Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 9 - la grande révolution et la montée de la "grande association" »

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Il est certain que cette méthode de réglage de la production est d'un rendement technique supérieur à celui de la coutume et de l'héritage qui prévaut dans une petite collectivité autarcique composée de Maîtres Jacques. Elle a permis une amélioration si considérable du niveau de vie, elle a à tel point augmenté la quantité de biens matériels mise à la disposition de l'homme que les marxistes modernes n'insistent plus sur la thèse originale qui accusait le capitalisme d'entraîner l'appauvrissement croissant des classes ouvrières. Mais il est également certain que l'accroissement progressif des richesses laisse derrière lui une séquelle de misère, d'échecs et de déceptions qui a choqué la conscience humaine. Les statistiques d'amélioration ne sont pas suffisamment impressionnantes pour obscurcir les statistiques de gaspillage ou pour étouffer les cris des victimes. Certes, le marché détermine la façon dont le capital et le travail doivent être investis pour satisfaire aux demandes de la population, mais, au point de vue humain, le marché est le souverain cruel. En pratique, ceux qui se trompent sur le marché doivent parer leurs erreurs de leur ruine et de leur échec.
Il est certain que cette méthode de réglage de la production est d'un rendement technique supérieur à celui de la coutume et de l'héritage qui prévaut dans une petite collectivité autarcique composée de Maîtres Jacques. Elle a permis une amélioration si considérable du niveau de vie, elle a à tel point augmenté la quantité de biens matériels mise à la disposition de l'homme que les marxistes modernes n'insistent plus sur la thèse originale qui accusait le capitalisme d'entraîner l'appauvrissement croissant des classes ouvrières. Mais il est également certain que l'accroissement progressif des richesses laisse derrière lui une séquelle de misère, d'échecs et de déceptions qui a choqué la conscience humaine. Les statistiques d'amélioration ne sont pas suffisamment impressionnantes pour obscurcir les statistiques de gaspillage ou pour étouffer les cris des victimes. Certes, le marché détermine la façon dont le capital et le travail doivent être investis pour satisfaire aux demandes de la population, mais, au point de vue humain, le marché est le souverain cruel. En pratique, ceux qui se trompent sur le marché doivent parer leurs erreurs de leur ruine et de leur échec.
Ces conséquences tragiques sont dues à certains faits que les économistes classiques et les naïfs apologistes du capitalisme du XIXe siècle avaient reconnu en théorie. Mais ils y avaient passé outre sans en comprendre la signification humaine. Les économistes ont souvent parlé de l'immobilité du capital et du travail. Ce terme incolore signifie que tous les hommes ne peuvent pas, ou ne veulent pas apprendre de nouveaux métiers, quitter leurs foyers et leurs pays, ou même modifier leurs investissements aussi vite que le marché leur dicte de le faire. Les hommes n'ont pas la capacité d'adaptation qu'exige un marché en fluctuation constante. Ils ne sont pas des unités abstraites, mais des créatures qui ont des habitudes et sont profondément attachées à leur genre de vie. De plus, en partie parce que capital et travail ne sont pas parfaitement mobiles, et en partie pour d'autres raisons que nous allons examiner, les marchés de marchandises et de travail n'indiquent pas toujours avec certitude dans quoi doivent se spécialiser les hommes qui ont du travail ou des capitaux à placer. Le marché d'aujourd'hui ne peut pas prédire avec suffisamment de précision les besoins humains dans lesquels les jeunes gens auront intérêt à se spécialiser au cours des vingt années à venir. D'une façon très générale, le marché règle la répartition du travail et du capital avec une certaine efficacité. Mais il y a une très large marge d'erreur ; en termes humains, cela signifie que le choix d'une carrière et le placement d'une épargne sont des engagements à long terme et qu'il en résulte un grand nombre de misères individuelles. Les fluctuations à court terme des prix sont souvent trompeuses, et assez violentes pour pouvoir briser bien des vies avant que l'homme puisse se réadapter.
On comprend donc facilement pourquoi la plupart des hommes ont voulu échapper à la dictature cruelle du marché ouvert. Je crois que le mouvement collectiviste dans ses nombreuses manifestations n'est précisément pas autre chose qu'une révolte contre l'économie marchande. Il se manifeste parfois sous la forme d'une demande de « protection ». Le mot est bien choisi. Si un formidable mouvement protectionniste a entraîné tous les grands pays depuis soixante-dix ans, c'est parce que les hommes sont convaincus que le libre-échange mondial provoque une dislocation intolérablement rapide et violente des intérêts établis du capital et du travail. C'est pour se protéger contre le marché ouvert qu'on fait des tarifs douaniers, des lois contre l'immigration, des lois fixant les heures et les salaires minima dans certaines régions, qu'on établit des tarifs syndicaux, des règlements sur l'apprentissage, des régimes de licences pour certains métiers. Le désir de protection peut provoquer une demande d'interdiction au capital étranger de l'accès de certaines industries et des territoires coloniaux. Il peut également apparaître sous la forme d'une tentative de contrôle des investissements, exercé par des banquiers qui empêchent les capitaux nouveaux de concurrencer trop facilement les capitaux installés. Il peut prendre la forme de toute espèce de pools, trusts, accords de restriction, monopoles de brevets, et autres procédés destinés à protéger les industries contre la concurrence qu'elles se font entre elles et que pourraient leur faire des entreprises nouvelles.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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