Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, son origines, son évolution et son avenir - Partie IV : L'évolution de l'Etat féodal »

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Le processus se poursuit de façon identique dans tous les Etats Féodaux de l'Europe occidentale et nous trouvons le pendant de ces conditions à l'extrême-orient du continent eurasien, au Japon. Les daïmio{{ref|55}} sont la haute noblesse, les leudes ; les samouraï{{ref|56}}, la chevalerie, la noblesse d’épée.
Le processus se poursuit de façon identique dans tous les Etats Féodaux de l'Europe occidentale et nous trouvons le pendant de ces conditions à l'extrême-orient du continent eurasien, au Japon. Les daïmio{{ref|55}} sont la haute noblesse, les leudes ; les samouraï{{ref|56}}, la chevalerie, la noblesse d’épée.
==L'Etat Féodal Développé==
L'Etat Féodal est parvenu maintenant à son parfait développement. Il forme politiquement et socialement une parfaite hiérarchie dont les nombreuses couches sont reliées les unes aux autres par l'obligation prestative envers la couche immédiatement supérieure et l'obligation de protection envers la couche immédiatement inférieure. La base sur laquelle repose l'édifice, le peuple des travailleurs, est encore composé en majeure partie de paysans : l'excédent de leur labeur, la rente foncière, la totalité de la plus-value produite par le moyen économique pourvoit à la subsistance des classes supérieures. En ce qui concerne la plupart des terrains, ceux qui ne sont pas la propriété directe et franche du seigneur ou du pouvoir central, la rente passe d'abord dans les mains des petits vassaux. Ceux-ci doivent en échange remplir les obligations militaires conformément à leurs conventions et effectuer aussi en certains cas des prestations économiques. Le vassal plus important est tenu aux mêmes obligations envers le grand vassal et celui-ci, officiellement du moins, envers le détenteur du pouvoir central. Et ce dernier, empereur, roi, sultan, schah ou pharaon, est considéré à son tour comme le vassal du dieu ancestral. Ainsi se dresse jusqu'au roi du ciel une hiérarchie artificiellement échelonnée qui étreint si complètement toute la vie de l'Etat que, selon l'usage et le droit, aucune parcelle de terre, aucun être humain ne peut s’y dérober : et le travail du laboureur supporte à lui seul tout l'édifice. Tous les droits créés à l'origine pour les hommes francs sont tombés en désuétude ou ont été transformés radicalement quant à leur nature par la victoire seigneuriale : quiconque n'a pas sa place dans le système féodal est véritablement hors la loi, sans protection et sans droit, c'est-à-dire sans le pouvoir qui seul constitue le droit.
Et ainsi cet axiome qui semble au premier abord émané de l'arrogance aristocratique : « ''nulle terre sans seigneur'' » n'a été en réalité que la codification d'une nouvelle condition du droit en vigueur et n'a signifié tout au plus que la disparition de quelques vestiges vieillis et importuns de l'ancien Etat Féodal Primitif entièrement disparu.
Que de déductions les partisans de la théorie raciale considérée comme passe-partout historico-philosophique n'ont-ils pas tirées du prétendu fait que seuls les Germains, en vertu d'aptitudes politiques supérieures, ont été capables de mener à bonnes fins le splendide édifice de l'Etat Féodal Développé ! Cet argument a perdu beaucoup de poids depuis que l'on a dû reconnaître que la race mongole, au Japon, a accompli exactement le même miracle. Seul le nègre peut-être n'y fût pas parvenu, même si l'immixtion de civilisations plus puissantes ne l'avait pas arrêté dans son développement – bien que Ouganda par exemple ne diffère pas très sensiblement du royaume de Charlemagne ou de Boleslaw le Rouge. Il n'y manque que les « valeurs de la tradition » de la civilisation européenne, et ces valeurs ne constituent pas un mérite inhérent à la race indo-germanique, mais furent un pur don qu'elle reçut en dot de la destinée.
Mais laissons là le nègre et ses possibilités. Il y a mille ans le Sémite, que l'on prétend si entièrement dénué de capacités politiques,  échafauda un système féodal en tous points semblable au nôtre, du moins si nous admettons que les fondateurs de l'empire égyptien aient été des Sémites. Ne croit-on pas lire une chronique du temps des Hohenstauffen en parcourant le passage suivant de Thurnwald{{ref|57}} : « Quiconque entrait dans la suite d'un grand se plaçait par là sous sa protection comme sous celle d'un chef de famille. Il y a là (...) des rapports de fidélité rappelant l'institution du vasselage. Cette relation réciproque de protection en échange de fidélité est devenue la base de l'entière organisation sociale en Egypte. Elle règle les relations du seigneur avec ses serviteurs comme celle du Pharaon avec ses fonctionnaires. Sur cette forme repose le groupement des individus sous des maîtres protecteurs communs, une hiérarchie s'étageant jusqu'au sommet de la pyramide sociale, jusqu'au roi qui lui-même est considéré comme le représentant de ses pères, comme le vassal des dieux sur la terre (...) L'homme qui vit en dehors de ces rouages sociaux, l'homme sans maitre (protecteur) est sans moyens de défense et par conséquent sans droit. »
Nous n'avons pas eu besoin jusqu'ici d'avoir recours à l'hypothèse d'aptitudes spéciales inhérentes à une race et nous ne le ferons pas davantage à l'avenir. C'est là en effet, selon l'expression de Spencer, méthode de philosophie historique la plus absurde qu'il soit possible d'imaginer.
Le multiple échelonnement des rangs en une unique pyramide de dépendances réciproques est le premier trait caractéristique de l'Etal Féodal Développé : le second est la fusion en une unique nationalité des groupes ethniques distincts à l’origine.
La conscience de la différence première des ''races'' est entièrement disparue ; rien ne demeure que la différence des ''classes''. Désormais  n'avons plus affaire à des groupes ethniques mais à des classes sociales. L'opposition ''sociale'' domine seule la vie de l'Etat. El la conscience de groupe ethnique se transforme par suite en conscience de classe. Son caractère n'en est du reste modifié en rien. La nouvelle classe dirigeante a le même orgueil de race légitimiste qui distinguait l'ancien groupe des maîtres ; la noblesse d'épée oublie fort vite qu'elle tire son origine du groupe vaincu. Et à l'autre extrémité l'homme libre déclassé comme le noble déchu se réclament du « droit naturel » aussi fermement que le faisaient jadis les asservis.
L'Etat Féodal Développé est resté en principe ce qu'il était dès la deuxième période de la formation primitive de l'Etat. Sa forme est la domination, sa substance l'exploitation politique du moyen économique, exploitation limitée par un droit universel qui impose aux bénéficiaires du moyen politique le devoir de protection et assure aux exploités le droit à la subsistance, au maintien de leur capacité productive. Rien n'est changé dans la nature de la domination : elle n'est que plus diversement graduée ; et il en est de même de l'exploitation ou de ce que la théorie économique désigne par le terme « distribution ».
Tout comme auparavant la politique intérieure de l'Etat se meut dans l'orbite que lui prescrit le parallélogramme des forces, force centrifuge de la lutte de groupe devenue maintenant lutte de classe, et force centripète de l'intérêt commun. Tout comme auparavant sa politique extérieure est déterminée par l'impulsion qui pousse sa classe dirigeante vers la conquête de nouvelles terres et de nouveaux sujets, tendance à l'extension qui n'est encore toujours qu'instinct de conservation.
Avec sa différenciation beaucoup plus parfaite, son intégration beaucoup plus complète, l'Etat Féodal Développé n'est néanmoins pas autre chose que l'Etat Primitif parvenu à maturité.


== Notes ==  
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# {{note|55}}Du japonais 大名 daimyō (« seigneur » littéralement « grand nom ») ; titre de noblesse japonais durant la période féodale.
# {{note|55}}Du japonais 大名 daimyō (« seigneur » littéralement « grand nom ») ; titre de noblesse japonais durant la période féodale.
# {{note|56}}Du japonais 侍, samurai. Dans le Japon féodal, soldat de situation noble qui respecte le bushido.
# {{note|56}}Du japonais 侍, samurai. Dans le Japon féodal, soldat de situation noble qui respecte le bushido.
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# {{note|57}}Thurnwald, 1, ch., p . 703.
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