Différences entre les versions de « Ludwig von Mises:La Mentalité anti-capitaliste - La caractéristique sociale du capitalisme et les causes psychologiques de sa diabolisation »

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Peu d'Américains ont pleinement conscience du fait que leur pays jouit du plus haut niveau de vie et que le mode de vie de l'Américain moyen apparaît fabuleux et hors de portée à l'immense majorité des habitants des pays non capitalistes. De nombreuses personnes rabaissent ce qu'elles ont et pourraient acquérir, et réclament les choses qui leur sont inaccessibles. Il serait stérile de se lamenter sur cet appétit insatiable pour toujours plus de biens. Cet appétit est précisément l'impulsion qui conduit l'homme vers le chemin de l'amélioration économique. Se contenter de ce que l'on a déjà et de ce que l'on pourrait facilement obtenir, et s'abstenir sans réaction de toute tentative d'améliorer sa propre situation matérielle, ne constitue pas une vertu. Une telle attitude est plus celle du comportement animal que d'êtres humains raisonnables. Le trait le plus caractéristique de l'homme est qu'il ne cesse jamais d'essayer d'améliorer son bien-être par une activité réfléchie, ayant un but précis.
Peu d'Américains ont pleinement conscience du fait que leur pays jouit du plus haut niveau de vie et que le mode de vie de l'Américain moyen apparaît fabuleux et hors de portée à l'immense majorité des habitants des pays non capitalistes. De nombreuses personnes rabaissent ce qu'elles ont et pourraient acquérir, et réclament les choses qui leur sont inaccessibles. Il serait stérile de se lamenter sur cet appétit insatiable pour toujours plus de biens. Cet appétit est précisément l'impulsion qui conduit l'homme vers le chemin de l'amélioration économique. Se contenter de ce que l'on a déjà et de ce que l'on pourrait facilement obtenir, et s'abstenir sans réaction de toute tentative d'améliorer sa propre situation matérielle, ne constitue pas une vertu. Une telle attitude est plus celle du comportement animal que d'êtres humains raisonnables. Le trait le plus caractéristique de l'homme est qu'il ne cesse jamais d'essayer d'améliorer son bien-être par une activité réfléchie, ayant un but précis.


Toutefois, ces tentatives doivent être adaptées au but poursuivi. Elles doivent pouvoir conduire aux effets espérés. L'erreur de la plupart de nos contemporains n'est pas qu'ils ont passionnément envie d'une quantité plus grande de divers biens, mais qu'ils choisissent des moyens inappropriés pour parvenir à cette fin. Ils sont trompés par des idéologies fallacieuses. Ils donnent leur préférence à des politiques contraires à leurs intérêts vitaux, correctement compris. Trop obtus pour voir les inévitables conséquences à long terme de leur comportement, ils prennent plaisir aux effets passagers et à court terme. Ils défendent des mesures qui doivent finalement conduire à un appauvrissement généralisé, à la désintégration de la coopération sociale due au principe de la division du travail, et à un retour à la barbarie.
Toutefois, ces tentatives doivent être adaptées au but poursuivi. Elles doivent pouvoir conduire aux effets espérés. L'erreur de la plupart de nos contemporains n'est pas qu'ils ont passionnément envie d'une quantité plus grande de divers biens, mais qu'ils choisissent des moyens inappropriés pour parvenir à cette fin. Ils sont trompés par des idéologies fallacieuses. Ils donnent leur préférence à des politiques contraires à leurs intérêts vitaux, ''correctement compris''. Trop obtus pour voir les inévitables conséquences à ''long terme'' de leur comportement, ils prennent plaisir aux effets passagers et à court terme. Ils défendent des mesures qui doivent finalement conduire à un appauvrissement généralisé, à la désintégration de la coopération sociale due au principe de la division du travail, et à un retour à la barbarie.


Il n'y a qu'une façon disponible pour améliorer la condition matérielle de l'humanité : accélérer la croissance du capital accumulé par rapport à la croissance de la population. Plus la quantité de capital investi par travailleur est grande, plus il y aura de biens pouvant être produits et consommés et meilleurs ils seront. Voilà ce que le capitalisme, ce système tant insulté du profit, a apporté et apporte chaque jour à nouveau. Et pourtant la plupart des gouvernements et des partis politiques actuels souhaitent détruire ce système.
Il n'y a qu'une façon disponible pour améliorer la condition matérielle de l'humanité : accélérer la croissance du capital accumulé par rapport à la croissance de la population. Plus la quantité de capital investi par travailleur est grande, plus il y aura de biens pouvant être produits et consommés et meilleurs ils seront. Voilà ce que le capitalisme, ce système tant insulté du profit, a apporté et apporte chaque jour à nouveau. Et pourtant la plupart des gouvernements et des partis politiques actuels souhaitent détruire ce système.
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Le but de cet essai n'est pas de décrire les conditions historiques ayant conduit aux institutions de classe ou de statut, instaurant la subdivision des peuples en groupes héréditaires avec différents rangs, différents droits, différents titres ainsi que des privilèges ou des handicaps reconnus par la loi. La seule chose qui compte pour nous est le fait que la préservation de ces institutions féodales était incompatible avec le système capitaliste. Leur abolition et la mise en place du principe d'égalité devant la loi éliminèrent les barrières qui empêchaient l'humanité de jouir de tous les bénéfices que le système de la propriété privée des moyens de production et de l'entreprise privée rend possible.
Le but de cet essai n'est pas de décrire les conditions historiques ayant conduit aux institutions de classe ou de statut, instaurant la subdivision des peuples en groupes héréditaires avec différents rangs, différents droits, différents titres ainsi que des privilèges ou des handicaps reconnus par la loi. La seule chose qui compte pour nous est le fait que la préservation de ces institutions féodales était incompatible avec le système capitaliste. Leur abolition et la mise en place du principe d'égalité devant la loi éliminèrent les barrières qui empêchaient l'humanité de jouir de tous les bénéfices que le système de la propriété privée des moyens de production et de l'entreprise privée rend possible.


Dans une société reposant sur le rang, le statut ou la caste, la place d'un individu dans la vie est fixée. Il naît dans une certaine situation et sa position dans la société est déterminée rigoureusement par les lois et les coutumes qui assignent à chaque membre de son rang des privilèges et des devoirs donnés, ou lui infligent des désavantages déterminés. Une chance ou une malchance extraordinaire peut dans certains rares cas élever un individu à un niveau supérieur ou le rabaisser à un rang inférieur. Mais, en règle générale, la situation des membres d'un ordre ou d'un rang donnés ne peut s'améliorer ou se dégrader que suite à un changement des conditions de tout le groupe. L'individu n'est pas en premier lieu le citoyen d'une nation ; il est le membre d'une condition, d'un état (Stand), et c'est uniquement en tant que tel qu'il est indirectement intégré au corps de sa nation. Lorsqu'il entre en contact avec un compatriote d'un autre rang, il ne ressent aucun lien de communauté. Il ne perçoit que le gouffre qui le sépare du statut de l'autre. La diversité se reflétait tout autant dans les usages linguistiques et vestimentaires. Dans l'ancien régime <ref>En français dans le texte. NdT.</ref>, les aristocrates européens parlaient de préférence français. Le tiers-état utilisait la langue vernaculaire, alors que les classes les plus basses de la population urbaine et les paysans s'accrochaient à des jargons, argots et dialectes locaux, souvent incompréhensibles aux gens instruits. Les divers rangs sociaux s'habillaient différemment. Personne ne pouvait se tromper sur le rang d'un étranger qu'il voyait quelque part. La critique principale faite au principe de l'égalité devant la loi par les panégyristes du bon vieux temps est qu'il a aboli les privilèges de rang et de dignité. Il a, disent-ils, « atomisé » la société, dissous ses divisions « organiques » en masses « amorphes ». Les « bien trop nombreux » sont désormais tout-puissants et leur matérialisme médiocre a remplacé les nobles critères des âges révolus. L'argent est roi. Des gens plutôt sans valeur jouissent des richesses et de l'abondance, alors que des gens méritants et de valeur partent les mains vides.
Dans une société reposant sur le rang, le statut ou la caste, la place d'un individu dans la vie est fixée. Il naît dans une certaine situation et sa position dans la société est déterminée rigoureusement par les lois et les coutumes qui assignent à chaque membre de son rang des privilèges et des devoirs donnés, ou lui infligent des désavantages déterminés. Une chance ou une malchance extraordinaire peut dans certains rares cas élever un individu à un niveau supérieur ou le rabaisser à un rang inférieur. Mais, en règle générale, la situation des membres d'un ordre ou d'un rang donnés ne peut s'améliorer ou se dégrader que suite à un changement des conditions de tout le groupe. L'individu n'est pas en premier lieu le citoyen d'une nation ; il est le membre d'une condition, d'un état (''Stand''), et c'est uniquement en tant que tel qu'il est indirectement intégré au corps de sa nation. Lorsqu'il entre en contact avec un compatriote d'un autre rang, il ne ressent aucun lien de communauté. Il ne perçoit que le gouffre qui le sépare du statut de l'autre. La diversité se reflétait tout autant dans les usages linguistiques et vestimentaires. Dans l'''ancien régime'' <ref>En français dans le texte. NdT.</ref>, les aristocrates européens parlaient de préférence français. Le tiers-état utilisait la langue vernaculaire, alors que les classes les plus basses de la population urbaine et les paysans s'accrochaient à des jargons, argots et dialectes locaux, souvent incompréhensibles aux gens instruits. Les divers rangs sociaux s'habillaient différemment. Personne ne pouvait se tromper sur le rang d'un étranger qu'il voyait quelque part. La critique principale faite au principe de l'égalité devant la loi par les panégyristes du bon vieux temps est qu'il a aboli les privilèges de rang et de dignité. Il a, disent-ils, « atomisé » la société, dissous ses divisions « organiques » en masses « amorphes ». Les « bien trop nombreux » sont désormais tout-puissants et leur matérialisme médiocre a remplacé les nobles critères des âges révolus. L'argent est roi. Des gens plutôt sans valeur jouissent des richesses et de l'abondance, alors que des gens méritants et de valeur partent les mains vides.


Cette critique suppose implicitement que dans l'ancien régime les aristocrates se distinguaient par leur vertu et qu'ils devaient leur rang et leurs revenus à leur supériorité morale et culturelle. Il n'est guère nécessaire de discréditer cette fable. Sans exprimer le moindre jugement de valeur, l'historien ne peut s'empêcher de souligner que la haute aristocratie des principaux pays européens descendait de soldats, de courtisans et de courtisanes qui, dans leurs batailles religieuses et constitutionnelles du XVIe et XVIIe siècles, s'étaient habilement mis du côté du parti sorti vainqueur dans leurs pays respectifs.
Cette critique suppose implicitement que dans l'''ancien régime'' les aristocrates se distinguaient par leur vertu et qu'ils devaient leur rang et leurs revenus à leur supériorité morale et culturelle. Il n'est guère nécessaire de discréditer cette fable. Sans exprimer le moindre jugement de valeur, l'historien ne peut s'empêcher de souligner que la haute aristocratie des principaux pays européens descendait de soldats, de courtisans et de courtisanes qui, dans leurs batailles religieuses et constitutionnelles du XVIe et XVIIe siècles, s'étaient habilement mis du côté du parti sorti vainqueur dans leurs pays respectifs.


Alors que les ennemis conservateurs et « progressistes » du capitalisme sont en désaccord en ce qui concerne l'estimation des anciennes normes, ils sont pleinement d'accord pour condamner les normes de la société capitaliste. Selon eux, ce ne sont pas ceux qui méritent le plus de leurs semblables qui obtiennent la richesse et le prestige, mais des gens sans valeur. Les deux groupes prétendent chercher à substituer des méthodes de « répartition » plus justes à celles manifestement injustes ayant cours avec le capitalisme de laissez-faire.
Alors que les ennemis conservateurs et « progressistes » du capitalisme sont en désaccord en ce qui concerne l'estimation des anciennes normes, ils sont pleinement d'accord pour condamner les normes de la société capitaliste. Selon eux, ce ne sont pas ceux qui méritent le plus de leurs semblables qui obtiennent la richesse et le prestige, mais des gens sans valeur. Les deux groupes prétendent chercher à substituer des méthodes de « répartition » plus justes à celles manifestement injustes ayant cours avec le capitalisme de laissez-faire.
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C'est une tout autre histoire dans un régime capitaliste. Dans ce cas, la situation dans la vie de chacun dépend de lui seul. Celui dont les ambitions n'ont pas été pleinement assouvies sait très bien qu'il a raté des occasions, que ses semblables l'ont essayé et l'ont trouvé déficient. Quand sa femme lui reproche : « Pourquoi ne gagnes-tu que huit dollars par semaine ? Si tu étais aussi dégourdi que ton ancien copain Paul, tu serais chef d'équipe et jouirais d'une vie meilleure, » il prend conscience de sa propre infériorité et se sent humilié.
C'est une tout autre histoire dans un régime capitaliste. Dans ce cas, la situation dans la vie de chacun dépend de lui seul. Celui dont les ambitions n'ont pas été pleinement assouvies sait très bien qu'il a raté des occasions, que ses semblables l'ont essayé et l'ont trouvé déficient. Quand sa femme lui reproche : « Pourquoi ne gagnes-tu que huit dollars par semaine ? Si tu étais aussi dégourdi que ton ancien copain Paul, tu serais chef d'équipe et jouirais d'une vie meilleure, » il prend conscience de sa propre infériorité et se sent humilié.


La dureté du capitalisme, dont on a tant parlé, réside dans le fait qu'il traite chacun selon sa contribution au bien-être de ses semblables. La domination du principe, à chacun selon ses réalisations, ne permet aucune excuse aux défauts personnels. Tout un chacun sait très bien qu'il y a des gens comme lui qui ont réussi là où lui a échoué, et que ceux qu'il envie sont des self-made-men qui ont débuté au même point que lui. Pire, il sait que tous les autres le savent aussi. Il lit dans les yeux de sa femme et de ses enfants le reproche silencieux : « Pourquoi n'as-tu pas été plus dégourdi ? » Il voit comment les gens admirent ceux qui ont plus de succès que lui et regardent avec mépris ou avec pitié son propre échec.
La dureté du capitalisme, dont on a tant parlé, réside dans le fait qu'il traite chacun selon sa contribution au bien-être de ses semblables. La domination du principe, ''à chacun selon ses réalisations'', ne permet aucune excuse aux défauts personnels. Tout un chacun sait très bien qu'il y a des gens comme lui qui ont réussi là où lui a échoué, et que ceux qu'il envie sont des ''self-made-men'' qui ont débuté au même point que lui. Pire, il sait que tous les autres le savent aussi. Il lit dans les yeux de sa femme et de ses enfants le reproche silencieux : « Pourquoi n'as-tu pas été plus dégourdi ? » Il voit comment les gens admirent ceux qui ont plus de succès que lui et regardent avec mépris ou avec pitié son propre échec.


Ce qui fait que beaucoup de gens sont malheureux dans un régime capitaliste, c'est que le capitalisme donne à chacun l'occasion d'atteindre les postes les plus désirables qui, bien sûr, ne peuvent être obtenus que par quelques-uns. Quoi qu'un homme ait pu gagner pour lui-même, ce n'est qu'une faible fraction de ce que son ambition le poussait à gagner. Il y a toujours devant ses yeux des gens qui ont réussi là où il a échoué. Ils y a des individus qui l'ont devancé et envers lesquels, dans son inconscient, il nourrit des complexes d'infériorité. C'est l'attitude du vagabond envers l'homme qui a un travail régulier, de l'ouvrier envers le contremaître, du cadre envers le vice-président, du vice président envers le président de la compagnie, de l'homme qui vaut trois cent mille dollars envers le millionnaire, etc. La confiance en soi et l'équilibre mental de chacun sont sapés par le spectacle de ceux qui ont fait preuve de plus grandes capacités et aptitudes. Tout le monde est conscient de sa propre défaite et de sa propre insuffisance.
Ce qui fait que beaucoup de gens sont malheureux dans un régime capitaliste, c'est que le capitalisme donne à chacun l'occasion d'atteindre les postes les plus désirables qui, bien sûr, ne peuvent être obtenus que par quelques-uns. Quoi qu'un homme ait pu gagner pour lui-même, ce n'est qu'une faible fraction de ce que son ambition le poussait à gagner. Il y a toujours devant ses yeux des gens qui ont réussi là où il a échoué. Ils y a des individus qui l'ont devancé et envers lesquels, dans son inconscient, il nourrit des complexes d'infériorité. C'est l'attitude du vagabond envers l'homme qui a un travail régulier, de l'ouvrier envers le contremaître, du cadre envers le vice-président, du vice président envers le président de la compagnie, de l'homme qui vaut trois cent mille dollars envers le millionnaire, etc. La confiance en soi et l'équilibre mental de chacun sont sapés par le spectacle de ceux qui ont fait preuve de plus grandes capacités et aptitudes. Tout le monde est conscient de sa propre défaite et de sa propre insuffisance.
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== Le parti pris anti-capitaliste des intellectuels américains ==
== Le parti pris anti-capitaliste des intellectuels américains ==


Le parti pris anti-capitaliste des intellectuels n'est pas un phénomène limité à un seul ou à quelques pays. Mais il est plus généralisé et plus amer aux États-Unis que dans les pays européens. Pour expliquer ce fait plutôt surprenant, il faut traiter de ce qu'on appelle la « haute société » ou également, en français, « le monde ».
Le parti pris anti-capitaliste des intellectuels n'est pas un phénomène limité à un seul ou à quelques pays. Mais il est plus généralisé et plus amer aux États-Unis que dans les pays européens. Pour expliquer ce fait plutôt surprenant, il faut traiter de ce qu'on appelle la « haute société » ou également, en français, « ''le monde'' ».


En Europe, la « haute société » inclut tous les gens éminents de n'importe quelle sphère d'activité. Des hommes d'État et des dirigeants parlementaires, les chefs de divers services de fonctionnaires, les éditeurs et directeurs des principaux journaux et magazines, les écrivains de renom, les scientifiques, les artistes, les acteurs, les musiciens, les ingénieurs, les avocats et les médecins forment avec les hommes d'affaires éminents et les descendants des familles aristocratiques et patriciennes ce que l'on considère comme étant la bonne société. Ils se retrouvent en contact les uns avec les autres au cours de dîners et de thés, de bals et de ventes de charité, de premières et de vernissages ; ils fréquentent les mêmes restaurants, hôtels et lieux de vacances. Quand ils se rencontrent, ils prennent plaisir à converser sur des sujets intellectuels, entretenant un mode de relations sociales développé pour la première fois dans l'Italie de la Renaissance, perfectionné dans les salons parisiens et imité plus tard par la « haute société » de toutes les villes importantes de l'Europe occidentale et centrale. De nouvelles idées et idéologies obtiennent un écho dans ces réunions sociales avant de commencer à influencer des cercles plus larges. On ne peut pas traiter de l'histoire des beaux arts et de la littérature au XIXe siècle sans analyser le rôle joué par la « haute société » pour ce qui était d'encourager ou de décourager leurs protagonistes.
En Europe, la « haute société » inclut tous les gens éminents de n'importe quelle sphère d'activité. Des hommes d'État et des dirigeants parlementaires, les chefs de divers services de fonctionnaires, les éditeurs et directeurs des principaux journaux et magazines, les écrivains de renom, les scientifiques, les artistes, les acteurs, les musiciens, les ingénieurs, les avocats et les médecins forment avec les hommes d'affaires éminents et les descendants des familles aristocratiques et patriciennes ce que l'on considère comme étant la bonne société. Ils se retrouvent en contact les uns avec les autres au cours de dîners et de thés, de bals et de ventes de charité, de premières et de vernissages ; ils fréquentent les mêmes restaurants, hôtels et lieux de vacances. Quand ils se rencontrent, ils prennent plaisir à converser sur des sujets intellectuels, entretenant un mode de relations sociales développé pour la première fois dans l'Italie de la Renaissance, perfectionné dans les salons parisiens et imité plus tard par la « haute société » de toutes les villes importantes de l'Europe occidentale et centrale. De nouvelles idées et idéologies obtiennent un écho dans ces réunions sociales avant de commencer à influencer des cercles plus larges. On ne peut pas traiter de l'histoire des beaux arts et de la littérature au XIXe siècle sans analyser le rôle joué par la « haute société » pour ce qui était d'encourager ou de décourager leurs protagonistes.
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L'expression classique de la vanité des employés de bureau et leur étrange croyance selon laquelle leurs propres travaux subalternes feraient partie des activités entrepreneuriales et du travail de leurs patrons, se retrouve dans la description par Lénine du « contrôle de la production et de la répartition » telle qu'on la trouve dans son essai le plus connu. Lénine lui-même et la plupart de ses compagnons conspirateurs n'ont jamais rien appris sur le fonctionnement de l'économie de marché et n'ont jamais voulu le faire. Tout ce qu'ils savaient sur le capitalisme, c'était que Marx l'avait dépeint comme le pire de tous les maux. Ils étaient des révolutionnaires professionnels. Leurs seules sources de revenus étaient les fonds du parti, qui étaient approvisionnés par des contributions volontaires et plus souvent involontaires (extorquées), ainsi que par les souscriptions et les « expropriations » violentes. Mais, avant 1917, alors exilés en Europe occidentale et centrale, certains camarades exercèrent parfois des travaux routiniers subalternes dans des entreprises commerciales. Ce fut leur expérience — l'expérience d'employés devant remplir des formulaires et des imprimés, copier des lettres, écrire des chiffres dans des livres et classer des papiers — qui fournit à Lénine la totalité des informations qu'il avait acquises sur les activités entrepreneuriales.
L'expression classique de la vanité des employés de bureau et leur étrange croyance selon laquelle leurs propres travaux subalternes feraient partie des activités entrepreneuriales et du travail de leurs patrons, se retrouve dans la description par Lénine du « contrôle de la production et de la répartition » telle qu'on la trouve dans son essai le plus connu. Lénine lui-même et la plupart de ses compagnons conspirateurs n'ont jamais rien appris sur le fonctionnement de l'économie de marché et n'ont jamais voulu le faire. Tout ce qu'ils savaient sur le capitalisme, c'était que Marx l'avait dépeint comme le pire de tous les maux. Ils étaient des révolutionnaires professionnels. Leurs seules sources de revenus étaient les fonds du parti, qui étaient approvisionnés par des contributions volontaires et plus souvent involontaires (extorquées), ainsi que par les souscriptions et les « expropriations » violentes. Mais, avant 1917, alors exilés en Europe occidentale et centrale, certains camarades exercèrent parfois des travaux routiniers subalternes dans des entreprises commerciales. Ce fut leur expérience — l'expérience d'employés devant remplir des formulaires et des imprimés, copier des lettres, écrire des chiffres dans des livres et classer des papiers — qui fournit à Lénine la totalité des informations qu'il avait acquises sur les activités entrepreneuriales.


Lénine faisait correctement une distinction entre le travail des entrepreneurs d'un côté et celui du « personnel possédant une formation scientifique, qui comprend les ingénieurs, les agronomes, etc. » de l'autre. Ces experts et techniciens sont les principaux exécuteurs d'ordres. Dans le cadre du capitalisme, ils travaillent sous les ordres des capitalistes ; ils travailleront dans le cadre du socialisme sous les ordres des « ouvriers armés ». La fonction des capitalistes et des entrepreneurs est différente ; c'est, selon Lénine, « le contrôle de la production et de la répartition, l'enregistrement du travail et des produits. » Or, le rôle des entrepreneurs et des capitalistes est en réalité de déterminer les buts pour lesquels il faut employer les facteurs de production, afin de servir de la meilleure façon possible les désirs des consommateurs, c'est-à-dire de déterminer ce qu'il convient de produire, en quelles quantités et à quelle qualité. Cependant, ce n'est pas ce que Lénine veut dire quand il utilise le terme de « contrôle ». En tant que marxiste il n'a pas conscience des problèmes auxquels doit faire face la direction des activités de production dans n'importe quel système d'organisation sociale imaginable : la rareté inévitable des facteurs de production, l'incertitude concernant la situation future que la production doit approvisionner et la nécessité de choisir, parmi la multitude déconcertante des méthodes techniques permettant d'atteindre les fins déjà choisies, celles qui empêcheront aussi peu que possible la réalisation d'autres fins, c'est-à-dire les méthodes pour lesquelles les coûts de production sont les plus bas. Aucune allusion à ces questions ne peut être trouvée dans les écrits de Marx et d'Engels. Tout ce que Lénine a appris sur le monde des affaires par les récits de ses camarades ayant à l'occasion travaillé dans des bureaux, c'était que cela demandait beaucoup d'écritures, d'enregistrements et de chiffres. Il déclare ainsi que « l'enregistrement et le contrôle » sont les principales choses nécessaires à l'organisation et au fonctionnement correct de la société. Mais « l'enregistrement et le contrôle », ajoute-t-il, ont déjà été « simplifiés à l'extrême par le capitalisme, qui les a réduits aux opérations les plus simples de surveillance et d'inscription et à la délivrance de reçus correspondants, toutes choses à la portée de quiconque sait lire et écrire et connaît les quatre règles de l'arithmétique » <ref>Cf. Lénine, ''State and Revolution'' (Little Lenin Library, No. 14, publié par International Publishers, New York), pp. 83-84. [Chapitre 5, paragraphe 4. Note d'Hervé de Quengo]</ref>.
Lénine faisait correctement une distinction entre le travail des entrepreneurs d'un côté et celui du « personnel possédant une formation scientifique, qui comprend les ingénieurs, les agronomes, etc. » de l'autre. Ces experts et techniciens sont les principaux exécuteurs d'ordres. Dans le cadre du capitalisme, ils travaillent sous les ordres des capitalistes ; ils travailleront dans le cadre du socialisme sous les ordres des « ouvriers armés ». La fonction des capitalistes et des entrepreneurs est différente ; c'est, selon Lénine, « le contrôle de la production et de la répartition, l'enregistrement du travail et des produits. » Or, le rôle des entrepreneurs et des capitalistes est en réalité de déterminer les buts pour lesquels il faut employer les facteurs de production, afin de servir de la meilleure façon possible les désirs des consommateurs, c'est-à-dire de déterminer ce qu'il convient de produire, en quelles quantités et à quelle qualité. Cependant, ce n'est pas ce que Lénine veut dire quand il utilise le terme de « contrôle ». En tant que marxiste il n'a pas conscience des problèmes auxquels doit faire face la direction des activités de production dans n'importe quel système d'organisation sociale imaginable : la rareté inévitable des facteurs de production, l'incertitude concernant la situation future que la production doit approvisionner et la nécessité de choisir, parmi la multitude déconcertante des méthodes techniques permettant d'atteindre les fins déjà choisies, celles qui empêcheront aussi peu que possible la réalisation d'autres fins, c'est-à-dire les méthodes pour lesquelles les coûts de production sont les plus bas. Aucune allusion à ces questions ne peut être trouvée dans les écrits de Marx et d'Engels. Tout ce que Lénine a appris sur le monde des affaires par les récits de ses camarades ayant à l'occasion travaillé dans des bureaux, c'était que cela demandait beaucoup d'écritures, d'enregistrements et de chiffres. Il déclare ainsi que « l'enregistrement et le contrôle » sont les principales choses nécessaires à l'organisation et au fonctionnement correct de la société. Mais « l'enregistrement et le contrôle », ajoute-t-il, ont déjà été « ''simplifiés'' à l'extrême par le capitalisme, qui les a réduits aux opérations les plus simples de surveillance et d'inscription et à la délivrance de reçus correspondants, toutes choses à la portée de quiconque sait lire et écrire et connaît les quatre règles de l'arithmétique » <ref>Cf. Lénine, ''State and Revolution'' (Little Lenin Library, No. 14, publié par International Publishers, New York), pp. 83-84. [Chapitre 5, paragraphe 4. Note d'Hervé de Quengo]</ref>.


Nous avons ici la philosophie d'un documentaliste dans toute sa splendeur.
Nous avons ici la philosophie d'un documentaliste dans toute sa splendeur.
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Même au sein de ces familles heureuses, les qualités nécessaires à la bonne conduite des grandes industries ne sont pas héritées par tous les fils et petits-fils. En règle générale, seul un, au mieux deux, individus de chaque génération les possèdent. Il est alors essentiel à la survie de la richesse de la famille et de l'entreprise que la conduite des affaires soit donnée à cet unique ou à ces deux personnes, et que les autres membres soient relégués à des positions de simples récipiendaires d'une partie des gains. Les méthodes choisies pour de tels arrangements varient d'un pays à l'autre, selon les clauses spécifiques des lois nationales et locales. Leur effet est cependant toujours le même. Elles divisent la famille en deux catégories — ceux qui dirigent les affaires et ceux qui ne le font pas.
Même au sein de ces familles heureuses, les qualités nécessaires à la bonne conduite des grandes industries ne sont pas héritées par tous les fils et petits-fils. En règle générale, seul un, au mieux deux, individus de chaque génération les possèdent. Il est alors essentiel à la survie de la richesse de la famille et de l'entreprise que la conduite des affaires soit donnée à cet unique ou à ces deux personnes, et que les autres membres soient relégués à des positions de simples récipiendaires d'une partie des gains. Les méthodes choisies pour de tels arrangements varient d'un pays à l'autre, selon les clauses spécifiques des lois nationales et locales. Leur effet est cependant toujours le même. Elles divisent la famille en deux catégories — ceux qui dirigent les affaires et ceux qui ne le font pas.


La seconde catégorie comprend en général des individus très liés à la première catégorie, celle que nous nous proposons d'appeler les patrons. Il s'agit des frères, des cousins, des neveux des patrons, plus souvent encore de leurs sœurs, de leurs belles-sœurs, de leurs cousines, de leurs nièces, etc. Nous nous proposons d'appeler les membres de cette seconde catégories les cousins.
La seconde catégorie comprend en général des individus très liés à la première catégorie, celle que nous nous proposons d'appeler les ''patrons''. Il s'agit des frères, des cousins, des neveux des patrons, plus souvent encore de leurs sœurs, de leurs belles-sœurs, de leurs cousines, de leurs nièces, etc. Nous nous proposons d'appeler les membres de cette seconde catégories les ''cousins''.


Les cousins obtiennent leurs revenus de la firme ou de la compagnie. Mais ils sont étrangers à la vie des affaires et ne savent rien des problèmes auquel un entrepreneur doit faire face. Ils ont été élevés dans des pensions et des collèges en vogue, dont l'atmosphère était pleine d'un mépris hautain envers ceux qui gagnent de l'argent. Certains d'entre eux passent leur temps dans des boîtes de nuit et d'autres lieux d'amusement, parient et jouent de l'argent, festoient et s'amusent, et se livrent à une coûteuse débauche. D'autres s'occupent en amateurs de peinture, d'écriture et d'autres arts. Ainsi, la plupart sont des gens désœuvrés et incapables.
Les cousins obtiennent leurs revenus de la firme ou de la compagnie. Mais ils sont étrangers à la vie des affaires et ne savent rien des problèmes auquel un entrepreneur doit faire face. Ils ont été élevés dans des pensions et des collèges en vogue, dont l'atmosphère était pleine d'un mépris hautain envers ceux qui gagnent de l'argent. Certains d'entre eux passent leur temps dans des boîtes de nuit et d'autres lieux d'amusement, parient et jouent de l'argent, festoient et s'amusent, et se livrent à une coûteuse débauche. D'autres s'occupent en amateurs de peinture, d'écriture et d'autres arts. Ainsi, la plupart sont des gens désœuvrés et incapables.


Il est vrai qu'il y a eu et qu'il y a des exceptions, et que les réalisations de ces membres exceptionnels du groupe des cousins font plus que compenser les scandales suscités par le comportement provoquant des play-boys et des dépensiers. Beaucoup parmi les auteurs, érudits et hommes d'État les plus éminents étaient de tels « gentlemen sans profession ». Libérés de la nécessité de gagner leur vie par un métier lucratif et ne dépendant pas de la faveur des adeptes du sectarisme, ils sont devenus les pionniers d'idées nouvelles. D'autres, manquant eux-mêmes d'inspiration, sont devenus les mécènes d'artistes qui, sans le soutien financier et les applaudissements reçus, n'auraient pas pu accomplir leur travail créatif. Le rôle que certains hommes riches ont joué dans l'évolution intellectuelle et politique de la Grande-Bretagne a été souligné par de nombreux historiens. Le milieu dans lequel vivaient les auteurs et les artistes de la France du XIXe siècle et dans lequel ils ont trouvé des encouragements était « le monde », la « haute société ».
Il est vrai qu'il y a eu et qu'il y a des exceptions, et que les réalisations de ces membres exceptionnels du groupe des cousins font plus que compenser les scandales suscités par le comportement provoquant des play-boys et des dépensiers. Beaucoup parmi les auteurs, érudits et hommes d'État les plus éminents étaient de tels « gentlemen sans profession ». Libérés de la nécessité de gagner leur vie par un métier lucratif et ne dépendant pas de la faveur des adeptes du sectarisme, ils sont devenus les pionniers d'idées nouvelles. D'autres, manquant eux-mêmes d'inspiration, sont devenus les mécènes d'artistes qui, sans le soutien financier et les applaudissements reçus, n'auraient pas pu accomplir leur travail créatif. Le rôle que certains hommes riches ont joué dans l'évolution intellectuelle et politique de la Grande-Bretagne a été souligné par de nombreux historiens. Le milieu dans lequel vivaient les auteurs et les artistes de la France du XIXe siècle et dans lequel ils ont trouvé des encouragements était « ''le monde'' », la « haute société ».


Cependant, nous ne traiterons ici ni des péchés des play-boys ni de l'excellence des autres groupes de gens riches. Notre thème est le rôle qu'un groupe particulier de cousins a joué dans la dissémination de doctrines visant à la destruction de l'économie de marché.
Cependant, nous ne traiterons ici ni des péchés des play-boys ni de l'excellence des autres groupes de gens riches. Notre thème est le rôle qu'un groupe particulier de cousins a joué dans la dissémination de doctrines visant à la destruction de l'économie de marché.
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