Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 2 - les Dieux de la machine »

Aller à la navigation Aller à la recherche
Ligne 45 : Ligne 45 :


On a le droit de ne pas aimer un tel programme, de préférer une industrie stabilisée jusqu'à la routine, et administrée par des bureaucrates privés ou publics. Mais alors on n'a pas le droit de se faire passer pour un champion de la science moderne, pour un de ceux qui s'efforcent de perfectionner la maîtrise de l'homme sur la nature. Ceux qui désirent vraiment l'avènement d'un ordre social en harmonie avec l'esprit des méthodes scientifiques et de la production moderne, devraient se montrer très sceptiques à l'égard des prétentions du mouvement collectiviste. Quelque forme que prenne le collectivisme, grandes sociétés anonymes privées, collectivisme national du fascisme, du communisme ou des partis progressistes, ses adhérents prétendent adapter l'organisation industrielle au progrès technique. Cette prétention est très discutable. Les grands organismes de contrôle centralisés ne peuvent fonctionner que sous l'autorité d'administrateurs publics ou privés. Aussi ne sont-ils pas adaptés à un mode de production qui ne peut profiter des inventions nouvelles qu'à condition d'être souple, expérimental, de pouvoir s'adapter et soutenir la concurrence. Les laboratoires dans lesquels s'élabore la technique ne peuvent pas fabriquer des inventions suivant un plan soumis à une direction centrale. On ne peut ni prédire, ni organiser, ni administrer une technique future, et c'est pourquoi il est très peu probable qu'une économie très organisée et fortement centralisée soit capable de s'adapter au dynamisme intense de la technique nouvelle.
On a le droit de ne pas aimer un tel programme, de préférer une industrie stabilisée jusqu'à la routine, et administrée par des bureaucrates privés ou publics. Mais alors on n'a pas le droit de se faire passer pour un champion de la science moderne, pour un de ceux qui s'efforcent de perfectionner la maîtrise de l'homme sur la nature. Ceux qui désirent vraiment l'avènement d'un ordre social en harmonie avec l'esprit des méthodes scientifiques et de la production moderne, devraient se montrer très sceptiques à l'égard des prétentions du mouvement collectiviste. Quelque forme que prenne le collectivisme, grandes sociétés anonymes privées, collectivisme national du fascisme, du communisme ou des partis progressistes, ses adhérents prétendent adapter l'organisation industrielle au progrès technique. Cette prétention est très discutable. Les grands organismes de contrôle centralisés ne peuvent fonctionner que sous l'autorité d'administrateurs publics ou privés. Aussi ne sont-ils pas adaptés à un mode de production qui ne peut profiter des inventions nouvelles qu'à condition d'être souple, expérimental, de pouvoir s'adapter et soutenir la concurrence. Les laboratoires dans lesquels s'élabore la technique ne peuvent pas fabriquer des inventions suivant un plan soumis à une direction centrale. On ne peut ni prédire, ni organiser, ni administrer une technique future, et c'est pourquoi il est très peu probable qu'une économie très organisée et fortement centralisée soit capable de s'adapter au dynamisme intense de la technique nouvelle.
Il est donc douteux qu'« à mesure que l'industrie se mécanise », il faille que « l'autorité politique exerce une pression plus forte qu'il n'était nécessaire auparavant ». Au contraire, il est très probable que le mouvement collectiviste est une réaction formidable, et que la société occidentale, en suivant ce mouvement, entraîne l'humanité en arrière et non pas en avant. Les collectivistes ont tort de généraliser l'interprétation d'une période historique relativement courte. Ils ont confondu les phénomènes de la phase la plus récente du régime des sociétés anonymes avec les conséquences de la technique moderne. Ils ont fini par croire que ces phénomènes sont fatalement pré-déterminés, alors qu'en réalité les États aux XIXe siècle en ont permis et provoqué l'éclosion sans en prévoir les conséquences. Cela s'est produit, comme j'espère le démontrer<ref>Voir chapitre X.</ref>, parce que les démocrates libéraux, prenant les privilèges des sociétés anonymes pour les droits de l'homme, les garanties des personnes morales pour l'inviolabilité des personnes physiques, la possession des monopoles pour la propriété privée, n'ont pas su tirer les conséquences de leurs propres sentiments et de leurs propres doctrines.
Les collectivistes ont supposé que le développement du capitalisme concentré des grandes sociétés est la conséquence naturelle et nécessaire de la technique nouvelles. C'est pourquoi, grands hommes d'affaires ou socialistes, ont abandonné la conception libérale pour une conception autoritaire de la société. S'ils avaient vu plus loin, ils se seraient rendu compte qu'ils étaient mal partis, et se seraient rappelés que les progrès scientifiques qui, selon eux, exigent aujourd'hui le rétablissement de l'autorité, n'ont été possibles que lorsque la recherche scientifique s'est affranchie de l'autorité. Ils auraient rappelés que pour créer la société moderne, il a fallu assujettir l'État à un régime constitutionnel. Ils se seraient moins empressés de faire appel à la contrainte comme instrument « de synthèse, de coordination, et de contrôle rationnel »<ref>George Soule, A Planned Society, p.91</ref>, et de la considérer comme le remède spécifique aux convoitises individuelles et à l'égoïsme antisocial. Ils se seraient rappelés que l'humanité a connu pendant des siècles toutes les corruptions du pouvoir personnel. Ils auraient parlé moins légèrement de socialiser et d'unifier des nations par décret, s'ils s'étaient rappelés que la soumission des féodaux par les rois, que la fusion de tribus ennemies en nations unies ont été autant de révoltes contre des autorités vexatoires, arbitraires, et profondément despotiques. Ils n'auraient jamais oublié que la technique moderne et que l'abondance dues à la division du travail sont venues ''après'' que les hommes se furent émancipés des règlements compliqués des corporations, de la politique mercantiliste des propriétaires fonciers, de l'Église et de la royauté.
Mais tout cela, les maîtres et les dirigeants auxquels la génération actuelle obéit l'ont oublié. Dans les soixante ou soixante-dix dernières années, le principe fondamental de toute pensée et de toute action est devenu le suivant : le progrès de l'humanité ne peut venir que d'une restauration de l'autorité, et non pas d'une extension de la liberté.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
1 854

modifications

Menu de navigation