du taux de l'intérêt, ils viennent y maintenir l'élasticité du.
marché financier. Cette influence préservatrice ou modératrice du
crédit par la Ûuidité des capitaux s'est exercée à maintes reprises
dans les trente dernières années; on a vu notamment plusieurs fois,
à des époques de tension, certaines Banques nationales prêter leur
appui au marché intérieur ou à des banques étrangères. Aussi les
crises locales par disette de crédit sont-elles aujourd'hui beaucoup
plus rares; elles se trouvent arrêtées avant d'avoir pu étendre leurs
effets. Le développement du crédit, qui, à certains égards, peut
favoriser les crises en fournissant aux entreprises le moyen de produire
à l'excès, est en revanche le préservatif le plus efficace contre
les crises financières.
Des circonstances nouvelles interviennent encore pour limiter les
crises, au moins à l'intérieur des marchés nationaux. Les brusques
irrégularités de la production.induatrïelle trouvent un frein dans la
réduction de la journée de travail et l'interdiction légale du travail
de nuit. L'intégration qui s'accomplit dans certaines industries
permet d'ajuster aux besoins de la production industrielle celle des
matières premières et des produits demi-ouvrés; elle écarte donc, à
mesure qu'elle se réalise, l'une des causes les plus actives des crises
partielles de l'industrie. Les trusts et les cartels, et même, dans une
certaine mesure, les coopératives de consommation qui fabriquent
328 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE
elles-mêmes leurs articles, savent limiter la production au niveau
des besoins de la consommation intérieure, tandis que les droits
protecteurs tendent à écarter les causes extérieures de surproduction.
Il est vrai que ces restrictions ont un effet limité au marché national,
et que les droits protecteurs peuvent avoir pour résultat d'aggraver
la surproduction sur le marche international. Dans le même
sens, les cartels et les trusts, multipliant les effets extérieurs de la
protection, viennent jouer un rôle perturbateur en jetant au dehors
le trop-plein de leur production à des prix qui couvrent peine leurs
frais. Maisces organisations peuvent devenir un jour assez puissantes
dans certaines industries pour dominer le marché international, et
pour régulariser l'allure de la production dans le monde Desaujourd'hui,
les États ont le moyen de se protéger contre les prix diSérentiels
des trusts étrangers par le jeu de leurs tarifs douaniers.
Toutes ces causes agissent effectivement. Les crises brusques et
aiguës, marquées par de nombreuses banqueroutes et par une perturbation
générale du crédit, sont devenues beaucoup plus rares
depuis 1870. Après les krachs financiers de Vienne en 1873 et de
Paris en 1882, les crises les plus récentes ont eu pour origine la surproduction
dans certaines industries importantes, et l'excès des spéculations
financières sur les valeurs industrielles. Celles-là ont éclaté
principalement dans des pays brusquement envahis par la grande
production capitaliste et saisis d'une fièvre de spéculation; c'est la
crise Baring, provoquée par la spéculation sur les valeurs de l'Amérique
du Sud en 1890; c'est la crise australienne et américaine en 1893;
c'est encore, dans une certaine mesure, la crise allemande de 1901.
Mais les pays qui ont une production industrielle déjà ancienne sont
moins exposés à ces excès et à ces désastres. Ceux qui possèdent un
ensemble complexe de productions, ceux dont la prospérité ne
dépend pas trop étroitement de leurs exportations, réalisent un état
d'équilibre assez heureux qui réduit au minimum les risques de
crise générale. Or, toutes les nations tendent aujourd'hui à créer ou
conserver chez elles les industries les plus essentielles, et à réaliser
plus ou moins complètement cet état d'équilibre.
Dans les pays de civilisation économique avancée, les crises ne
sont pas seulement plus localisées et plus rares, mais elles sont aussi
moins contagieuses et moins aiguës.
En Angleterre, on n'a pas revu depuis 1866 les paniques qui
jusque-là bouleversaient périodiquement le monde des affaires. Il est
vrai que les crises aiguës ont été remplacées par des alternatives
d'expansion et de dépression économique; mais c'est justement
LES SYSTÈMESDEVANT LES FAITS 329
1 1 '1" :"1 -Lu L!
ainsi que le mouvement se régularise. Les phases de contraction
économique ont aussi des répercussions sociales moins pernicieuses
qu'autrefois. On a observé qu'en Angleterre l'influence des crises sur
le nombre des mariages, sur le paupérisme, sur la mortalité et la
criminalité, si nettement visible dans les statistiques des districts
industriels pendant les second et troisième quarts du xix° siècle,
était à peine sensible depuis 1880; et si les crises ont encore pour
effet d'étendre le chômage, elles n'ont plus celui d'abaisser notablement
les salaires
L'observation, aussi bien que la théorie, vient donc infirmer la
thèse de la nécessité organique des crises, et de leur aggravation
fatale jusqu'à la catastrophe finale dans laquelle sombrerait le régime
capitaliste. L'hypothèse révolutionnaire d'un effondrement ne s'appuie
pas mieux sur le déterminisme économique que sur la présomption
d'une action volontaire des hommes.
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