Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 11 - l'agenda du libéralisme »

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Ce n'est pas tout. Si l'on veut que le capital acquière la mobilité nécessaire, il ne faut pas le laisser se retrancher, s'embouteiller, dans des institutions favorisées. C'est ce qui se produit lorsqu'on permet aux administrateurs de retenir les bénéfices au-delà du montant nécessaire pour l'amortissement et les réserves de roulement, et de les réinvestir sans les soumettre à l'épreuve du marché des capitaux régi par la concurrence. L'effet de ces pratiques est d'agrandir certaines sociétés au delà de leur véritable valeur économique, et de provoquer une congestion de capitaux aux mauvais endroits. Tous les partisans du principe de la liberté du marché régulateur de l'économie constatent qu'il faut interdire à la société anonyme de retenir les bénéfices et de les réinvestir selon le bon plaisir des administrateurs et non selon le jugement du marché. Car cette pratique immobilise des capitaux alors que l'économie de la division du travail exige que le capital se déplace facilement vers les lieux et les hommes qui font la meilleure offre pour l'obtenir.  
Ce n'est pas tout. Si l'on veut que le capital acquière la mobilité nécessaire, il ne faut pas le laisser se retrancher, s'embouteiller, dans des institutions favorisées. C'est ce qui se produit lorsqu'on permet aux administrateurs de retenir les bénéfices au-delà du montant nécessaire pour l'amortissement et les réserves de roulement, et de les réinvestir sans les soumettre à l'épreuve du marché des capitaux régi par la concurrence. L'effet de ces pratiques est d'agrandir certaines sociétés au delà de leur véritable valeur économique, et de provoquer une congestion de capitaux aux mauvais endroits. Tous les partisans du principe de la liberté du marché régulateur de l'économie constatent qu'il faut interdire à la société anonyme de retenir les bénéfices et de les réinvestir selon le bon plaisir des administrateurs et non selon le jugement du marché. Car cette pratique immobilise des capitaux alors que l'économie de la division du travail exige que le capital se déplace facilement vers les lieux et les hommes qui font la meilleure offre pour l'obtenir.  


De plus, bien que la séparation de la propriété et de la gestion soit nécessaire au fonctionnement de l'économie, la séparation du contrôle et de la gestion ne l'est pas. Le développement des sociétés holding, c'est-à-dire de sociétés qui contrôlent d'autres sociétés, est une innovation extrêmement suspecte. Elle crée des empires industriels à l'intérieur desquels le bon plaisir des administrateurs et des planificateurs remplace le marché comme régulateur de l'entreprise. On prend souvent à tort leur dimension pour le signe de leur succès économique, mais en réalité ils souffrent des vices inhérents à toute économie dirigée. Il n'y a pas moyen de se rendre un compte exact des prix à l'intérieur de l'empire d'une holding. Les entreprises qui en font partie se livrent des marchandises les unes aux autres à des prix fixés par la direction supérieure, et non pas aux prix qui s'établiraient sur un marché libre.
De plus, bien que la séparation de la propriété et de la gestion soit nécessaire au fonctionnement de l'économie, la séparation du contrôle et de la gestion ne l'est pas. Le développement des sociétés holding, c'est-à-dire de sociétés qui contrôlent d'autres sociétés, est une innovation extrêmement suspecte. Elle crée des empires industriels à l'intérieur desquels le bon plaisir des administrateurs et des planificateurs remplace le marché comme régulateur de l'entreprise. On prend souvent à tort leur dimension pour le signe de leur succès économique, mais en réalité ils souffrent des vices inhérents à toute économie dirigée. Il n'y a pas moyen de se rendre un compte exact des prix à l'intérieur de l'empire d'une holding. Les entreprises qui en font partie se livrent des marchandises les unes aux autres à des prix fixés par la direction supérieure, et non pas aux prix qui s'établiraient sur un marché libre. La gestion d'une société géante qui dirige des douzaines d'opérations industrielles différentes est par conséquent, au point de vue économique, irrationnelle. Elle ne sait pas si ses laminoirs subventionnent ses mines de charbon ou les exploitent. Elle ne possède aucun criterium vraiment économique pour déterminer si ses placements en hauts fourneaux ou en chemins de fer doivent être augmentés ou arrêtés. Je parle naturellement des grandes affaires qui sont grandes parce qu'elles contrôlent un grand nombre d'entreprises séparées, et non pas d'entreprises séparées qui sont devenues grandes. On confond souvent ces deux choses très différentes : la petite affaire qui grandit en fabriquant une quantité de plus en plus grande de son produit est un succès consacré par le marché ; mais l'affaire qui est devenue grande par la création d'une holding, ou par quelque autre procédé juridique, ou par la communauté du contrôle financier est le résultat d'un effort délibéré pour échapper à l'épreuve du marché.
 
Les grandes affaires de cette nature sont entièrement incompatibles avec les principes d'une économie libre. En fait elles sont la forme que prend le collectivisme chez les gens d'affaires. A cet égard, rappelons que le mouvement socialiste est fondé sur l'idée que lorsque les grandes affaires auront supprimé la liberté d'entreprise et remplacé le marché par le bon plaisir administratif, l'affaire sera mûre pour la socialisation et la transition sera facile. Il n'y aura plus qu'à déposséder les actionnaires et à fonctionnariser les administrateurs. En pratique, ce serait un peu plus difficile, comme Lénine l'a découvert en 1918. Mais il est certain que si l'on encourage la tendance collectiviste des grandes affaires, on finira par tenter leur nationalisation. Une quantité aussi grande de pouvoir souverain, échappant à la maîtrise objective des marchés libres, ne saurait rester longtemps entre les mains d'individus. De même que la Compagnie des Indes est devenue le gouvernement de l'Inde, de même les trusts géants, si on les laisse continuer, deviendront des départements du gouvernement.
 
Les grandes affaires de cette nature sont considérées par les socialistes tout comme par les grands capitalistes comme le résultat de l'inévitable évolution du capitalisme. Sur ce point Karl Marx et le juge Gary étaient entièrement d'accord. Mais ils se trompaient tous deux. La ''United State Corporation'' n'a pas grandi. Elle a été montée de toutes pièces. Elle n'est pas le produit d'une victoire dans la lutte pour la vie, mais d'une manipulation hardie et ingénieuse de la loi sur les sociétés. La société holding n'aurait pas pu être créée sans les privilèges offerts par la loi, et comme ces privilèges légaux peuvent être retirés ou modifiés selon les nécessités publiques, il ne peut pas être vrai que le trust géant représente l'évolution nécessaire de l'industrie moderne. C'est une évolution, fortuite née de la situation juridique, et elle marque un des points essentiels sur lesquels la loi n'a pas été adaptée à l'économie, et l'a pervertie. Ainsi donc, la rénovation des lois sur les sociétés, afin d'empêcher une affaire de devenir plus grande qu'elle ne peut le devenir à l'épreuve du marché, est un article nécessaire du programme du libéralisme.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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