Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 3 - le gouvernement de la postérité

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Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 3 - le gouvernement de la postérité


Anonyme


Chapitre 3 - Le gouvernement de la postérité
La Cité libre
The Good Society
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Auteur : Walter Lippmann
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1937
« Les doctrines auxquelles on veut que les hommes souscrivent sont partout hostiles à celles au nom desquelles les hommes ont lutté pour conquérir la liberté. Les réformes sont partout aux prises avec la tradition libérale. On demande aux hommes de choisir entre la sécurité et la liberté. On leur dit que pour améliorer leur sort il leur faut renoncer à leurs droits, que pour échapper à la misère, ils doivent entrer en prison, que pour régulariser leur travail il faut les enrégimenter, que pour avoir plus d'égalité, il faut qu'ils aient moins de liberté, que pour réaliser la solidarité nationale il est nécessaire d'opprimer les oppositions, que pour exalter la dignité humaine il faut que l'homme s'aplatisse devant les tyrans, que pour recueillir les fruits de la science, il faut supprimer la liberté des recherches, que pour faire triompher la vérité, il faut en empêcher l'examen. »
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La transmission d'un mythe

Même s'il n'a pas oublié la lutte contre l'absolutisme, un collectiviste d'aujourd'hui n'aime pas qu'on l'accuse de reconduire l'humanité vers l'ordre de choses d'autrefois. Ses intentions sont très différentes de celles qu'il prête aux ministres de Louis XIV. Car il a les yeux fixés sur l'avenir, alors que les leurs l'étaient sur le passé. Ils voulaient, eux, conserver un grand héritage. Il aspire, lui, à une glorieuse destinée. Certes, il a recours comme eux à la règlementation universelle des affaires humaines ; mais il croit que, du moment que ses intentions sont différentes, le résultat ne sera pas le même.

Il le croit, parce qu'il l'espère. L'ardeur de son espoir rend croyable à ses yeux l'un des mythes les plus séduisants qui aient jamais capturé l'imagination des hommes. Un dieu nouveau va naître de l'union de la connaissance avec la force. L'union de la science et du gouvernement donnera naissance à un Etat-providence, qui sait tout et est assez fort pour tout faire. C'est ainsi que le rêve de Platon se trouvera enfin réalisé : la raison triomphera et le souverain sera rationnel. Les philosophes seront rois ; c'est-à-dire que les premiers ministres et leurs parlements, les dictateurs et leurs commissaires obéiront aux ingénieurs, aux biologistes et aux économistes qui organiseront tout. Les « experts » dirigeront les affaires de l'humanité, et les gouvernants les écouteront. L'Etat-providence de l'avenir possédera toute l'autorité du plus absolu des Etats du passé, mais il sera très différent ; les techniciens consacrés remplaceront les courtisans et les favorites des rois, et le gouvernement, armé d'un pouvoir irrésistible, disposera à son gré de l'humanité.

Ce mythe s'est emparé des imaginations des hommes au moment où les religions ancestrales s'envolaient au vent des idées modernes[1]. Dans le monde troublé où nous vivons, les hommes ne s'en rapportent plus à Dieu du soin de régler les affaires humaines, la coutume a cessé d'être un guide ; la tradition ne consacre plus les usages établis. La dissolution de la foi avait commencé depuis nombre de générations lorsqu'en 1914 une catastrophe vint bouleverser la routine humaine. Le système de la paix du monde fut ébranlé ; l'économie qui était la condition de se prospérité fut disloquée. Mille questions abandonnées à la routine et qui ne faisaient plus l'objet d'aucune discussion prirent soudain une importance vitale.

Du fond des ténèbres, l'humanité éprouvait un besoin angoissé de lumière. Débordée par les événements, elle cherchait désespérément un guide. Dans ce désordre, à mesure que leurs esprits s'affolaient, les hommes devenaient plus crédules et plus anxieusement dociles. Seuls les hommes de science paraissaient savoir ce qu'ils faisaient. Seuls les gouvernements semblaient posséder le pouvoir d'agir.

Les conditions ne pouvaient être meilleures pour la transmission du mythe. La science était devenue la seule entreprise qui parût offrir des perspectives de succès. La société était disloquée, désorganisée.

Notes et références

  1. Voir mon ouvrage Preface to Morals, première partie.
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