Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XXIX

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Jean-Baptiste Say:Traité d'économie politique - Livre I - Chapitre XXIX


Anonyme


Livre Premier
Chapitre XXIX - Ce que devraient être les monnaies.


Ce que j'ai dit jusqu'à présent des monnaies peut faire pressentir ce qu'il faudrait qu'elles fussent.

L'extrême convenance des métaux précieux pour servir de monnaie, les a fait préférer presque partout pour cet usage. Nulle autre matière n'y est plus propre ; ainsi nul changement à cet égard n'est désirable.

On en peut dire autant de la division des métaux précieux en portions égales et maniables. Il convient donc de les frapper, comme on a fait jusqu'à présent chez la plupart des peuples civilisés, en pièces d'un poids et d'un titre pareils.

Il est au mieux qu'elles portent une empreinte qui soit la garantie de ce poids et de ce titre, et que la faculté de donner cette garantie, et par conséquent de fabriquer des pièces de monnaies, soit exclusivement réservée au gouvernement ; car une multitude de manufacturiers qui les fabriqueraient concurremment, n'offriraient point une garantie égale.

C'est ici que devrait s'arrêter l'action de l'autorité publique sur les monnaies.

La valeur d'un morceau d'argent se règle de gré à gré dans les transactions qui se font entre les particuliers, ou entre le gouvernement et les particuliers : il convient d'abandonner la sotte prétention de fixer d'avance cette valeur et de lui donner arbitrairement un nom. Qu'est-ce qu'une piastre, un ducat, un florin, une livre sterling, un franc ?

Peut-on voir autre chose en tout cela que des morceau d'or ou d'argent ayant un certain poids et un certain titre ? Si l'on ne peut y voir autre chose, pourquoi donnerait-on à ces lingots un autre nom que le leur, que celui qui désigne leur nature et leur poids ?

Cinq grammes d'argent, dit-on, vaudront un franc : cette phrase n'a aucun autre sens que celui-ci : cinq grammes d'argent vaudront cinq grammes d'argent ; car l'idée qu'on a d'un franc ne vient que des cinq grammes d'argent dont il se compose. Le blé, le chocolat, la cire, prennent-ils un nom différent lorsqu'ils sont divisés suivant leurs poids ? Une livre pesant de pain, de chocolat, de bougie, s'appelle-t-elle autrement qu'une livre de pain, de chocolat, de bougie ? Pourquoi n'appellerait-on pas une pièce d'argent du poids de 5 grammes, par son véritable nom ? Pourquoi ne l'appellerait-on pas simplement cinq grammes d'argent ?

Cette légère rectification, qui semble consister dans un mot, dans un rien, est immense dans ses conséquences. Dès qu'on l'admet, il n'est plus possible de contracter en valeur nominale ; il faut, dans chaque marché, balancer une marchandise réelle contre une autre marchandise réelle, une certaine quantité d'argent contre une certaine quantité de grains, de viande ou d'étoffe. Si l'on prend un engagement à terme, il n'est plus possible d'en déguiser la violation ; si l'on s'engage à me payer tant d'onces d'argent fin, et si mon débiteur est solvable, je suis assuré de la quantité d'argent fin que je recevrai quand le terme sera venu.

Dès lors s'écroule tout l'ancien système monétaire ; système tellement compliqué, qu'il n'est jamais compris entièrement, même de la plupart de ceux qui en font leur occupation habituelle ; système qui varie d'un pays à l'autre, et d'où découlent perpétuellement la mauvaise foi, l'injustice et la spoliation. Dès lors il devient impossible de faire une fausse opération sur les monnaies sans battre de la fausse monnaie, de composer avec ses engagements sans faire une banqueroute. La fabrication des monnaies se trouve être la chose la plus simple : une branche de l'orfèvrerie.

Les poids dont on s'est servi jusqu'à l'introduction du système métrique en France, c'est-à-dire, les onces, gros, grains, avaient l'avantage de présenter des quantités pondérantes, fixes depuis plusieurs siècles, et applicables à toutes les marchandises ; de manière qu'on ne pouvait changer l'once pour les métaux précieux, sans la changer pour le sucre, le miel, et toutes les denrées qui se mesurent au poids ; mais combien, sous ce rapport, les poids du nouveau système métrique n'ont-ils pas plus d'avantages encore ? Ils sont fondés sur une quantité donnée par la nature, et qui ne peut varier tant que notre globe subsistera. Le gramme est le poids d'un centimètre cubique d'eau ; le centimètre est la centième partie du mètre, et le mètre est la dix millionième partie de l'arc que forme la circonférence de la terre du pôle à l'équateur. On peut changer le nom de gramme, mais il n'est pas au pouvoir des hommes de changer la quantité pesante de ce qu'on entend actuellement par gramme ; et quiconque s'engagerait à payer, à une époque future, une quantité d'argent égale à cent grammes d'argent, ne pourrait, quelque opération arbitraire qui intervînt, payer moins d'argent sans violer sa promesse d'une manière évidente.

La facilité que le gouvernement peut donner pour l'exécution des échanges et des contrats où la marchandise-monnaie est employée, consiste à diviser le métal en différentes pièces, d'un ou de plusieurs grammes, d'un ou de plusieurs centigrammes, de manière que, sans balance, on puisse compter quinze, vingt, trente grammes d'or ou d'argent, selon les paiements qu'on veut faire.

Des expériences faites par l'académie des sciences prouvent que l'or et l'argent purs résistent moins au frottement que lorsqu'ils contiennent un peu d'alliage ; les monnayeurs disent, de plus, que, pour les épurer complètement, il faudrait des manipulations dispendieuses, qui renchériraient beaucoup la fabrication des monnaies. Qu'on mêle donc à l'or et à l'argent une certaine quantité d'alliage ; mais que cette quantité soit annoncée par l'empreinte, qui ne doit être autre chose qu'une étiquette certifiant le poids et la qualité du métal.

On voit qu'il n'est ici aucunement question de francs, de décimes, de centimes. C'est qu'en effet de tels noms ne devraient point exister, attendu qu'ils ne sont le nom de rien. Nos lois veulent qu'on frappe des pièces d'un franc qui pèseront cinq grammes d'argent : elles devraient ordonner simplement qu'on frappât des pièces de 5 grammes.

Alors, au lieu de faire un billet ou une lettre de change de 400 francs, par exemple, on les ferait de 2000 grammes d'argent au titre de 9/10 de fin, ou, si l'on aimait mieux, de 130 grammes d'or au titre de 9 sur 10 de fin ; et rien ne serait plus facile à acquitter ; car les pièces de monnaie, soit en or, soit en argent, seraient toutes des multiples ou des fractions de grammes au titre de 9/10 de métal fin mêlé avec 1/10 d'alliage.

Il faudrait, à la vérité, qu'une loi statuât que toute convention stipulant un certain nombre de grammes d'argent ou d'or, ne pourrait être soldée qu'en pièces frappées (à moins de stipulation contraire), afin que le débiteur ne pût s'acquitte avec des lingots qui auraient un peu moins de valeur que des pièces frappées. Ce pourrait être l'objet d'une loi rendue une fois pour toutes, et qui pourrait porter en outre que les mots d'or ou d'argent, sans autre désignation, désigneraient de l'or et de l'argent à 9/10 de fin. Cette loi, de pure précaution, n'aurait d'autre but que d'éviter sur chaque acte l'énonciation de plusieurs clauses, qui dès lors seraient sous-entendues. Le gouvernement ne frapperait les lingots des particuliers qu'autant qu'on lui paierait les frais et même le bénéfice de la fabrication. Ce bénéfice pourrait être porté assez haut, en vertu du privilège exclusif de fabriquer. Rien n'empêcherait qu'à l'empreinte énonciative du poids et du titre ne fussent joints tous les signes qu'on jugerait propres à prévenir la contrefaçon.

Je n'ai point parlé de proportion entre l'or et l'argent, et je n'avais nul besoin d'en parler. Ne me mêlant point d'énoncer la valeur des métaux dans une dénomination particulière, les variations réciproques de cette valeur ne m'occupent pas plus que les variations de leur valeur relativement à toutes les autres marchandises. Il faut la laisser s'établir d'elle-même, puisqu'on chercherait en vain à la fixer.

Quant aux obligations, elles seraient payées suivant qu'elles auraient été contractées ; un engagement de donner cent grammes d'argent serait acquitté au moyen de cent grammes d'argent ; à moins que d'un consentement mutuel, à l'époque du paiement, les parties contractantes ne préférassent le solder avec un autre métal ou avec une autre marchandise, suivant une évaluation dont elles tomberaient d'accord.

Une monnaie qui ne serait que de l'argent ou de l'or étiqueté, qui n'aurait point une valeur nominale, et qui par conséquent échapperait au caprice de toutes les lois, serait tellement avantageuse pour tout le monde et dans tous les genres de commerce, que je ne doute nullement qu'elle ne devînt courante même parmi les étrangers.

La nation qui la frapperait deviendrait alors manufacturière de monnaie pour la consommation extérieure, et pourrait faire un fort bon bénéfice sur cette branche d'industrie. Nous voyons dans le traité historique des monnaies de France de Le Blanc (prolégomènes, page 4), qu'une certaine monnaie que fit battre saint Louis, et dont les pièces s'appelaient agnels d'or, à cause de la figure d'un agneau qui y était empreinte, fut recherchée même des étrangers, et qu'ils aimaient fort à contracter en cette monnaie, seulement parce qu'elle contint toujours la même quantité d'or depuis saint Louis jusqu'à Charles VI.

En supposant que la nation qui ferait cette bonne affaire fût la France, je ne pense pas qu'aucun de ceux qui me font l'honneur de lire cet ouvrage, regrettât de voir ainsi sortir notre numéraire, suivant l'expression de certaines gens qui n'entendent rien et ne veulent rien entendre à toutes ces matières. L'argent ou l'or monnayé ne s'en irait certainement pas sans être bien payé, et avec chacun d'eux la façon qu'on y aurait mise. Les fabriques et le commerce de bijouteries ne sont-ils pas considérés comme très lucratifs, bien qu'ils envoient de l'or et de l'argent ? La beauté des dessins et des formes ajoute à la vérité un grand prix aux métaux qu'ils expédient au dehors ; mais l'exactitude des essais et des pesées, et surtout la permanence des mêmes poids et des mêmes titres dans les monnaies, sont des mérites qui ne manqueraient pas d'être appréciés aussi.

Si l'on disait qu'un pareil système a été suivi par Charlemagne, qui a appelé livre une livre d'argent ; que cependant il n'a pas empêché la dégradation des monnaies, et qu'on n'appelât dans la suite une livre ce qui ne pesait réellement que 96 grains, je répondrais :

  1. Qu'il n'y a jamais eu du temps de Charlemagne, ni depuis des pièces d'argent d'une livre ; que la livre a toujours été une monnaie de compte, une mesure idéale. Les pièces d'argent étaient alors des sols d'argent (solidi), et le sol n'était pas une fraction de la livre de poids.
  2. Aucune monnaie ne portait sur son empreinte le poids du métal dont elle était faite. Il nous reste dans les cabinets de médailles plusieurs pièces de monnaie du temps de Charlemagne. On n'y voit que le nom du prince, et quelquefois celui des villes où la pièce avait été frappée, écrits en lettres grossièrement formées, ce qui est peu surprenant dans un royaume dont le monarque, tout protecteur des lettres qu'il était ne savait pas écrire.
  3. Les monnaies portaient encore moins le titre ou le degré de fin du métal, et ce fut la première cause de leur dégradation ; car, sous Philippe Ier, les sols d'argent formant une livre de compte, pesaient bien encore une livre de poids ; mais cette livre de poids était composée de 8 onces d'argent allié avec 4 onces de cuivre, au lieu de contenir, comme sous la seconde race, 12 onces d'argent fin, poids de la livre d'alors.
  4. Enfin, la livre de poids elle-même était une grandeur arbitraire qui pouvait être changée par le législateur, tandis qu'une mesure fondée sur la grandeur de la terre est une quantité invariable. L'usure des pièces de monnaies, ou ce qu'on nomme en terme de l'art, le frai, est proportionnée à l'étendue de leur surface. Entre deux morceaux de métal de même poids, celui qui s'usera le moins sera celui qui offrira le moins de surface au frottement.

La forme sphérique, la forme d'une boule, serait par conséquent celle qui s'userait le moins ; mais elle a été rejetée, parce qu'elle est trop incommode.

Après cette forme-là, celle qui offre le moins de surface, est celle d'un cylindre qui serait aussi long que large ; cette forme serait presque aussi incommode : on s'est donc en général arrêté à la forme d'un cylindre fort aplati. Mais il résulte de ce qui vient d'être dit, qu'il convient de l'aplatir aussi peu que l'admet l'usage qu'on en doit faire, c'est-à-dire, de faire les pièces de monnaie plutôt épaisses qu'étendues.

Quant à l'empreinte, voici quelles doivent être ses principales qualités : la première de toutes est de constater le poids de la pièce et son titre. Il faut donc qu'elle soit très visible et très intelligible, afin que les plus ignorants puissent comprendre ce qu'elle signifie. Il faut de plus que l'empreinte s'oppose, autant qu'il est possible, à l'altération de la pièce, c'est-à-dire qu'il convient que la circulation naturelle ou la friponnerie ne puissent pas altérer le poids de la pièce sans altérer son empreinte. Une torsade pratiquée dans l'épaisseur de la tranche, qui ne l'occupe pas tout entière, et l'affleure sans l'excéder, empêche les pièces d'être rognées sans qu'il y paraisse.

L'empreinte, quand elle est saillante, doit l'être peu, pour que les pièces se tiennent facilement empilées, et surtout pour qu'elles soient moins exposées à l'action du frottement. Par la même raison, les traits d'une empreinte saillante ne doivent pas être déliés : le frottement les emporterait trop aisément. On a proposé, dans ce but, de faire des empreintes en creux. Elles auraient l'inconvénient de se remplir de malpropretés. On pourrait néanmoins en essayer.

Les motifs pour donner en général aux pièces de monnaie le moins de surface possible doivent engager à faire les pièces aussi grosses qu'on le peut sans incommodité ; car plus elles sont divisées, plus elles présentent de surface. Il ne faut fabriquer de petites pièces de métal précieux, que ce qui est absolument nécessaire pour les petits échanges et les appoints, et avoir de grosses pièces pour tous les gros paiements.

C'est une question de savoir par qui doit être supportée la perte résultante du frai des pièces de monnaie. Dans l'exacte justice, cette usure devrait être, comme en toute autre espèce de marchandise, supportée par celui qui s'est servi de la monnaie.

Un homme qui revend un habit après l'avoir porté, le revend moins cher qu'il ne l'a acheté. Un homme qui vend un écu contre de la marchandise, devrait le vendre moins cher qu'il ne l'a acheté, c'est-à-dire, recevoir en échange moins de marchandise qu'il n'en a donné.

Mais la portion de l'écu usée en passant par les mains d'un seul honnête homme, est si peu de chose, qu'il est presque impossible de l'évaluer. Ce n'est qu'après avoir circulé pendant plusieurs années, que son poids a sensiblement diminué, sans qu'on puisse dire précisément entre les mains de qui cette diminution a eu lieu. Je sais fort bien que chacun de ceux entre les mains de qui l'écu a passé, a supporté, sans s'en apercevoir, la dégradation occasionnée dans sa valeur échangeable par l'usure ; je sais que chaque jour l'écu a dû acheter un peu moins de marchandises ; je sais que cette diminution, qui n'est pas sensible d'un jour à l'autre, le devient au bout d'un certain nombre d'années, et qu'une monnaie usée achète moins de marchandises qu'une monnaie neuve. Je crois en conséquence que, si une espèce entière de pièces de monnaie se dégradait successivement, au point d'exiger une refonte, les possesseurs de ces pièces, au moment de la refonte, ne pourraient raisonnablement exiger que leur monnaie dégradée fût échangée contre une monnaie neuve, pièce pour pièce et troc pour troc. Leurs pièces ne devraient être prises, même par le gouvernement, que pour ce qu'elles valent réellement ; elles contiennent moins d'argent que dans leur origine, mais aussi les ont-ils eues à meilleur compte, puisque, pour les avoir, ils n'ont donné qu'une quantité de marchandise inférieure à ce qu'ils auraient donné dans l'origine

Telle est en effet la rigueur du principe ; mais deux considérations doivent empêcher de s'y tenir.

  1. Les pièces de monnaie ne sont pas une marchandise individuelle, si je peux ainsi m'exprimer. Leur valeur dans les échanges s'établit, non pas précisément sur le poids et la qualité des pièces actuellement offertes, mais sur le poids et la qualité qu'on sait, par expérience, exister dans la monnaie du pays prise au hasard et par grandes masses. Un écu un peu plus ancien, un peu plus usé, passe sur le même pied qu'un plus entier : l'un compense l'autre. Chaque année les hôtels des monnaies frappent de nouvelles pièces, qui contiennent tout le métal pur qu'elles doivent avoir ; et dans cet état de choses, la valeur de la monnaie n'éprouve pas, même au bout d'un grand nombre d'années, du moins pour cause d'usure, une diminution dans sa valeur. C'est ce qui pouvait s'observer dans nos pièces de 12 et de 24 sous, qui, par la facilité qu'elles avaient de passer concurremment avec les écus de six livres, conservaient une valeur égale aux écus, quoique dans la même somme nominale il y eût environ un quart moins d'argent dans les pièces usées de 12 et 24 sous, que dans les écus. La loi qui intervint et qui autorisa les caisses publiques et particulières à ne plus les recevoir que pour 10 et 20 sous, ne les estima pas au-dessous de ce qu'elles valaient intrinsèquement, mais les estima au-dessous de la valeur pour laquelle le dernier possesseur les avait reçues ; car cette valeur, soutenue pour ainsi dire par celle des écus, était restée jusqu'à lui de 12 et de 24 sous, comme si les pièces n'avaient rien perdu par le frottement. On fit donc perdre au dernier porteur seul le frai opéré par les milliers de mains dans lesquelles elles avaient passé.
  2. L'empreinte, la façon de la pièce, sert précisément au même degré jusqu'au dernier moment, quoique sur la fin elle soit à peine visible, ou même ne le soit plus du tout, comme sur les anciens shillings d'Angleterre. Nous avons vu que la pièce de monnaie a une certaine valeur en raison de cette empreinte ; cette valeur a été reconnue jusqu'à l'échange qui l'a fait passer dans les mains du dernier possesseur : celui-ci l'a reçue, par cette raison, à un taux un peu supérieur à celui d'un petit lingot du même poids. La valeur de la façon serait donc perdue pour lui seul, quoiqu'il soit peut-être la cent millième personne à qui la pièce a servi.

Ces considérations me portent à croire que ce devrait être à la société tout entière, c'est-à-dire au trésor public, à supporter dans ces cas-là la perte de l'usure et la perte de la façon ; c'est la société tout entière qui a usé la monnaie, et l'on ne peut faire supporter cette perte à chaque particulier, proportionnellement à l'avantage qu'il a retiré de la monnaie.

Ainsi l'on peut faire payer à tout homme qui porterait des lingots à l'hôtel des monnaies, pour y être façonnés, les frais de fabrication, et même, si l'on veut les bénéfices du monopole, il n'y a point là d'inconvénient : le monnayage élève la valeur de son lingot de tout le prix qu'il paie à la monnaie ; et si cette façon ne l'élevait pas à ce point, il n'aurait gare de l'y porter. Mais en même temps je pense que l'hôtel des monnaies devrait changer une pièce vieille contre une pièce neuve toutes les fois qu'il en serait requis ; ce qui n'empêcherait pas au surplus qu'on ne prît toutes les précautions possibles contre les rogneurs d'espèces. L'hôtel des monnaies ne recevrait que sur le pied des lingots, les pièces auxquelles il manquerait certaines portions de l'empreinte que l'usure naturelle ne doit pas enlever : la perte porterait alors sur le particulier assez négligent pour recevoir des pièces privées de signes faciles à reconnaître. La promptitude avec laquelle on aurait soin de reporter à l'hôtel des monnaies une pièce altérée, fournirait au ministère public des moyens de remonter plus aisément à la source des altérations frauduleuses.

Sous une administration diligente, la perte supportée par le trésor public pour cette cause-là, se réduirait à peu de chose ; l'État pourrait s'en indemniser facilement au moyen des bénéfices de la fabrication ; et le système général des monnaies, de même que le change avec l'étranger, en serait sensiblement amélioré.


D'une attention qu'il faut avoir en évaluant les sommes dont il est fait mention dans l'histoire << Jean-Baptiste Say - Traité d'économie politique >> Des signes représentatifs de la monnaie