Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 2 - les Dieux de la machine »

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Il y a des gens qui croient que le capitalisme des grandes sociétés est, pour des raisons mystérieuses, la conséquence inévitable du machinisme. C'est une illusion. Bien plus, il n'est pas du tout certain que la concentration du contrôle dans ces grandes sociétés favorise le plus grand développement de la technique. On sait couramment qu'au-delà d'un certain point, la croissance diminue le rendement, et que beaucoup de grandes sociétés sont trop grandes pour être bien administrées, qu'elles deviennent rigides et routinières. Il y a de bonnes raisons de croire que les lois qui favorisent la concentration sont réactionnaires au point de vue du progrès technique, qu'elles l'entravent au lieu de l'encourager, et que des lois industrielles vraiment conformes à l'esprit de la technique moderne seraient très différentes des lois existantes. Elles s'efforceraient certainement d'empêcher la production de dépasser le rythme du rendement technique optimum, de décourager la concentration qui affaiblit les initiatives et supprime le critérium objectif que représente la concurrence du marché. Elles essaieraient de mettre obstacle à la construction d'immenses édifices industriels dans lesquels toute transformation technique devient ruineuse.
Il y a des gens qui croient que le capitalisme des grandes sociétés est, pour des raisons mystérieuses, la conséquence inévitable du machinisme. C'est une illusion. Bien plus, il n'est pas du tout certain que la concentration du contrôle dans ces grandes sociétés favorise le plus grand développement de la technique. On sait couramment qu'au-delà d'un certain point, la croissance diminue le rendement, et que beaucoup de grandes sociétés sont trop grandes pour être bien administrées, qu'elles deviennent rigides et routinières. Il y a de bonnes raisons de croire que les lois qui favorisent la concentration sont réactionnaires au point de vue du progrès technique, qu'elles l'entravent au lieu de l'encourager, et que des lois industrielles vraiment conformes à l'esprit de la technique moderne seraient très différentes des lois existantes. Elles s'efforceraient certainement d'empêcher la production de dépasser le rythme du rendement technique optimum, de décourager la concentration qui affaiblit les initiatives et supprime le critérium objectif que représente la concurrence du marché. Elles essaieraient de mettre obstacle à la construction d'immenses édifices industriels dans lesquels toute transformation technique devient ruineuse.
Les collectivistes qui pensent que l'industrie doit devenir de plus en plus grande, jusqu'au jour où le gouvernement seul sera assez grand pour la dominer, ne font qu'entasser l'Ossa sur le Pelion. Ils ne comprennent pas le principe interne de la révolution industrielle moderne. Ils attribuent aux techniciens des résultats qui sont le fait des juristes et des politiciens. Pour remédier aux maux qui résultent des erreurs des législateurs, ils proposent des mesures politiques qu'on a dû abandonner il y a longtemps pour permettre aux techniciens de faire leur ouvrage.
Les maux de la concentration sont évidents. Mais les collectivistes les acceptent, ils les jugent nécessaires, les consacrent, et proposent de les multiplier par mille en effectuant une super-concentration entre les mains de l'Etat. Ce n'est pourtant pas un mal nécessaire. La concentration a son origine dans le privilège et non dans la technique. Et la technique n'a pas besoin d'une forte concentration. Car le progrès technique, expérimental par nature, nécessite beaucoup d'essais et d'erreurs. C'est-à-dire que pour réaliser des progrès techniques, l'industrie doit être souple, et non rigide. Il faut que les transformations ne soient pas trop coûteuses à réaliser. Les directeurs doivent être libres, comme le sont les techniciens, de faire des erreurs pour pouvoir réussir.
On a le droit de ne pas aimer un tel programme, de préférer une industrie stabilisée jusqu'à la routine, et administrée par des bureaucrates privés ou publics. Mais alors on n'a pas le droit de se faire passer pour un champion de la science moderne, pour un de ceux qui s'efforcent de perfectionner la maîtrise de l'homme sur la nature. Ceux qui désirent vraiment l'avènement d'un ordre social en harmonie avec l'esprit des méthodes scientifiques et de la production moderne, devraient se montrer très sceptiques à l'égard des prétentions du mouvement collectiviste. Quelque forme que prenne le collectivisme, grandes sociétés anonymes privées, collectivisme national du fascisme, du communisme ou des partis progressistes, ses adhérents prétendent adapter l'organisation industrielle au progrès technique. Cette prétention est très discutable. Les grands organismes de contrôle centralisés ne peuvent fonctionner que sous l'autorité d'administrateurs publics ou privés. Aussi ne sont-ils pas adaptés à un mode de production qui ne peut profiter des inventions nouvelles qu'à condition d'être souple, expérimental, de pouvoir s'adapter et soutenir la concurrence. Les laboratoires dans lesquels s'élabore la technique ne peuvent pas fabriquer des inventions suivant un plan soumis à une direction centrale. On ne peut ni prédire, ni organiser, ni administrer une technique future, et c'est pourquoi il est très peu probable qu'une économie très organisée et fortement centralisée soit capable de s'adapter au dynamisme intense de la technique nouvelle.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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