Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie III : L'Etat maritime »

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Tel est dans ses grandes lignes le développement des relations pacifiques d'échange : du droit d'hospitalité et de l'échange de femmes, peut-être même de l'échange du feu à l'échange de marchandises. Si nous ajoutons que les marchés, les foires et souvent même les marchands, ainsi que nous l'avons noté plus haut, étaient considérés généralement comme placés sous la garde d'une divinité protégeant jalousement la paix, nous aurons tracé les traits principaux de ce phénomène sociologique d'une importance considérable jusqu'au moment où le moyen politique intervient, transformant, bouleversant et développant les créations du moyen économique.
Tel est dans ses grandes lignes le développement des relations pacifiques d'échange : du droit d'hospitalité et de l'échange de femmes, peut-être même de l'échange du feu à l'échange de marchandises. Si nous ajoutons que les marchés, les foires et souvent même les marchands, ainsi que nous l'avons noté plus haut, étaient considérés généralement comme placés sous la garde d'une divinité protégeant jalousement la paix, nous aurons tracé les traits principaux de ce phénomène sociologique d'une importance considérable jusqu'au moment où le moyen politique intervient, transformant, bouleversant et développant les créations du moyen économique.
==Le commerce et l'Etat Primitif==
Le brigand guerrier a deux raisons majeures pour ménager les marchés et foires qu'il trouve sur le territoire conquis. L'une, non-économique, est qu'il ressent lui aussi la crainte d’une divinité vengeresse punissant la violation de la paix ; la seconde raison, économique et probablement plus puissante que la première, est – je crois noter ici ce rapport pour la première fois – qu'il ne peut lui-même se passer de marchés.
Son butin pendant la période primitive comprend de nombreux biens impropres à la consommation et à l'usage immédiats. Il possède des objets de sortes peu variées et en si grande quantité que l' « utilité finale » de chaque objet est pour lui excessivement minime. Il en est ainsi surtout pour le produit le plus important du moyen politique, les esclaves. Pour parler d'abord du pasteur, le nombre d'esclaves qu'il peut garder est limité par le plus ou moins d'importance de ses troupeaux. Il est donc tout disposé à échanger ses esclaves superflus contre d'autres biens précieux pour lui : sel, parures, armes, étaux, tissus, instruments, etc. Aussi le pasteur n’est-il pas seulement « toujours brigand », il est aussi « toujours marchand » et en cette qualité protège le trafic.
Il protège le trafic qui vient à lui, lui offrant en échange de son butin les produits d’une civilisation étrangère : de tous temps les nomades ont servi de guides aux caravanes traversant leurs steppes ou leurs déserts moyennant paiement d'un « tribut de protection » ; et il protège de même le trafic dans les places occupées antérieurement à la formation de l'Etat. Les mêmes considérations qui firent progresser le pasteur de l'Etat-Ours à l'Etat-Apiculteur l'ont évidemment engagé à préserver les anciens marchés et foires. Un pillage équivaudrait à tuer la poule aux œufs d'or ; il est infiniment plus avantageux de conserver le marché, d'affermir même sa paix afin de récolter ainsi, outre l'avantage de pouvoir échanger le butin contre des produits étrangers, le tribut de protection, le droit du seigneur. Pour cette raison les princes de l'Etat Féodal ont partout mis sous leur protection, sous la « paix du roi », marchés, routes et marchands et souvent même se sont réservés le monopole du commerce étranger. Nous les voyons partout s'efforcer activement de fonder de nouveaux marchés, de nouvelles villes.
Cet intérêt pour les places de commerce nous fait comprendre pourquoi les tribus pastorales ont toujours respecté les marchés se trouvant sur leur territoire d'influence, allant même jusqu'à leur épargner toute manifestation du moyen politique en s’abstenant de les mettre sous leur « domination » directe. Ce que Hérodote raconte plein d'étonnement du marché sacré des Argippes situé dans la contrée des Scythes nomades, et dont les habitants inoffensifs étaient protégés efficacement par la paix sacrée de leurs places de marché, est non seulement vraisemblable mais encore confirmé par maint fait analogue. « Nul ne les attaque car ils passent pour sacrés : ils ne possèdent aucune arme guerrière, néanmoins ce sont eux qui apaisent les querelles entre voisins et il n’est fait aucun mal au fugitif réfugié parmi eux{{ref|24}} ». Le cas se répète fréquemment. C'est toujours la même histoire des Argippes, l'histoire de la petite tribu « sacrée », « juste », « sans armes », trafiquant et apaisant les querelles, établie au sein d'une population nomade de pillards{{ref|25}}. A un degré de civilisation plus développé nous pouvons citer comme exemple Cures{{ref|26}} dont les habitants d'après Strabon « étaient renommés chez les Hellènes pour leur bravoure et leur justice, et parce que, malgré leur puissance, ils s'abstenaient de brigandages ». Mommsen qui cite le passage ajoute : « Il ne s'agit pas ici de piraterie que le marchand curien exerce sans doute tout comme un autre, mais Cures était une sorte de port franc pour les Phéniciens comme pour les Grecs{{ref|27}} ».
Cures n'est pas, comme la ville des Agrippes, un marché de l'intérieur sur un territoire dominé par les pasteurs, c'est un port neutre sur le territoire de nomades maritimes. Nous sommes ici en présence d'une de ces formations typiques dont l'importance, à mon avis, n'a pas été jusqu'ici appréciée à sa juste valeur. Elles semblent avoir exercé une puissante influence sur la formation des Etats maritimes.
Les motifs qui conduisirent les pasteurs au commerce et sinon à la fondation de marchés, du moins à leur protection, ont dû imposer plus impérieusement encore aux nomades de la mer une attitude analogue. Le transport du butin et en particulier des troupeaux et des esclaves, pénible et dangereux sur les sentiers du désert et de la steppe (dangereux par la lenteur des marches qui favorise les poursuites) est aisé et sans périls avec la barque de guerre et la galère. C'est pourquoi le Viking, plus encore que le pasteur, est trafiquant et fréquente assidûment les marchés.
« Guerre, commerce et piraterie forment une trinité inséparable » comme il est écrit dans Faust.


== Notes ==  
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# {{note|22}}Cf. Westermarck,  ''History of Human Marriage''.
# {{note|22}}Cf. Westermarck,  ''History of Human Marriage''.
# {{note|23}}Ratzel, 1, ch. II, p. 27.  
# {{note|23}}Ratzel, 1, ch. II, p. 27.  
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# {{note|24}}Le territoire antique des Sabins avait pour chef-lieu Cures Sabini, et pour autre villes Réate, Crustumérie, Collatie, Spolète et Phalacrine.
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